Politique d'immigration québécoise | l'Encyclopédie Canadienne

Article

Politique d'immigration québécoise

La politique d’immigration québécoise est souvent différenciée de celle du Canada (voir Politique d’immigration du Canada) et se distingue également de celle des autres provinces. Ces distinctions québécoises s’appuient essentiellement sur des fondements historiques, linguistiques et culturels. En dépit de cette distinction, l’immigration occupe une place tout aussi importante dans la société québécoise que dans les autres provinces. Entre 2015 et 2019, le Québec accueille près de 250 000 personnes immigrantes de façon permanente. Des milliers de travailleurs étrangers temporaires viennent aussi chaque année et plus des trois quarts travaillent dans la grande région métropolitaine de Montréal. (Voir Programmes des travailleurs étrangers temporaires.)

Des femmes haïtiennes à Montréal

Droit et partage des compétences

D’un point de vue légal, l’article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 stipule que l’immigration est une des rares compétences gérées à la fois par le gouvernement provincial et fédéral. Les rôles sont donc partagés en fonction des enjeux de politique publique. Entre 1971 et 1991, le gouvernement du Québec a renégocié ses pouvoirs provinciaux à quatre reprises afin de réclamer davantage d’autonomie en matière d’immigration. L’immigration demeure donc un enjeu où le partage des responsabilités entre les deux paliers de gouvernement est central. Les deux premiers accords, soit l’Entente Lang-Cloutier (1971) et l’Entente Andras-Bienvenue (1975), n’apportent que des changements mineurs de nature administrative. Toutefois, l’accord de 1975 pose un jalon important en matière de sélection de l’immigration, forçant pour la première fois le Canada à considérer l’avis du Québec en ce qui concerne chaque nouvelle candidature destinée à son territoire. L’Entente Cullen-Couture (1978) exige quant à elle la même chose en matière d’immigration temporaire, ce qui pousse les deux gouvernements à travailler encore plus ensemble.

Toutefois, l’accord entre le Canada et le Québec qui est le plus important en ce qui concerne l’immigration temporaire et permanente est l’Entente Gagnon-Tremblay-McDougall de 1991 (ou l’Accord Canada-Québec). Ce document donne au Québec des pouvoirs importants afin d’accueillir les personnes en mesure de travailler. À la suite de l’entente, le Québec obtient alors un contrôle total du processus de sélection des immigrants économiques, de même qu’en matière d’intégration et de francisation. Autrement dit, le Québec peut déterminer les volumes d’entrée de ses futurs résidents permanents. De nos jours, c’est la responsabilité du Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) du Québec de gérer les candidats et les candidates à l’immigration permanente via ses propres critères de sélection.

Le gouvernement fédéral garde quant à lui le contrôle des dossiers des réfugiés (voir aussi Politique canadienne sur les réfugiés), de la réunification familiale et de toute autre question en lien avec la citoyenneté. Le suivi du parrainage (la prise en charge d’un membre de la famille immédiate pour qu’il puisse devenir résident permanent) et de l’intégration sont aussi financés par le gouvernement fédéral, mais demeurent des responsabilités provinciales. Quant à l’immigration temporaire, c’est-à-dire les personnes qui viennent travailler, étudier ou recevoir des soins médicaux à court terme, il s’agit d’un dossier qui est conjointement géré par les institutions provinciales et fédérales. En collaboration avec le secteur de l’emploi et de l’éducation, toute décision du gouvernement fédéral sur l’immigration temporaire nécessite l’approbation détaillée du Québec, à la manière d’un consentement obligatoire. Toujours en vigueur aujourd’hui, c’est essentiellement l’Accord Canada-Québec qui régit l’ensemble de ces conditions et agit comme document de référence officiel à cet égard.

Évolution de la politique québécoise d’immigration

Entre la création du premier ministère de l’immigration en 1968 et l’Accord Canada-Québec de 1991, on observe essentiellement une longue période de négociations entre les deux paliers de gouvernement. En revendiquant toujours plus d’autonomie, le Québec fait des gains modérés et graduels en matière de gestion de l’immigration. Les motifs de ces revendications politiques sont les mêmes qu’aujourd’hui, c’est-à-dire qu’elles se sont toujours inscrites dans une logique de valorisation de la langue française. En effet, l’introduction de la Charte de la langue française en 1977 (ou Loi 101) est un événement majeur dans la vie politique québécoise et cela se reflète évidemment dans l’élaboration des politiques d’immigration. Faisant du français la langue normale et habituelle au Québec, la Loi 101 prévoit entre autres que la majorité des enfants d’immigrants fréquente une école francophone jusqu’à la fin du secondaire. De plus, l’ensemble des mesures d’intégration des nouveaux arrivants insistent sur l’importance des ressources en francisation depuis son entrée en vigueur. (Voir aussi Politiques linguistiques du Québec.)

Schwartz's

D’un point de vue historique, les politiques d’immigration au Québec lors des décennies 1970 à 1990 se caractérisent par une volonté forte des gouvernements québécois, qu’ils soient souverainistes ou fédéralistes, à se donner davantage de pouvoirs en matière d’immigration et d’intégration. Cette approche a pour but de mieux respecter le profil linguistique et culturel québécois et n’a aucune allégeance politique particulière. (Voir aussi Le Québec comme société distincte.) Le Québec recrute donc beaucoup de francophones autour du globe, car l’enjeu de société central en immigration depuis cette période réside dans l’importance du français de manière générale.

Les années 1980 sont marquées par l’arrivée du modèle de vivre-ensemble qu’est « l’interculturalisme », une approche affirmant le caractère francophone et laïc des institutions québécoises. Cette approche québécoise s’oppose essentiellement au multiculturalisme canadien, qui est souvent décrit comme une « mosaïque » de cultures égales qui coexistent ensemble. Le gouvernement de René Lévesque publie d’ailleurs en 1981 un plan d’action intitulé « Autant de façon d’être Québécois » qui rejette explicitement les principes du multiculturalisme canadien. On doit donc la naissance de l’interculturalisme à cette tension avec le gouvernement fédéral ainsi qu’à cette volonté de promouvoir une société pluraliste, mais où le français prédomine. En bref, l’interculturalisme insiste donc sur deux principes centraux : soit que l’égalité entre les cultures nécessite une « francisation » et une « laïcisation » de l’espace public.

La décennie 1990 est marquée par l’Accord Canada-Québec, ainsi que par le tout premier Énoncé de politique en matière d’immigration intitulé « Au Québec pour bâtir ensemble » et qui vise à mettre en œuvre l’approche interculturelle. Lors des années 2000, le gouvernement québécois promeut la diversité ainsi que la lutte contre le racisme et la discrimination, tout en augmentant le nombre total d’admissions. Toutefois, cette période fut aussi marquée par une série de controverses en lien avec la Commission Bouchard-Taylor (2007-2008) et les politiques d’accommodements raisonnables, censées régir les relations interculturelles au Québec.

Malgré des nombres records d’admission d’immigrants dans les années 2010, cette décennie a donné lieu à plusieurs débats sur l’immigration. D’un point de vue politique, le ministère qualifie lui-même cette décennie comme une période de révision en immigration, et ce, peu importe le parti politique au pouvoir. Qu’il s’agisse de la Charte des valeurs québécoises ou de l’augmentation des exigences en français, en passant par la réduction des seuils d’immigration : la politique québécoise se raffermit. Au cours de la dernière décennie, les réformes en immigration se sont avérées particulièrement plus contraignantes qu’avant, et ce, de façon générale dans l’ensemble des provinces canadiennes.

Une autre tendance qui prend actuellement de l’ampleur au Québec consiste à s’appuyer sur l’immigration temporaire et sur les travailleurs saisonniers afin de servir l’économie, sans toutefois avoir à se soucier de l’intégration. (Voir aussi Programmes des travailleurs étrangers temporaires.) Certains avocats en immigration dénoncent cette tendance qui rend beaucoup de travailleurs temporaires vulnérables, comme ils ne peuvent pas s’établir à long terme. Enfin, la récente Politique québécoise en matière d’immigration, de participation et d’inclusion de 2015 sert maintenant de référence et met l’accent encore une fois sur la centralité du français et la main d’œuvre immigrante au Québec, ainsi que sur l’inclusion des nouveaux arrivants.

En 2022, la Loi 96 est adoptée pour mettre à jour la Loi 101. Cette nouvelle législation cherche à rendre le français comme la langue exclusive du gouvernement du Québec. Les personnes immigrantes non francophones ont un délai de six mois pour apprendre le français, suite auquel la communication gouvernementale passe à cette langue.

Autonomie provinciale en immigration

Bien que l’immigration soit considérée par les provinces comme un dossier « canadien » depuis plus d’un siècle, il s’agit maintenant d’un enjeu de politique publique que celles-ci veulent se réapproprier. Regardée comme une pionnière parmi ses semblables, la politique d’immigration québécoise est le résultat de cette volonté du gouvernement provincial d’affirmer son autonomie à cet égard. Malgré le fait que les autres provinces se soient graduellement jointes à ce mouvement pour des raisons autres que culturelles, linguistiques ou identitaires, ce phénomène témoigne néanmoins de l’importance de l’immigration dans la politique contemporaine.


Lecture supplémentaire

Liens externes