La représentation selon la population (« Rep by Pop » en anglais) est un système politique qui consiste à attribuer les sièges de la Chambre des communes en fonction de la population. Elle respecte le principe fondamental de la démocratie parlementaire qui veut que chaque membre d’une assemblée délibérante représente le même nombre d’individus. La représentation selon la population est devenue une question très controversée chez les politiciens de la Province du Canada (1841-1867), et a été un facteur important du processus qui a abouti à la Confédération (voir aussi : Gouvernement représentatif; Gouvernement responsable).
Province du Canada
La représentation selon la population apparaît pour la première fois comme question avant 1841, durant le débat portant sur l’éventuelle unification du Haut et du Bas-Canada sous un unique gouvernement (voir aussi :Rapport Durham). Selon les statuts proposés par l’Acte d’Union, les deux régions qui allaient devenir la Province du Canada devaient être représentées au sein d’une assemblée législative par le même nombre de représentants. Cela en dépit du fait que le Canada-Est (anciennement le Bas-Canada, aujourd’hui le Québec) abritait 59 % de la population, contre 41 % pour le Canada-Ouest (anciennement le Haut-Canada, aujourd’hui l’Ontario). Cela signifie que les Canadiens anglophones étaient surreprésentés à l’assemblée législative.
Cet arrangement basé sur un même nombre de sièges pour chacun des deux Canadas est appelé « l’égalité régionale ». Elle était considérée comme acceptable par les habitants du Canada-Ouest, pour la plupart anglophones et protestants. Ils estiment avoir besoin d’un garde-fou législatif pour se protéger contre ce Canada-Est, plus peuplé. En effet, ils entretiennent depuis longtemps une méfiance profonde et des préjugés à l’égard des Canadiens francophones et majoritairement catholiques du Canada-Est, et croient que la « prêtrocratie » a trop d’influence sur la politique de la colonie. Leur objectif est donc d’assimiler les Canadiens français à la culture et aux normes du Canada anglais.
Cette « égalité régionale » génère par contre des protestations de la part des politiciens au Canada-Est. Ils soulignent qu’un tel arrangement les rend impuissants dans la nouvelle Assemblée législative et n’apprécient pas les tentatives de les assimiler. Ils sont donc les premiers à demander la « représentation selon la population ».
Francis Hincks et George Brown
Dix ans plus tard, le recensement de 1851 révèle que le flux migratoire, principalement en provenance des îles britanniques, a rendu le Canada-Ouest plus populeux que le Canada-Est. La situation s’est donc inversée. Ce sont maintenant les Canadiens français qui sont surreprésentés à l’Assemblée législative, tandis qu’un nombre croissant de Canadiens anglais considèrent la situation injuste. Malgré tout, le Canada-Est continue de craindre la domination du Canada-Ouest, qui est la destination préférée de la plupart des nouveaux arrivants.
Les Canadiens français au Canada-Est préfèrent maintenant conserver une représentation qui respecte « l’égalité régionale ». Leur porte-parole, Francis Hincks, un réformateur modéré, pense que les relations politiques et les alliances entre Anglais et Français doivent être bâties sur la confiance, qui doit elle-même être basée sur l’égalité. Selon lui, accorder plus de pouvoir politique à l’une ou l’autre des parties pourrait détruire toute confiance en l’Union elle-même.
Son collègue réformiste, George Brown, du Canada-Ouest, considère que Francis Hincks abdique en soutenant l’égalité régionale. George Brown est en effet devenu un fervent partisan de la représentation selon la population au fur et à mesure que le Canada-Ouest a gagné en population et en prospérité. Il est de plus convaincu que la plupart des électeurs de cette partie du territoire partagent son point de vue. Il n’apprécie pas ce qu’il appelle la « domination française » sur la Province du Canada. Il est hostile à l’égard des politiciens du Canada-Ouest dont les alliances avec ceux du Canada-Est permettent de perpétuer l’application de l’égalité régionale.
Le débat sur la représentation selon la population et l’égalité régionale va durer dix ans, menaçant constamment la viabilité de l’Union. Des réformistes plus radicaux, que George Brown baptise les « Clear Grits », sont d’ailleurs prêts à sacrifier l’Union pour la cause de la représentation selon la population. George Brown veut que l’Union soit repensée, et non pas détruite.
John A. Macdonald et George-Étienne Cartier
George-Étienne Cartier, leader du Parti bleu conservateur dans le Canada-Est, s’oppose à la représentation selon la population. En 1864, les conservateurs du Canada-Ouest, sous le leadership de John A. Macdonald, forment une grande coalition avec lui. Avec l’aide supplémentaire de réformistes modérés tels que Francis Hincks, cette alliance parvient à conserver une majorité à l’Assemblée législative, malgré le large soutien dont bénéficie George Brown dans le Canada-Ouest.
Malgré tout, Macdonald, Cartier, Brown et d’autres leaders prennent néanmoins conscience qu’un compromis entre les deux parties est nécessaire, si l’objectif commun – la Confédération – doit devenir réalité.
Représentation selon la population et Confédération
Plusieurs conférences politiques sont tenues pour discuter de la possibilité d’une Confédération (voir aussi : Conférence de Québec; Conférence de Charlottetown; Conférence de Londres). Y sont présents des délégués de la Province du Canada, de l’Île-du-Prince-Édouard, de Terre-Neuve, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. La question de la représentation selon la population fait une nouvelle fois l’objet d’un vif débat. Les provinces maritimes, conscientes du faible niveau de leur population, savent pertinemment que la représentation selon la population est inévitable à long terme au sein de l’assemblée fédérale, et qu’une égalité régionale avec les autres provinces canadiennes beaucoup plus peuplées serait ingérable. Craignant néanmoins que leur influence au sein du nouveau gouvernement devienne minimale, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse font campagne pour une formule équilibrée.
Les délégués parviennent éventuellement à une solution : le Parlement fédéral sera composé de deux chambres. La Chambre basse, ou Chambre des communes, sera composée de membres élus qui représenteront leur province proportionnellement à sa population : 82 pour l’Ontario, 65 pour le Québec, 19 pour la Nouvelle-Écosse et 15 pour le Nouveau-Brunswick. La Chambre haute, le Sénat, serait par contre composée de 72 membres non élus : chacune des trois régions – l’Ontario, le Québec et les Maritimes – disposera de 24 sièges. Aux termes de l’article 51 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, le nombre de sièges alloués à chaque province doit être recalculé tous les dix ans en fonction des résultats du recensement (voir aussi : Redistribution des circonscriptions électorales fédérales).