Propriétaires fonciers indépendants qui exploitent une terre en Nouvelle-France aux 17e et 18e siècles. Ils se distinguent de la main d’œuvre agricole engagée et de ceux dont le séjour sur une terre est considéré comme temporaire. À la fin du 18e siècle, on nomme « habitants » tous ceux qui habitent les campagnes et qui vivent du travail de la terre, même s’ils ne sont pas propriétaires exploitants.
Un propriétaire foncier indépendant
En Nouvelle-France, aux 17e et 18e siècles, les habitants sont des propriétaires fonciers indépendants qui exploitent une habitation. C’est un statut avec des obligations et des privilèges correspondants. Par exemple, au début de la colonie, seuls les habitants avaient le droit de faire la traite des fourrures à petite échelle. La traite était interdite aux engagés, aux volontaires et aux soldats. Les habitants se distinguent de la main d’œuvre agricole engagée (domestiques) et de ceux dont le séjour sur une terre est considéré comme temporaire (laboureurs, manœuvres, employés saisonniers).
En Nouvelle-France, il existe deux manières de se procurer une terre à la campagne ou un terrain en ville. Au début de la colonie, c’est uniquement la concession par un seigneur (une compagnie ou un individu) qui donne accès à la propriété. En échange de sa concession, le censitaire s’engage à payer au seigneur les cens et rentes (voir Régime seigneurial). L’habitant — à la différence du seigneur qui peut reprendre la terre si elle n’est pas exploitée — ne peut pas reconcéder la censive. Comme il s’agit d’un titre de propriété en bonne et due forme, il peut cependant la revendre. Le seigneur dispose d’un droit de rachat et l’habitant doit — théoriquement du moins ― lui proposer sa terre en premier. Une terre peut donc être vendue ou échangée par un habitant à qui elle avait été concédée ou par ses héritiers.
Acquisition de la terre
En plus de la redevance annuelle au seigneur, le mot « rente » désigne l’intérêt qu’un emprunteur doit verser à un prêteur. Dans le cas de l’habitant, ce dernier doit payer chaque année à date fixe à l’ancien propriétaire la rente (l’intérêt) sur la somme qui n’a pas été payée au moment de la transaction chez le notaire. Il est fréquent que le montant de la rente — qui peut nous sembler minime — ne soit pas versé régulièrement et qu’au moment du décès, les héritiers se voient réclamer à la fois le solde et les rentes impayées depuis plusieurs années. Les cas de saisies pour non-paiement des rentes — par le seigneur ou par le vendeur — ne sont cependant pas aussi fréquents qu’on pourrait le penser. Sauf exception, les seigneurs, les marchands et les négociants de la colonie ne semblent pas vouloir concentrer les terres entre leurs mains au 18e siècle. Les « gros » habitants qui possèdent les plus grandes fermes saisissent parfois les terres de leurs voisins à qui ils ont fourni des animaux, de la main d’œuvre ou de l’argent afin d’augmenter la taille de leurs exploitations. C’est souvent parmi ces habitants aisés qu’on retrouve les capitaines de milice et les marguilliers des paroisses.
Niveau de vie
Il est difficile de situer le niveau de vie — qui est loin d’être uniforme ― des habitants. Les inventaires après décès n’incluent pas toujours tous les biens qui garnissent la maison. Les vêtements et d’autres objets du quotidien peuvent avoir été distribués avant que l’inventaire ne soit fait par le notaire, quelques mois et même parfois plusieurs années après le décès. La ponction exercée ― théoriquement ― par le paiement des divers droits seigneuriaux et par la dîme a un effet différent selon la taille et l’ancienneté de la censive. En dehors des périodes de guerre et des réquisitions par les autorités coloniales, l’habitant demeure libre d’apporter ses surplus pour les vendre à la ville, de les échanger chez le marchand contre des produits ou de les conserver pour la survie de sa famille. La proximité des débouchés pour la production agricole et le cycle de vie de la famille — nouveaux mariés ou famille comportant des adolescents ― joue aussi sur la capacité financière du ménage.
Héritage
Le vocabulaire concernant l’habitant évolue. À la fin du 18e siècle, on nomme désormais « habitants » tous ceux qui habitent les campagnes et qui vivent du travail de la terre, même s’ils ne sont pas propriétaires exploitants. Au 20e siècle, le terme « habitant » a pris un sens péjoratif et désigne un individu qui n’a pas les manières « à la mode » des gens de la ville.
L’habitant est un thème récurrent chez les peintres du terroir québécois tel que Cornelius Krieghoff, Horatio Walker, et plus tard Clarence Gagnon. Dans la première partie du XXe siècle, l’habitant occupe une place centrale dans la promotion touristique du Québec alors que la province mise sur sa ruralité et son caractère ancien. Littérature et guides touristiques contribuent à diffuser la croyance selon laquelle le mode de vie des populations rurales serait semblable à celui de leurs ancêtres de la Nouvelle-France. Ces représentations artistiques et touristiques font de l’habitant une figure typique du Canada français; une image qui perdure jusqu’à la Révolution tranquille.