La souveraineté du Canada dans l’Arctique constitue une part essentielle de l’histoire et de l’avenir du pays. Le Canada compte près de 162 000 km de côtes arctiques. Par ailleurs, les trois territoires canadiens, situés dans le nord du pays, représentent 40 % de la masse terrestre de celui-ci. Au 21e siècle, la question de la souveraineté du Canada dans la région devient de plus en plus une priorité nationale pour les gouvernements. Cela s’explique par l’intérêt international croissant que suscite l’Arctique en raison de l’exploitation des ressources, des changements climatiques, du contrôle du passage du Nord-Ouest et de l’accès aux voies de transport. En 2008, le premier ministre Stephen Harper déclarait que « l’importance géopolitique de l’Arctique et l’intérêt que le Canada lui porte n’ont jamais été aussi grands ».
Droit international
Ce sont les dédales complexes du droit international qui régissent les revendications d’un pays quant à l’exercice de sa souveraineté sur des terres ou étendues maritimes. Les critères généralement admis d’octroi de souveraineté comptent la découverte du territoire; la cession de territoire d’une nation à une autre; la conquête; et l’administration. La conception historique qui veut que les peuples autochtones ne détiennent aucun droit de propriété légal sur la terre qu’ils habitaient, c’est-à-dire qu’ils ne la « possèdent » pas, a été à la base de l’idée de souveraineté européenne en territoire nord-américain. Cette manière de penser a fait valoir que les peuples autochtones ne jouissaient que des droits des Autochtones, plus particulièrement des droits « d’usufruit », c’est-à-dire ayant trait à l’utilisation de la terre et à la jouissance des produits qu’elle procure. (Voir aussi Titre autochtone.)
Récemment, le gouvernement fédéral du Canada, particulièrement celui du premier ministre Stephen Harper, a fait valoir que la présence de longue date des Inuits et d’autres Autochtones dans les territoires de l’Arctique avait contribué à conférer au Canada un titre historique relativement à ces terres.
(avec la permission de Native Land Digital / Native-Land.ca)
Revendications canadiennes sur le Nord
En premier lieu, la revendication du Canada sur le Nord s’appuie sur la charte accordée, en 1670, à la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) par Charles II. Cette charte donnait à la compagnie un titre juridique sur la Terre de Rupert (le bassin hydrographique de la baie d’Hudson ou environ la moitié du territoire actuel du Canada). En 1821, le reste de la superficie actuelle des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, au sud de la côte de l’Arctique, est ajouté à la charte de la CBH. Celle-ci cède les titres de propriété qu’elle détient à l’égard de ses terres en juin 1870. Le nouveau dominion obtient alors la souveraineté sur l’ensemble des terres qui composent aujourd’hui les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, à l’exception de l’archipel Arctique. Cette souveraineté n’a jamais été contestée.
Toutefois, des doutes ont subsisté quant aux revendications du Canada par rapport à sa souveraineté dans l’Arctique pour les îles situées au nord de la portion continentale du Canada. Certains des premiers explorateurs à y mettre le pied sont d’origine britannique (Martin Frobisher en 1576, John Davis en 1585 et en 1587, et bien d’autres). Par contre, un grand nombre de ces îles ont été atteintes et explorées par des Scandinaves et des Américains. (Voir Exploration de l’Arctique.)
En juillet 1880, le gouvernement britannique cède le reste de ses possessions dans l’Arctique au Canada. Parmi celles-ci, on compte « toutes les îles adjacentes à l’un de ces Territoires », qu’elles aient été atteintes ou non. Il s’agit d’un bien faible argument pouvant justifier une revendication en matière de souveraineté, étant donné qu’un doute sérieux entache le droit des Britanniques de céder au Canada des îles n’ayant pas encore été découvertes par des étrangers. Lors de l’adoption du Colonial Boundaries Act en 1895, on a bien tenté d’alléger la portée de ces doutes. Toutefois, la définition des territoires revendiqués demeure toujours relativement nébuleuse.
Au même moment, même si les États-Unis n’ont toujours pas exprimé de revendications officielles, leurs activités autour de l’île d’Ellesmere se multiplient. De 1881 à 1884, le lieutenant A. Greely y mène une expédition scientifique. En 1909, Robert Peary atteint le pôle Nord après avoir quitté son camp de base situé au nord de l’île d’Ellesmere. Les revendications canadiennes sont particulièrement menacées en raison de l’expédition conduite par Otto Sverdrup entre 1898 et 1902. Celui-ci atteint alors les îles Axel Heiberg, Ellef Ringnes et Amund Ringnes. On pense qu’Otto Sverdrup est le premier Européen à y mettre le pied. Il revendique l’ensemble de ces découvertes, soit environ 275 000 km2, au nom de la Norvège. D’autres vastes îles arctiques ont également été atteintes par des explorateurs non britanniques.
Premiers voyages et J. E. Bernier
Dans les années 1880, le gouvernement canadien commandite des voyages périodiques à destination de l’Arctique de l’Est. L’objectif est d’y manifester sa présence à l’appui de ses revendications territoriales. En 1897, on initie une série de patrouilles arctiques. C’est dans le cadre de celles-ci que le capitaine William Wakeham hisse le drapeau de l’Union royale sur l’île de Kekerten et revendique la « terre de Baffin » au nom du dominion. (Voir Île de Baffin.) En 1904, A.P. Low, à bord d’un voilier, atteint le cap Herschel sur l’île d’Ellesmere, où il dresse la carte du territoire et le revendique au nom du Canada. Entre 1904 et 1925, le capitaine J. E. Bernier y effectue de nombreux voyages. Le plus important est sans doute celui qui a lieu en 1909 : il place alors une plaque sur l’île Melville, acte par lequel il revendique la possession, pour le compte du Canada, de l’archipel Arctique, de la partie continentale du pays jusqu’au pôle Nord.
L’Expédition canadienne dans l’Arctique (ECA; de 1913 à 1918), qui comprend de nombreux Iñupiat (Inuits de l’Alaska), Inuvialuits (Inuits de l’Arctique de l’Ouest) et Inuinnait (Inuits du cuivre), permet au Canada d’affirmer sa souveraineté dans l’archipel Arctique. Elle cartographie aussi de nouveau l’Extrême-Nord et récolte d’importantes quantités de données scientifiques. Il s’agit de la première expédition financée et soutenue par le gouvernement canadien visant à explorer l’Arctique de l’Ouest. L’ECA est sous les commandes de l’explorateur controversé Vilhjalmur Stefansson. Celui-ci cartographie les dernières îles de l’archipel arctique et les revendique au nom du Canada.
Cependant, aux yeux du droit international, la pose de plaques et l’érection de drapeaux (et autres gestes du même acabit) demeurent des gestes purement symboliques, puisqu’ils ne s’accompagnent pas de démarches convaincantes d’occupation et d’administration.
Établissement de postes de police
La première affirmation énergique de la souveraineté canadienne dans l’Arctique a lieu en 1903, alors qu’est établi un poste de la Police à cheval du Nord-Ouest (P.C.N.-O.) sur l’île Herschel. Il est mis sur pied afin de surveiller les activités des baleiniers américains dans l’Arctique de l’Ouest. Il garantit l’application des lois canadiennes et fait flotter le drapeau dans la région, ce qui rend incontestable la souveraineté canadienne.
Après la Première Guerre mondiale, les Américains et les Danois font montre d’ignorer les revendications canadiennes sur l’Extrême-Arctique, en particulier sur l’île d’Ellesmere, que le gouvernement danois avait qualifié, en 1919, de « zone inoccupée ». Il s’agit là d’une contestation sans vergogne de la souveraineté du Canada dans l’Arctique. Elle sera suivie d’un plan visant à occuper, de façon convaincante, l’île d’Ellesmere et d’autres îles. En 1922, on ouvre un poste de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à Craig Harbour et à l’extrémité sud de l’île, de même qu’à Pond Inlet sur l’île de Baffin. En 1923, un autre détachement est installé à Pangnirtung et, en 1924, à Dundas Harbour sur l’île Devon. En 1926, le détachement de la presqu’île Bache est mis sur pied sur la côte orientale de l’île d’Ellesmere à 79° de latitude nord. (Voir aussi Sites archéologiques de la presqu’île de Bache.)
Aucun Canadien ne vit dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres de la presqu’île Bache. La GRC y exploite tout de même un bureau de poste (la livraison du courrier y a lieu une fois par année), car le droit international reconnaît l’exploitation d’un bureau de poste comme un signe tangible d’exercice de souveraineté. La GRC continue aussi d’y effectuer des patrouilles sur une base intensive. Sur l’île d’Ellesmere, qui est inhabitée, celles-ci visent à explorer le territoire. En 1929, une patrouille, sous le commandement de l’inspecteur A. H. Joy, a effectué un voyage de 3 000 km en traîneau à chiens. L’atteinte de terres nouvelles continue. En 1928, par exemple, l’agent de police T. C. Makinson découvre un large passage, près du détroit de Smith, qui porte aujourd’hui son nom.
Chaque année, sur l’île de Baffin, la police visite les campements inuits, procède à un recensement, explique la portée de la loi et, ensuite, envoie un rapport à Ottawa sur les conditions locales de vie. Tous ces gestes s’avèrent des manifestations d’exercice de souveraineté. Lorsque le besoin s’en fait sentir, ils appliquent le droit criminel, comme c’est le cas lors de l’assassinat de Robert Janes, un commerçant terre-neuvien, à Pond Inlet en 1920. Ce geste a contribué à affermir les revendications canadiennes sur l’Arctique. (Voir aussi Alikomiak et Tàtimagana.) Ottawa, en échange d’une somme de 67 000 $, acquiert de Sverdrup les comptes-rendus de ses expéditions. En 1931, la Norvège renonce officiellement à ses revendications sur les îles Sverdrup. Ainsi, le Canada ferme la porte à une contestation de sa revendication officielle.
Rangers canadiens
Les Rangers canadiens sont une organisation des Forces armées canadiennes. Constituée principalement d’Autochtones de la région, elle assure une présence paramilitaire dans le Nord et d’autres lieux éloignés. La présente itération des Rangers est établie en 1947, lorsque les tensions issues de la guerre froide entre l’Occident et le bloc soviétique mettent le Nord canadien sous les feux de projecteurs d’une façon jusque-là sans précédent. Dans les décennies qui suivent, les Rangers se développent en tant que sous-groupe de la réserve de l’Armée canadienne.
Aujourd’hui, ce sont environ 5 000 Rangers, provenant de 200 collectivités, qui aident à promouvoir la souveraineté canadienne dans les régions éloignées. Leurs tâches incluent la signalisation des activités inhabituelles dans la région; des patrouilles de surveillance et de souveraineté; la recherche et le sauvetage; le secours aux sinistrés en cas de catastrophes; le soutien des activités des Forces armées; et la formation à la survie.
Délocalisation dans l’Extrême-Arctique
Également en réponse aux tensions de la guerre froide, le gouvernement canadien décide de peupler l’île d’Ellesmere et l’île Cornwallis d’Inuits, bien que les deux soient inhabitées. En 1953 et en 1955, la GRC déplace un total de 92 Inuits d’Inukjuak (anciennement Port Harrison), dans le nord du Québec, et de Mittimatalik (Pond Inlet), dans ce qu’on appelle aujourd’hui le Nunavut, pour créer deux colonies sur ces îles de l’Extrême-Arctique : Resolute Bay et Grise Fiord. Le gouvernement ordonne ces déplacements afin d’établir sa souveraineté dans l’Arctique. Il promet aux Inuits de meilleurs logements, une éducation améliorée et des conditions de vie accrues, ainsi qu’une faune sauvage en abondance. Lorsqu’ils arrivent sur les lieux, toutefois, les Inuit se rendent rapidement compte qu’ils ont été bernés et sont ainsi confrontés à des épreuves importantes. De plus, bien qu’on leur promette qu’ils auront le choix de rentrer au bercail après deux ans, le gouvernement n’honore pas cette promesse. (Voir Délocalisation d’Inuits dans l’Extrême-Arctique au Canada.)
Contestations dans l’application de la souveraineté canadienne dans l’Arctique
La revendication du Canada sur les terres de l’Arctique n’est plus menacée. Par contre, le fait qu’une vaste partie de celles-ci soit inhabitée et virtuellement laissée sans défense laisse planer la possibilité qu’il n’en soit pas toujours ainsi. Ce qui pèse le plus lourd dans la balance c’est que le consensus international ne concerne que les terres. En effet, les voies d’accès et les détroits, tout particulièrement le passage du Nord-Ouest, ne sont pas universellement reconnus comme faisant partie du territoire canadien.
Le Canada considère les passages et les détroits comme des eaux intérieures dont l’utilisation par des navires étrangers nécessite une autorisation. Étant donné la perspective d’une circulation accrue de vaisseaux transportant vers le sud le pétrole provenant des puits nouvellement découverts au large de l’Alaska, les États-Unis tendent de plus en plus à considérer le passage du Nord-Ouest comme des eaux internationales accessibles à tous. Ils ont fait état de cette prise de position en dépêchant les pétroliers Manhattan, en 1969, et Polar Sea, en 1985, dans l’Arctique canadien. Le Manhattan a été escorté dans le passage du Nord-Ouest par des brise-glace canadiens et américains. Les États-Unis n’ont pas cherché à obtenir une autorisation officielle du gouvernement canadien pour le voyage du Polar Sea, mais le gouvernement en avait été averti. Les deux pays ont coopéré à l’occasion, et le Canada a posté des observateurs officiels à bord pendant le voyage.
Dans la foulée du voyage de 1985 du Polar Sea, le ministre des Affaires extérieures, Joe Clark, a annoncé des plans relatifs à la construction, aux coûts de 500 millions de dollars, d’un nouveau brise-glace. Victime des coupes budgétaires, il est demeuré sur les planches à dessin. En 1987, le gouvernement fédéral a également annoncé qu’il comptait construire et mettre en service dans les eaux arctiques des sous-marins à propulsion nucléaire, mais cette décision était dictée tant par le rôle dévolu au Canada dans la défense continentale que par son souci d’affirmer sa souveraineté. Après avoir été entouré de beaucoup de tapage et de disputes politiques, le projet de construction ou d’achat de sous-marins a été discrètement abandonné. Au début de 1996, on a laissé tomber un autre plan de patrouille des eaux de l’Arctique, jugé trop coûteux.
En 2010, le gouvernement fédéral annonce un projet de construction d’une flotte de six à huit « navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique capables de naviguer dans les eaux couvertes de glace ». Ce projet s’inscrit dans l’objectif du Canada de renforcer sa souveraineté sur toutes ses côtes, notamment dans l’Arctique. En raison de délais, ces navires ne sont pas encore en activité.
Différend concernant l’île Hans (Tartupaluk)
Le Canada et le Danemark se sont longtemps disputé une toute petite île inhabitée. Il s’agit d’un bout de roche stérile d’environ 1,3 km2 situé à mi-chemin entre l’île d’Ellesmere et le Groenland nommée l’île Hans. (Le nom inuit de l’île, un terrain de chasse traditionnel des Inuits, est Tartupaluk).
En 1973, le Canada et le Danemark conviennent d’une frontière maritime divisant le détroit de Nares entre l’île d’Ellesmere et le Groenland; mais ils n’arrivent pas à s’entendre sur la propriété de l’île Hans, qui se trouve à 18 km du territoire de chaque pays. Depuis 1984, les deux pays envoient des responsables jusqu’à l’île pour y planter leurs drapeaux respectifs et revendiquer le territoire. Les Canadiens hissent le drapeau canadien et laissent derrière eux une bouteille de whisky à l’intention des Danois, qui à leur tour y rendent visite, hissent leur drapeau et laissent derrière eux une bouteille de schnaps (akvavit). Cette « guerre du whisky » bon enfant, comme on l’a souvent surnommée, a duré près de 50 ans.
En 2018, un groupe de travail conjoint a été mis en place par les deux pays pour trouver une solution au différend entourant l’île. En plus des fonctionnaires des deux pays, il implique également des Inuits du Nunavut et du Groenland. Le 14 juin 2022, un accord est signé à Ottawa par le premier ministre groenlandais Múte Bourup Egede et les ministres des Affaires étrangères Mélanie Joly (Canada) et Jeppe Kofod (Danemark). L’accord est scellé par un dernier échange de spiritueux.
L’île est divisée à peu près en deux (environ 60/40 en faveur du Danemark), la frontière nord-sud longeant une crête naturelle au sommet du rocher. Ainsi, le Canada partage désormais une frontière terrestre officielle avec un pays européen. Après la signature, la députée du Nunavut Lori Idlout a demandé que l’île soit officiellement rebaptisée Tartupaluk.
Voir aussi Passage du Nord-Ouest; Station météorologique de l’Extrême-Arctique; Droit de la mer