Les tortues sont des reptiles à carapace osseuse appartenant à l’ordre des Testudines. Les tortues ont très bien réussi sur le plan de l’évolution et sont restées relativement inchangées depuis leur apparition il y a plus de 200 millions d’années. Le Canada compte huit espèces de tortues d’eau douce et quatre espèces de tortues de mer. De plus, deux espèces, la tortue de l’Ouest et la tortue tabatière, ont disparu. Cela signifie que bien qu’elles continuent de vivre dans d’autres parties de leur aire de répartition, on ne les trouve plus au Canada. Il existe 14 familles taxonomiques de tortues dans le monde, dont six sont présentes au Canada : Chelydridae (tortues serpentines), Trionychidae (tortues à carapace molle), Kinosternidae (tortues musquées et de boue), Emydidae (tortues des marais et des étangs), Dermochelyidae (tortue luth) et Cheloniidae (tortues de mer à carapace dure). Au Canada, les tortues sont présentes d’un océan à l’autre, de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique, bien qu’elles soient absentes des territoires nordiques.
Espèces de tortues au Canada
Nom commun |
Nom scientifique |
Sous-espèces |
Provinces et territoires |
Emydoidea blandingii |
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Chrysemys picta |
Tortue peinte de l’Est (Chrysemys picta picta) Tortue peinte du Centre (Chrysemys picta marginata) Tortue peinte de l’Ouest (Chrysemys picta bellii) |
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Tortue musquée de l’Est |
Sternotherus odoratus |
Ont., Qc |
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Tortue verte |
Chelonia mydas |
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Tortue bâtarde |
Lepidochelys kempii |
Océan Atlantique |
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Dermochelys coriacea |
Océan Atlantique, océan Pacifique |
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Tortue caouanne |
Caretta caretta |
Océan Atlantique |
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Tortue géographique |
Graptemys geographica |
Ont., Qc |
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Chelydra serpentina |
Sask., Man., Ont., Qc, N.-B., N.-É. |
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Tortue molle à épines |
Apalone spinifera |
Tortue molle à épines de l’Est (Apalone spinifera spinifera) |
Ont., Qc |
Clemmys guttata |
Ont. |
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Glyptemys insculpta |
Ont., Qc, N.-B., N.-É. |
Description
Les tortues sont surtout connues pour leur carapace constituée de plaques osseuses fusionnées à une cage thoracique élargie. La carapace supérieure s’appelle la dossière, et la carapace inférieure, le plastron. Chez la plupart des espèces, la carapace est couverte de plaques cornées appelées scutelles. Cependant, les tortues à carapace molle et les tortues luths ont une plaque osseuse beaucoup plus petite et n’ont pas de scutelles, leur carapace étant recouverte d’une peau coriace ressemblant à du cuir. Les tortues ont un cou relativement long, quatre pattes et une queue qu’elles peuvent rétracter dans leur carapace pour se protéger. Certaines espèces, comme la tortue serpentine, ont un plastron beaucoup plus petit, ce qui les empêche de se rétracter complètement dans leur carapace. À l’inverse, d’autres espèces, comme la tortue mouchetée et la tortue musquée de l’Est, ont des charnières sur leur plastron, ce qui leur permet de fermer partiellement ou complètement leur carapace lorsqu’elles se rétractent.
À l’instar d’autres reptiles non aviaires, leur peau est recouverte d’écailles qui les protègent et contribuent à réduire la perte d’eau en milieux secs. Les tortues n’ont pas de dents, mais leurs mâchoires forment des becs acérés qu’elles utilisent pour couper et déchiqueter leur nourriture. Les tortues ont des poumons et respirent de l’air. La plupart des espèces ont de grandes griffes qui leur permettent de creuser ou même, dans certains cas, de grimper. Les tortues aquatiques ont généralement des palmures entre les orteils qui les aident à nager, tandis que les membres des tortues marines se sont transformés en nageoires qui augmentent leur manœuvrabilité dans l’eau. Les tortues ont une excellente vue, une excellente ouïe et une excellente chimioréception (odorat). Certaines espèces, comme la tortue caouanne ou la tortue luth, peuvent également détecter le champ magnétique terrestre et l’utiliser pour s’orienter et se déplacer dans leur environnement.
Bien que toutes les tortues aient une structure corporelle semblable, il existe une variation considérable de taille et d’apparence chez les tortues du Canada, allant de la minuscule tortue ponctuée (à la carapace de 14 cm de long) à l’énorme tortue luth (qui peut peser plus de 900 kg), en passant par la tortue serpentine d’apparence préhistorique (à la carapace de 50 cm de long).
Le saviez-vous?
Le mot anglais « tortoise » fait référence aux tortues terrestres de la famille des Testudinidae, dont aucune ne se trouve au Canada.
Physiologie et hivernage
Les tortues sont ectothermes, c’est-à-dire qu’elles ne génèrent pas leur propre chaleur corporelle. La température de leur corps dépend de leur environnement. Elles régulent leur température corporelle par leur comportement et leur utilisation de l’habitat, en se prélassant sur une bûche au soleil, par exemple. C’est ce qu’on appelle la « thermorégulation comportementale ». Les températures hivernales des régions tempérées nordiques étant trop froides pour leur permettre de poursuivre leurs activités ou de survivre, les tortues hivernent sous l’eau dans des rivières, des lacs et des terres humides. Pendant l’hiver, la température du corps d’une tortue d’eau douce demeure semblable à la température de l’eau environnante, généralement juste au-dessus de 0 °C (voir Tortue mouchetée). À une température aussi basse, le métabolisme des tortues ralentit considérablement, ce qui leur permet de survivre six mois sans manger ni remonter à la surface pour respirer. En fait, elles sont capables d’obtenir l’oxygène dont elles ont besoin en l’absorbant par la muqueuse de leur bouche et de leur cloaque (l’ouverture sous leur queue qu’elles utilisent pour s’accoupler ou pour évacuer les excréments), c’est ce qu’on appelle la « respiration cutanée ». Les tortues de mer, en revanche, migrent au sud vers des latitudes plus chaudes pendant les hivers canadiens.
Répartition et habitat
Les tortues étant ectothermes, le climat frais du Canada impose d’importantes contraintes à leur milieu de vie. Par exemple, les œufs de tortue ont besoin d’une certaine quantité de chaleur tout au long de leur période d’incubation pour se développer et éclore. Si les températures estivales sont trop basses ou si le temps frais de l’automne s’installe trop rapidement, les œufs n’écloront pas. Pour cette raison, la plupart des tortues sont confinées aux régions les plus méridionales du Canada, où les températures sont les plus chaudes. Il n’est donc pas surprenant que ce soit le sud de l’Ontario et le sud du Québec qui abritent le plus grand nombre d’espèces de tortues au Canada.
Les tortues d’eau douce du Canada vivent principalement dans des habitats aquatiques, tels que les rivières, les lacs, les étangs, les ruisseaux et les terres humides. Les habitats précis varient en fonction des espèces. La tortue des bois, par exemple, habite les cours d’eau et les ruisseaux, tandis que la tortue mouchetée vit dans des zones humides peu profondes. Les tortues d’eau douce creusent leur nid dans divers habitats, y compris le long des rivages sablonneux des rivières et des lacs, dans les clairières et même sur les affleurements rocheux.
On trouve des tortues de mer le long des côtes atlantique et pacifique du Canada au printemps, en été et en automne. Les femelles qui cherchent de la nourriture dans les eaux canadiennes nichent sur les plages sablonneuses des États-Unis et des latitudes tropicales, comme dans les Caraïbes. Les tortues de mer peuvent avoir des domaines vitaux extrêmement vastes, certains individus parcourant plus de 10 000 km chaque année.
Les femelles sont souvent très fidèles à leurs sites de nidification, ce qui signifie qu’elles reviennent généralement aux mêmes sites année après année.
Reproduction et développement
Les tortues d’eau douce s’accouplent généralement au printemps, mais peuvent aussi le faire en été et en automne. Les tortues de mer s’accouplent avant et pendant la période de nidification. La fécondation est interne, et les femelles sont capables de stocker des spermatozoïdes viables pendant plusieurs années. Toutes les espèces de tortues pondent des œufs. Au Canada, les tortues d’eau douce femelles pondent de la fin mai à la mi-juillet, tandis que les tortues de mer nichent à différents moments de l’année, selon l’espèce et le lieu. Le nombre d’œufs varie, selon l’espèce, d’un à sept (tortue ponctuée) à plusieurs centaines (tortues de mer). Les œufs éclosent après une période d’incubation de 1,5 à 3,5 mois, selon l’espèce et le lieu. Les œufs des espèces d’eau douce du Canada éclosent à la fin de l’été ou au début de l’automne, tandis que les périodes d’éclosion des œufs de tortues de mer varient. Les nouveau-nés de certaines espèces, comme la tortue peinte, peuvent rester dans la cavité du nid pendant l’hiver, subissant parfois le gel pendant de courtes périodes, et émerger au printemps suivant. Les femelles ne se reproduisent généralement pas chaque année; leur fréquence de reproduction peut varier d’un an à quatre ans.
Le saviez-vous?
La plupart des tortues du Canada ont une détermination du sexe dépendante de la température (DST), c’est-à-dire que le sexe de la progéniture est déterminé par la température d’incubation des œufs. La plupart des tortues du Canada ont un schéma DTS-1a, selon lequel des températures plus fraîches produisent des mâles et des températures plus chaudes produisent des femelles. La tortue musquée de l’Est, en revanche, présente un schéma DTS-2, les femelles étant produites à des températures froides et chaudes et les mâles à des températures intermédiaires. La tortue molle à épines et la tortue des bois sont les deux seules espèces canadiennes dont le sexe est déterminé génétiquement.
Les tortues ont une très grande longévité, et des individus de certaines espèces peuvent vivre plus de 100 ans (la tortue ponctuée, p. ex.). Cependant, elles n’atteignent la maturité sexuelle qu’entre 6 et 35 ans, selon l’espèce. Les œufs et les nouveau-nés ont un taux de survie très faible, et il est fréquent que des nids entiers soient dévorés par des prédateurs ou n’éclosent pas en raison du temps froid. Par conséquent, très peu d’œufs survivent jusqu’à l’âge adulte, moins de 0,07 % dans les populations de tortue serpentine dans des endroits comme le parc provincial Algonquin. Pour produire une seule tortue serpentine adulte, il faut donc environ 1 400 œufs, soit plusieurs décennies d’efforts de reproduction. Cela signifie que la croissance des populations de tortues est très lente et que les adultes doivent vivre très longtemps pour assurer la stabilité des populations.
Alimentation et prédation
La plupart des tortues du Canada sont omnivores et se nourrissent d’une grande variété d’aliments, y compris de petits vertébrés (p. ex., des amphibiens et des poissons), d’invertébrés (p. ex., des insectes, des crustacés et des vers), de plantes, d’ algues et de charogne (animaux morts). Certaines espèces sont toutefois carnivores et ont un régime alimentaire très spécialisé. Par exemple, la tortue luth se nourrit presque exclusivement de méduses, tandis que la tortue géographique femelle se restreint aux mollusques (gastéropodes et moules).
Les principaux prédateurs des tortues d’eau douce adultes et juvéniles et de leurs nids sont les mammifères, dont le raton laveur, le renard, la mouffette, la loutre, le vison et l’ours. Parmi les prédateurs des tortues de mer adultes et juvéniles figurent les requins et autres poissons, les crocodiles d’eau salée, les orques et les otaries et phoques. Par contre, les nids des tortues de mer sont la proie de mammifères, d’insectes, de serpents, de crabes et d’oiseaux. Les tortues nouveau-nées ont un large éventail de prédateurs, dont des mammifères, des oiseaux, des lézards, des serpents, des crapauds, des crabes, des insectes, des méduses et des calmars. Les humains sont aussi de grands prédateurs des tortues adultes et de leurs nids, particulièrement chez les tortues de mer.
Rôle écosystémique
Les tortues, pouvant y être présentes en fortes densités par rapport à d’autres groupes de vertébrés (les mammifères et autres reptiles, p. ex.), font partie intégrante de leurs écosystèmes. Étant herbivores, omnivores et carnivores, les tortues jouent un rôle important dans les réseaux trophiques, notamment en régulant les populations de proies et en façonnant la structure et la composition des communautés. En se nourrissant d’animaux morts, les tortues contribuent également à nettoyer les terres humides, les rivières et les lacs. Par ailleurs, les tortues et leurs œufs constituent une source de nourriture importante pour une grande variété d’autres espèces. Les tortues contribuent également au flux d’énergie entre les écosystèmes aquatiques et terrestres. Par exemple, en consommant des œufs de tortues, les prédateurs peuvent redistribuer d’importantes quantités d’énergie et de nutriments du milieu aquatique au milieu terrestre, en particulier dans les zones où la prédation des nids est fréquente. Les tortues contribuent également à divers autres processus écosystémiques, notamment au cycle minéral, à la dispersion des graines et à la germination des graines.
Importance culturelle
Les tortues revêtent une grande importance culturelle et sont consacrées dans de nombreux systèmes de croyances et de coutumes à travers le monde, y compris au Canada. Pour de nombreuses collectivités autochtones, les tortues symbolisent la vie et représentent un lien profond avec la terre. Par exemple, selon le récit de la création chez certaines collectivités autochtones, en particulier dans le nord-est de l’Amérique du Nord, la Terre reposerait sur le dos d’une tortue, d’où le nom « île de la Tortue » donné au continent.
Situation et menaces
Les tortues parcourent la terre depuis plus de 200 millions d’années et ont survécu à de nombreux événements cataclysmiques, dont l’extinction massive des dinosaures. Cependant, l’activité humaine entraîne une perte généralisée de la biodiversité et annonce une nouvelle extinction massive qui menace désormais la survie de nombreuses espèces de tortues. La perte et la fragmentation de l’habitat, la mortalité attribuable à la circulation routière, le braconnage et le changement climatique sont les principales menaces qui pèsent sur les populations de tortues, tant à l’échelle mondiale qu’au Canada. La carapace de la tortue, une structure corporelle ayant fait ses preuves depuis des millions d’années, offre peu de protection contre les menaces résultant de l’activité humaine. De plus, en raison de la grande espérance de vie des adultes et de la faiblesse de leur taux de reproduction, la mort ou l’élimination du plus petit nombre d’adultes soit-il chaque année, peut entraîner un déclin de la population, rendant les populations de tortues particulièrement vulnérables aux nombreuses menaces auxquelles elles sont aujourd’hui confrontées. C’est pourquoi les tortues connaissent un déclin important. À l’échelle mondiale, 47,9 % des tortues sont considérées comme étant menacées d’extinction. Les huit espèces de tortues d’eau douce présentes au Canada, ainsi que deux des espèces de tortues de mer, figurent à l’Annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril.