Relations France-Québec
Les relations étroites qui s'établirent entre le Québec et la France au début des années 60 ont eu leur origine dans des besoins concrets. Le gouvernement québécois devait trouver, en dehors de ses frontières, les ressources humaines qui lui manquaient pour développer rapidement des secteurs en pleine évolution, comme l'éducation, la culture ou la recherche scientifique: à cause de la communauté de langue, il était naturel qu'il se tournât vers la France. Les milieux universitaires et artistiques tenaient pour leur part, après la longue ère duplessiste, à s'ouvrir résolument au monde. Il semblait aussi aux Québécois qu'ils auraient avantage à promouvoir, eux-mêmes, leurs intérêts économiques auprès des étrangers, plutôt que d'en laisser passivement le soin à des organismes fédéraux.
Contrairement donc aux allégations qui s'en suivirent parfois, la volonté du Québec d'avoir des rapports directs avec la France, sans nécessairement obtenir au préalable la permission d'Ottawa, n'est pas née d'un plan crypto-séparatiste ni d'un encouragement français à « détruire le Canada ».
La situation constitutionnelle canadienne favorisa les projets du Québec. Le gouvernement central d'une fédération peut conclure des accords internationaux portant sur des domaines appartenant, en droit interne, à la compétence des États-membres et, presque partout, les États-membres doivent les mettre en uvre. Au Canada cependant, conformément à des décisions de justice, le gouvernement fédéral, s'il a le pouvoir de conclure des accords internationaux, ne détient pas celui de contraindre les provinces à les appliquer lorsque ceux-ci touchent des sujets de leur juridiction, p.ex l'éducation ou la culture. Cette particularité amena le ministre de l'Éducation du Québec, Paul GÉRIN-LAJOIE, à énoncer, en 1965, une position qui indisposa fort Ottawa, celle du « prolongement externe des compétences internes », selon laquelle les provinces canadiennes, puisqu'elles sont seules responsables de l'application des ententes portant sur les domaines de leur ressort, ont le droit de les négocier et de les conclure elles-mêmes avec d'autres pays. Seule restriction: elles doivent, ce faisant, respecter la politique étrangère du gouvernement central.
Outre cette caractéristique constitutionnelle et, bien sûr, la volonté du gouvernement québécois, le facteur le plus déterminant dans la participation de la France à l'émergence internationale du Québec fut l'appui ferme et constant du Général de Gaulle, confirmé par tous ses successeurs, quoique de façon moins spectaculaire.
Cet appui explique l'accueil chaleureux réservé par la France au premier ministre Jean LESAGE lors de sa visite officielle à Paris, en octobre 1961, et le soutien immédiat de ce pays au projet de création d'une Maison du Québec (selon l'appellation du temps); il explique aussi le fait que, dès 1964, cet établissement (dorénavant Délégation générale du Québec) bénéficia d'un authentique statut diplomatique. Au début, le gouvernement canadien accepta sans trop de réticence le traitement spécial de la France en faveur du Québec, mais les choses commencèrent à se gâter, en 1965, quand Ottawa constata que, sans impliquer le ministère fédéral des Affaires extérieures dans les pourparlers, le Québec et la France s'apprêtaient à conclure des ententes dans les domaines de l'éducation et de la culture. Le gouvernement fédéral répliqua en pressant la France de signer avec le Canada un accord-cadre sur les mêmes matières, dans le but de « couvrir », au moins théoriquement, les ententes franco-québécoises.
Avec la défaite de Lesage, en 1966, et l'élection des unionistes de Daniel JOHNSON, les fédéraux espérèrent un moment que la poussée internationale du Québec ralentirait, et même qu'elle ne serait bientôt plus qu'un souvenir. Il n'en fut rien. En avril 1967, Johnson se rendit en visite officielle à Paris, fut reçu avec des égards comparables à ceux dont de Gaulle avait honoré Lesage et invita le président français à EXPO 1967. La suite est connue: voulant marquer son appui aux revendications nationales des Québécois par un geste d'éclat, de Gaulle, prenant la parole au balcon de l'hôtel de ville de Montréal, lança à la foule le fameux « Vive le Québec libre », quatre mots qui firent le tour du monde. Du coup, l'état des relations entre Ottawa et Paris changea radicalement. De Gaulle et la France furent désormais considérés comme des obstacles à l'unité canadienne.
Tant qu'il demeura président de la France, de Gaulle encouragea l'extension et l'approfondissement des rapports entre son pays et le Québec. On déborda bientôt l'éducation et la culture, pour entrer dans des secteurs où Ottawa affirmait détenir aussi une compétence: échanges de jeunes (Office franco-québécois pour la jeunesse), recherche scientifique, télécommunications (projet de satellite conjoint, ancêtre de l'actuel TV-5), mise en valeur du territoire, administration publique, coédition, fabrications sous licence, etc. Pratiquement toutes les innovations provoquèrent des réactions négatives, voir hostiles, de la part d'Ottawa, mais rares furent celles qui avortèrent pour cette raison.
L'aide de la France permit aussi au Québec de créer des liens avec plusieurs pays francophones d'Afrique. Ainsi, en février 1968, à Libreville (Gabon), le gouvernement québécois participa comme membre à part entière à une rencontre de ministres de l'éducation de langue française. Il fut présent, quelques mois plus tard, au deuxième volet de cette conférence à Paris, puis aux rencontres ministérielles annuelles. De là, le Québec fut invité à des réunions internationales francophones portant sur d'autres thèmes que l'éducation, p. ex., la fonction publique. Indisposé par la tournure des événements et par le statut « inapproprié » que conférait au Québec l'action de la France, le gouvernement du Canada insista pour se faire lui aussi inviter à toutes ces réunions, y requérant la présence du Nouveau-Brunswick, du Manitoba et même de l'Ontario. À la longue, Québec et Ottawa s'entendirent sur un modus vivendi qui atténua quelque peu, sans les faire disparaître, les préventions fédérales.
Nouvel épisode délicat en 1969-1970. Le Québec sera-t-il membre, et de quelle façon, d'une institution francophone originale en gestation depuis quelque temps: l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT)? Ottawa s'y opposa fortement, avançant que seuls des pays souverains pouvaient aspirer à ce statut. Là encore, l'appui de la France au Québec permit l'élaboration, à Niamey (Niger), d'une solution qui déplaisait toutefois au palier fédéral: le Canada ferait partie de l'ACCT, le Québec aussi à titre de gouvernement participant. Pour banaliser la présence québécoise, Ottawa songea dès lors à faire admettre d'autres provinces dans l'Agence (ce qui se produisit pour le Nouveau-Brunswick, en 1977).
Le même genre de problème se présenta à la fin de la décennie 70. Longtemps proposée, notamment par le président du Sénégal, Léopold Senghor, une autre organisation semblait devoir bientôt être instituée: le Sommet des pays francophones. Le Premier ministre Trudeau, persuadé de pouvoir en exclure le Québec, appuyait le projet. En revanche, la France, dont la participation était indispensable, fit savoir qu'elle n'y souscrirait que lorsque le Québec serait satisfait du statut qu'on lui offrirait. L'affaire ne se régla qu'après la démission de Trudeau et à la suite de discussions ardues qui s'étendirent sur des années. Le Sommet vit finalement le jour à Paris, en février 1986, sous le gouvernement Bourassa, et se réunit de nouveau, à Québec même, dès septembre de l'année suivante (voir aussi FRANCOPHONIE).
Au cours des années, le rapprochement Québec-France donna lieu à des échanges et à des contacts dont, il faut bien le dire, personne, en 1965, n'aurait pu soupçonner l'ampleur et la variété à venir. Ceux-ci touchèrent tous les domaines, sauf la défense nationale. Longtemps, toutefois, on déplora, de part et d'autre, la minceur des résultats économiques, par ailleurs lents à se manifester, de cette coopération; depuis quelques années, cette lacune est en voie d'être comblée, encore que, pour des raisons évidentes, rien ne puisse jamais être comparé au volume des rapports économiques et financiers du Québec avec, p.ex. son voisin, les USA (voir QUÉBEC, RELATIONS INTERNATIONALES DU). Sur le plan immédiatement politique, les gouvernements français et québécois s'entendirent, en novembre 1977, lors d'une visite officielle de René LÉVESQUE à Paris, sur une pratique nouvelle maintenue depuis: des rencontres périodiques au niveau des premiers ministres.
L'appui et la complicité de la France permirent au Québec une percée internationale qui contribua, par l'ouverture internationale qu'elle entraîna, à sa modernisation. Pendant plus d'une trentaine d'années, le Québec a été le seul État fédéré du monde à jouir d'une personnalité internationale, limitée mais néanmoins réelle. Il a conclu des accords avec des pays souverains et, encore aujourd'hui, applique sa propre politique étrangère dans des domaines relevant de sa compétence. Un résultat qui n'aurait jamais été possible sans l'aide de la France. Ce soutien continue de se concrétiser par de nombreux programmes d'échanges culturels et universitaires, par des alliances économiques et commerciales, et à travers le rôle joué par la France dans le renforcement de la francophonie et de l'identité québécoise.