L’esclavage des Autochtones incarne, dans une très large mesure, ce qu’a été l’esclavage au Canada. Au moins les deux tiers des esclaves de Nouvelle-France sont des Autochtones. Le nombre d’esclaves autochtones introduits au Canada français diminue après 1750. Lors de l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques en 1834, le nombre des esclaves noirs dépasse de loin celui des esclaves autochtones. L’esclavage des peuples autochtones fait partie d’un sombre héritage de la colonisation qui a eu des répercussions sur des générations d’Autochtones au Canada et dans toute l’Amérique du Nord.
Esclavage chez les Autochtones avant la colonisation
Avant le contact avec les Européens, il est commun dans certaines communautés autochtones de réduire les prisonniers de guerre en esclavage. En général, la plupart de ces peuples établissent une distinction entre les « proches » et les « étrangers », qu’il s’agisse de partenaires commerciaux ou d’ennemis qu’il est légitime de capturer en temps de guerre. Cet asservissement répond à plusieurs motifs.
Tout d’abord, étant donné que ces nations sont dotées de codes comportementaux complexes leur permettant de maintenir des structures sociales en l’absence d’État ou de systèmes de privation de liberté, les captifs de guerre ne peuvent être que tués, réduits en esclavage, ou rituellement et formellement intégrés par adoption au sein de la communauté. Parfois, certains esclaves sont traités avec cruauté tandis que d’autres deviennent des membres de la famille. Dans certaines nations autochtones, les captifs mâles sont maintenus en esclavage en raison du prestige que cela procure à leurs possesseurs en tant que guerriers. Dans d’autres nations, ils sont soumis à la torture qui représente un moyen rituel d’éliminer « l’autre » (c’est‑à‑dire l’étranger) de la société, tandis que les femmes captives sont asservies.
L’adoption rituelle est régulièrement pratiquée comme méthode de remplacement des personnes mortes au combat dont on porte le deuil. Enfin, lors des guerres opposant au Canada les Haudenosaunee, que l’on appelle également les Iroquois, et plusieurs nations autochtones alliées des Français, les mères des clans haudenosaunee envoient des guerriers pour capturer des ennemis, avec pour objectif d’intégrer ces captifs dans leur société. Ces captifs remplacent alors les personnes disparues à la guerre. (Voir Guerres iroquoises.) Dans les années 1660, on dit que plus de 60% des membres de la Confédération haudenosaunee sont des prisonniers de guerre ayant été adoptés au sein de différentes lignées et intégrés aux nations auxquelles ils appartiennent désormais.
L’esclavage mené par les Autochtones est sensiblement différent des pratiques et de l’institution de l’esclavage telles qu’elles sont pratiquées par les Européens. L’esclavage européen est plus qu’une négation de la liberté, c’est une pratique raciste qui consiste à asservir ceux qui sont jugés « inférieurs ». Les Européens utilisent le travail des esclaves pour financer la croissance de leurs colonies. L’asservissement des peuples autochtones par les Européens doit être compris dans le contexte des doctrines de la découverte, qui ont été utilisées pour justifier l’impérialisme et la colonisation des terres et des peuples autochtones.
Esclavage des Autochtones à l’ère des explorateurs
Il est de notoriété publique qu’au 15e et au 16e siècles, les explorateurs européens capturent les autochtones qu’ils découvrent durant leur voyage en Amérique du Nord et les ramènent avec eux en Europe, soit pour les faire travailler comme esclaves, soit pour les « exposer » en tant que « peuplades exotiques » du Nouveau Monde. En 1493, Christophe Colomb emmène des Autochtones vivant sur les premières îles des Caraïbes sur lesquelles il a accosté, les Bahamas actuelles, jusqu’en Espagne, dans l’espoir de mieux convaincre les souverains espagnols de financer ses futures expéditions. Les Espagnols participent également au commerce des esclaves autochtones, asservissant des personnes capturées dans différentes régions de ce que sont aujourd’hui l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale. On pense qu’un certain nombre de Beothuks, les Autochtones qui vivaient à Terre‑Neuve à l’arrivée des Européens, ont été capturés et emmenés à Lisbonne, au Portugal, aux alentours de 1500. En 1534‑1535, Jacques Cartier enlève des Autochtones, les obligeant à l’accompagner jusqu’en France, notamment deux des fils du chef des Haudenosaunee Donnacona. Bien qu’il les ramène avec lui lors de son expédition de l’année suivante en 1536, il les enlève à nouveau, ainsi que Donnacona lui‑même et sept autres personnes de son peuple ; aucun d’entre‑eux ne reviendra jamais en Amérique du Nord.
Commerce des esclaves dans les colonies britanniques du Sud
L’asservissement des Autochtones joue un rôle essentiel dans la survie des colonies anglaises méridionales dont l’économie repose systématiquement, au départ, sur l’esclavage pour les services domestiques et pour le défrichage des terres. Durant cette période, les esclaves africains sont moins recherchés en raison de leur prix plus élevé. Il est alors financièrement plus avantageux d’acheter, ou, encore mieux, de capturer des Autochtones. Ces esclaves sont exportés et échangés soit au Nord, en Nouvelle‑Angleterre et au Canada, soit au Sud, en Amérique du Sud, contre d’autres esclaves autochtones. Dans cette situation, il s’avère extrêmement difficile, voire impossible, pour les esclaves, qui se retrouvent si loin de leur terre d’origine, d’échapper à leurs geôliers. On estime que pendant une période d’environ 45 ans, ce sont 50 000 esclaves autochtones provenant de l’actuel Sud des États‑Unis qui sont échangés ou capturés de la sorte. Des esclaves autochtones sont également envoyés aux Antilles pour être échangés avec des esclaves africains. (Voir Esclavage des noirs au Canada.)
Le commerce des esclaves autochtones prend fin après la guerre des Yamasee qui voit, de 1715 à 1717, les nations autochtones des colonies britanniques du Sud combattre les colons pour mettre fin au commerce des esclaves et à l’expansion européenne sur leur territoire. Après cela, les colonies du Sud changent leur fusil d’épaule et privilégient les esclaves africains. Toutefois, des Autochtones continueront à être asservis, conjointement avec des Noirs, jusqu’à l’abolition de l’esclavage dans toute l’Amérique du Nord britannique.
Commerce des esclaves autochtones en Nouvelle‑France
En dehors de la colonie française du Canada, la plupart des régions de la Nouvelle‑France comptent peu d’esclaves noirs et un nombre encore plus réduit d’esclaves autochtones, la Louisiane, où domine une économie de plantation et où l’on trouve des milliers d’esclaves noirs et un certain nombre d’esclaves autochtones, étant l’exception. Il y a deux fois plus d’esclaves autochtones que d’esclaves noirs au Canada. Les colons français installés sur ce territoire reçoivent de Louis XIV l’autorisation d’importer des esclaves africains en 1689. Toutefois, étant donné que la Nouvelle‑France a besoin de ses alliés autochtones pour survivre, le roi hésite à légiférer sur la légalité de l’esclavage des autochtones. Après avoir transmis au souverain de nombreuses demandes de clarification, l’intendant Jacques Raudot adopte une loi coloniale sous le titre Ordonnance rendue au sujet des nègres et des sauvages nommés panis légalisant l’esclavage en Nouvelle‑France et stipulant que les esclaves, noirs aussi bien qu’autochtones, introduits dans la colonie, sont considérés comme la propriété de ceux qui les ont achetés.
Certaines normes établies par le Code noir, édicté par Louis XIV en 1685, sont appliquées aux esclaves du Canada français. Ce texte législatif définit les conditions de l’esclavage dans les colonies françaises des Caraïbes. Une édition ultérieure du Code noirs era également publiée pour la Louisiane. En particulier, la disposition prévoyant qu’un enfant né d’une mère esclave est lui‑même esclave est appliquée au Canada français, et ce, bien que le Code noir n’y ait jamais été officiellement adopté.
Après 1709, on assiste à l’arrivée d’un nombre croissant d’esclaves autochtones ainsi que de quelques esclaves africains essentiellement détenus par les gouverneurs de la colonie. Entre 1689 et 1713, au moins 145 esclaves autochtones et 13 esclaves africains sont introduits en Nouvelle‑France.
Lorsque l’approvisionnement en esclaves autochtones en provenance de Caroline‑du‑Sud cesse progressivement après la guerre des Yamasee, la colonie française du Canada acquiert les esclaves dont elle a besoin auprès de négociants en fourrure qui ramènent des autochtones des régions occidentales du continent. Certains historiens estiment que les premiers esclaves au Canada sont des Pawnees, une nation autochtone du nom duquel le termepanisserait dérivé et aurait, par la suite, été utilisé comme générique pour désigner la plupart des esclaves autochtones. Ce que l’on peut dire en dernière analyse, c’est que les colons s’approvisionnent en esclaves provenant de l’ensemble des territoires de l’Ouest où la Nouvelle‑France commerce.
En 1747, la colonie propose à la France de pouvoir faire le commerce des Autochtones contre des Africains, comme cherche à le faire la Louisiane, échangeant deux esclaves autochtones contre un esclave noir. Cependant, la France, considérant que la Nouvelle‑France dépend entièrement de ses relations avec ses alliés autochtones et qu’elle pourrait être remise en cause par ce système de traite, rejette cette demande. Alors que les esclaves autochtones sont censés n’être asservis que dans la colonie elle‑même, en pratique, ils conservent ce statut quelle que soit la destination que leur réserve leur « maître », un nombre croissant d’entre eux étant vendus de Nouvelle‑France à de nouveaux propriétaires aux Caraïbes.
Esclavage des Autochtones en Amérique du Nord britannique
Après la Conquête de 1760, l’article 47 des Articles de capitulation confirme que les Français pourront continuer à pratiquer l’esclavage, comme ils le faisaient auparavant, sous le nouveau régime britannique. (Voi rCapitulation de Montréal, 1760.) Les archives indiquent que dans la région administrative du Québec qui inclut également l’Acadie, la région des Grands Lacs, le lac Champlain et la mission Sainte‑Famille dans l’actuel Illinois, on compte 4 185 esclaves détenus entre le milieu du 17e siècle et 1834, date à laquelle l’esclavage a été aboli, dont 2 683 Autochtones, 1 443 Noirs et 59 personnes d’origine inconnue. Cela représente un pourcentage important de la population de la colonie. Ces esclaves sont la propriété de Français et de Britanniques à tous les échelons de la société, y compris dans des institutions religieuses et des hôpitaux. Toutefois, la majorité d’entre eux appartiennent à des propriétaires vivant dans les centres urbains, essentiellement à Québec et à Montréal.
Dans un contexte où le commerce des fourrures se déplace vers le nord et vers l’ouest, le nombre d’esclaves autochtones introduits au Canada français diminue après 1750. Cependant, en 1784, alors que les esclaves déjà présents décèdent peu à peu et qu’il devient difficile d’en acquérir de nouveaux, il demeure au moins 304 esclaves au Canada. En Nouvelle‑Écosse, après l’exil des Acadiens, les habitants de la Nouvelle‑Angleterre sont invités à repousser plus loin les populations mi’kmaq. Ces nouveaux colons ont amené avec eux leurs esclaves noirs, de sorte qu’en 1776, il y a environ 500 personnes asservies d’origine africaine en Nouvelle‑Écosse. Après 1783, le nombre d’esclaves africains s’accroît notablement lorsque des dizaines de milliers de loyalistes émigrent au Canada, introduisant en Nouvelle‑Écosse 1 000 esclaves supplémentaires de cette origine.
Dans le Haut‑Canada, des Autochtones ainsi que des Noirs sont réduits en esclavage. Toutefois, là‑bas aussi, le nombre d’esclaves autochtones commence à décliner. Le Haut‑Canada interdit l’importation d’esclaves africains en 1793, en adoptant la Loi visant à restreindre l’esclavage dans le Haut‑Canada. Toutefois, bien que le statut des esclaves déjà asservis, qu’il s’agisse d’Autochtones ou de Noirs, ne soit pas modifié par la promulgation de la nouvelle législation, désormais, les enfants de toutes les femmes esclaves seront libérés à l’âge de 25 ans. À aucun moment, le Bas‑Canada n’abolit officiellement la traite des esclaves. Cependant, dans un contexte où les tribunaux refusent de plus en plus souvent de reconnaître l’esclavage, les évasions se multiplient et le nombre de personnes asservies diminue. En 1821, la dernière esclave restant au Bas‑Canada, une Autochtone, est donnée à un hôpital de Montréal. Lors de l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques en 1834, le nombre des esclaves noirs dépasse de loin celui des esclaves autochtones.
Conditions de vie en esclavage
Les personnes réduites en esclavage se voient retirer leurs droits fondamentaux et sont considérées comme des biens pouvant être achetés et vendus. Peu de témoignages existent sur la vie et les expériences d’esclaves particuliers. Cela étant dit, d’une façon générale, on peut dire que les esclaves autochtones au Canada sont essentiellement utilisés comme travailleurs manuels et comme domestiques. La plupart sont plutôt jeunes et de sexe féminin: l’âge moyen des esclaves autochtones au Canada est de 14 ans, et 57% sont des jeunes filles ou des jeunes femmes. Contrairement à la situation dans les colonies du Sud, il semble que l’esclavage intergénérationnel soit peu présent, probablement du fait de l’absence d’une économie de plantation. C’est pourquoi, lorsque l’approvisionnement en nouveaux esclaves s’est tari, leur nombre a automatiquement diminué. En effet, beaucoup d’esclaves au Canada meurent jeunes.
Environ 60,6% d’entre eux sont forcés de travailler dans des centres urbains. On les a arrachés à leur terre d’origine, à leur famille et à leur communauté pour les forcer à travailler dans toutes sortes d’emplois provoquent, chez un grand nombre d’entre eux, de graves perturbations physiques, psychologiques et émotionnelles.
On sait peu de choses sur ce que deviennent les esclaves une fois libérés. Un certain nombre de ceux ayant exercé un métier particulier lorsqu’ils étaient asservis poursuivent cette activité. D’autres se déplacent constamment d’un endroit à l’autre à la recherche d’un emploi et d’un abri. Beaucoup sont incapables de trouver un domicile fixe et sombrent dans l’itinérance.
Héritage et signification
Bien que ce soient essentiellement des Noirs qui aient été asservis durant les 40 dernières années de l’esclavage au Canada, les colons américains ayant introduit avec eux, après 1783, leurs esclaves africains sur les territoires actuels des Maritimes, de l’Ontario et du Québec, il n’en demeure pas moins que les esclaves autochtones ont représenté, sur une période d’environ 150 ans, deux tiers des esclaves au Canada. Durant la majeure partie de l’histoire canadienne, la très grande majorité des esclaves ont été des Autochtones. Cependant, s’il est vrai que ces deux histoires, celle des esclaves noirs et celle des esclaves autochtones, sont importantes, on constate qu’au Canada, cette dernière a largement été éclipsée par la première, l’asservissement des esclaves africains au sein des plantations esclavagistes s’étant poursuivi dans toutes les Amériques longtemps après l’abolition de l’esclavage au Canada.
Le travail des organisations, des communautés et des universitaires autochtones a contribué à mettre en lumière la sombre histoire de la colonisation au Canada. Le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation examine l’impact des doctrines de la découverte et la façon dont les états européens les ont utilisées pour justifier, entre autres atrocités, l’asservissement des peuples autochtones. Dans son appel à l’action n°47, la commission appelle tous les niveaux de gouvernement au Canada à «rejeter les concepts utilisés pour justifier la souveraineté européenne sur les peuples et les terres autochtones, tels que la doctrine de la découverte et la terra nullius, et à réformer les lois, les politiques gouvernementales et les stratégies de contentieux qui continuent à s’appuyer sur ces concepts». Pour travailler à la réconciliation, il faut notamment comprendre comment les politiques et les pratiques de colonisation ont eu des répercussions historiques, permanentes et durables sur les peuples autochtones, et élaborer des plans de changement.