Relations canado-américaines | l'Encyclopédie Canadienne

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Relations canado-américaines

Le Canada et les États-Unis ont une relation unique au monde. Ces deux États souverains occupent la grande partie de l’Amérique du Nord et partagent la plus longue frontière non défendue du monde. Ils dépendent l’un de l’autre pour le commerce, la sécurité continentale et la prospérité. Malgré des origines radicalement différentes, et une histoire de guerre, de conflit et de méfiance culturelle, les deux pays constituent un exemple moderne d’interdépendance et de coopération.

Loyalistes à l'emplacement de Kingston
En 1783, une vague de loyalistes remontent le Saint-Laurent et s'arrêtent à la jonction avec le lac Ontario, oÎ leur campement se développe et donne naissance à la ville de Kingston. Dessin réalisépar James Peachey.

Retombées révolutionnaires

La nation canadienne est, à maints égards, un sous-produit de la guerre de l’Indépendance américaine. Lorsque la victoire des 13 colonies entraîne l’exode des Loyalistes américains vers L’Amérique du Nord britannique. (Voir aussi Loyalistes noirs en Amérique du Nord britannique.) Bon nombre de ceux-ci apportent avec eux une profonde méfiance envers les États-Unis et son système politique. Dans l’esprit de certains révolutionnaires américains, la révolution est inachevée tant que l’Angleterre conserve des avant-postes sur le continent. Les conflits paraissent donc inévitables, et les guerres napoléoniennes touchent l’Amérique du Nord en 1812. La guerre de 1812 est menée défensivement par les Britanniques et sans conviction par les Américains.

Les deux partis accueillent favorablement le traité de Ghent, qui règle certains litiges entre l’ANB et les États-Unis. L’Accord Rush-Bagot de 1817 limite la présence de vaisseaux armés sur les Grands Lacs. La Convention de 1818 prévoit le prolongement de la frontière depuis le lac des Bois jusqu’aux Rocheuses. Dans l’Est, les commissaires nommés par le traité de Ghent règlent les disputes frontalières, sauf dans le nord du Maine.

Au cours des années 1820 et 1830, les habitants du Haut et du Bas-Canada opposés à leurs gouvernements considèrent la démocratie américaine avec un intérêt croissant. William Lyon Mackenzie et Louis-Joseph Papineau cherchent l’appui des Américains pendant les rébellions de 1837. Après sa défaite, William Lyon Mackenzie s’enfuit aux États-Unis, où il fomente, l’année suivante, des incidents de frontière (voir Loges des chasseurs). Un déploiement de la Force militaire britannique et le refus américain d’appuyer les rebelles mettent fin aux menaces contre l’ANB. En 1842, le traité Ashburton-Webstertrace la frontière nord-est, mais les problèmes à l’ouest des Rocheuses ne seront réglés que par le traité de l’Oregon, en 1846, après des menaces de guerre.

En 1854, le traité de réciprocité entre l’ANB et les États-Unis apaise quelque peu les craintes, mais celles-ci resurgissent soudainement avec la Guerre de Sécession, qui fait rage de 1861 à 1865. La sympathie de la Grande-Bretagne envers les sudistes suscite la rancœur des nordistes. L’ANB et les États-Unis réussissent à éviter les affrontements militaires, mais la fin de la guerre entraîne de nouvelles tensions, car on croit que le Nord se vengera de la Grande-Bretagne et que les fenians se préparent à envahir l’ANB. En 1866, les raids de ces derniers échouent, ce qui pousse l’ANB à établir la Confédération l’année suivante.

Diplomatie et accommodations

La Confédération, le retrait des troupes britanniques et les conflits en Europe forcent la Grande-Bretagne et le Canada à s’entendre avec les Américains sur les questions demeurées en litige et à signer le traité de Washington, en 1871. Bien que le premier ministre, sir John A. Macdonald, membre de l’équipe de négociateurs britanniques, s’élève contre les termes du traité, celui-ci est utile au Canada, car les États-Unis y reconnaissent la nouvelle nation qui s’affirme au nord de leur pays. Par la suite, le Canada s’inquiète de moins en moins de la menace militaire américaine. On redoute l’ingérence américaine quand le Canada établit sa souveraineté sur le Nord-Ouest, mais à la fin des années 1890, les deux pays constatent que très peu de conflits ont marqué les 30 dernières années.

En 1898-1899, une haute commission mixte, reflétant cet esprit d’entente et le désir d’un rapprochement anglo-américain, cherche à régler les différends laissés en suspens. Mais la commission ne règle que certaines questions mineures, et l’affaire des frontières de l’Alaska reste en suspens. En 1903, on crée un autre tribunal pour régler ce point, ce qui soulève la colère des Canadiens, davantage contre la Grande-Bretagne que contre les États-Unis, et convainc le Canada qu’il lui faut à l’avenir compter sur ses propres ressources plutôt que sur la Grande-Bretagne.

Le Canada entreprend donc d’établir directement des liens institutionnels avec les États-Unis, dont le plus connu, la Commission mixte internationale, est mis sur pied en 1909. En 1911, le premier ministre Wilfrid Laurier va plus loin que la plupart des Canadiens ne le voudraient lorsqu’il propose un accord de réciprocité avec les États-Unis. De vieilles rancunes refont surface durant la campagne électorale cette année-là ; les conservateurs sont élus et la réciprocité est mise à l’écart.

Néanmoins, le nouveau premier ministre, Robert Borden, s’empresse de rassurer les Américains sur son désir de maintenir de bonnes relations. Cette action, à la veille de la participation du Canada à la Première Guerre mondiale, en 1914, alors que les États-Unis demeurent neutres, allège probablement les tensions. Lorsque les Américains entrent finalement en guerre, en 1917, les deux pays reconnaissent plus que jamais leurs héritages et intérêts communs.

W.L.M. King et F.D. Roosevelt
Mackenzie King (deuxième à partir de la gauche) et Franklin D. Roosevelt (deuxième à partir de la droite).

Amitié émergente

Sitôt la guerre terminée, les politiciens canadiens se font médiateurs entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, comme à la Conférence impériale, en 1921, où le premier ministre Arthur Meighen dissuade la Grande-Bretagne de renouveler l’alliance anglo-japonaise, car elle pourrait entraîner un conflit entre l’Empire britannique et les États-Unis. Une fois le gouvernement libéral du premier ministre William Lyon Mackenzie King au pouvoir, on tend davantage à souligner le caractère nord-américain du Canada et, par conséquent, sa similitude avec les États-Unis.

Au cours des années 1920 et 1930, les rapports entre Canadiens et Américains se multiplient. Le Canada modifie ses plans de défense, les possibilités de conflits entre les deux pays étant désormais nulles. La méfiance envers l’influence américaine s’estompe, et on renforce les liens culturels et économiques. En 1926, les deux pays établissent des légations et, dorénavant, ne font plus affaire entre eux par l’intermédiaire des bureaux britanniques. La culture populaire américaine pénètre par la radio, le cinéma et l’automobile. Le gouvernement canadien tente de contrôler la radiodiffusion et la télédiffusion de même que le cinéma, mais échoue. D’autres organisations, dont l’Église Catholique romaine au Québec, essaient, par des pressions morales et politiques, d’empêcher les Canadiens de copier les aspects les plus frivoles de la culture américaine.

Par le truchement des nouveaux médias, les Canadiens se familiarisent avec le président américain Franklin Roosevelt, qui, en 1938, à l’approche d’une autre guerre européenne, promet publiquement d’appuyer le Canada si celui-ci est menacé. Franklin Roosevelt collabore étroitement après l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale, en septembre 1939. Même si les États-Unis demeurent neutres, Franklin Roosevelt et William Lyon Mackenzie King concluent deux accords importants qui concrétisent l’engagement des Américains. L’accord d’Ogdensburg (1940) crée la Commission permanente mixte de défense Canada–États-Unis, et l’accord de Hyde Park (1941) unifie l’économie des deux pays pour les besoins du temps de guerre (voir prêt-bail). Les deux accords reçoivent l’approbation générale.

L’admiration des Canadiens pour les États-Unis augmente après l’entrée en guerre de ce pays, en décembre 1941. Des sondages d’opinion révèlent que beaucoup de Canadiens aimeraient se joindre aux États-Unis. Ce nouvel engouement effraie William Lyon Mackenzie King, mais après la guerre, le Canada conserve et même élargit ses relations avec les États-Unis en d’autres domaines que la défense.

Coopération et circonspection

La Guerre froide contre l’Union soviétique convainc la plupart des Canadiens que les États-Unis sont la forteresse capable de défendre les valeurs communes et la sécurité. En août 1958, le Canada et les États-Unis signent un plan conjoint de défense aérienne (NORAD) et, l’année suivante, le Programme canado-américain pour le partage de la production de défense.

Certains Canadiens déplorent ces liens qui se multiplient. Vincent Massey et Walter Gordon, qui dirigent des commissions royales d’enquête sur la culture et la politique économique, critiquent l’influence américaine au Canada. Au Parlement, lors des débats sur le pipeline et sur la Crise du canal de Suez, en 1956, certains parlementaires manifestent leur crainte de l’influence américaine sur le gouvernement canadien et sur ses positions.

Le premier ministre John Diefenbaker engage le Canada dans NORAD et dans le plan de défense partagée, et il se lie bientôt d’amitié avec le président Dwight Eisenhower. Néanmoins, il déplore la distance de plus en plus grande entre le Canada et la Grande-Bretagne, et l’ampleur de l’influence culturelle américaine, et dénonce aussi d’autres influences. Ce sentiment se traduit par une méfiance envers les États-Unis eux-mêmes, lorsque John Kennedy en devient le président, en 1961. Les deux chefs d’État ne s’apprécient guère, et les différends politiques se manifestent rapidement. John Diefenbaker refuse la présence d’armes nucléaires au Canada (voir affaire des missiles Bomarc) et hésite à appuyer John Kennedy pendant la Crise des missiles cubains, en 1962. Les Américains accusent publiquement John Diefenbaker de ne pas respecter ses engagements. Aux élections canadiennes de 1963, John Diefenbaker accuse les Américains d’ingérence flagrante et les rend responsables de sa défaite.

Relations tendues

Les deux pays s’attendent à de meilleures relations quand les libéraux prennent le pouvoir. Elles se détériorent cependant de façon importante dès 1965, en raison de la difficulté qu’éprouvent le premier ministre Lester Pearson et les Canadiens à accorder aux États-Unis l’appui qu’ils demandent dans la guerre du Vietnam. En 1967, le gouvernement canadien désapprouve ouvertement la politique américaine dans le sud-est de l’Asie. En général, les Canadiens deviennent réticents devant l’influence des Américains et leur politique extérieure. Un mouvement nationaliste demande une forte diminution de l’influence américaine. Les premières initiatives nationalistes importantes concernent les affaires culturelles, mais celles qui offensent davantage les Américains sont d’ordre économique, comme le Programme énergétique national.

Les relations sont tendues au cours de la première administration de Ronald Reagan. Il est évident que le gouvernement de Pierre Trudeau et l’administration de Ronald Reagan ne perçoivent pas les événements internationaux d’un même point de vue. Le Canada, néanmoins, permet les essais des missiles Cruise en sol canadien, et ce, malgré une forte opposition au pays. En 1984, l’élection du gouvernement conservateur de Brian Mulroney annonce une réconciliation avec les États-Unis, laquelle entraîne un affaiblissement des lois à caractère nationaliste et, entre autres, de l’Agence d’examen de l’investissement étranger. L’opinion publique canadienne ne s’oppose pas à ces initiatives, et des sondages d’opinion, menés en 1985 et en 1986, révèlent même un fort appui au libre-échange, appui qui fléchit cependant en 1987.

Transformation libre-échange

Au terme de négociations prolongées, les deux gouvernements concluent un accord commercial de principe, le 3 octobre 1987. Cet accord devient le principal enjeu des élections canadiennes de 1988, que les conservateurs de Brian Mulroney remportent haut la main. L’accord commercial est rapidement mis en vigueur, et les relations économiques canado-américaines changent fondamentalement. En 1994, l’accord est élargi de façon à inclure le Mexique et est renommé l’« Accord de libre-échange nord-américain » (ALENA).

L’accord commercial ne met pas fin aux disputes, en partie parce que les ententes promises en matière de subsides et de perception des droits compensatoires ne se concrétisent pas. De plus, sur les questions soulevant une véritable controverse au sein du Congrès américain, comme la querelle au sujet du bois d’œuvre (bois mou), la différence de taille entre les deux partenaires signifie que le Canada doit céder. Le commerce entre les deux pays connaît cependant un essor remarquable : les États-Unis reçoivent 80 % des exportations canadiennes en 1995, et 70 % des importations canadiennes viennent des États-Unis. Ces chiffres mènent plusieurs observateurs à conclure que le Canada a lié son sort à l’évolution nord-américaine, et d’aucuns prédisent même à terme une intégration politique.

Bush et Obama

Les relations s’enveniment de nouveau pendant la présidence de George W. Bush. Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York et Washington, le Canada promet des troupes pour la campagne internationale contre le terrorisme en Afghanistan. Lorsque les Américains étendent la guerre jusqu’à l’Iraq, en 2003, le Canada, sous le premier ministre Jean Chrétien, refuse de participer à la nouvelle campagne. Les tensions deviennent publiques lorsque l’ambassadeur des États-Unis blâme le Canada, tandis que, de leur côté, de hauts responsables canadiens font des remarques désobligeantes au sujet du président américain. La situation se détériore encore plus en 2005, lorsque le gouvernement du premier ministre Paul Martin annonce qu’il n’a pas l’intention de participer au programme américain visant à bâtir un bouclier antimissile balistique pour l’Amérique du Nord.

Le départ de George W. Bush et l’accession au pouvoir du président Barack Obama, en janvier 2009, marquent le début de meilleures relations entre les deux pays. Les deux parties ont collaboré pour améliorer la sécurité et les infrastructures frontalières par le partage de renseignements et faire construire un nouveau pont reliant Windsor et Detroit, le passage frontalier le plus achalandé. L’objectif reste d’empêcher les criminels et les terroristes de franchir la frontière, sans pour autant nuire au commerce et au tourisme.

Le gouvernement du premier ministre Stephen Harper accorde une grande priorité à l’exportation énergétique, particulièrement la construction du pipeline Keystone XL, un projet controversé qui transporterait du pétrole brut depuis les sables bitumineux de l’Alberta jusqu’aux marchés états-uniens. Les environnementalistes, et certains membres du Congrès américain, critiquent le pipeline. Celui-ci est également impopulaire parmi certaines communautés de l’Ouest qu’il traverserait aux États-Unis. Le président Barack Obama rejette la proposition initiale de la TransCanada Corporation (maintenant appelée TC Énergie) et hésite à en approuver une version révisée. Frustré par ce délai, Stephen Harper déclare en octobre 2013 que le Canada n’accepte pas « non » comme réponse au sujet du Keystone XL. Or, c’est bien un « non » qu’il reçoit lorsque l’administration Obama rejette le pipeline en 2015.

Justin Trudeau et Donald Trump. Londres, Royaume-Uni, le 3 décembre 2019.

Photo : Adam Scotti (PMO)

Trump et Trudeau

L’investiture de Donald Trump en tant que président des États-Unis bouleverse le statu quo dans les relations canado-américaines. En 2017, dans les premiers mois de son mandat, Trump annule la décision d’Obama sur le projet Keystone XL, en délivrant un permis qui permet la construction du pipeline. Mais l’arrivée de Trump cause plus de problèmes qu’elle n’en résout. En tant que candidat à la présidence en 2016, Trump a décrit l’ALENA comme « le pire accord commercial jamais approuvé dans ce pays ». Lorsqu’il devient président, il menace de l’annuler. Le Canada, les États-Unis et le Mexique remplacent l’ALENA par un nouvel accord en 2018, une victoire majeure pour le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau. Le gouvernement canadien concentre d’énormes ressources pour remporter cette bataille, et il le fait avec l’aide considérable des politiciens américains et des entreprises, des États et des entités locales qu’Ottawa a vigoureusement mis sous pression. Le nouveau pacte est en grande partie le même que son prédécesseur, mais avec des changements mineurs dans les sections concernant les automobiles, les produits laitiers, le vin, les brevets et les marques déposées, les produits pharmaceutiques et le règlement des différends. Donald Trump se réjouit que son pays figure en tête du nouvel accord États-Unis-Canada-Mexique, bien que l’accord porte un nom différent dans chacun des pays membres. Au Canada, il est connu sous le nom d’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM).

La présidence de Donald Trump oblige le gouvernement canadien, en particulier le premier ministre Trudeau, à pratiquer une diplomatie délicate. D’une part, le premier ministre doit éviter d’offenser le président notoirement susceptible. D’autre part, les valeurs du premier ministre sont souvent en contradiction avec celles du président, et Justin Trudeau doit affronter les critiques de Trump au Canada, qui exhortent le premier ministre à dénoncer les agissements de son homologue états-unien. Trouver un équilibre est particulièrement difficile lorsque Trump semble favoriser la Russie et la Corée du Nord par rapport au Canada et à d’autres alliés traditionnels des États-Unis, lorsqu’il interdit l’entrée aux États-Unis de citoyens de pays musulmans à une époque où le Canada accueille des dizaines de milliers de réfugiés syriens, et lorsqu’il défend les tenants de la suprématie blanche. Au printemps 2020, Justin Trudeau évite soigneusement de commenter l’appel à l’action militaire lancé par Trump pour faire cesser les manifestations du mouvement Black Lives Matter, qui font rage aux États-Unis.

Guide pédagogique: Les Raids Fenians

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