Pierre Elliott Trudeau | l'Encyclopédie Canadienne

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Pierre Elliott Trudeau

Pierre Elliott Trudeau, C.P., C.C., S.R.C., premier ministre du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984, homme politique, écrivain et avocat de droit constitutionnel (né le 18 octobre 1919 à Montréal, au Québec; décédé le 28 septembre 2000 à Montréal). Personnage charismatique et controversé, Pierre Trudeau est décidément le politicien canadien le plus connu, tant au Canada qu’à l’étranger. Il a introduit des réformes juridiques dans sa quête pour faire du Canada une « société plus juste », et a rendu le Canada officiellement bilingue grâce à la Loi sur les langues officielles de 1969. Il a négocié l’indépendance constitutionnelle du Canada vis-à-vis de l’Angleterre et a établi la nouvelle Constitution canadienne, avec une Charte canadienne des droits et libertés solidement enracinée. Il a joué un rôle important dans la défaite du mouvement séparatiste des années 1970 et 1980 au Québec, mais sa décision d’invoquer la Loi sur les mesures de guerre en réponse à la crise d’octobre 1970 a suscité de vives critiques. Sa position résolument fédéraliste et ses politiques linguistiques et économiques ont également aliéné plus d’un Canadien, surtout dans les provinces de l’ouest. Son fils aîné, Justin Trudeau, est devenu le chef du Parti libéral en 2013, et premier ministre du Canada en 2015.

Pierre Trudeau en 1975

Éducation et débuts

Issu d’une famille aisée, Pierre Trudeau est le fils d’un riche homme d’affaires canadien-français et d’une mère d’ascendance écossaise. Il fait ses études chez les Jésuites au Collège Jean-de-Brébeuf, puis à l’Université de Montréal, à l’Université Harvard et à la London School of Economics. Il voyage également beaucoup pendant sa jeunesse, dont avec son ami de longue date Jacques Hébert, qui a beaucoup écrit sur leurs aventures.

De retour au Québec en 1949 après une année passée à l’étranger, il appuie les syndicats pendant la terrible grève de l’Amiante, un événement marquant dans la formation de la société québécoise de l’après-guerre. En 1956, il dirige un ouvrage sur cette grève et en rédige l’introduction et la conclusion, dans lesquelles il critique les valeurs dominantes de la province sur le plan social, économique et politique.

Pierre Trudeau travaille quelque temps à Ottawa à titre de conseiller auprès du Bureau du Conseil privé en 1950-1951. Il retourne ensuite à Montréal et consacre toute son énergie à lutter contre le gouvernement de l’Union nationale dirigé par Maurice Duplessis et à mener une campagne pour le changement politique et social. De concert avec d’autres jeunes intellectuels, il fonde la revue Cité libre. Dans cette publication et à d’autres tribunes, il cherche à mobiliser l’opposition contre ceux qu’il considère comme des élites réactionnaires et nombrilistes. Ce faisant, il acquiert une réputation de radical et de socialiste, quoique les valeurs qu’il défend se rapprochent davantage du libéralisme et de la démocratie.

Trudeau et le fédéralisme

Après la victoire des libéraux aux élections provinciales de 1960, la Révolution tranquille vient combler certains des espoirs de changement qu’entretient Trudeau. Elle révèle en outre le grand fossé qui le sépare de plusieurs de ses anciens collègues, qui se tournent vers l’idée d’un Québec souverain. En tant que professeur de droit à l’Université de Montréal dans les années 1960, il critique avec véhémence le nationalisme québécois contemporain. Il plaide pour un fédéralisme canadien dans lequel le Canada anglais et le Canada français obtiendraient une nouvelle égalité.

Entrée en politique fédérale

En 1965, Pierre Trudeau devient membre du Parti libéral. Il est recruté en même temps que le syndicaliste Jean Marchand et le journaliste Gérard Pelletier. Pierre Trudeau est élu au Parlement dans la circonscription de Mont-Royal. Il est ensuite nommé secrétaire parlementaire du premier ministre Lester Pearson.

Vedette montante du Parti libéral, Pierre Trudeau est nommé ministre de la Justice en 1967. À ce titre, il retient l’attention sur la scène nationale lorsqu’il engage une réforme de la loi sur le divorce et qu’il fait adopter des modifications au Code criminel qui libéralisent le cadre législatif encadrant l’avortement, l’homosexualité et les loteries. (Voir Droit de la famille au Canada.) Il se taille aussi une réputation de défenseur d’un gouvernement fédéral fort devant les revendications nationalistes du Québec.

Trudeaumanie

En 1968, on le persuade de briguer la direction du Parti libéral, et il est élu au quatrième tour du scrutin. Le 20 avril 1968, il est assermenté quinzième premier ministre de l’histoire du Canada. Aux élections générales suivantes, où souffle un vent de « trudeaumanie  », son gouvernement remporte une majorité. Trudeau prend ainsi les commandes du pays, qu’il dirigera plus longtemps que tous ses prédécesseurs, sauf William Lyon Mackenzie King et sir John A. Macdonald.

Crise d’octobre

L’événement le plus marquant de son premier mandat est sans aucun doute la crise d’octobre en 1970. Celle-ci est déclenchée par l’enlèvement du diplomate britannique James Cross et du ministre du Cabinet québécois Pierre Laporte par le Front de libération du Québec (FLQ), un mouvement militant pour l’indépendance du Québec. En riposte, Trudeau applique la Loi sur les mesures de guerre, qui confère au gouvernement fédéral des pouvoirs considérables en matière d’arrestation, de détention et de censure. Peu après, Pierre Laporte est assassiné par ses ravisseurs. Aujourd’hui encore, le bien-fondé de ces mesures et leurs effets sur la démocratie libérale canadienne et québécoise continuent de susciter la controverse. ( Voir aussi Chronologie: Le FLQ et la crise d’octobre.)

Politiques clés

Un autre événement de moindre importance, mais qui a eu une influence plus durable, est l’adoption en 1969 de la Loi sur les langues officielles. Elle est en effet un élément fondamental du nouveau fédéralisme que préconise Trudeau. En parallèle, il s’applique à améliorer la situation des francophones à Ottawa. Cependant, ces politiques ont une autre conséquence: une levée de boucliers contre le bilinguisme au Canada anglais. C’est surtout le cas dans l’ouest du pays, où beaucoup pensent que Trudeau s’intéresse peu aux problèmes économiques de la région et se sentent de plus en plus aliénés.

Le gouvernement Trudeau lance une initiative importante pour tenter de centraliser et de nationaliser la prise de décisions sous la houlette du Cabinet du premier ministre et d’organismes centraux, tels que le Bureau du conseil privé et le Conseil du Trésor. Ces changements suivent dans une très large mesure les voies qu’emprunte la réorganisation administrative à Washington et dans d’autres capitales des pays occidentaux. Or, ils soulèvent également la polémique au Canada, menant les critiques à dénoncer l’inefficacité et l’affaiblissement du rôle du Parlement et du Cabinet. Aux élections de 1972, Pierre Trudeau passe à deux cheveux de perdre le pouvoir et doit former un gouvernement minoritaire avec l’appui du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Mariage à Margaret Sinclair

En 1971, Pierre Trudeau épouse Margaret Sinclair, fille d’un ancien ministre libéral. Bien des femmes sont tristes de voir le célibataire le plus convoité du Canada marier une femme de 28 ans sa cadette. Les médias suivent tous les mouvements du célèbre couple. Leur mariage houleux est troublé par plusieurs différends qui font les manchettes et se solde par une séparation en 1977 et un divorce en 1984. Pierre Trudeau conserve la garde de leurs trois fils, Justin, Alexandre (« Sasha ») et Michel.

Défaite et réélection

Après avoir regagné la majorité pour les libéraux en 1974, Pierre Trudeau est aux prises avec les effets de l’inflation. Dans un climat de crise économique, il recourt à divers expédients, y compris le contrôle des salaires et des prix en 1975. En 1976, cette crise est aggravée par la menace politique que représente l’élection du Parti Québécois dirigé par René Lévesque. En effet, tant le parti que l’homme sont résolument dévoués à l’indépendance du Québec.

En mai 1979, Pierre Trudeau et les libéraux perdent les élections contre Joe Clark et les conservateurs-progressistes. Quelques mois plus tard, le 21novembre, il annonce sa démission de la direction du Parti libéral. Cependant, trois semaines après cette déclaration, le gouvernement progressiste-conservateur de Joe Clark est renversé aux Communes, ce qui force la tenue de nouvelles élections générales. Le caucus libéral convainc Trudeau de reprendre la tête du Parti. Le 18février 1980, trois mois après s’être retiré, il devient à nouveau premier ministre avec une majorité. (Voir aussi Élections de 1979 et 1980.)

Le dernier mandat de Pierre Trudeau comme premier ministre est mouvementé. En 1980, son intervention personnelle a un impact significatif sur le référendum de Québec sur la souveraineté-association. La défaite de la proposition du Parti québécois est une page tournante de sa croisade contre le séparatisme québécois. Dans le sillage de cette victoire, Trudeau s’emploie à promouvoir un accord sur le renouvellement de la Constitution canadienne.

Luttes constitutionnelles

Comme il n’arrive pas à obtenir l’assentiment des provinces pour une nouvelle constitution, Pierre Trudeau introduit au Parlement une mesure visant à « rapatrier » unilatéralement l’ Acte de l’Amérique du Nord britannique au Canada et à y enchâsser une formule de modification et une Charte canadienne des droits et libertés. Cet épisode donne lieu à l’une des batailles les plus épiques de toute l’histoire canadienne entre le fédéral et les provinces. (Voir aussi Renvoi sur le rapatriement; Relations fédérales-provinciales.) Cette dernière mène à un compromis final et à la proclamation, le 17 avril 1982, de la Loi constitutionnelle de 1982. ( Voir Rapatriement de la Constitution; Éditorial: La canadianisation de la Constitution.)

La nouvelle constitution inclut des droits pour les minorités officielles en matière de langue et d’éducation, et une charte des droits individuels, Pierre Trudeau atteint ainsi un but qu’il s’était fixé dès son entrée sur la scène politique.

Défis économiques

Toutefois, dans d’autres domaines, le gouvernement Trudeau de 1980 à 1984 n’a pas autant de succès. L’inflation galopante, les taux de chômage élevés et les graves déficits du fédéral lui font perdre une bonne part de son appui populaire. Son programme énergétique national, est l’une des plus importantes interventions gouvernementales dans l’économie depuis la Deuxième Guerre mondiale. Cependant, ce programme lui aliène davantage les régions productrices d’énergie dans l’ouest du pays.

Un problème persistant pendant tout son mandat est celui des relations canado-américaines. Pierre Trudeau adopte souvent une position ambiguë à l’égard des États-Unis, mais pendant son dernier mandat, il affiche une attitude plus nationaliste dans les relations économiques avec le voisin du Sud et commence à critiquer plus ouvertement sa politique étrangère et sa politique de défense. À l’époque, les politiques du gouvernement Reagan deviennent de plus en plus lourdes de conséquences pour plusieurs intérêts économiques du Canada. (Voir aussi Relations économiques canado-américaines.)

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Engagement international

Pendant ces années, Pierre Trudeau consacre de plus en plus de temps à la scène internationale. D’abord, il encourage le dialogue « nord-sud » entre les riches nations industrialisées et les pays en voie de développement. Puis, en 1983-1984, il convainc des dirigeants de l’Est et de l’Ouest de négocier une réduction des armes nucléaires, diminuant ainsi les tensions causées par la guerre froide. ( Voir aussi Désarmement.) Ces initiatives lui méritent le prix de la paix Albert-Einstein.

Le gouvernement Trudeau, toutefois, permet aux États-Unis de procéder à des essais de missiles de croisière en territoire canadien. Il se heurte donc à la vive opposition de la population canadienne préoccupée par l’intensification de la course aux armements nucléaires.

Retraite

Après 1981, l’opinion publique au Canada devient plutôt hostile à Pierre Trudeau et aux libéraux. Sa personnalité parfois charismatique, parfois méprisante envers l’Opposition, son humeur changeante, arrogante et imprévisible, ne semblent plus constituer un atout en temps de crise économique comme c’était le cas au début de sa carrière. Le 29 février 1984, Trudeau annonce son intention de se retirer de la politique. Il quitte son poste le 30 juin, et son successeur, John Turner, est assermenté. En 1985, Pierre Trudeau est fait compagnon de l’Ordre du Canada.

À la retraite, il garde une attitude discrète, n’intervenant dans les affaires publiques qu’à deux occasions. On considère que son opposition virulente à l’Accord du lac Meech a eu une grande influence sur le cours des événements. (Voir Accord du lac Meech: document.) De même, son discours contre l’Accord de Charlottetown à la Maison du Egg Roll, à Montréal, le 1er octobre 1992, semble avoir modifié l’opinion publique au Canada anglais contre l’Accord lors du référendum de 1992. (Voir Accord de Charlottetown: document.) Toutefois, Trudeau n’intervient pas dans la campagne du référendum du Québec (1995) sur la souveraineté en 1995.

En 1993, il publie Mémoires politiques, inspirées d’une minisérie en cinq épisodes diffusée sur le réseau anglais de la Société Radio-Canada. En 1996, il publie un recueil de ses œuvres parues entre 1939 et 1996, À contre-courant.

Décès et obsèques

Trudeau meurt du cancer de la prostate le 28 septembre 2000 à son domicile à Montréal. Aux obsèques, ses deux fils sont accompagnés de son ancienne épouse, Margaret Sinclair (Michel, son fils benjamin, est victime d’une avalanche en 1998). Y assistent aussi Jean et Aline Chrétien, Fidel Castro et Jimmy Carter. D’un bout à l’autre du pays, nombreux sont ceux qui regardent Justin Trudeau livrer un éloge funèbre plein d’émotions, ce qui suscite des spéculations voulant qu’il suive l’exemple de son père et entre en politique fédérale. En 2013, Justin Trudeau est élu chef du Parti libéral du Canada. En 2015, il devient premier ministre du Canada.

Contribution

Dans son ensemble, la carrière de Pierre Trudeau en tant que premier ministre est synonyme de succès électoral. Il reste au pouvoir plus longtemps que tout autre chef d’État occidental de son époque, ce qui fait de lui le vétéran de la politique en Occident. On lui doit la défaite du mouvement séparatiste québécois en 1980, le bilinguisme officiel, le rapatriement de la Constitution et la Charte canadienne des droits et libertés.

Pierre Trudeau s’est cependant révélé incapable d’atténuer le sentiment d’aliénation régionale et de résoudre le conflit entre le fédéral et les provinces. À la fin des années 1990, sa plus grande contribution (le maintien du Québec dans la Confédération) semble plus fragile qu’au moment de sa démission. Il a quitté la vie politique de la même façon qu’il y est entré, comme un personnage controversé, encensé par ses partisans et décrié par ses critiques. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute qu’il figure parmi les plus grands hommes politiques canadiens du 20e siècle.

Voir aussi Pierre Elliot Trudeau: deuxième père du Canada?

Prix et distinctions

  • Membre du Conseil privé de la Reine (1967)
  • Lauréat du prix de la paix Albert-Einstein (1984)
  • Membre de l’Ordre des compagnons d’honneur (1984)
  • Compagnon de l’Ordre du Canada (1985)

Publications

  • Pierre Elliott Trudeau et Jacques Hébert, Deux innocents en Chine rouge (1961)
  • Pierre Elliott Trudeau, Les cheminements de la politique (1970)
  • Pierre Elliott Trudeau et David Crenna, éd., Lifting the Shadow of War (1987)
  • Thomas S. Axworthy et Pierre Elliott Trudeau, Towards a Just Society: The Trudeau Years (1990)
  • Pierre Elliott Trudeau, Mémoires politiques (1993)
  • Ivan Head et Pierre Elliott Trudeau, The Canadian Way: Shaping Canada’s Foreign Policy. 1968-1984 (1995)
  • Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier, éd., À contre-courant: textes choisis, 1939-1996 (1996)
  • Pierre Elliott Trudeau et Ron Graham, éd., Trudeau: l’essentiel de sa pensée politique (1999)

Les oeuvres sélectionnées de
Pierre Elliott Trudeau

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