Le Québec est la seule province du Canada où les francophones constituent la majorité de la population. Pendant près de deux siècles, plusieurs ont maintenu que la préservation de langue française était la seule garantie possible pour la survie de la nation québécoise (voir Nationalisme francophone au Québec). Cependant, ce n’est qu’après la Révolution tranquille dans les années 1960 que les gouvernements du Québec ont commencé à légiférer activement sur la question. Depuis 1974, le français est la seule langue officielle de cette province, bien que certains services gouvernementaux demeurent accessibles en anglais. Le Québec a la particularité d’être bilingue aux niveaux constitutionnel et fédéral, tout en n’autorisant officiellement que le français dans ses institutions provinciales.
Création de l’Office de la langue française (1961)
Après la création de l’Office de la langue française, en 1961, par le gouvernement libéral de Jean Lesage pour qui « bien parler, c’est se respecter », les actions en faveur de la qualité de la langue française augmentent. Les premiers projets d’échanges entre la France et le Québec commencent en 1965. De 1966 à 1968, le gouvernement de Daniel Johnson père met tout en œuvre pour positionner le français comme langue dominante au Québec. Le français devient obligatoire sur les étiquettes des produits alimentaires, et les bases sont jetées pour un ministère de l’immigration qui exige que les nouveaux arrivants et les nouvelles arrivantes aient une connaissance pratique de la langue (voir Politique d’immigration québécoise). Ce gouvernement est fondé en 1968, quelques semaines après la mort de Daniel Johnson.
Les premiers projets de lois linguistiques voient le jour sous le gouvernement de Jean-Jacques Bertrand. Ils sont mis en œuvre à la suite de la crise scolaire de 1968, au cours de laquelle un nombre important d’immigrants d’origine italienne vivant à Saint-Léonard réclame le droit à une éducation bilingue (en français et en anglais). La législation initiale (la loi 85), qui permet aux parents de choisir la langue d’enseignement pour leurs enfants, est retirée, et la commission Gendron (1968-1973) est formée pour analyser la situation de la langue française dans la province.
En 1969, la Loi pour promouvoir la langue française au Québec (loi 63) est adoptée. Celle-ci garantit aux parents le droit de choisir la langue d’enseignement de leurs enfants. Le ministère de l’Éducation s’assure simplement que les enfants recevant un enseignement en anglais acquièrent « une connaissance pratique du français ». Par conséquent, les allophones s’anglicisent et les francophones s’unissent pour former le Front du Québec français, qui exige que le français devienne la seule langue officielle du Québec.
Loi sur la langue officielle (1974)
Le rapport de la commission Gendron, présenté en février 1973 sous le gouvernement de Robert Bourassa, propose officiellement que le français devienne la seule langue officielle du Québec tandis que le français et l’anglais demeurent les deux langues nationales. En ce qui concerne la langue de l’éducation, la décision est laissée au gouvernement. Devant l’agitation sociale grandissante, celui-ci rédige le projet de loi 22 (Loi sur la langue officielle) en 1974 pour compenser les lacunes de la loi 63.
Le projet de loi 22 fait du français la langue de l’administration, des services et du travail du gouvernement provincial, mais son application demeure vague; les libéraux sont soucieux de préserver le biculturalisme et ils laissent donc place à l’ambiguïté. La formulation stipule que le français doit être la langue de l’éducation, et que les anglophones qui veulent une éducation en anglais devront prouver, par des tests, qu’il s’agit bien de leur langue maternelle. Ceci suscite un mécontentement généralisé : les francophones considèrent que le programme est trop modéré, alors que les anglophones et les communautés culturelles trouvent injuste d’avoir à se soumettre à un examen pour étudier en anglais. La question de l’affichage commercial en français est également abordée, mais aucune exigence formelle claire n’est établie. La désapprobation des deux camps a des répercussions directes sur les élections de 1976 qui portent pour la première fois le Parti québécois au pouvoir.
Charte de la langue française (1977)
Le gouvernement de René Lévesque fait de la question linguistique sa priorité et promulgue la loi 101, Loi de la Charte de la langue française, en 1977. L’objectif de la Charte est de permettre aux Québécois francophones de vivre et de s’affirmer en français. Cette loi fait suite à la publication du controversé livre blanc (la loi 1), paru cette même année. Camille Laurin, le « père de la loi 101 » en fait une loi très précise, dotant le Québec d’institutions comme le Conseil de la langue française et la Commission de surveillance (qui devient la Commission de protection de la langue française en 1984). La loi 101 stipule que le français doit être la langue de la législation et des tribunaux, de l’administration, du travail et des affaires, ainsi que de l’éducation.
Enjeux de la loi 101
Bien qu’un nombre important de Québécois et Québécoises soient très satisfaits de la clarté et de la résolution de ces nouvelles mesures, il n’y a pas d’entente générale, et la loi est considérée comme étant en partie inconstitutionnelle par le gouvernement fédéral. La Cour suprême du Canada porte un coup dur à la législation dans l’affaire Procureur général du Québec c. Blaikie (le 13 décembre 1979) en confirmant un jugement de la Cour supérieure du Québec qui invalide les articles 7 à 13 de la Charte de la langue française, des dispositions qui déclarent le français comme étant la langue de la législation et des tribunaux. Par conséquent, le Québec adopte une « loi réparatrice » sous la forme de la Loi concernant un jugement rendu par la Cour suprême du Canada le 13 décembre 1979 sur la langue de la législation et de la justice au Québec afin d’accommoder cette décision judiciaire.
Le Québec amende également une clause du chapitre VIII de la loi 101 portant sur la langue de l’enseignement. La clause « Québec » est jugée trop restrictive, car elle stipule que les immigrants doivent étudier en français. Ceci inclut les Canadiens et les Canadiennes venant d’autres provinces, à moins qu’il n’y ait une entente entre le Québec et la province d’origine. Cette clause est remplacée par la clause « Canada », qui permet aux enfants qui ont fréquenté une école anglaise dans une autre province de poursuivre leurs études en anglais (voir Affaire concernant la loi 101).
Dans l’affaire Ford en décembre 1988, la Cour Suprême se prononce sur les articles 58 et 69 de la Charte de la langue française, qui exigent l’usage exclusif du français sur l’affichage commercial et pour les noms de compagnies. La Cour Suprême juge que ces articles violent la liberté d’expression telle qu’énoncée dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Le 22 décembre 1988, les libéraux de Robert Bourassa nouvellement élus votent le projet de loi 178. Cette loi exige que les affiches soient en français, à l’exception de certains cas, selon la taille de l’entreprise et le nombre d’employés, où les deux langues sont autorisées à condition que le français soit prédominant. L’insatisfaction est palpable : les anglophones se sentent trahis et les francophones craignent le retour du bilinguisme. Le 17 juin 1993, la loi 178 est remplacée par le projet de loi 86, qui réaffirme le principe de l’affichage bilingue avec préséance du français dans les lieux publics.
Au printemps 2000, à la suite de diverses manifestations tenues par des antiquaires des Cantons de l’Est, l’enjeu de l’affichage est à nouveau porté devant la Cour suprême. Les partisans des deux camps n’arrivent pas à une entente. Le Parti québécois, qui est au pouvoir depuis 1994, convoque la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, présidée par Gérald Larose. En 2001, la commission Larose dépose son rapport intitulé Le français, une langue pour tout le monde. Dans la foulée de ce rapport, le gouvernement de Bernard Landry présente le projet de loi 104 qui change le nom de l’Office de la langue française pour celui de l’Office québécois de la langue française. Celui-ci a pour mandat d’assurer le respect de la Charte de la langue française, en remplacement de la Commission de la protection de la langue française qui est dissoute. Pour sa part, le Conseil de la langue française devient le Conseil supérieur de la langue française, et a pour mission de conseiller le ministre de la Langue. La loi 104 contient également une clause interdisant à tout enfant francophone ou allophone fréquentant une école anglophone privée de poursuivre ses études dans une école anglophone financée par l’État. Cette clause des « écoles passerelles » est invalidée par la Cour suprême en 2009, car elle viole la Charte canadienne des droits et libertés.
En 2015, la Cour du Québec confirme la légitimité de la loi 101 après que la Charte de la langue française a été à nouveau remise en question par un regroupement de commerçants anglophones qui contestaient des amendes reçues pour n’avoir pas respecté les règles d’affichage. La Cour du Québec souligne que bien que le français soit la langue majoritaire au Québec, elle demeure une langue minoritaire en Amérique du Nord. Elle doit donc être protégée par le gouvernement.
Avenir et défis
Au Québec, plusieurs considèrent toujours que le fait de maintenir la langue française forte et dynamique est un défi. Les débats linguistiques se poursuivent, suscitant les passions et enflammant les controverses. Les questions entourant la langue d’enseignement et la langue d’affichage demeurent d’actualité. Par exemple, en 2012, le Parti québécois propose d’interdire aux francophones et aux allophones de fréquenter les cégeps anglophones. Cette proposition fait face à une forte opposition et le parti se voit contraint de faire marche arrière sur la question.
Les chiffres du recensement de 2016 relatifs à la langue au Canada suscitent un débat sur l’avenir de la langue française et les politiques connexes. En 2017, Statistique Canada publie une étude qui présente des prévisions linguistiques pour le Canada de 2011 à 2036. Elle prévoit une augmentation du nombre de francophones au pays, allant de 10,2 millions en 2011 à 12,5 millions en 2036. Cependant, la proportion de francophones au sein de la population canadienne diminuerait de 29,8 % à 27,6 %.
Au Québec, le nombre de francophones continuerait à augmenter, passant possiblement de 7,5 millions en 2011 à près de 9 millions en 2036. Le français comme première langue officielle parlée diminuerait de 85,4 % à 82 %. Malgré l’augmentation prévue de la taille de la francophonie du Québec, la proportion de la population considérant le français comme sa langue maternelle pourrait passer de 79 % à entre 69 % et 72 %.
Certaines des prédictions de l’étude incitent de nombreux commentateurs et analystes publics du Québec à réclamer une approche politique plus forte en matière de protection linguistique. Par exemple, certains prônent la francisation obligatoire de tous les immigrants ainsi que l’application de la loi 101 aux cégeps. Les grandes entreprises cherchent à inclure les petites et moyennes entreprises dans la loi 101 afin de faire du français la langue de travail. Les défenseurs demandent que le financement des universités reflète mieux la majorité francophone et qu’un budget plus élevé soit accordé à l’Office québécois de la langue française.
Cependant, l’évolution du paysage linguistique du Québec n’est pas nécessairement le résultat d’une faiblesse de la langue française. Le français est la langue dominante dans les institutions publiques de la province. La population francophone continue de croître au fil du temps. De plus, la plupart des nouveaux arrivants dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais apprennent à communiquer en français. En fait, Statistique Canada prédit qu’au Québec, le pourcentage de personnes pouvant communiquer en français restera stable jusqu’en 2036. Le taux de bilinguisme anglais-français passera également de 43 % à environ 52 %.
Projet de loi 96
En mai 2022, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) met en œuvre une réforme majeure de la loi 101 en adoptant la loi 96 malgré les protestations des groupes anglophones et autochtones, entre autres. Mises à part quelques exceptions comme les soins de santé et les tribunaux, le français doit devenir la langue de communication exclusive du gouvernement du Québec. Des exemptions s'appliqueraient également aux anglophones ayant des droits linguistiques acquis antérieurement et aux peuples autochtones. On donne six mois à partir de leur arrivée aux nouveaux immigrants pour s’adapter avant que le gouvernement du Québec ne passe complètement et seulement au français.
Le nombre de places dans les cégeps anglophones est limité à 17,5 % de la population étudiante globale du Québec. La nouvelle loi oblige également les entreprises comptant entre 25 et 49 employés à adopter le français comme langue de travail. Tout comme la loi 21, la loi 96 invoque la clause nonobstant pour contourner certaines parties de la Charte canadienne des droits et libertés.