La Province House, située à Charlottetown, abrite l'Assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard. L'édifice de style néo-classique a été conçu par Isaac Smith et construit entre 1843 et 1847. En 1964, l'édifice accueille la Conférence de Charlottetown, au cours de laquelle s'amorcent les discussions officielles du projet de Confédération entre le Canada et les colonies des Maritimes.
Débuts du gouvernement
Au milieu des années 1760, le plan de développement de la Grande-Bretagne pour sa nouvelle colonie de l'Île-du-Prince-Édouard, qui porte alors le nom d'Île St-Jean, prévoit diviser l'île en 67 lotissements privés de 20 000 acres et les allouer à des propriétaires qualifiés, qui assument la responsabilité de coloniser les terres. Au cours du siècle qui suit, les problèmes découlant du système de tenure à bail des terres dominent la politique de l'île. Toutefois, le système a une conséquence favorable. À l'époque, la colonie fait partie de la Nouvelle-Écosse et est administrée à partir d'Halifax. En 1968, les nouveaux propriétaires dans l'île exigent que l'on fasse de « leur » une entité distincte. Londres acquiesce à leur demande et, en 1769, l'île obtient sa propre administration civile, qui comprend une Chambre d'assemblée élue et un conseil législatif nommé. La première élection générale se tient en 1773.
Locaux temporaires
Puisqu'il n'y a pas d'édifice expressément conçu pour l'héberger, la première réunion de la Chambre d'assemblée a lieu dans une taverne locale. L'une des premières motions présentées à la Chambre vise à imposer une amende pour outrage au portier de la taverne, car on l'avait entendu marmonner « Ce parlement est mauditement étrange ».
La Chambre siège dans des tavernes et des résidences privées jusqu'à ce qu'elle emménage, en 1812, au deuxième étage du nouveau palais de justice sis au Queen Square. Les nouveaux locaux, qui servent aussi d'espace public de réunion lorsque la chambre ne siège pas, sont exigus, mais au moins, la Chambre a enfin un endroit où élire domicile.
Financement
Le processus de collecte de fonds pour la construction d'un édifice amélioré abritant le palais de justice et le parlement illustre à quel point la question de la propriété foncière domine la politique. En 1837, la Chambre adopte une loi sur les impôts fonciers pour lever les fonds nécessaires à la construction d'un nouvel édifice. Dans les années 1830, le gouvernement avait fait de même à plusieurs reprises pour construire une résidence vice-royale (Maison du Gouvernement) et une école supérieure (Central Academy).
Toutefois, la loi de 1837 propose aussi de taxer les terrains non aménagés. Les partisans de la réforme foncière jugent qu'il s'agit d'un juste retour des choses envers les propriétaires fonciers non-résidents n'ayant pas respecté les modalités initiales de l'attribution des terres. Par contre, les propriétaires fonciers y voient une atteinte à leurs droits de propriété et intentent un appel auprès du gouvernement britannique à Londres. Londres statue en faveur de la colonie, lui permettant de lever l'impôt. L'appel d'offres pour la conception du nouvel édifice de la législature est lancé à l'été 1839.
L'appel d'offres spécifie qu'il doit s'agir d'un édifice de brique ou de pierre conçu pour loger une bonne partie du gouvernement de la colonie : des chambres pour la Chambre d'assemblée, le Conseil législatif et la Cour suprême ainsi que leurs fonctionnaires associés, des bureaux pour les cadres supérieurs, des tribunes publiques, une bibliothèque et des placards à l'épreuve du feu pour l'archivage des documents importants.
Conception et construction
Le maître d'oeuvre Isaac Smith remporte l'appel d'offres. Originaire d'Angleterre, il avait immigré à l'Île-du-Prince Édouard en 1817. En 1839, son portfolio compte déjà de nombreux édifices publics, notamment trois prisons provinciales, l'école Central Academy et la Maison du Gouvernement. Rien n'indique qu'il ait reçu une formation reconnue en architecture.
La Province House, nom qu'adoptera l'édifice, est son chef-d'oeuvre. Construit entre 1843 et 1847, l'élégant édifice de style néoclassique est imposant. Il s'agit du seul édifice dont la silhouette se démarque parmi les clochers d'église qui dominent le paysage de la ville. Le coût de l'immeuble s'élève à 16 838 livres anglaises. (Pour mettre cette somme en perspective, les exportations d'avoine, produit agricole le plus lucratif de la colonie à l'époque, rapportent 22 000 livres en 1847.)
La Province House fait naturellement partie de l'histoire de l'Île-du-Prince-Édouard puisque les lois sont adoptées entre ses murs et la Cour suprême y a siégé jusqu'en 1875. Cependant, c'est la chance qui lui a permis de se tailler une place de choix dans l'histoire du Canada.
Conférence de Charlottetown
En 1864, des délégués de l'Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick convergent vers Charlottetown pour discuter d'une possible union entre les colonies. Aussi, des délégués de la Province du Canada cherchant à agrandir la fédération des colonies britanniques en Amérique du Nord participent à la conférence. Ces derniers convainquent leurs homologues des Maritimes d'appuyer l'idée de la Confédération.
Les réunions se tiennent à la Province House du 1er au 7 septembre 1864. Un bal de célébration pour les délégués et leurs partenaires a lieu à la Province House le 8 septembre. Pour l'occasion, la Chambre du conseil se transforme en salle de réception, la bibliothèque sert de bar et la Chambre d'assemblée se métamorphose en plancher de danse.
L'élan donné par la Conférence de Charlottetown mène à la fondation du Canada en 1867, mais il ne suffit pas à convaincre l'Île-du-Prince-Édouard de s'y joindre. En 1865, la Chambre d'assemblée refuse fermement de négocier son adhésion à la Confédération. L'année suivante, une résolution catégorique stipule que rien ne pourrait convaincre l'île d'y adhérer.
Cependant, en 1873, alors que l'échec d'un projet ferroviaire accule l'Île-du-Prince-Édouard à la faillite, la Chambre d'assemblée vote massivement en faveur des modalités de la Confédération mise de l'avant par Ottawa. Ainsi, le 1er juillet 1873, le document proclamant l'Île-du-Prince-Édouard septième province du Canada est lu sur le balcon du portique sud de la Province House.
Vocation contemporaine
En 1966, la Province House est désignée lieu historique national. Elle est unique en ce sens qu'elle sert encore aujourd'hui de parlement, en plus d'être le berceau de la Confédération. Encore une fois, la chance y est pour quelque chose.
En 1893, la province décide de réformer le pouvoir législatif en un parlement monocaméral, c'est-à-dire à une seule chambre. La Chambre d'assemblée et le conseil législatif fusionnent pour constituer l'Assemblée législative. Le nouvel organe se réunit dans l'ancienne Chambre d'assemblée.
L'ancienne Chambre du conseil, où la Conférence de Charlottetown avait eu lieu, se transforme en un espace de bureau et une salle de réunion fort encombrés. En 1914, un relief en bronze commémorant le 50e anniversaire de la Conférence s'ajoute au fouillis. Dans les années 1920, la pièce est surnommée Chambre de la Confédération. On y tient de petites expositions muséales et des réceptions particulières. Elle devient un incontournable pour les touristes, et elle est inscrite à l'itinéraire de presque tous les dignitaires en visite. Elle accueille même à l'occasion des veillées funéraires, la dernière étant celle du sénateur et ancien premier ministre John Walter Jones, en 1954.
Le statut grandissant de symbole de la Confédération de l'espace patrimonial qu'est la Chambre fait en sorte que ses autres fonctions sont peu à peu délaissées. Depuis les années 1950, elle est l'une des attractions touristiques les plus populaires de l'Île-du-Prince-Édouard.