Affaire Sylliboy | l'Encyclopédie Canadienne

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Affaire Sylliboy

Le grand chef mi’kmaq Gabriel Sylliboy est considéré comme le premier à avoir eu recours au Traité de paix et d’amitié de 1752 pour que le Canada reconnaisse les droits garantis par les traités. Dans l’affaire judiciaire R. v. Sylliboy (1928), il fait valoir que le traité de 1752 protège ses droits de chasse et de pêche, mais il perd son procès et est condamné. En 1985, lorsque la Cour suprême du Canada statue sur l’affaire R. v. Simon – une autre affaire concernant les droits de chasse des Mi’kmaq – elle décide que le traité de 1752 donne bel et bien le droit au peuple mi’kmaq de chasser sur ses terres ancestrales. Le tribunal tranche en faveur à la fois de Gabriel Sylliboy et de James Simon dans l’affaire de 1985. En 2017, presque 90 ans après sa condamnation, Gabriel Sylliboy obtient un pardon posthume et les excuses du gouvernement de la Nouvelle-Écosse.
Gabriel Sylliboy
Le chef mi'kmaq Gabriel Sylliboy en 1930. Gabriel Sylliboy est le premier \u00e0 recourir au Traité de paix et d'amitié de 1752 pour défendre les droits de son peuple \u00e0 chasser et \u00e0 p\u00eacher sur ses terres ancestrales devant un tribunal canadien.

Contexte

En 1927, Gabriel Sylliboy, le premier grand chef élu du Grand conseil de la Nation Mi’kmaq (en 1918), est arrêté sur l’Île-du-Cap-Breton en Nouvelle-Écosse pour chasse et possession de fourrures en dehors de la saison et à l’extérieur de sa réserve de Whycocomagh. Bien qu’il fasse valoir qu’il détient des droits ancestraux de chasse et de pêche sur les terres, il est reconnu coupable de ces accusations devant les tribunaux en vertu de la Loi sur les terres et forêts de la Nouvelle-Écosse.

Appel de la décision

Dans l’affaire R. v. Sylliboy, le chef Gabriel Sylliboy fait appel de la décision de la Cour de comté en juillet 1928, en orientant sa défense sur les droits garantis par traité. Il fait valoir que le Traité de paix et d’amitié de 1752 signé entre la Couronne et le chef mi’kmaq Jean-Baptiste Cope reconnaît à son peuple le droit de chasser et pêcher librement sur les terres ancestrales. Selon les termes du traité, « Il est convenu que ladite tribu d’Indiens ne sera pas empêchée, mais aura l’entière liberté de chasser et de pêcher comme d’habitude ». Accompagné de cinq membres de la Nation Mi’kmaq – Joe Christmas, Andrew Alec, Andrew Barnard, Francis Gould et Ben Christmas – Gabriel Sylliboy témoigne au procès pour soutenir les droits et pratiques de chasse de son peuple.

Après avoir étudié les aspects des droits des traités avec les Mi’kmaq reliés à l’affaire, le juge George Patterson décide du maintien de la condamnation. Selon le juge Patterson, les Mi’kmaq « n’ont jamais été considérés comme une puissance indépendante » et, par conséquent, n’ont pas pu conclure de traité avec la Couronne. De plus, il conclut en affirmant que le gouverneur Hopson, signataire du traité de 1752 avec les Mi’kmaq, n’avait pas le pouvoir de signer un tel accord. Gabriel Sylliboy décède le 4 mars 1964, trente-six ans après avoir perdu en appel.

Les répercussions de l’affaire Simon

En 1981, James Simon de la nation Mi’kmaq est condamné, à l’instar de Gabriel Sylliboy avant lui, pour possession d’un fusil de chasse et de cartouches, en vertu de la Loi sur les terres et forêts de la Nouvelle-Écosse. Comme dans l’affaire Sylliboy, la Cour d’appel maintient la décision du juge selon laquelle le traité de 1752 n’exempte pas James Simon de respecter les dispositions de la Loi sur les terres et forêts.

La similitude entre les deux cas s’arrête lorsque l’affaire R. v. Simon se rend devant la Cour suprême du Canadaen 1985. James Simon affirme que le droit de chasse accordé en vertu du traité de 1752, associé à l’article 88 de la Loi sur les Indiens, offre à son peuple l’immunité de poursuite en vertu de la législation provinciale. (L’article 88 précise que même si les peuples autochtones du Canada sont soumis aux lois provinciales d’application générale, les termes des traités prévalent.)

Dans un jugement unanime, la Cour statue que, selon les termes du traité de 1752, James Simon a le droit de chasser pour se nourrir sur toutes les terres des Mi’kmaq. Ce droit n’est cependant pas absolu : il doit comprendre des « activités raisonnablement accessoires », telles que le déplacement avec l’équipement nécessaire sur les lieux de chasse et la détention en toute sécurité d’un fusil de chasse et de munitions.

Malgré ces restrictions, la décision de justice est favorable à James Simon et infirme la décision concernant l’affaire Sylliboy. Le juge en chef Brian Dickson décide que « le langage utilisé [dans l’affaire Sylliboy] reflète les partis pris et les préjugés d’une autre époque dans l’histoire du [Canada], et qu’un tel langage n’est plus acceptable ».

Depuis l’affaire Sylliboy, l’article 35 de la Constitution canadienne officialise les droits des Autochtones, ce qui marque le début de la reconnaissance des traités avec les peuples autochtones par des tribunaux supérieurs pour justifier potentiellement des infractions à la législation provinciale.

De nos jours, le traité de 1752 est toujours en vigueur.

LE SAVIEZ-VOUS?
Dans l’affaire R. v. Marshall (1999), Donald Marshall Jr., le fils d’un grand chef mi’kmaq, est reconnu coupable de pêche illégale en Nouvelle-Écosse. Il assure lui-même sa défense en s’appuyant sur les traités de paix et d’amitié de 1760 et 1761. M. Marshall a gain de cause. La Cour suprême décide que les Mi’kmaq peuvent gagner leur vie en chassant et en pêchant, à l’image de leurs ancêtres. Elle précise également que les tribunaux doivent « choisir parmi les diverses interprétations possibles… celle qui rapproche le plus » les intérêts des Autochtones de ceux de la Couronne.

Pardon officiel et excuses

À l’occasion du 50e anniversaire de la mort de Gabriel Sylliboy en 2014, sa famille et le Grand conseil des Mi’kmaq soulèvent la question de demander des excuses ou le pardon du gouvernement provincial pour sa condamnation injustifiée. Le grand keptin Andrew Denny du conseil est le premier à aborder la question avec le premier ministre de la Nouvelle-Écosse en 2016. En mars de cette année-là, les chefs de la Nouvelle-Écosse demandent officiellement au gouvernement provincial d’agir.

Le 16 février 2017, Gabriel Sylliboy obtient à titre posthume un pardon absolu de la part du lieutenant-gouverneur J.J. Grant. Le pardon absolu, qui reconnaît une erreur de condamnation, n’est envisagé « qu’en de rares circonstances », selon le cabinet du premier ministre. En l’occurrence, il s’agit seulement du deuxième pardon absolu accordé à titre posthume par la province. (Le premier est accordé à Viola Desmond en 2010.)

Dans son allocution, le lieutenant-gouverneur Grant déclare que Gabriel Sylliboy faisait valoir ses « droits autochtones acquis par traité » et considère le pardon comme « un processus de connaissance des traités » incluant « la compréhension et la valorisation de l’apport des Mi’kmaq, qui ont contribué à façonner cette province et la nation ».

Le même jour, la ministre de la Justice Diana Whalen et le premier ministre Stephen McNeil adressent des excuses officielles à la famille du grand chef et à la communauté mi’kmaq pour avoir traité Gabriel Sylliboy injustement.

Le grand chef Ben Sylliboy du Grand conseil mi’kmaq qualifie le pardon et les excuses « d’avancée symbolique significative vers la réconciliation ». (Voir aussi Commission de vérité et réconciliation.) Il déclare que c’est en grande partie grâce à des gens comme Gabriel Sylliboy que les Mi’kmaq peuvent désormais profiter de leurs droits ancestraux et acquis par traités, protégés par la Constitution. (Voir aussi Jour anniversaire du traité.)

En savoir plus // Peuples Autochtones

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