Titres et décorations
En quelque domaine que ce soit, l'excellence a toujours attiré le respect et l'admiration populaires. Depuis les temps les plus reculés, l'héroïsme, les exploits militaires et athlétiques, les grandes qualités de leadership et le mérite civique ont été récompensés de manière tangible ou symbolique. Il appartenait autrefois aux empereurs et aux rois de conférer les distinctions honorifiques, mais même les régimes les plus égalitaires en décernent de nos jours. Les façons de rendre hommage sont très variées et peuvent prendre des formes aussi différentes que la parade triomphale du vainqueur dans la Rome ancienne et le défilé de l'astronaute sous les confettis et les serpentins, l'accolade royale et l'attribution du PRIX NOBEL, l'insigne de chevalier et la rosette de soie portée à la boutonnière.
Dès les débuts de la colonisation européenne, des marques de faveur royale sont décernées aux habitants du Canada. Au début du XVIIe siècle, les colons de la Nouvelle-France considèrent normal que le gouverneur et ses principaux fonctionnaires soient de la noblesse. Contrairement à la tradition européenne, dans la colonie, l'acquisition de terres ne modifie pas le statut du propriétaire. Les SEIGNEURS ne sont pas admis dans la noblesse uniquement parce qu'ils possèdent des terres. Toutefois, certains sont anoblis par Louis XIV pour leur participation au développement et à la défense de la colonie (voir CROIX DE SAINT-LOUIS).
Ordres britanniques établis
Après 1760, la colonie appartient à la Couronne britannique, et les administrateurs envoyés pour diriger les affaires civiles et militaires détiennent souvent des titres. Avec le temps, les distinctions attribuées sous le régime français tombent en désuétude. Aucune distinction propre à la colonie n'est instituée pour honorer les architectes du gouvernement responsable et de l'affermissement des institutions de la colonie. Toutefois, une tentative est faite en ce sens lors des pourparlers précédant la confédération. En 1866, lord MONCK, alors gouverneur général de l'Amérique du Nord britannique, envoie au Colonial Office de Londres une dépêche recommandant qu'un ordre de chevalerie soit institué pour le Canada comme encouragement au service public, et qu'il soit décerné aux récipiendaires par le nouveau gouverneur général du dominion au nom du souverain. Afin de souligner le caractère canadien de cet honneur, il suggère le nom d'« ordre de Saint-Laurent ». Le gouvernement britannique ignore la proposition. De l'avis du Secrétaire d'État aux colonies, céder le pouvoir d'attribuer des distinctions honorifiques conduirait inévitablement à un affaiblissement des liens avec l'Empire. On conclut qu'il n'y aurait pas d'ordre distinct au Canada, mais que le gouverneur général serait chargé de désigner chaque année quelques personnes qui seraient admises dans les ordres britanniques établis. Cette politique, à laquelle souscriront les gouverneurs britanniques successifs, sera source de frictions constantes entre Ottawa et Londres jusqu'à ce que de tels honneurs cessent totalement d'être conférés à des Canadiens après la Première Guerre mondiale.
Sir John A. MACDONALD, le premier à remplir la fonction de premier ministre du Canada, ne conteste pas cette politique britannique, mais ne cesse d'exercer des pressions pour que les honneurs soient décernés plus généreusement. Alexander MACKENZIE, premier ministre de 1873 à 1878, refuse qu'un titre lui soit attribué personnellement, mais il est outré lorsqu'il apprend que Londres projette d'honorer un Canadien éminent sans avoir consulté Ottawa. En réponse à la protestation de Mackenzie auprès du gouverneur général, le Secrétaire d'État aux colonies réplique que si les récipiendaires étaient choisis par le gouvernement colonial, leur appartenance politique serait le facteur prédominant de leur choix et il déclare sans ambages que la tâche de conseiller le roi en cette matière lui appartient en exclusivité.
La préparation annuelle de la liste des personnes honorées occasionne également des tracas au premier ministre sir Wilfrid LAURIER et lui vaut parfois des frictions avec le gouverneur général. Les distinctions honorifiques sont un sujet délicat à aborder devant les membres du Cabinet, et la frustration qui s'ensuit l'amène à faire une nouvelle tentative pour exercer une certaine influence sur les nominations. En 1902 est adopté un décret en conseil aux termes duquel le gouverneur général doit consulter le gouvernement au sujet de la liste annuelle des distinctions honorifiques, mais la réponse du Secrétaire d'État aux colonies est sensiblement la même que celle faite 25 ans plus tôt.
Quand sir Robert BORDEN devient premier ministre en 1911, les titres conférés au Canada provoquent un mécontentement grandissant dans la population. Le titre de chevalier conféré à Max AITKEN, Canadien expatrié qui a été élu au Parlement britannique, suscite un vaste mouvement de critique. Quelques années plus tard, d'autres remous se produisent lorsque sir Max Aitken, avec l'aide d'amis politiques influents, devient coup sur coup baronnet, puis pair du royaume, et entre à la Chambre des lords sous le nom de lord Beaverbrook. Les abus deviennent de plus en plus fréquents, et l'opinion publique canadienne devient hostile lorsque les noms de certains candidats de Borden à des titres sont annoncés au cours de la Première Guerre mondiale.
Fin des titres et des autres distinctions
Quand le gouvernement d'union entre en fonction après les élections de 1917, l'affaire est réglée de façon radicale. En 1919, un comité parlementaire recommande la « Résolution Nickle », qui est adoptée par la Chambre des communes et qui met fin à l'attribution de titres ou d'autres distinctions à des Canadiens. L'ancienne politique sur les titres et distinctions est brièvement remise en vigueur sous l'administration conservatrice du premier ministre R.B. BENNETT, et quelques personnes reçoivent le titre de chevalier ou des distinctions moins importantes en 1934-1935, mais les libéraux reprennent le pouvoir en 1935 et rétablissent l'interdiction. En conséquence, au début de la Deuxième Guerre mondiale, les Canadiens qui servent dans les Forces armées ne sont pas admissibles aux ordres de chevalerie comme leurs homologues des autres pays du Commonwealth.
Un comité parlementaire constitué en 1943 recommande que l'interdit soit levé pour les distinctions autres que les titres, ce qui permettrait d'honorer beaucoup de militaires et de civils pour services rendus au cours de la guerre. Une autre recommandation concernant la création d'un ordre canadien est à l'origine de la Médaille du Canada, une distinction nationale unique récompensant tous les genres de mérite. Une première liste de récipiendaires éventuels est dressée, mais le premier ministre la rejette : Mackenzie KING a en horreur les distinctions honorifiques et, après réflexion, conclut que l'institution de la Médaille du Canada était une erreur et qu'elle ne sera jamais décernée.
Après la guerre, l'idée continue de faire son chemin, surtout dans les cercles militaires. En 1951, le premier ministre Louis SAINT-LAURENT demande à Vincent MASSEY, président de la COMMISSION ROYALE D'ENQUÊTE SUR L'AVANCEMENT DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES AU CANADA, d'ajouter à ses travaux un rapport concernant les distinctions honorifiques. Un projet préconisant la création d'un ordre canadien complexe à cinq échelons est donc présenté, mais on n'y donne aucune suite.
Une quinzaine d'années plus tard, l'approche du centenaire de la confédération ramène l'idée de distinctions honorifiques nationales à l'ordre du jour. Le premier ministre Lester PEARSON profite des célébrations du CENTENAIRE pour rappeler le thème de la confédération : l'union fructueuse de plusieurs éléments en un État vigoureux et indépendant. En 1965, malgré une opposition bruyante et parfois acerbe, il fait adopter au Parlement une loi donnant au Canada un drapeau national (voir DRAPEAU, DÉBAT SUR LE). Au printemps 1967, quand il annonce la création de l'ORDRE DU CANADA, aucune voix dissidente ne se fait entendre. Le 1er juillet 1967, la proposition faite par lord Monck un siècle auparavant devient enfin réalité. Cinq ans plus tard, le système des distinctions honorifiques est étoffé par l'addition de l'ORDRE DU MÉRITE MILITAIRE et une série de DÉCORATIONS POUR ACTES DE BRAVOURE. L'attribution des distinctions honorifiques relève de la Chancellerie des ordres et décorations du Canada, à la résidence du gouverneur général, à Ottawa.
Voir aussi MÉDAILLES ; CROIX DE GEORGES ; CROIX DE VICTORIA.