Radiodiffusion et télédiffusion | l'Encyclopédie Canadienne

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Radiodiffusion et télédiffusion

Dans un pays nordique où les hivers sont longs, les distances énormes et la population dispersée, les communications rendues possibles par la radio et la télévision canadiennes sont capitales.

Radiodiffusion et télédiffusion

Dans un pays nordique où les hivers sont longs, les distances énormes et la population dispersée, les communications rendues possibles par la radio et la télévision canadiennes sont capitales. Bien avant l'apparition d'Internet, ces médias constituent une des principales sources de divertissement, mais surtout, ils relient le citoyen aux événements extérieurs, ce qui stimule son sentiment d'appartenance à la collectivité. Ils sont la place publique des Canadiens.

Le Canada s'est doté d'installations de radiodiffusion plus complexes et plus perfectionnées que tout autre pays industrialisé. En 1979 par exemple, il y a 982 stations de radiodiffusion en fonction aux États-Unis, tandis que le Canada, avec une population dix fois moindre, en compte 1045 (stations de retransmission comprises). En 1981, ce nombre est de 1225 et, au début de 2010, de 4918 (installations numériques comprises).

Le Canada est un pionnier des COMMUNICATIONS PAR SATELLITE. Il est aussi le premier pays à utiliser des satellites géostationnaires pour les COMMUNICATIONS intérieures. Grâce à ces satellites, le service national de radiodiffusion, la SOCIÉTÉ RADIO-CANADA (SRC), transmet la plupart de ses émissions dans tout le pays. Elle les utilise aussi pour établir sa programmation.

Le point faible du système de radiodiffusion ne se trouve donc pas dans les installations, mais plutôt dans la proportion du contenu canadien de la programmation (voir PROGRAMMATION RADIOPHONIQUE; PROGRAMMATION TÉLÉVISUELLE; DIFFUSION DE MUSIQUE). La SRC produit un nombre impressionnant d'émissions de radio et de télévision en anglais et en français, dont beaucoup sont de haute qualité. Toutefois, les stations privées de télévision de langue anglaise dépendent principalement des émissions étrangères importées (surtout américaines) pour leurs heures de grande écoute. Bon nombre de ces émissions sont populaires, mais cette dépendance entraîne une lutte continuelle pour instaurer des politiques gouvernementales garantissant la diffusion d'un contenu davantage canadien.

Pendant une bonne partie de son histoire, le Canada recourt à l'entreprise publique et à l'entreprise privée, ce qui le situe quelque part entre le système britannique, où la propriété d'État prédomine, et le système américain, moins réglementé et fondé sur l'entreprise privée. Les différentes lois adoptées par le Parlement ainsi que les divers organismes de réglementation créés pour l'octroi des licences et la fixation et l'application des règlements témoignent de cette évolution.

L'époque des pionniers (1913-1928)

En vertu de la Loi du radiotélégraphe de 1913, c'est un ministre fédéral (le ministre de la Marine et des Pêcheries pour la majeure partie de cette période) qui détient le pouvoir d'émettre des licences pour les stations de radio et d'imposer un droit de licence d'un dollar pour chaque récepteur radioélectrique. La première licence est émise en 1919 à la XWA, une station de radio expérimentale de Montréal exploitée par la Compagnie Marconi Canada. Dès 1928, plus de 60 stations sont en activité, la majeure partie d'entre elles avec une faible puissance et n'offrant qu'un service intermittent. La réglementation est minimale.

Émergence de la propriété de l'État et des réglementations (1928-1936)

Dès 1936, le système actuel de propriété et de gestion de la radiodiffusion est en place. En 1928, le gouvernement crée une commission d'enquête parlementaire présidée par sir John AIRD pour élaborer des recommandations sur l'avenir de la radiodiffusion au Canada. Le développement de la radio au pays est jusqu'alors rudimentaire et de nombreux auditeurs se tournent vers les stations américaines et les réseaux américains récemment créés. Par ailleurs, les stations canadiennes subissent de plus en plus de perturbations radioélectriques en raison des fréquences de transmission non réglementées des États-Unis.

Des plaintes s'élèvent aussi contre l'intrusion de la publicité dans les stations commerciales canadiennes et américaines, et on envisage la possibilité de mettre sur pied un réseau calqué sur le modèle de la British Broadcasting Corporation (BBC). Le rapport de la Commission Aird, déposé en 1929, propose la création d'une société d'État semblable à la BBC. Ses principales recommandations sont appuyées par un groupe de citoyens engagés qui ont formé une organisation appelée la Ligue canadienne de la radio. Selon eux, il faut considérer la radiodiffusion comme un service d'État et non comme une simple entreprise orientée vers le profit. On doit faire en sorte que les droits de propriété et la structure d'exploitation des réseaux respectent ce principe.

Le Québec, appuyé par l'Ontario, conteste le droit du gouvernement fédéral de s'approprier le contrôle de la radiodiffusion. On porte alors la cause devant la Cour suprême du Canada et on en appelle au Comité judiciaire du Conseil privé. Dans son jugement rendu en 1932, le Comité confirme la compétence fédérale de l'État sur la radiocommunication et sur le contenu des émissions. On met aussi sur pied un comité parlementaire spécial pour concevoir des moyens de mettre en oeuvre les recommandations de la Commission Aird.

Une loi créant la Commission canadienne de radiodiffusion est adoptée à l'unanimité le 26 mai 1932. La Commission, composée de trois membres, a le pouvoir de réglementer, diriger et exploiter des stations de radiodiffusion au Canada; de produire et transmettre des émissions; de louer, acheter ou faire construire des stations et, en fin de compte, d'assumer la propriété de tout le réseau de radiodiffusion canadien, si on lui en donne les moyens. Pendant toute la durée de son mandat, la Commission fait face à de nombreuses difficultés.

Au plus profond de la Crise des années 1930, le gouvernement de R. B. Bennett n'accorde jamais à la Commission les fonds nécessaires pour remplir son mandat de programmateur de façon satisfaisante. La Commission canadienne de radiodiffusion n'arrive à établir des stations que dans cinq villes. Dans la plupart des centres urbains, des stations privées transmettent les émissions du réseau de la Commission. C'est ainsi que le système actuel à caractère mixte, fait de stations publiques et privées au sein d'un même réseau, voit le jour. Encore aujourd'hui, il caractérise la radio et la télévision de la Société Radio-Canada (SRC), quoique la société tente actuellement de passer de ce système à un réseau de stations qui serait exclusivement public.

La Société Radio-Canada, radiodiffuseur et organisme de réglementation (1936-1958)

Les faiblesses de la Commission canadienne de radiodiffusion et le nombre croissant de critiques au Parlement sont à l'origine de l'adoption d'une nouvelle loi sur la radiodiffusion lorsque les libéraux, dirigés par W.L. Mackenzie King, prennent le pouvoir en 1935. On estime que la Commission est trop dépendante du gouvernement. Certains soupçonnent des considérations partisanes d'avoir influencé quelques-unes de ses décisions. Le nouveau premier ministre, cédant aux pressions de la Ligue canadienne de la radio, décide de réviser la législation pour se conformer aux recommandations du rapport Aird tout en les modernisant.

Avant même l'adoption en 1936 de la nouvelle Loi canadienne sur la radiodiffusion, la situation évolue considérablement. Le nombre de foyers détenant des licences pour leurs radios passe d'un demi-million en 1931 à un million à la fin de 1936. Les Canadiens prennent l'habitude d'écouter les émissions de leur propre réseau en anglais ou en français pendant au moins quelques heures au cours de l'après-midi et de la soirée.

Le gouvernement n'envisage pas d'abandonner l'expérience nationale. Cependant, les stations privées de radio ne se contentent pas de survivre, elles prospèrent. Elles diffusent de la musique, des bulletins météorologiques et de l'information d'intérêt public. La plupart d'entre elles diffusent aussi des émissions de divertissement en provenance des États-Unis, auxquelles les annonceurs canadiens cherchent avidement à être associés.

En novembre 1936, la Commission canadienne de radiodiffusion est remplacée par la Société Radio-Canada, que dirige un conseil de neuf personnes. Cette nouvelle société jouit d'une autonomie beaucoup plus grande. Financée grâce à l'augmentation du coût des licences, la SRC prend des mesures vigoureuses pour augmenter sa couverture en faisant appel à des émetteurs régionaux à haute puissance. Elle améliore aussi sa programmation nationale en augmentant le nombre d'heures hebdomadaires de diffusion, incluant dans sa programmation un certain nombre d'émissions américaines. Dès 1944, la SRC exploite déjà trois réseaux de radiodiffusion, dont deux anglais (Trans-Canada et Dominion) et un français.

Les stations de radio privées n'ont pas le droit de former leur propre réseau national. Elles y parviennent quand même, encouragées en cela par la réglementation plutôt libérale de la SRC. Certains se plaignent du monopole détenu par la SRC, mais des commissions parlementaires successives ainsi que la COMMISSION ROYALE D'ENQUÊTE SUR L'AVANCEMENT DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES AU CANADA (Commission Massey) expriment leur approbation du système en place et de l'apport de la SRC à la vie culturelle du pays.

L'avènement de la TÉLÉVISION en 1952 laisse présager la fin du système dans lequel la SRC est à la fois organisme de réglementation et principal programmateur canadien. La télévision fait ses débuts sous l'égide de la SRC, selon les recommandations mêmes de la Commission Massey, mais la double responsabilité liée à la réalisation d'émissions et à la distribution nationale se révèle si coûteuse que le gouvernement de Louis Saint-Laurent rejette le projet de construction de stations de la SRC dans chaque province. La télévision de la SRC ne peut s'autofinancer comme celle de la BBC en Grande-Bretagne. Une fois de plus, on compte sur les stations privées pour assurer la distribution des émissions du réseau national.

La politique adoptée par le gouvernement au milieu des années 1950 et visant à n'autoriser l'établissement que d'une seule station, publique ou privée, dans les principaux centres urbains du pays favorise grandement le développement rapide des services de télévision dans l'ensemble du pays. Cependant, la demande pour des stations supplémentaires se fait si pressante qu'on doit modifier cette politique. De 1955 à 1957, la Commission royale d'enquête sur la radio et la télévision (Commission Fowler) conduit à l'adoption d'une nouvelle législation.

Régime du BGR (1958-1968)

La Loi sur la radiodiffusion de 1958, qui remplace celle de 1936, est adoptée par le gouvernement conservateur de John Diefenbaker. Au cours de la décennie précédente, l'Association canadienne des radiodiffuseurs, qui représentait la plupart des stations privées de radio et de télévision, mène une vigoureuse campagne pour convaincre le public que la position de la SRC comme diffuseur et organisme de réglementation est injuste.

Cet argument persuade les progressistes-conservateurs de cesser d'appuyer la loi de 1936 et d'adopter une nouvelle loi, tout en considérant encore l'ensemble de la radiodiffusion canadienne comme un réseau unique. On assigne au Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion (BGR), qui comprend quinze membres, la responsabilité de réglementer « les activités des stations de radiodiffusion privées et publiques et les relations entre elles » et d'« assurer l'existence et l'exploitation efficace d'un réseau national de radiodiffusion ».

Le BGR doit s'occuper des demandes de licences pour les nouvelles stations et faire des recommandations au ministre fédéral responsable de l'émission de celles-ci. Malgré le pouvoir de réglementation du BGR et conformément à la nouvelle loi, la SRC conserve son propre conseil d'administration et continue à dépendre directement du Parlement.

Sous le régime du BGR, le réseau de télévision s'étend rapidement, et la radio, à l'exception du réseau de la SRC, devient plutôt un service local et communautaire. Un deuxième réseau de télévision, CTV, qui consiste en une seconde série de stations installées dans les grands centres, entre en fonction en 1961. Les réseaux de télévision anglais et français de la SRC continuent à diffuser des émissions, certaines avec de la publicité et d'autres non commanditées, par l'entremise des stations détenues par la Société et surtout grâce aux stations privées affiliées, dont le nombre s'accroît.

Régime de radiodiffusion du CRTC (1968-1995)

La loi de 1958 suscite des différends entre les deux organismes publics, le BGR et la SRC. Ainsi, en 1968, on adopte une nouvelle loi pour régler certaines ambiguïtés. Le pouvoir d'émettre des licences est délégué au Conseil de la radio-télévision canadienne. De plus, la nouvelle loi place la CÂBLODISTRIBUTION, déjà solidement établie dans bon nombre de villes, sous la juridiction du nouvel organisme de réglementation que l'on renomme CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES (CRTC) en 1976.

Le CRTC se montre plus acharné que le BGR dans ses efforts pour que le système de la radiodiffusion canadienne soit, aux termes de la loi, « possédé et contrôlé effectivement par des Canadiens de façon à sauvegarder, enrichir et raffermir la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada », que la programmation soit « de haute qualité et utiliser principalement des ressources canadiennes créatrices et autres ». La SRC n'a aucune difficulté à satisfaire aux normes du CRTC quant au contenu canadien de la programmation et arrive même à les dépasser. Toutefois, les stations et les réseaux privés se conforment peu aux normes minimales, surtout aux heures de grande écoute. Combinées aux effets de l'importation par câble d'émissions américaines, ces normes minimales ont pour résultat que l'on offre plus d'émissions américaines que canadiennes aux téléspectateurs canadiens.

Il est clair que le CRTC n'avait pas l'intention d'augmenter le temps d'antenne réservé aux émissions américaines. Pourtant, c'est ce qui se produit. Ceci s'explique de plusieurs façons, mais surtout par la décision, influencée par la demande du public, de permettre aux entreprises de câblodistribution du Canada d'importer, dans un premier temps, les principaux réseaux américains, puis, au cours des années suivantes, bon nombre d'autres canaux de câblodistribution américains et de télévision payante. Ainsi, les services américains de programmation (ABC, NBC, CBS, PBS, Fox Network, CNN et divers canaux spécialisés) sont offerts presque partout.

En plus des stations et des réseaux canadiens régionaux déjà existants, le CRTC accorde une licence à Global Television, qui aspire maintenant à devenir le troisième réseau national destiné aux téléspectateurs anglophones. Il décerne aussi des licences à une vingtaine de canaux spécialisés ou plus, lesquels diffusent des émissions d'information, de musique populaire, d'art, de sciences naturelles et des émissions pour les jeunes, ainsi qu'à des canaux spécialisés dans la diffusion de films (à la télévision payante). Cela a pour résultat de fragmenter le marché. Ainsi, ni la SRC ni CTV ne possèdent plus le nombre de téléspectateurs qu'ils avaient autrefois.

De plus, en raison de la définition trop large des « heures de grande écoute » adoptée par le CRTC (de 18 h à minuit), les radiodiffuseurs privés peuvent concentrer leur contenu américain à l'intérieur de ce temps d'écoute, de 19 h à 23 h. Tout cela contribue à l'augmentation du nombre de personnes qui regardent des émissions américaines, qui atteint près de 75 p. 100 chez celles qui captent des émissions de langue anglaise. La situation est moins grave au Canada français, où environ 60 p. 100 des émissions sont d'origine canadienne. Toutefois, même au Québec, la proportion d'émissions étrangères augmente.

La SRC continue de diffuser un grand nombre d'émissions canadiennes à la radio et à la télévision, en anglais et en français, à l'échelle régionale et nationale. Contrairement aux stations privées, ses réseaux de télévision diffusent un contenu principalement canadien aux heures de grande écoute. Au Québec, le réseau privé TVA partage davantage sa programmation à parts égales entre les contenus canadien et américain. Par conséquent, il constitue une source importante d'émissions destinées aux téléspectateurs francophones.

La radio et la télévision aideront-elles à sauvegarder la souveraineté culturelle du Canada? Cette question se pose toujours et devient de plus en plus complexe à mesure que la technologie progresse. Le Canada s'est doté des plus importantes installations de transmission du monde, mais il s'en sert en grande partie au profit de l'industrie américaine du divertissement. Les gouvernements canadiens cherchent maintenant un moyen de créer un réseau national d'information utilisant toutes les ressources des systèmes modernes de TÉLÉCOMMUNICATIONS. Pour ce qui est de la radiodiffusion, on entrevoit la possibilité (à compter de mars 1996) de remplacer le câble par des systèmes de diffusion par satellite. Un service de diffusion par satellite est actuellement en activité sous l'autorité du CRTC.

En 1985, un nouveau gouvernement conservateur nomme un groupe de travail coprésidé par Gerald CAPLAN et Florian Sauvageau pour le conseiller sur les modifications à apporter aux politiques en matière de radiodiffusion. Le groupe, composé de sept membres, dépose un rapport unanime. Selon eux, toutes les entreprises de radiodiffusion devraient faire partie d'un système composite et tous les titulaires de licence devraient être considérés comme des fiduciaires du public canadien, un principe déjà établi par des organismes précédents tels que les commissions Massey et Fowler. La SRC devrait jouer un rôle central afin de s'assurer que les citoyens du pays aient accès à un système de radiodiffusion véritablement canadien. Toute nouvelle loi devrait continuer de la reconnaître comme le service national de radiodiffusion, qu'elle diffuse à la radio ou à la télévision, en anglais ou en français. Les bases de son financement devraient être assurées pour la même durée que ses licences de station et de réseau. Il peut être nécessaire que le réseau de télévision de la SRC demeure en partie commercial mais, dès que possible, il devrait diminuer progressivement la diffusion d'émissions américaines. Le CRTC devrait établir des conditions relatives à l'émission de licences pour s'assurer que, à l'avenir, les stations et les réseaux privés consacrent davantage de ressources aux émissions canadiennes.

L'État devrait accorder une certaine dose de soutien et de protection à l'ensemble du secteur privé, en échange de quoi chaque composante contribuerait aux objectifs du système de radiodiffusion. En fait, le secteur privé de la télévision a l'appui du public, ce qui l'avantage de deux façons principales. En vertu de la politique de substitution simultanée des émissions, le CRTC autorise les entreprises de câblodistribution à substituer une émission américaine diffusée par une station locale, y compris les publicités vendues par la station ou le réseau canadien, si celle-ci est diffusée à la même heure sur les ondes d'une station américaine. De cette façon, les radiodiffuseurs canadiens profitent d'un public plus vaste et les frais liés à la production d'émissions canadiennes qui en découlent sont réduits grâce à l'aide financière accordée par Téléfilm Canada et son Fonds pour la production d'émissions.

Des comités de la Chambre des communes composés de représentants de tous les partis examinent en détail le rapport du groupe de travail avant l'adoption d'une nouvelle Loi sur la radiodiffusion au début de 1991. En général, cette loi accepte les recommandations émises par Caplan et Sauvageau sur les objectifs relatifs à la diffusion d'un contenu canadien. Quant au CRTC, il accepte une recommandation voulant que la SRC obtienne une licence afin d'exploiter une chaîne d'information (Newsworld en anglais et RDI en français). Toutefois, le gouvernement refuse de se plier à la recommandation voulant qu'il accorde un financement stable et à plus long terme à la SRC.

Des compressions budgétaires successives entamées en 1986 à la SRC l'obligent en fait à dépendre davantage des revenus de la publicité. Le gouvernement libéral élu en 1993 promet d'accorder un financement stable et pluriannuel à la SRC, mais il ne tient pas sa promesse.

En 1995, le ministre du Patrimoine canadien demande à un comité composé de trois membres (présidé par Pierre Juneau) de revoir le mandat et la performance de la SRC, de l'Office national du film et de Téléfilm Canada. Dans son rapport intitulé Faire entendre nos voix, le Comité d'examen des mandats demande que la SRC soit principalement non commerciale, qu'elle poursuive sa performance satisfaisante dans le domaine de la radio, qu'elle améliore sa performance dans le domaine de la télévision et, encore une fois, qu'on mette en place un système pluriannuel de financement à l'intention de la SRC pour remplacer les crédits parlementaires annuels. Le gouvernement de Jean Chrétien étudie cette recommandation à une époque où l'existence du Canada en tant que fédération unie semble fragile, mais elle reste lettre morte.

Radio et télévision canadiennes au XXIe siècle

La manière d'affronter les difficultés que représente le maintien d'une forte présence culturelle canadienne face à l'explosion de la technologie reste imprécise. D'un côté, la guerre au déficit menée par le gouvernement libéral fait en sorte que le financement à long terme de la SRC demeure incertain. La démission du président de la SRC, Anthony Manera, en 1995, pour protester contre les compressions budgétaires a peu d'effet, même si elle ramène la question de la capacité du diffuseur de contribuer à une identité nationale distincte. D'un autre côté, l'important projet du gouvernement Chrétien d'explorer les répercussions de l'autoroute de l'information témoigne d'une volonté politique de renforcer la souveraineté et l'identité culturelle canadiennes.

À la fin du XXe siècle, la scène déjà fort active des communications devient de plus en plus encombrée et complexe. L'essor des possibilités techniques des années 1990 dépasse à lui seul tous les progrès effectués depuis le premier appel téléphonique interurbain. Et, conformément aux prédictions de l'industrie, le bouillonnement technologique bouleverse totalement les notions et pratiques de « diffusion », entraîne une fragmentation de l'auditoire et rend les frontières culturelles encore plus perméables.

C'est dans ce contexte que se rouvre le vieux débat sur l'intervention du CRTC : devrait-il réglementer afin d'accroître les possibilités de la diffusion tout en protégeant la culture canadienne et, si oui, de quelle manière?

Jusque-là, le CRTC juge plutôt réussi son régime conventionnel de télédiffusion par la voie des ondes. Dans les données qu'il a en main, il prétend voir des signes de réussite : l'auditoire des émissions canadiennes de langue anglaise est passé de 27 à 33 p. 100 de 1992 à 1997; au Québec, huit des dix émissions francophones ayant le plus grand auditoire sont canadiennes; les dramatiques anglophones sont plus accessibles et plus écoutées grâce à la « canadianisation » de l'horaire de la SRC aux heures de grande écoute.

Tablant sur ces indices favorables, le CRTC tient une série de consultations visant à examiner ses règles en matière de télévision privée et publie, en 1999, La politique télévisuelle au Canada : Misons sur nos succès. Il y énonce les cinq principes qui sous-tendent le réaménagement de son cadre réglementaire : renforcement de la diffusion d'émissions canadiennes aux heures de grande écoute; élargissement des catégories d'émissions prioritaires; apport de financement aux dramatiques canadiennes; obligation d'avoir un intérêt local et régional et conservation des normes en vigueur de contenu canadien.

Au fil des années, la réglementation du contenu canadien par le CRTC ne manque pas de soulever la controverse, et le débat se poursuit au XXIe siècle. La politique de 1999 sur la télévision met de l'huile sur le feu; certains trouvent qu'elle ne protège pas encore suffisamment une programmation dramatique canadienne distincte. Comme le note le rapport de 2003 du Comité du patrimoine canadien, Notre souveraineté culturelle : Le deuxième siècle de la radiodiffusion canadienne, les critiques croient que les règles de l'organisme de réglementation sur la télévision permettent aux diffuseurs privés de camoufler le contenu canadien, de remplacer les dramatiques par des émissions moins chères, par exemple de télé-réalité, et de laisser la place aux émissions américaines aux heures de grande écoute. Un autre rapport, Options dramatiques : Un rapport sur les dramatiques canadiennes de langue anglaise, préparé pour le CRTC et Téléfilm Canada, juge la situation préoccupante. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que la question ne soit pas encore réglée et les voix continuent de se faire entendre pour ou contre un soutien financier accru et une réglementation favorable à une programmation canadienne distincte.

Tout comme les dramatiques canadiennes distinctes servent d'indice important pour l'industrie de la télédiffusion, la force de l'industrie canadienne de la musique est perçue comme un indice de réussite par l'industrie de la radio. D'après ce succès, on estime en général que le CRTC a bien géré la réglementation de la radio, malgré les difficultés croissantes dues à l'évolution du contexte de diffusion et au vieux débat sur l'obligation d'un contenu imposé par le CRTC.

C'est en 1971 que la commission impose des normes de contenu canadien pour la musique populaire, et ces normes demeurent la pierre angulaire de la démarche réglementaire du CRTC jusqu'à la fin des années 1990. En 1998, les normes sont renforcées après un examen de la politique du CRTC sur la radio commerciale : le minimum hebdomadaire exigé de musique canadienne est passé de 30 à 35 p. 100 pour la radio anglophone et de 55 à 65 p. 100 pour les diffuseurs francophones. Le minimum quotidien de 6 h à 18 h est fixé à 35 p. 100 pour la radio en anglais et à 55 p. 100 pour la radio en français.

Le suivi est sporadique et le degré de conformité aux normes est difficile à mesurer au fil des années. Toutefois, on attribue aux exigences du CRTC l'épanouissement de l'industrie de la musique populaire canadienne à un moment charnière de son évolution. En 2006, la politique sur la radio commerciale est revue et, malgré des avis divergents, dont ceux officiels de deux commissaires du CRTC qui suggèrent une augmentation des normes, en particulier pour la bande FM à succès, la majorité des commissaires choisit de conserver les pourcentages établis en 1998 pour la radio commerciale. Par ailleurs, la norme du contenu de musique populaire hebdomadaire pour les stations de la CBC/Radio Canada est fixée à un minimum de 50 p. 100.

À la fin de 2008, les Canadiens peuvent choisir parmi plus de 1200 services radio/audio, dont 60 p. 100 émanent de diffuseurs privés. La CBC/SRC fournit près de 10 p. 100 de l'ensemble des services au moyen de ses réseaux nationaux (Radio One et Radio Two en anglais, La Première Chaîne et Espace musique en français) ainsi que de son service nordique, de son service audio (Galaxie) et de son partenariat dans un service de radio satellite.

Bien que la technologie numérique, la radio satellite et les plateformes internet favorisent la prolifération des modes alternatifs de livraison, les données du CRTC révèlent que les taux d'écoute demeurent stables pour la radio privée conventionnelle, où les revenus publicitaires continuent de former une composante essentielle des profits de toute l'industrie. Les cinq plus grands exploitants de la radio de langue anglaise se partagent 72 p. 100 de ces revenus tandis que, pour la radio en français, les trois exploitants les plus importants en reçoivent 82 p. 100.

La concentration des revenus reflète la concentration de la propriété, dont la croissance se maintient. Les règlements de 1998 du CRTC favorisent la consolidation de l'industrie en lui permettant de renforcer son rendement global, d'attirer de nouveaux investissements et d'affronter plus efficacement la concurrence des autres médias. En dépit des préoccupations quant à ses effets nuisibles sur les émissions de nouvelles locales, la réglementation permet à un propriétaire de contrôler jusqu'à quatre stations dans les grands marchés et trois dans les plus petits marchés, avec un maximum de deux par bande de fréquence. Quand sa politique sur la radio est revue en 2006, le CRTC conserve l'exigence d'un tiers de programmation locale pour les stations FM des marchés compétitifs et un système d'examen au cas par cas pour les stations AM. Cependant, la commission tente de répondre aux inquiétudes pour les émissions locales en précisant que la programmation locale doit comprendre des nouvelles locales, la météo et des émissions de sports qui viennent de la station elle-même ou sont produites séparément et exclusivement pour la station elle-même, en excluant les émissions reçues d'une autre station et retransmises simultanément ou à un autre moment.

Lorsqu'il réexamine ses règles sur la propriété en 2008, le CRTC reconnaît que la domination du marché n'est pas seulement une question économique, mais qu'elle a aussi des implications sociales et culturelles. Néanmoins, la commission conclut qu'il y a une « diversité de voix » appropriée dans l'industrie de la radio commerciale privée et décide de ne pas changer sa politique. Elle fait la même constatation sur sa politique de propriété commune de la télévision par ondes hertziennes, qui permet à un propriétaire d'avoir une station dans une seule langue dans un seul marché.

Le CRTC annonce un changement à la réglementation touchant d'autres problèmes tels que la propriété croisée des médias, la propriété commune de services télévisés facultatifs et la propriété commune des entreprises de distribution de radiodiffusion qui desservent un seul marché. Comme rien n'est établi à ce sujet jusque-là, la commission impose des règles destinées à empêcher un seul propriétaire de dominer un marché local de diffusion, aussi bien sur le plan des services facultatifs que des stations à ondes hertziennes, et de contrôler toutes les entreprises de câble et de satellite dans un marché donné.

Dans le domaine de la propriété croisée, de nouvelles règles sont créées en vue d'empêcher une seule entité de contrôler plus de deux genres de médias locaux (station de radio, de télé, journal) desservant le même marché. Quiconque contrôle une station de radio et de télévision locales et acquiert par la suite un journal doit justifier le renouvellement de sa licence de radio ou de télé dès que possible. Cette politique sur la propriété croisée laisse la porte ouverte à une possibilité de consolidation et est durement critiquée dans certains milieux. On craint que la tendance vers la concentration des médias, commencée au tournant du siècle, s'accélère et que les Canadiens se retrouvent avec un éventail de choix éditoriaux et journalistiques plus restreint.

Lors de la crise financière de 2008-2009, les conglomérats de médias sont forcés à réévaluer les actifs acquis au cours de la décennie précédente. Le repli de l'économie survient dans la foulée d'un retournement drastique du modèle d'affaires traditionnel des réseaux de télévision. Les « économies d'échelle » espérées de la concentration des médias ne se concrétisent pas et les frontières entre les plateformes de l'offre médiatique continuent à s'embrouiller, les auditoires à se fragmenter et les annonceurs à se retirer. Pendant que l'industrie cherche des moyens d'atténuer les effets de la crise sur ses bilans financiers, le CRTC entre dans l'arène au nom des consommateurs. En septembre 2009, le gouvernement conservateur ordonne à la commission de tenir des audiences publiques sur les redevances de diffusion; la question consiste à savoir si les entreprises de câble et de satellite devraient payer des redevances aux diffuseurs hertziens pour retransmettre leur signal local. Le CRTC reçoit l'ordre de tenir compte de l'effet qu'aurait un régime de redevances sur les consommateurs et leur accès aux émissions de nouvelles locales. D'un côté, on craint la fermeture des stations de télévision non rentables dans les petits marchés si les diffuseurs ne reçoivent pas de redevances. De l'autre, on craint que les distributeurs transfèrent tout simplement les coûts additionnels aux consommateurs.

À la fin de 2009, se pose au CRTC le problème de la transition à la télévision numérique au Canada. Il fixe au 31 août 2011 le passage du mode analogique au mode numérique. On estime que, à cette date, il y aura encore 11 millions de Canadiens utilisant la réception gratuite par ondes hertziennes qui seront touchés par la fin de la gratuité au Canada. Par exemple, la SRC, qui possède actuellement 600 transmetteurs terrestres analogiques et atteint presque 100 p. 100 du public, prévoit que les 27 transmetteurs numériques qui devraient être en service atteindront moins de Canadiens, environ 90 %, d'ici la fin de 2012. Ce sera donc une date symbolique importante dans le développement de la télédiffusion au Canada, car le système qui concevait la télévision gratuite comme un service national essentiel mettra dès lors l'accent sur la distribution télévisuelle en tant que produit.

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