Téléphone
L'invention du TÉLÉGRAPHE (1837), par Samuel Morse, et celle du téléphone (1876), par Alexander Graham BELL, ont été déterminantes dans la recherche de moyens permettant de communiquer à grande distance rapidement, efficacement et avec exactitude. Les communications à distance nécessitaient précédemment l'encodage de la pensée humaine au moyen de la fumée, du tambour, du sémaphore ou de la trompette, ou encore du transport physique des messages par des estafettes ou des pigeons voyageurs.
La télégraphie et la téléphonie comportent l'encodage électrique des messages à leur origine. Ainsi, on peut littéralement les transmettre à la vitesse de la lumière au moyen de divers supports tels que le fil de cuivre, le câble coaxial et la fibre optique ou encore à travers l'espace jusqu'à leur destination, où ils sont décodés et reprennent leur forme originale. Le télégraphe encode chaque lettre de l'alphabet en une combinaison de signaux électriques longs et courts grâce à un circuit activé en abaissant systématiquement une touche. Le téléphone (du grec signifiant « voix à distance ») transforme en courant électrique variable les ondes sonores (changements de la densité de l'air) qui font vibrer la membrane placée dans l'embouchure du combiné téléphonique.
Le téléphone constitue un énorme pas en avant depuis l'invention du télégraphe. En effet, le téléphone encode directement les messages pour la transmission. Il n'est donc plus nécessaires de recourir aux services d'un télégraphiste, ce qui permet une plus grande autonomie dans l'expédition des messages. Il permet également l'expédition instantanée des messages au destinataire grâce à un dispositif de commutation complexe, tandis que le service télégraphique public transmet d'abord les messages à un terminal central, d'où il faut ensuite les livrer aux destinataires. Le téléphone procure en plus l'avantage de la simultanéité dans les échanges de messages (interaction bidirectionnelle en temps réel), contrairement au télégraphe qui fonctionne en mode différé.
Le réseau téléphonique traditionnel comprend essentiellement un organe terminal qui peut être l'appareil téléphonique, sans toutefois s'y limiter; une ligne d'abonné, constituée d'une paire de fils de cuivre ou de câbles à fibres optiques qui relient le terminal de l'abonné au centre local de commutation; des câbles interurbains, qui relient les centres de commutation d'une même localité; des centres de commutation interurbaine qui permettent d'acheminer les messages interurbains; et des supports de liaisons à grande distance (câbles, fibres optiques, tours hertziennes et satellites de communication) qui fournissent les interconnexions électriques entre les agglomérations. Toutefois, l'aménagement urbain des réseaux téléphoniques devient de plus en plus complexe en raison de l'avènement de la téléphonie cellulaire et d'autres techniques de télécommunications sans fil.
En 1876, les premiers tests téléphoniques définitifs à l'échelle mondiale ont lieu à Brantford, en Ontario. Ils portent sur la transmission unilatérale. Ce n'est toutefois qu'en 1877 que l'on inaugure l'ère de la téléphonie au Canada, lorsque A.G. BELL cède à son père, Alexander Melville Bell, 75 p. 100 des droits sur le brevet d'invention du téléphone pour le Canada contre la somme de un dollar. A.M. Bell engage alors des agents pour recruter des abonnés pour ses « lignes privées » (soit un service de liaison directe). En 1880, la Dominion Telegraph Co. obtient un permis d'utilisation du brevet Bell pour le Canada, pour une période de cinq ans. Par la suite, toutefois, cette société ne peut réunir les 100 000 dollars exigés par Bell pour l'acquisition définitive du brevet. C'est ainsi qu'en 1880 les droits canadiens du brevet sont vendus à la National Bell Telephone Co. de Boston (aujourd'hui l'American Telephone and Telegraph Co). Jusqu'en 1880, la Montreal Telegraph Co. offre un service concurrentiel en utilisant les brevets contestés d'Elisha Gray, de Thomas A. Edison et d'autres.
En 1880, la National Bell Telephone Co. constitue, grâce à l'adoption d'une loi du Parlement, la Compagnie de Téléphone Bell du Canada (connue aujourd'hui sous le nom d'ENTREPRISES BELL CANADA INC.), laquelle reçoit l'autorisation d'ériger des lignes téléphoniques traversant ou longeant toutes les propriétés publiques et tous les droits de passage. En novembre de la même année, on conclut une entente avec les compagnies concurrentes (principalement la Western Union Telegraph Co. et ses sociétés affiliées du Canada) : toutes cèdent leurs brevets et, dès 1881, la Compagnie de Téléphone Bell du Canada obtient le monopole des droits sur le téléphone au pays. Toutefois, en 1885, le gouvernement canadien révoque tous les brevets de Bell. Ainsi, toute compagnie de téléphone indépendante peut dès lors offrir des services, ceux-ci pouvant même entrer en concurrence directe avec Bell. Des centaines de compagnies indépendantes voient alors le jour avant 1920.
Il est probable que la multiplication des compagnies concurrentes en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick ait influencé la décision de Bell de se retirer de ces provinces; cela lui a toutefois permis de poursuivre la consolidation de ses activités ailleurs au pays. En 1885, Bell abandonne ses activités à l'Île-du-Prince-Édouard au profit de la Telephone Company of Prince Edward Island, société nouvellement constituée. En 1888, elle vend ses installations du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse à la toute nouvelle Nova Scotia Telephone Co., bien qu'elle y détienne encore à l'époque des intérêts majoritaires. Un peu plus tard au cours de 1888, une législation prévoit la constitution de la New Brunswick Telephone Co. et lui accorde des droits exclusifs de prestation de services interurbains dans la majeure partie de la province. L'année suivante, la New Brunswick Telephone Co. se porte acquéreur des installations, dans cette province, de la Nova Scotia Telephone Co. En 1910, on constitue la Maritime Telegraph and Telephone Co. (MT and T). En 1911, cette société achète la Telephone Company of Prince Edward Island et la Nova Scotia Telephone Co. En 1966, Bell Canada obtient une participation majoritaire dans les sociétés MT and T et New Brunswick Telephone.
À Terre-Neuve, la principale compagnie de téléphone, la Avalon Telephone Co., constituée en 1919, est exploitée par la famille Murphy. En 1954, un groupe de gens d'affaires de Montréal et de Terre-Neuve acquiert des intérêts majoritaires dans cette société. Bell Canada en devient toutefois le principal actionnaire en 1962. Le 1er janvier 1970, la Avalon Telephone Co. devient la Newfoundland Telephone Co. Ltd. En 1976, on émet des actions dans le public et la Newfoundland Telephone devient ainsi une société à grand nombre d'actionnaires, Bell Canada demeurant le principal actionnaire. Aujourd'hui, la Newfoundland Telephone est une filiale à cent pour cent de NewTel Enterprises Ltd., une société de portefeuille dont Bell Canada de Montréal détient 55 p. 100 des actions. Une décision rendue par la Cour suprême du Canada, en 1989, soumet depuis les dernières années la Newfoundland Telephone Company à l'autorité du CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES (CRTC), une instance fédérale.
Alors que Bell se retire volontairement de l'Est du Canada dès le début de la concurrence, elle fait toutefois preuve de plus d'agressivité devant l'émergence de la concurrence ailleurs au pays. Deux politiques élaborées au tournant du siècle, soit celle relative à la tarification et celle touchant l'interconnexion, suscitent un intérêt particulier puisqu'elles demeurent à ce jour controversées. On affirme que la tarification de Bell ne couvre pas ses frais; elle est donc préjudiciable à la concurrence, dans les cas où il existe une concurrence directe ou potentielle. En effet, Bell a parfois offert des services téléphoniques gratuits dans certaines localités (Peterborough, Fort William, Port Arthur). Bell refuse également de raccorder ses concurrents à son réseau local ou interurbain, ce qui désavantage les abonnés des compagnies indépendantes. Malgré cela, l'industrie indépendante du téléphone ne cesse de croître au Québec et en Ontario, surtout de 1906 à 1919. Dès 1915, les compagnies indépendantes de l'Ontario comptent 79 000 lignes téléphoniques, soit le tiers du nombre total d'abonnés dans cette province. Toutefois, au cours des années 50 et 60, Bell acquiert la plupart de ces sociétés, de telle sorte que les compagnies indépendantes ne possèdent plus aujourd'hui que moins de 5 p. 100 des lignes téléphoniques de l'Ontario.
Avant 1906, un grand nombre de personnes sont insatisfaites du tarif et de l'hésitation de Bell à étendre ses services aux régions rurales moins lucratives. C'est pourquoi le premier ministre, sir Wilfrid Laurier, forme, en 1905, un comité spécial de la Chambre des communes. Ce comité, dirigé par le ministre des Postes William MULOCK, est chargé d'examiner l'industrie du téléphone et de faire des recommandations. Le compte rendu textuel des débats publié par le comité constitue une pièce historique fort intéressante.
En 1906, en vertu de modifications apportées à la Loi sur les chemins de fer, certains aspects des activités de la Compagnie de Téléphone Bell du Canada relèvent désormais de la Commission des chemins de fer du Canada. Dès lors, tous les frais de téléphone facturés aux abonnés doivent d'abord être soumis à l'approbation de la commission. Cette dernière se voit aussi octroyer le pouvoir d'ordonner l'interconnexion du réseau de Bell avec ceux des autres compagnies. On transfert la tâche de réglementer les activités de Bell à la Commission canadienne des transports (aujourd'hui l'OFFICE NATIONAL DES TRANSPORTS) en 1967, puis au CRTC en 1976. Ces organismes de réglementation ont pour principales responsabilités de veiller à ce que les frais soient raisonnables et équitables, et à ce qu'ils ne soient pas indûment préférentiels ou discriminatoires. De plus, les modalités de l'interconnexion avec les autres compagnies doivent être approuvées par ces organismes. On tient souvent des audiences publiques longues et complexes pour déterminer les conséquences de la diversification des activités de Bell ou des autres compagnies de téléphone et de télécommunications.
Après 1906, la propriété privée de Bell Canada devient contraire aux lignes de conduite adoptées par certains gouvernements provinciaux et municipaux. Cette situation entraîne donc de nouveaux changements radicaux à la structure de l'industrie du téléphone au Canada. En effet, en 1908 et en 1909, les gouvernements du Manitoba, de l'Alberta et de la Saskatchewan achètent les activités de Bell dans leurs provinces; le téléphone y est encore aujourd'hui un service provincial.
Avec des revenus de 7,9 milliards de dollars en 1993, Bell Canada demeure de loin la plus importante compagnie de téléphone au Canada. Filiale à cent pour cent des Entreprises Bell Canada Inc., Bell Canada dessert la majorité de l'Ontario et du Québec, de même que certaines régions des Territoires du Nord-Ouest. La deuxième compagnie de téléphone en importance est la British Columbia Telephone Company (BC Tel) qui dessert l'ensemble de la province à l'exception de Prince Rupert, qui possède un réseau municipal. BC Tel et Québec Téléphone, laquelle dessert surtout le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie de même que la rive Nord du fleuve Saint-Laurent et l'extrême Est du Labrador, sont gérées par la société américaine General Telephone and Electronics Corporation. La taille de BC Tel correspond à environ 20 p. 100 de celle de Bell Canada.
La Société de téléphone du Manitoba et la Saskatchewan Telecommunications sont toutes deux des sociétés d'État dans leur province respective. Alors que la Société de téléphone du Manitoba est réglementée par le CRTC depuis peu, la Saskatchewan Telecommunications ne relève du CRTC que depuis le début de 1998, conformément à une entente. L'Alberta Government Telephones (AGT), jusqu'ici la troisième société d'État provinciale, a été privatisée à la suite d'une décision de la Cour suprême rendue en 1989, conférant ainsi la compétence au gouvernement fédéral. AGT Ltd., le nouveau nom de la compagnie desservant l'Alberta, est une filiale à cent pour cent de Telus Corporation, laquelle a aussi fait l'acquisition de la Edmonton Telephones en 1995, société qui appartenait jusqu'alors à la municipalité. Toutefois, des réseaux téléphoniques municipaux sont toujours en exploitation dans bon nombre de localités, telles que Thunder Bay, Kenora et Prince George.
La nouvelle Loi sur les télécommunications est entrée en vigueur au Canada le 25 octobre 1993. Cette loi met à jour et refond la législation remontant à 1908. Elle autorise entre autres le CRTC à réglementer les entreprises de télécommunications, en veillant plus particulièrement à ce que les tarifs exigés soient équitables et raisonnables et à ce que les entreprises canadiennes ne se livrent pas à une discrimination injuste. Elle autorise aussi le CRTC à exempter certaines catégories d'entreprises de la réglementation et à s'abstenir de réglementer dans les cas où elle juge que la concurrence est efficace.
Neuf des plus grandes compagnies de téléphone au Canada, provenant de chacune des provinces (mis à part l'Ontario et le Québec qui sont tous deux représentés par Bell Canada), et Télésat Canada (l'unique entreprise nationale de télécommunications par satellite du Canada) se sont réunies pour former une association mieux connue sous le nom de STENTOR. Le rôle de cette association est de coordonner la prestation des services nationaux de télécommunications. Avec des revenus de 13,5 milliards de dollars en 1993, les membres de Stentor représentent 78 p. 100 de l'ensemble des revenus des services de télécommunications.
Bien que depuis nombre d'années les services téléphoniques soient surtout le fait de monopoles dans chaque région, les initiatives de réglementation du gouvernement fédéral des 15 à 20 dernières années ont rouvert la voie à la concurrence. Par exemple, en 1977, le CRTC oblige Bell Canada à permettre aux entreprises de câblodistribution d'accéder à ses poteaux et à ses conduits, sans restreindre les services offerts par ces dernières. En 1979, le CRTC ordonne à Bell de permettre à Télécommunications CNCP (aujourd'hui Unitel Communications Inc.) d'accéder à son réseau local de commutation, afin qu'elle puisse offrir des services de communications d'affaires en concurrence avec Bell. La même année, le CRTC exige que Bell permette l'accès à ses installations de commutation à une entreprise de radiotéléphonie mobile. Conformément à une décision du CRTC rendue en 1982, les abonnés ont maintenant la possibilité d'acheter l'équipement terminal et cette pratique se répand rapidement. De nos jours, sur le territoire de Bell Canada, les fils intérieurs sont la propriété du propriétaire de l'immeuble, et non celle de Bell.
Toutefois, la décision la plus importante du CRTC est celle rendue en 1992, qui permet l'ouverture du marché des communications interurbaines à la libre concurrence, un marché qui représente à lui seul 8 milliards des quelque 17,4 milliards engendrés par les industries de services de télécommunications en 1993. Le gouvernement fédéral tente depuis peu d'ouvrir le marché des services téléphoniques locaux à la concurrence et encourage les entreprises de câblodistribution et les compagnies de téléphone à se faire concurrence. C'est ce qu'il appelle la « convergence ». Le 19 mai 1994, le CRTC publie un rapport sur l'autoroute de l'information (voir INFOROUTE), lequel envisage la concurrence à grande échelle entre les compagnies de téléphone d'antan et les entreprises de câblodistribution, tant dans le domaine des services téléphoniques que dans le domaine de la télédistribution. De plus, le CRTC prévoit la possibilité que les compagnies de téléphone se lancent dans la production d'émissions et dans d'autres services reliés au contenu de ces émissions. En septembre 1995, le Comité consultatif sur l'autoroute de l'information publie son rapport final dans lequel il recommande la concurrence directe dans les domaines où cela est possible. Ainsi, il y a peu de doute qu'aux yeux du gouvernement fédéral la convergence et l'autoroute de l'information ne sont pas qu'imminentes, mais qu'elles doivent aussi être bien accueillies et soutenues.
Les sociétés occidentales entrent dans l'ère de l'information ou dans l'ère de la société postindustrielle, et les entreprises de télécommunications jouent un rôle de premier plan dans cette transition. On évalue que près de 50 p. 100 de la main-d'oeuvre travaille actuellement à la production ou à la distribution d'information. Parallèlement, la technologie est en train de transformer des industries de l'information, jusqu'ici distinctes, en un système très complexe d'industries intimement liées. En effet, les circuits microélectroniques, les satellites de télécommunications, les câbles à large bande et les fibres optiques qui ont envahi nos vies semblent être en voie d'abattre les murs qui cloisonnaient les industries. En outre, les appareils de traitement de texte en ligne permettent l'acheminement direct des messages d'un bureau à un autre. Presque toutes les formes d'information, hier définies par leur mode particulier de support (film, papier journal, livres, imprimés d'ordinateur), peuvent aujourd'hui être codées et diffusées par voie électronique sur de vastes distances et ce, à peu de frais. Il y a d'ailleurs une interdépendance accrue entre les compagnies de téléphone et les journaux, les banques et les autres établissements financiers, les entreprises d'informatique, les entreprises de diffusion et de câblodistribution, notamment.
Cette nouvelle concurrence semblerait rendre moins importante la surveillance réglementaire détaillée des tarifs. Cette concurrence pourrait cependant désavantager les résidents ruraux et les pauvres puisque les prix des services de télécommunications se rapprocheraient davantage des coûts comptables. De plus, la convergence semble mener à la création d'un conglomérat grandissant d'entreprises de télécommunications dont les intérêts sont variés. En effet, leurs intérêts ne consistent pas qu'à réduire la propriété et le contrôle locaux, mais à centraliser les services de communication non seulement chez les fournisseurs de tels services, mais aussi chez les fournisseurs d'information transnationaux.
Voir MÉDIAS, PROPRIÉTÉ DES.