Les Sœurs grises regroupent six communautés religieuses catholiques de femmes. Leur origine remonte aux Sœurs de la Charité de l’Hôpital Général de Montréal, un groupe fondé par Marie-Marguerite d’Youville au milieu du 18esiècle.
Marie-Marguerite d’Youville, fondatrice des Sœurs grises
En 1737, Marie-Marguerite d’Youville (née Marguerite Dufrost de Lajemmerais, veuve de François d’Youville) fonde une association laïque de bienfaisance avec trois autres femmes pour s’occuper des pauvres et des malades de Montréal. Le projet est réalisé dans le secret. À l’époque, de nouvelles communautés religieuses ne peuvent être officiellement fondées en Nouvelle-France. Les communautés existantes proviennent toutes de la mère patrie et dépendent financièrement du roi. Il ne serait pas acceptable de demander de l’argent au roi pour en fonder une nouvelle.
Marie-Marguerite d’Youville et ses sœurs associées vivent dans la maison Le Verrier, à Montréal, sur la rue Notre-Dame. Elles y accueillent, nourrissent et logent des hommes et des femmes en difficulté (voir aussi Vieux-Montréal). Leur approche inclusive revêt une grande importance. L’Hôpital Général de Montréal n’accueille à l’époque que des hommes, et personne ne prend sous son aile les femmes dans le besoin. En janvier 1745, un incendie détruit la maison. Au cours des deux années suivantes, l’association est forcée de déménager à plusieurs reprises.
En 1747, l’Hôpital Général de Montréal, fondé en 1692 par François Charon de La Barre, fait faillite. Les Sœurs de la Charité reprennent le flambeau et en deviennent les gestionnaires. Marie-Marguerite d’Youville est réputée pour sa forte compétence en administration, son sens des affaires, sa piété et son dévouement envers les démunis. Elle réorganise donc l’établissement pour en faire un hospice pour les personnes âgées, les personnes handicapées, les enfants trouvés (qui ont été abandonnés par leurs parents), les orphelins et les filles « déchues » (les femmes ayant eu des relations sexuelles ou ayant accouché en dehors des liens du mariage).
Les frères qui œuvraient auparavant à l’hôpital étaient très aimés du public. La population générale, contrariée par le changement, se moque donc des religieuses en les nommant « sœurs grises » (au sens d’« éméchées »), faisant ainsi référence au défunt mari de madame d’Youville, qui était trafiquant d’alcool.
En 1750, les autorités civiles et ecclésiastiques désirent fusionner l’Hôpital Général de Montréal avec celui de Québec. Marie-Marguerite d’Youville s’y oppose et délibère sur le sujet avec l’intendant Bigot, l’un des responsables de l’affaire. Après de longues négociations, les Sulpiciens interviennent à Paris, en France. Le 3 juin 1753, le roi Louis XV confère à la communauté un statut juridique. Madame d’Youville devient ainsi directrice officielle de l’Hôpital Général de Montréal.
En 1755, lorsque la communauté religieuse est enfin reconnue officiellement, les femmes commencent leur travail en tant que Sœurs de la Charité à l’Hôpital Général de Montréal. Elles gardent cependant leur surnom de Sœurs grises et leur habit gris comme symbole de leurs humbles origines. Pour financer leurs activités, elles gèrent de nombreuses entreprises comme des fermes, un verger, un moulin et une boulangerie.
Pendant l’épidémie de variole de 1755 et la guerre de Sept Ans, l’établissement est réellement utilisé comme hôpital.
Expansion aux 19e et 20esiècles
Dans les années 1840, les Sœurs grises agrandissent leur territoire. Elles décident d’abord de suivre la coutume des communautés cloîtrées en accordant l’autonomie à chaque fondation.
En 1840, sœur Marie-Michel Archange Thuot fonde les Sœurs de la Charité de Saint-Hyacinthe, au Québec, avec trois autres femmes : sœurs Tharsile Guyon, Émilie Jauron et Honorine Pinsonneault. Elle agit à titre de mère supérieure de la nouvelle fondation jusqu’en 1845.
En 1844, l’évêque Joseph-Norbert Provencher, dans le but de soutenir les activités missionnaires au Manitoba, convainc certaines Sœurs grises de Montréal de se rendre à St. Boniface, en bordure de la rivière Rouge. Quatre femmes de la congrégation, sœurs Marie-Louise Valade, Eulalie Lagrave, Gertrude Coutlée et Hedwidge Lafrance, sont sélectionnées pour se rendre dans la colonie manitobaine. Le voyage en canot, d’une durée de 58 jours, s’avère plutôt difficile.
En 1845, sœur Elisabeth Bruyère, qui fait partie des Sœurs grises de Montréal, fonde une communauté religieuse à Bytown (plus tard connue sous le nom d’Ottawa). Les Sœurs grises de Bytown deviennent indépendantes en 1854.
En 1849, les Sœurs grises ouvrent un orphelinat à Québec. Elles nomment comme responsable sœur Marcelle Mallet et, avec elle, les sœurs Eulalie Perrin, Julie Pilon, dite Sainte-Croix, Elmire Clément et Perpétue Thériault ainsi qu’une novice irlandaise, Alice Dunn. Elles se rendent à Québec en bateau à vapeur.
En 1855, les Sœurs grises s’implantent aux États-Unis et fondent une communauté à Toledo, en Ohio, pour venir en aide aux malades et aux enfants dont les parents ont été emportés par le choléra.
En 1858, l’évêque Alexandre-Antonin Taché convainc trois religieuses, les sœurs Emery, Lamy et Alphonse, de déménager à Lac St. Anne, en Alberta. Elles se rendent donc à un endroit aujourd’hui connu sous le nom de St. Albert, une ville albertaine. À leur arrivée en 1863, elles mettent sur pied un orphelinat. Un an plus tard, pour répondre aux besoins de la communauté, l’orphelinat s’agrandit pour y inclure une école et un hôpital. En 1949 s’y ajoute un établissement de soins de longue durée pour les aînés. L’école aux débuts modestes, gérée depuis le couvent de la ville, représente aujourd’hui le district scolaire catholique de St. Albert, le plus vieux territoire scolaire de l’Alberta.
Certains des établissements des Sœurs grises au Canada existent depuis plus de 150 ans. Plusieurs installations, notamment en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, ont cependant été fondées entre 1920 et 1940, pendant la crise des années 1930. À l’exception de St. Boniface, qui avait besoin du soutien de la communauté de Montréal, ces fondations sont devenues des centres qui, tout en conservant leurs traditions et leur ordre religieux original, ont adapté leurs actions et leur spiritualité selon les besoins de chaque milieu. La communauté d’Ottawa s’est également ramifiée pour fonder deux nouveaux groupes anglophones, soit à Yardley, en Pennsylvanie (1921), et à Pembroke, en Ontario (1926).
Impact et héritage
Les Sœurs grises se sont dévouées à rendre service avec compassion et à soutenir les personnes les plus vulnérables de la société grâce à des organismes de bienfaisance, des établissements de soins de longue durée, des hôpitaux, des centres de répit et des écoles. Plusieurs établissements des Sœurs grises, dans les prairies et les provinces de l’Atlantique, ont récemment été convertis et offrent maintenant, plutôt que des soins de santé et de l’éducation, du soutien social. Les communautés florissantes des années 1960 ont connu un déclin dans les années 1990. Les Sœurs grises poursuivent cependant leur travail au Canada, aux États-Unis et en Amérique du Sud.
En raison du nombre décroissant de Sœurs grises, la gestion de plusieurs de leurs établissements au Canada est graduellement prise en charge par des administrateurs locaux et provinciaux.
Par exemple, les Sœurs grises annoncent en 2004 leur intention de vendre à l’Université Concordia leur maison mère, située à Montréal à l’angle de la rue Guy et du boulevard René-Lévesque et conçue par le célèbre architecte Victor Bourgeau.
L’université officialise l’achat de la maison mère en 2007. Le site est ensuite converti en résidences pour les étudiants et en espaces d’étude individuelle ou en groupe. L’ancienne chapelle abrite quant à elle une salle de lecture. Le pavillon des Sœurs-Grises de Concordia ouvre officiellement ses portes le 15 septembre 2014 et est désigné à la Commission des lieux et monuments historiques du Canada.