La Résistance de la rivière Rouge (aussi appelée Rébellion de la rivière Rouge) est un soulèvement violent ayant eu lieu de 1869 à 1870 dans la colonie de la rivière Rouge. Elle est déclenchée par le transfert du vaste territoire appelé « Terre de Rupert » au nouveau Dominion du Canada. La colonie, composée de fermiers et de chasseurs, dont la plupart sont Métis, occupe un coin de la Terre de Rupert et craint l’effet du contrôle canadien sur sa culture et ses droits fonciers. Les Métis fomentent une résistance et forment un gouvernement provisoire afin de négocier les conditions d’entrée du territoire dans la Confédération. La résistance mène à la création de la province du Manitoba et à l’émergence du chef métis Louis Riel. Héros aux yeux de son peuple et de nombreux Québécois, il est toutefois considéré comme un hors-la-loi par le gouvernement fédéral.
Colonie de la rivière Rouge
La colonie de la rivière Rouge est fondée en 1812 par Thomas Douglas, 5 e comte de Selkirk. Au départ, elle est composée de colons écossais. Située au confluent des rivières Rouge et Assiniboine (ce qui est aujourd’hui le centre-ville de Winnipeg), la région est un point de rencontre de longue date pour la traite des fourrures. En 1809, la Compagnie du Nord-Ouest y établit le Fort Gibraltar. Précédemment, la Compagnie de la Baie d’Hudson a installé un petit dépôt de l’autre côté de la rivière, sur le territoire aujourd’hui occupé par Saint-Boniface. Avant cela, ce sont les Assiniboines (Nakodas) qui contrôlent l’accès à la région. En 1812, des Ojibwés, des commerçants cris et des chasseurs de bisons métis habitent aussi le territoire. La plupart des Métis sont des descendants des voyageurs et coureurs des bois français et anglais qui se sont installés dans les communautés autochtones après s’être aventurés dans l’Ouest pour la traite des fourrures.
À partir de 1836, la colonie est administrée par la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH). À cette époque, elle est principalement peuplée de Métis francophones et anglophones.
Départ de la Compagnie de la Baie d’Hudson
Les habitants de la colonie de la rivière Rouge sont en conflit permanent avec la CBH. Un des sujets particulièrement débattus concerne les privilèges pour la traite des fourrures (voir Proclamation sur le pemmican; Bataille de la Grenouillère). Dans les années 1850, l’autorité de la CBH sur la Terre de Rupert est contestée par la Grande-Bretagne, le Canada et les États-Unis. Au cours de la décennie suivante, la CBH accepte d’abandonner son monopole sur la Terre de Rupert et sur le Nord-Ouest, et donc sur la colonie de la rivière Rouge.
Pendant les longues négociations portant sur le transfert de la souveraineté du territoire au Canada, des colons protestants venus de l’Est s’installent dans la colonie. Leurs mœurs agressives envahissantes incitent les Métis catholiques à prendre des mesures pour préserver leur religion, leurs droits fonciers et leur culture. Ni le gouvernement britannique ni le gouvernement canadien ne se soucient du peuple métis. Ils ne font aucun effort sérieux pour dissiper leurs craintes. Ils négocient plutôt le transfert de la Terre de Rupert comme si personne n’y habitait.
Louis Riel se propose
En août 1869, les inquiétudes des Métis sont exacerbées : le gouvernement canadien tente de réarpenter les fermes riveraines. Il s’agit pour la plupart de terrains longs et étroits qui, organisés selon le système seigneurial de la Nouvelle-France, donnent sur les rivières locales. Pour sa part, le gouvernement préfère des terrains carrés qui limitent l’accès à l’eau des rivières (voir aussi Loi des terres fédérales). Bon nombre de Métis n’ont pas de titre officiel de propriété pour leur terre. Bien qu’Ottawa projette de respecter leurs droits d’occupation, il ne garantit pas que ce sera le cas. Les Métis craignent donc de perdre leurs fermes. En outre, la nomination au poste de premier lieutenant-gouverneur du territoire de William McDougall, un expansionniste canadien bien connu, alimente les tensions et les craintes des Métis quant à la domination canadienne-anglaise.
Au début de novembre 1869, Louis Riel se pose en porte-parole des Métis. Il mène d’ailleurs un groupe de la rivière Rouge qui empêche William McDougall et le groupe d’arpenteurs canadiens qui l’accompagnent d’entrer dans la colonie. Louis Riel obtient l’appui des communautés métisses à la fois francophones et anglophones. Il est en effet conscient que son peuple doit collaborer avec les anglophones, plus réticents et moins organisés, pour présenter ses doléances.
Les représentants de la CBH, eux, demeurent neutres. L’opposition métisse empêche le gouvernement canadien d’assumer le contrôle du territoire à partir du 1er décembre 1869, comme il en a été convenu. Cette situation encourage les résistants qui ont saisi le Upper Fort Garry, soit le principal poste de traite de la CBH, qui se situe au confluent des rivières Rouge et Assiniboine. Ils ont l’intention d’y rester jusqu’à ce que le gouvernement canadien accepte de négocier.
Les représentants de la résistance sont convoqués à une convention élue en décembre. Là, ils déclarent la création d’un gouvernement provisoire, bientôt dirigé par Louis Riel. En janvier 1870, lors d’une deuxième convention, ce dernier obtient l’appui de la majorité de la communauté anglophone. Ensemble, ils conviennent de créer un gouvernement représentatif provisoire pour négocier auprès du gouvernement canadien les conditions d’entrée du territoire dans la Confédération.
Exécution de Thomas Scott
Des conflits armés se poursuivent pendant l’hiver. Louis Riel semble maîtriser la situation jusqu’au moment où il commet un impair majeur : il permet qu’un prisonnier, Thomas Scott, soit envoyé en cour martiale puis exécuté. Thomas Scott fait partie d’un groupe de colons d’expression anglaise venant de l’Ontario qui s’opposent au gouvernement provisoire. Au cours d’un conflit, il est capturé et emprisonné avec d’autres membres de son groupe à Upper Fort Garry.
Thomas Scott est exécuté par un peloton d’exécution, malgré des supplications de l’extérieur demandant à Louis Riel d’annuler l’exécution. La mort de Thomas Scott enflamme les passions des protestants en Ontario. Les autorités canadiennes sont encore prêtes à négocier avec Louis Riel. Toutefois, elles refusent de lui accorder, à lui ainsi qu’à d’autres chefs résistants, l’amnistie inconditionnelle.
Naissance du Manitoba
Le gouvernement provisoire organise le territoire d’Assiniboia en mars 1870. Il édicte une loi en avril. Lors de négociations qui ont lieu à Ottawa ce printemps-là, le gouvernement canadien reconnaît les « droits » des colons de la rivière Rouge. Cependant, la victoire de ceux-ci est modérée. Le 12 mai, une nouvelle province appelée Manitoba voit le jour grâce à la Loi sur le Manitoba. Son territoire est très limité comparativement aux vastes Territoires du Nord-Ouest, qui seraient bientôt acquis par le gouvernement canadien. Même au sein du Manitoba, les terres publiques sont sous le contrôle du gouvernement fédéral. Les titres des terres métisses sont garantis, et 607 000 hectares sont réservés aux enfants des familles métisses. Ces arrangements sont toutefois mal gérés par les gouvernements fédéraux subséquents.
La nation métisse ne connaît plus la prospérité au Manitoba après 1870. Ottawa n’accorde l’amnistie ni à Louis Riel ni à ses lieutenants. Ils s’exilent donc tous juste avant l’arrivée des soldats britanniques et canadiens en août 1870.
L’insurrection de rivière Rouge réussit à atteindre ses grands objectifs. En effet, elle permet de créer une province distincte, avec des terres et droits garantis. Il s’agit toutefois d’une victoire creuse. Les Métis se trouvent bientôt tellement désavantagés au Manitoba qu’ils déménagent plus loin vers l’ouest. Là, ils essaieront de nouveau, cette fois-ci de façon plus violente et tragique, d’affirmer leur nationalité sous la direction de Louis Riel lors de la Résistance du Nord-Ouest en 1885.
Rébellion ou résistance?
La résistance de la rivière Rouge et la résistance du Nord-Ouest sont désignées de plusieurs manières différentes. On parle parfois des « rébellions de Louis Riel », de la « rébellion du Manitoba », de la « rébellion de la Saskatchewan », de la « résistance de 1885 », de la « Rébellion de la rivière Rouge » ou de la « Rébellion du Nord-Ouest ».) Or, même si les termes rébellion et résistance semblent être des synonymes, ils ne le sont pas, et utiliser un terme ou l’autre modifie la perception des événements.
Ainsi, dans les dictionnaires, le mot rébellion désigne l’action de se révolter contre une autorité ou un pouvoir politique en place. Le terme résistance, quant à lui, est défini comme l’action de résister à une agression ou à une oppression.
Les universitaires spécialistes des études autochtones ainsi que de nombreux historiens préfèrent donc parler de la résistance des Métis et des Premières Nations. Le conflit est ainsi présenté comme une réaction à la colonisation européenne. En effet, les Métis et les Premières Nations avaient établi leur autonomie gouvernementale sur leur territoire bien avant que la Terre de Rupert soit transférée au Dominion du Canada.