Préjugés et discrimination au Canada | l'Encyclopédie Canadienne

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Préjugés et discrimination au Canada

Le terme « préjugé » désigne un jugement négatif non confirmé porté a priori sur des gens ou des groupes en raison notamment de leur ethnicité, de leur religion ou de leur race.
Komagata Maru
En 1914, l'arrivée du « Komagata Maru » à Vancouver, avec à son bord des immigrants des Indes orientales, provoque de violentes manifestations à Vancouver. Résultat : on leur refuse l'autorisation de séjour.
(avec la permission de la Vancouver Public Library)

En 1914, l'arrivée du \u00ab Komagata Maru \u00bb \u00e0 Vancouver, avec \u00e0 son bord des immigrants des Indes orientales, provoque de violentes manifestations \u00e0 Vancouver. Résultat : on leur refuse l'autorisation de séjour (avec la permission de la Vancouver Public Library).

Le terme « préjugé » désigne un jugement négatif non confirmé porté a priori sur des gens ou des groupes en raison notamment de leur ethnicité, de leur religion ou de leur race (voir Racisme). La discrimination est l'exclusion d'individus ou de groupes d'une participation sociale entière en raison de préjugés. Bien que les préjugés et la discrimination existent depuis fort longtemps au Canada, des efforts ont été déployés au cours des dernières générations pour faire du pays une mosaïque de peuples et de cultures. La constitution garantit l'égalité au moyen de la Charte des droits et libertés.

Début de la colonisation

Au Canada, les préjugés existent depuis les débuts de la colonisation. En effet, les relations entre les Autochtones et les colonisateurs européens arrivés en Amérique du Nord au cours des XVIIe et XVIIIe siècles sont déjà marquées par des préjugés. Les Européens entretiennent une vision complexe et ambivalente à l'égard des Autochtones, certains les considérant comme de « nobles sauvages » et d'autres, comme des barbares inhumains. Malgré les différences importantes qui caractérisent les relations entre Autochtones et Français et celles entre Autochtones et Britanniques avant la confédération, dans les deux cas, les intérêts économiques liés à la traite des fourrures permettent d'instaurer des relations de travail acceptables entre les colonisateurs et les Autochtones. Cependant, l'expansion de la colonisation entraîne une détérioration de ces liens, car les Autochtones sont peu à peu perçus comme étant un obstacle au développement économique plutôt qu'un appui.

À la suite de la création des premières colonies européennes et de la conquête britannique de 1759-1760, et en raison de l'isolement géographique des populations autochtones, les relations entre les Autochtones et les Blancs perdent graduellement de leur importance par rapport à celles qui existent entre les puissances coloniales. La coopération et les rivalités économiques, politiques, sociales et religieuses entre les colons français et britanniques façonnent une grande partie du développement du Canada depuis les années 1750. Il existe des préjugés et de la discrimination dans les deux camps. Toutefois, puisqu'ils partagent une culture occidentale basée sur la technologie, la nature de leurs relations et les genres de préjugés et de discrimination qui les caractérisent sont fort différents de ceux qui marquent les rapports entre les Autochtones et les colons.

Arrivée d'immigrants

Au Canada, le nombre de personnes d'origine autre que britannique, française ou autochtone reste limité jusqu'à l'arrivée de vagues d'immigrants, surtout dans l'Ouest, à la fin du XIXe siècle. La plupart des Canadiens anglophones considèrent cette immigration non britannique et non française avant tout comme un moyen d'accélérer le développement économique du pays. Toutefois, d'autres s'inquiètent de l'impact social et économique de cette immigration non britannique et s'opposent à une politique d'immigration ouverte. Le Canada français s'y oppose en faisant valoir qu'une telle politique minerait davantage son statut à l'intérieur de la Confédération. La plupart des Canadiens anglophones partagent les mêmes préjugés en ce qui a trait aux avantages relatifs qu'apportent les différents groupes d'immigrants.

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la croyance en l'avancement et en la suprématie de la race blanche est prise pour acquis en Occident. Bon nombre de Canadiens anglophones estiment que les peuples anglo-saxons et les principes britanniques de gouvernement constituent le sommet de l'évolution biologique et que la grandeur du Canada repose sur son héritage anglo-saxon (voir Impérialisme). Leur évaluation de la désirabilité d'un groupe dépend donc presque directement du degré de conformité de ses membres par rapport au type physique et à la culture britannique. Les immigrants britanniques et américains sont au sommet de l'échelle. Viennent ensuite les immigrants de l'ouest et du nord de l'Europe, ceux de l'Europe centrale et orientale, puis les Juifs et les immigrants du sud de l'Europe. Presque au bas de cette échelle hiérarchique, on trouve les sectes religieuses pacifistes, notamment les huttérites et les mennonites de langue allemande, et les doukhobors parlant le russe. Ces derniers groupes sont regroupés sous une même étiquette, tant par les fonctionnaires que par le grand public. Leur isolation sociale rend leur intégration problématique, leur zèle au travail et leur sens de l'économie en font de redoutables concurrents commerciaux, et leur pacifisme soulève des doutes quant à leur loyauté envers le Canada.

Expérience noire et asiatique

Tout au bas de l'échelle, on trouve les Noirs et les immigrants asiatiques, les Chinois, les Canadiens d'origine japonaise et les Asiatiques du Sud. On les considère comme inférieurs et non assimilables. Les Canadiens de race noire font l'objet de nombreux préjugés avant la Confédération. Bien que plusieurs s'y opposent, l'esclavage est pratiqué en Nouvelle-France et en Amérique du Nord britannique. Dans les années 1860, on compte 40 000 Noirs au Canada, parmi lesquels on trouve des descendants d'esclaves en Nouvelle-France, des Loyalistes, des Marrons jamaïcains, des réfugiés américains de la guerre de 1812 et des fugitifs venus dans le Haut-Canada pour échapper à l'esclavage.

Bon nombre de Canadiens s'opposent à l'esclavage pour des raisons d'ordre moral et viennent en aide aux réfugiés en provenance des États-Unis. Toutefois, beaucoup d'autres craignent l'arrivée de colons noirs, car, à leur avis, ils sont arriérés, ignorants, immoraux, criminels et représentent une menace économique. On les traite avant tout comme une source de main-d’œuvre bon marché. À la suite de l'abolition définitive de l'esclavage dans l'Empire britannique en 1833, les Noirs canadiens rencontrent moins d'obstacles juridiques, mais continuent de se heurter à de nombreux préjugés sociaux.

Les Asiatiques sont victimes de l'une des formes les plus répandues de discrimination légale alors qu'ils s'établissent en Colombie-Britannique, où prédomine un sentiment antiasiatique entre les années 1850 et les années 1950. Ils sont perçus comme étant différents et inférieurs. Les syndicats prétendent que les Asiatiques prennent les emplois des Blancs et qu'ils abaissent le niveau de vie de tous les travailleurs, car ils acceptent de travailler pour un salaire moindre que les travailleurs blancs. La plupart des syndicats ne permettent pas aux Asiatiques de joindre leurs rangs. De plus, les employeurs ont pour politique de les payer moins que les autres travailleurs.


En Colombie-Britannique, en raison d'une législation et de pratiques sociales discriminatoires, les Chinois, les Japonais et les Asiatiques du Sud ne peuvent voter, être membres du barreau ou pharmaciens, être élus à des fonctions publiques, être jurés ou obtenir un poste rattaché aux travaux publics, à l'enseignement ou à la fonction publique. L'opinion publique s'exprime sur la question de l'immigration asiatique à l'occasion de plusieurs émeutes violentes dirigées contre les Chinois et les Asiatiques. Les plus sérieuses se produisent à Vancouver en 1887 et en 1907. Des groupes antiasiatiques tentent également à plusieurs reprises d'exclure les Asiatiques des écoles publiques, de limiter la vente de terrains à des Asiatiques et de restreindre de façon stricte le nombre de permis délivrés aux pêcheurs japonais. En 1892 et en 1907, des émeutes antichinoises moins importantes surviennent en Alberta, au Québec, en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan au moment où ces provinces adoptent des lois interdisant aux femmes de race blanche de travailler dans des restaurants, des blanchisseries ou toute autre entreprise commerciale appartenant à des Canadiens d'origine chinoise ou japonaise.

À la fin du XIXe siècle et dans la première partie du XXe siècle, les Noirs sont également la cible d'une discrimination largement répandue dans les domaines du logement, de l'emploi et de l'accès aux services publics. Ils ont de la difficulté à être servis dans les hôtels et les restaurants ou à être acceptés dans les théâtres et les piscines. En outre, ils sont parfois confinés à des écoles séparées, particulièrement en Nouvelle-Écosse et en Ontario où ils sont en plus grand nombre. La discrimination contre les Noirs dégénère à l'occasion en actes de violence. Lors des deux guerres mondiales, les unités des forces armées sont réticentes à accepter dans leurs rangs des Noirs, des Chinois, des Japonais et des Asiatiques du Sud,ce qui n'empêche pas certains membres de ces groupes de servir finalement le pays.


Début du XXe siècle

Au même moment, l'immigration chinoise est ralentie au moyen d'une taxe d'entrée, puis interrompue avec la promulgation, en 1923, de la Loi de l'immigration chinoise. En 1907, un engagement d'honneur est conclu avec le Japon afin de restreindre l'immigration en provenance de ce pays. La même année, un décret interdit l'immigration en provenance de l'Inde. Le gouvernement adopte aussi des lois restrictives sur l'immigration en 1906, en 1910 et en 1919 pour limiter l'immigration européenne. De 1896 à la Deuxième Guerre mondiale, des nationalistes canadiens-français qualifient l'immigration à grande échelle de complot canado-britannique visant à éroder le statut du Canada français, surtout parce que l’on compte très peu de francophones parmi les immigrants.

L'immigration n'est pas un sujet aussi brûlant au Québec qu'en Ontario ou dans l'Ouest à cause du peu d'immigrants qui s'y établissent. Toutefois, en 1914, la communauté juive de Montréal est victime d'un antisémitisme virulent qui puise sa source en bonne partie dans les préjugés religieux du nationalisme canadien-français. Les Juifs sont considérés comme des exploiteurs, comme une menace à la moralité et à la civilisation chrétiennes et sont le symbole des maux que représentent l'internationalisme, le libéralisme, le bolchevisme, le matérialisme et la vie urbaine.

Des controverses publiques impliquant des francophones et des anglophones de Montréal éclatent au sujet de la place à accorder aux Juifs à l'intérieur du système scolaire confessionnel et de la législation touchant la fermeture des commerces le dimanche. L'opposition aux Juifs prend la forme de profanations de cimetières et de combats de rue occasionnels. L'hostilité des Canadiens français par rapport à l'immigration juive fait pendant à celle des ultra-protestants du Canada anglais à l'égard des immigrants catholiques originaires d'Europe, qu'ils considèrent comme des suppôts de Rome et d'éventuels alliés politiques des Canadiens français catholiques.

Au tournant du XXe siècle, les stéréotypes ethniques en vogue au Canada font ressortir les origines paysannes des immigrants venus du centre, de l'est et du sud de l'Europe et des Asiatiques. On affirme alors qu'ils sont pauvres, illettrés, porteurs de maladies, que leurs mœurs sont relâchées, qu'ils sont politiquement corrompus et peu pratiquants. La prédilection supposée des immigrants d'Europe centrale et méridionale pour l'alcool, la violence et le crime et celle des Chinois pour les drogues, les jeux d'argent et les femmes blanches sont des images profondément ancrées dans la société dominante. Les insultes à caractère ethnique sont fort répandues avant les années 1950.

Persécution en temps de guerre

La discrimination est l'un des facteurs qui engendre une mosaïque verticale des occupations et des revenus au Canada. Les Britanniques s'y trouvent au sommet alors que l’on confie des emplois subalternes aux Chinois et aux Noirs, au bas des échelons. Les groupes non britanniques et non français disposent d'une très faible puissance économique, de sorte qu'ils ne parviennent à effectuer de percées importantes au niveau des échelons intermédiaires de la politique, de l'enseignement ou de la fonction publique qu'après la Deuxième Guerre mondiale (voir Élites).

Le degré de préjugés et de discrimination à l'endroit des immigrants de race blanche n'est égal à celui dont sont l'objet les minorités non blanches que lors des périodes de nationalisme intense engendrées par la guerre. Pendant la Première Guerre mondiale, les Allemands et les immigrants originaires de l'Empire austro-hongrois sont victimes de persécutions et de préjugés. Les « étrangers ennemis » sont congédiés, certains sont placés sous surveillance policière ou gardés à l'intérieur de camps d'internement. Leurs écoles de langue et beaucoup de leurs églises sont fermées. On censure d'abord leurs journaux avant de les supprimer peu à peu. Durant la guerre, des soldats et de civils émeutiers attaquent les locaux de clubs privés et d'entreprises appartenant à des Allemands. On présume que l'allégeance et l'uniformité culturelle et linguistique sont synonymes.

L'opposition aux sectes religieuses pacifistes s'intensifie également pendant la guerre, pour aboutir, en 1919, à un décret (abrogé au cours des années 1920) qui interdit spécifiquement l'entrée au pays aux membres de ces groupes. De 1919 à 1953, les doukhobors de la Colombie-Britannique sont privés du droit de vote. La même mesure est en vigueur au niveau fédéral de 1934 à 1955. Le retour des anciens combattants de la Première Guerre mondiale et la dépression économique qui marque l'après-guerre poussent l'hostilité contre ces sectes pacifistes à son maximum et contribuent à répandre l'idée que le radicalisme politique des immigrants constitue une menace à la vie nationale. On cesse de percevoir les immigrants d'origine slave comme « d'impassibles paysans » et on les considère comme de dangereux révolutionnaires.

Au début des années 1920, on classe officiellement les immigrants originaires d'Europe centrale, méridionale et orientale à l'intérieur des catégories d'immigrants « non préférentielles » et « restreintes ». Toutefois, au milieu des années 1920, en réaction aux pressions publiques, le gouvernement fédéral assouplit les restrictions sur l'immigration en provenance d'Europe de manière à favoriser le développement économique. À la fin de la décennie, le gouvernement fédéral permet à plus de 185 000 immigrants originaires de l'Europe orientale et centrale et mennonites de s'installer au Canada pour travailler comme agriculteurs, ouvriers agricoles et domestiques.

Réactions défavorables

Cette nouvelle vague d'immigration ravive les préjugés. Des organisations telles que le Ku Klux Klan (KKK), les Fils natifs du Canada et l'Ordre d'Orange prennent à partie les nouveaux immigrants en qui elles voient une menace au caractère « anglo-saxon » du Canada. Plusieurs de ces organisations, surtout le KKK, s'opposent aussi à la venue d'immigrants catholiques.

Au début des années 1920, le Klan commence à s'organiser à Montréal, en Ontario, en Colombie-Britannique et au Manitoba. Vers la fin de la décennie, le nombre de ses adhérents en Saskatchewan atteint 20 000. Le Klan incite au boycottage des hommes d’affaires catholiques, intimide des politiciens qui paraissent favorables aux intérêts français ou catholiques, s'oppose à la politique fédérale sur l'immigration, lutte contre les écoles catholiques et tente d'empêcher les mariages interraciaux et ceux entre catholiques et protestants. Le Klan acquiert suffisamment d'autorité en Saskatchewan pour contribuer à la défaite des libéraux lors de l'élection provinciale de 1929.

Un cercle vicieux fait de préjugés et de discrimination prend davantage forme durant les années 1930. La discrimination qui touche les non Anglo-Saxons les incite à appuyer des mouvements politiques radicaux, par exemple le communisme (voir Parti Communiste du Canada) et le fascisme, ce qui a pour effet d'accroître la discrimination à leur endroit. Entre 1930 et 1935, le premier ministre R.B. Bennett a recours à la déportation pour contrecarrer les appuis dont bénéficient les communistes. À l'occasion de conflits de travail qui sévissent dans l'ouest du Canada et en Ontario pendant la grande dépression, les forces ouvrières à prédominance non anglo-saxonne sont souvent aux prises avec une administration anglo-canadienne qui s'efforce de détruire la solidarité ouvrière et de jeter le discrédit sur les grévistes en évoquant leurs origines étrangères.

Deuxième Guerre mondiale

Au cours des années 1930, les Juifs sont victimes de discrimination sociale. Elle prend la forme de restrictions officieuses en matière de logement, de contingents dans les facultés universitaires et d'exclusion des clubs sociaux, des plages et des endroits de villégiature réservés à l'élite à Montréal, à Toronto et à Winnipeg. L'antisémitisme influence aussi les politiques d'immigration du pays. Le Canada ferme ses portes aux immigrants juifs au moment où ils sont désespérément à la recherche d'un refuge pour fuir la persécution nazie en Europe.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Germano-Canadiens, les Italo-Canadiens et les membres de sectes pacifistes font aussi face à de l'hostilité à leur égard. Dans les régions rurales de la Colombie-Britannique au cours des années 1920 et 1930, les préjugés populaires à l'égard des doukhobors sont renforcés par les attitudes engendrées par la guerre. En 1942, le gouvernement de l'Alberta vote une loi interdisant toute vente de terrain aux huttérites pour la durée de la guerre. De 1947 à 1972, il promulgue des restrictions relatives à la quantité de terrains que peuvent posséder les colonies huttérites et aux régions de la province dans lesquelles on leur permet de se développer.

L'hostilité à l'égard des Canadiens d'origine japonaise, tant avant que pendant la Deuxième Guerre mondiale, est continue, répandue et profonde, particulièrement en Colombie-Britannique. Des vagues de sentiments antijaponais déferlent sur la province en 1937-1938, en 1940 et en 1941-1942. L'attaque de Pearl Harbor par le Japon déclenche un violent courant d'hostilité à l'endroit des Canadiens d'origine japonaise. En février 1942, le gouvernement fédéral oblige tous les Japonais à quitter la côte du Pacifique. Quelque 22 000 Canadiens d'origine japonaise sont relogés loin de la côte en Colombie-Britannique et dans d'autres provinces, où ils continuent à souffrir de préjugés raciaux. Le gouvernement vend leurs biens pour empêcher leur retour à la fin de la guerre. En 1945, le gouvernement encourage également les Canadiens d'origine japonaise à demander leur déportation, et après la guerre, il donne suite à ces projets. Des pressions considérables exercées par des groupes de défense des droits civils entraînent finalement, en 1947, le retrait des ordres de déportation, la remise de compensations partielles pour les pertes de biens et, en 1949, l'annulation des restrictions qui empêchent les Japonais de retourner dans la région du littoral (voir Libertés civiles).

Néanmoins, plusieurs événements survenus pendant et après la guerre érodent certains préjugés à l'égard des groupes minoritaires. Les Canadiens d'origine chinoise et ukrainienne acquièrent une nouvelle respectabilité grâce à leur appui à l'effort de guerre. La participation de toutes les couches de la société aux industries de guerre ébranle les barrières sociales. De plus, la répugnance que suscitent Hitler et le nazisme entraîne finalement une réaction contre le concept hitlérien de supériorité raciale et contre les manifestations publiques d'antisémitisme.

L'adhésion du Canada à la Charte de l'Organisation des Nations unies, en 1944, et à la Déclaration universelle des droits de l'homme, en 1948, a pour effet d'étaler les politiques discriminatoires du Canada au grand jour. À la suite de l'action énergique de divers groupes de pression asiatiques et d'une opinion publique sans cesse plus favorable, on accorde finalement le droit de vote aux Asiatiques (les Asiatiques du Sud et les Chinois en 1947, les Japonais en 1949). De plus, on fait disparaître l'interdiction qui touche l'immigration des Chinois et des Asiatiques du Sud, bien que seuls les enfants et les femmes de citoyens canadiens actuels soient autorisés à immigrer.

Héritage

L'immigration après 1945 favorise encore les Européens, même si le gouvernement permet un léger contingent d'immigrants en provenance de l'Inde, du Pakistan et de Ceylan (1951). Les immigrants arrivés après la Deuxième Guerre mondiale sont mieux acceptés, en partie parce que plusieurs d'entre eux sont plus instruits et possèdent un métier. L'éclatement des postulats intellectuels et de la respectabilité sociale du racisme anglo-saxon est sans doute le facteur le plus important qui entraîne une plus grande tolérance à l'endroit des immigrants des années 1950 et 1960, avec pour conséquence l'adoption de lois provinciales et de codes relatifs aux droits de la personne, l'adoption par le fédéral de la Déclaration canadienne des droits (1960) et la création de commissions des droits de la personne. Ce changement d'attitude découle du dégoût suscité par le racisme d'Hitler, du déclin de la Grande-Bretagne en tant que puissance mondiale et de la montée des mouvements de droits civiques aux États-Unis. La prospérité des années 1950 et 1960 facilite la progression socio-économique des non Anglo-Saxons des deuxième et troisième générations et favorise l'affaiblissement du lien jusque-là plutôt rigide existant entre la classe et l'origine ethnique.

Dans les années 1960, les recommandations de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme et l'instauration d'une politique d'immigration plus juste, ainsi que la mondialisation croissante dans les années 1970, entraînent le passage d'une immigration essentiellement européenne vers un plus grand afflux d'immigrants d'origine asiatique. Le recensement de 1971 démontre que près de 95 % de la population canadienne est d'origine européenne et qu'il est difficile de trouver plus de 5 % de personnes considérées comme non européennes. Seulement 25 ans plus tard, en 1996, la population de non Européens et de groupes de la minorité visible a doublé pour atteindre 11 %.

Expérience autochtone

Au cours des XIXe et XXe siècles, les attitudes envers les Autochtones suivent en bonne partie celles à l'égard des immigrants et d'autres groupes ethniques. Toutefois, leur traitement est tempéré par leur situation unique et leur statut légal particulier, incarnés dans les traités indiens et la Loi sur les Indiens qui favorisent une approche paternaliste de la part des gouvernements, approche qui n'a pas encore complètement disparu.

Avant la Confédération, on considère les Autochtones comme des alliés militaires ou des partenaires essentiels à la traite des fourrures, mais, peu à peu, on les considère comme un obstacle au progrès. Les gouvernements les isolent dans des réserves et, en accord avec les principales communautés chrétiennes, essaient de les assimiler par l'instauration de l'agriculture et de l'éducation de type européen ainsi que du christianisme. Bien que de nombreux enfants autochtones reçoivent une éducation dans des pensionnats financés par le gouvernement et dirigés par les églises, des milliers d'entre eux sont victimes d'abus, parfois physiques et sexuels, et beaucoup plus d'entre eux perdent leur langue et leur culture dans ces écoles. Comme dans les cas des nouveaux immigrants, on estime qu'il est nécessaire d'éliminer leur langue et leur culture et de les assimiler à un mode de vie supérieur.

À la consternation des agents des Amérindiens et des missionnaires, on encourage de temps en temps les Autochtones à présenter leur culture aux visiteurs de marque ou lors de foires locales, mais ces démonstrations sont perçues comme des vestiges pittoresques du passé plutôt que comme une part intégrante de la société canadienne en évolution. Pendant la Première Guerre mondiale, ironiquement, pour faire augmenter le nombre d'engagés, le gouvernement commence à encourager le sentiment guerrier chez les Autochtones du Canada alors qu'il a tenté de l'éliminer pendant des décennies. Toutefois, cet encouragement s'arrête rapidement à la fin de la guerre, lorsque le gouvernement fédéral s'attend à ce que les anciens combattants d'origine autochtone retrouvent un statut inférieur sur le plan légal, politique, social et économique, similaire à celui qu'ils avaient avant la guerre. Comme la majorité des immigrants qui ne sont pas Blancs, les Autochtones ne peuvent voter, sont relégués au bas de l'échelle en matière d'économie et sont stigmatisés sur le plan social.

Pendant l'entre-deux-guerres, les Autochtones cessent d'être au cœur du débat public. En raison de leur impuissance, de leur manque de compétitivité économique et de leur isolement géographique, ils n'attirent pas l'attention du public. À la différence des Asiatiques et des Noirs, qui sont largement exclus de l'immigration vers le Canada durant cette période, les racistes ne peuvent évidemment pas exclure les Autochtones du pays. Leur statut de peuple indigène les protège de certaines formes de nationalisme virulent que d'autres groupes ethniques doivent affronter.

La période qui suit la Deuxième Guerre mondiale amène des améliorations dans les relations avec les Autochtones qui vont de pair avec certains changements d'attitude envers les immigrants et les groupes ethniques autres que britanniques ou français. Les Autochtones sont de plus en plus instruits et de mieux en mieux organisés. De plus, un certain nombre de porte-parole autochtones commencent à défier leur statut de deuxième classe. En 1960, le gouvernement de Diefenbaker abolit la mesure discriminatoire qui empêche les Autochtones de voter aux élections fédérales. Le public devient plus sensible aux valeurs des Autochtones et à leur culture. Les programmes d'assimilation sont discrédités, et les programmes gouvernementaux commencent à promouvoir la fierté des racines, le progrès économique et social ainsi que le maintien de la langue et de la culture pour les minorités immigrées et les Autochtones. La forte opposition au livre blanc de 1969 du gouvernement fédéral, qui propose de mettre un terme au statut particulier des Autochtones, représente un tournant. En réaction à cette opposition, le gouvernement fédéral désavoue ses politiques d'assimilation.

Alors qu'ils s'établissent de plus en plus dans les centres urbains dans la période après 1950, les Autochtones se heurtent encore à des préjugés et à de la discrimination en matière de logement, dans les restaurants et autres lieux publics, mais ils ont des recours pour redresser la situation grâce à la législation des droits de la personne. Les gouvernements professent le désir d'instaurer de nouvelles approches à l'égard des Autochtones, et les discussions prolongées au sujet des revendications territoriales et d'un nouveau statut constitutionnel s'accompagnent d'un appui du public pour les revendications des Autochtones.

Aujourd'hui, les Autochtones souffrent encore sur le plan psychologique des effets des injustices du passé. Bon nombre d'entre eux se heurtent encore aux préjugés et à la discrimination dans leur vie quotidienne, mais moins que par le passé. La culture autochtone est maintenant plutôt largement célébrée au sein de la société, une commission fédérale de vérité et de réconciliation vise à corriger les torts causés par les pensionnats, et bon nombre de peuples autochtones, notamment les Inuits du Nunavut, les Nisga'a de la Colombie-Britannique et les Gwich'in des Territoires du Nord-Ouest, jouissent maintenant d'une autonomie gouvernementale au sein du Canada et sont propriétaires de leurs territoires.

Diversité ou creuset ethnique?

La société canadienne traite ses minorités ethniques en partie selon les attentes qu'elle a envers les minorités et les immigrants. D'un côté, les personnes en faveur de l'intégration souhaitent que toutes les personnes s'intègrent dans un creuset culturel. De l'autre côté, les pluralistes estiment que la différentiation constitue un droit légitime des minorités. Des questions se posent au sujet des droits des membres d'une société de transformer leur diversité religieuse et politique en un pluralisme ethnique. Au Canada, un tel droit légitime est étendu aux deux peuples fondateurs (britannique et français). En 1982, la Charte canadienne des droits et libertés accorde aussi ce droit aux autres groupes.

En 1991, le groupe Angus Reid entreprend un sondage au niveau national afin de savoir jusqu'à quel point les Canadiens sont pour la diversité. Il constate qu'une grande majorité de Canadiens sont en faveur d'une politique fédérale qui favorise l'égalité, qui la garantit, qui élimine la discrimination raciale dans l'éducation, dans les soins de santé et le système judiciaire, qui aide la police à améliorer ses services ainsi que les nouveaux immigrants à acquérir des habiletés pour s'intégrer à l'économie et à la société.

L'Enquête sur la diversité ethnique (2003) réalisée par Statistique Canada porte sur les antécédents ethniques et culturels de la population canadienne. L'enquête révèle que 93 % des Canadiens n'ont jamais ou rarement été victimes de discrimination ou de traitements injustes en raison de leurs caractéristiques ethnoculturelles. Cependant, les personnes disant avoir été victimes de discrimination appartenaient habituellement à des minorités visibles et étaient plus souvent des immigrants récents plutôt que des Canadiens de deuxième ou de troisième génération.

De nombreuses études sur l'orientation sexuelle, le sexe, le racisme, les droits de la personne, les droits des Autochtones, l'ethnicité et la justice ont été publiées depuis 2000. Avant les années 1990, la société canadienne était constituée en grande majorité de Blancs de descendance européenne. En 2001, la proportion de gens appartenant à une minorité visible s'élève à 13,4 %, puis en 2006, les minorités visibles forment 16,2 % de la population. En 2011, l'Enquête nationale auprès des ménages montre que 19 % des Canadiens sont membres d'une minorité visible. On s'attend à ce qu'environ 14,4 millions de personnes soient issues des minorités visibles en 2031.

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