Peter Wintonick, réalisateur, producteur, monteur de film, écrivain, directeur, journaliste, activiste (né en 1953 à Trenton, Ontario; décédé le 18 novembre 2013 à Montréal, Québec). Figure unique en son genre de l'industrie cinématographique canadienne, le jeune Peter Wintonick, bourré de talent, a d'abord travaillé comme monteur pour des productions commerciales avant de se lancer dans le cinéma documentaire. Il a ensuite connu une brillante carrière de réalisateur, écrivain et producteur. Il a été le mentor de nombreux jeunes cinéastes et été activiste et ambassadeur pour des documentaires sociopolitiques à travers le monde. Ayant participé à plus de 100 films et projets médiatiques, il est sans doute surtout connu pour Chomsky, les médias et les illusions nécessaires (1992). De plus, il a cofondé le forum de développement des médias numériques DocAgora, a été le « Penseur en résidence » de la ville d'Adélaïde, en Australie, et a reçu de nombreux prix et distinctions, notamment le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques.
Jeunesse et éducation
Peter Wintonick grandit à Ottawa. Très jeune, il se passionne déjà pour le cinéma. À sept ans, il reçoit sa première caméra de la part de son père, membre de l'Aviation royale canadienne.À l'école, il soumet souvent des courts-métrages plutôt que des essais. Il étudie brièvement à l'Université Carleton, qu’ilquitte pour aller étudier le cinéma au Collège Algonquin, où il obtient son diplôme avec distinction. Son apprentissage se poursuit lorsqu'il quitte Ottawa pour s'établir à Montréal, qui sera sa ville d'attache pendant la majeure partie de sa vie adulte.
Carrière de monteur
Embauché par une compagnie de films commandités, Peter Wintonick monte les publicités de la campagne électorale de Pierre Trudeau. Il apprend ensuite l'art des affaires au cinéma en travaillant auprès du producteur Robert Lantos sur trois films de l'ère des abris fiscaux, dont le premier, intitulé En hommage aux femmes de trente ans (1978), génère la controverse et contribue au développement de l'industrie canadienne du long-métrage.
Après avoir monté le documentaire Poetry in Motion (1982), de Ron Mann, abordant la performance de spoken word et mettant en vedette Allen Ginsberg, William S. Burroughs, Charles Bukowski et Tom Waits, ainsi que le film Un printemps sous la neige (1984), de Daniel Petrie, lauréat de plusieurs prix Génie, Peter Wintonick travaille sur Resan, du cinéaste légendaire Peter Watkins, un documentaire épique de 873 minutes sur la technologie nucléaire. Il s'inspire et apprend au contact de Peter Watkins et du marxiste américain Emile de Antonio, « parrain du documentaire politique ». Ainsi, il entend l'appel du documentaire socialement engagé et fait « voeu de pauvreté ». Il disait toujours, un peu à la blague, que c'était nécessaire pour se dévouer au documentaire.
À ce moment, Peter Wintonick est déjà l'un des monteurs de documentaires prééminents au Canada. Du travail de Peter Wintonick sur son film A Rustling of Leaves: Inside the Philippine Revolution (1988), Nettie Wild affirme que « Les images pour lesquelles nous nous étions si durement battus lors du tournage étaient désormais empreintes d'une poésie fluide qui allait au-delà de nos espérances ».
Carrière de réalisateur et de producteur
La joie de vivre cinématique de Peter Wintonick imprègne Chomsky, les médias et les illusions nécessaires (1992) l'oeuvre la plus connue à titre de producteur et de réalisateur qu'il coréalise en compagnie de son ami et collègue Mark Achbar en plus d'en être le monteur. D'une durée de 167 minutes, le documentaire de l'Office national du film suit Noam Chomsky, linguiste provocateur et activiste sociopolitique, alors qu'il prononce des discours, participe à des conférences et discute de sa vision des médias comme outil de manipulation de masse permettant à l'élite de renforcer son pouvoir.
Chomsky, les médias et les illusions nécessaires aurait pu n’être qu'un exercice intellectuel monotone, mais Peter Wintonick et Mark Achbar l'infusent d'un montage rapide d'illustrations et d'images surréelles, de moments humoristiques et même d'âneries. Populaire à travers le monde, le film est sacré film canadien le plus populaire du Festival international du film de Vancouver et meilleur documentaire social ou politique du Festival international du film de Chicago, en plus d'obtenir une mention spéciale du jury au Festival international du film de Toronto. Il compte aujourd'hui encore parmi les documentaires canadiens ayant généré le plus de revenus.
Un autre documentaire de Peter Wintonick, intitulé Cinéma vérité – Le moment décisif (2000), a aussi conquis le public grâce à son retour dynamique sur l'histoire de la révolution cinématographique des années 1960 pendant laquelle de nouvelles technologies légères ont permis de capter des événements en cours comme les improvisations de jazz. Grâce à cette production, Peter Wintonick s'entretient avec des héros personnels et pionniers du cinéma-vérité comme Richard Leacock, Albert Maysles, D.A. Pennebaker, Karel Reisz, Robert Drew et Frederick Wiseman. Aussi, Barbara Kopple et Jennifer Fox représentent la nouvelle génération. Cinéma vérité – Le moment décisif remporte le prix du jury oecuménique du Festival international du film de Berlin et est en nomination pour le prix Génie du meilleur documentaire.
Peter Wintonick réalise seul Cinéma vérité. Toutefois, il a tendance à travailler en collaboration avec d'autres réalisateurs, comme avec Katerina Cizek pour Seeing is Believing (2002), qui traite de l'impact des médias numériques sur l'activisme politique et les actions en faveur des droits de la personne. Ce film émerge de sa croyance de longue date selon laquelle la technologie numérique abordable a le pouvoir de libérer les cinéastes émergents, tout particulièrement ceux qui cherchent à dénoncer les injustices et les abus. Pour son dernier film intitulé PilgrIMAGE, il collabore avec sa fille Mira Burt-Wintonick, réalisatrice à la radio de la CBC. Il s'agit d'un documentaire personnel sur le visionnement de films.
Traits caractéristiques
À titre de monteur, Peter Wintonick affirme qu'après avoir visionné les séquences filmées, il se souvenait de chacune d'entre elles. Même après être devenu réalisateur et producteur en créant sa compagnie, Necessary Illusions Productions, il continue d'utiliser comme un maestro la table de montage classique tout en profitant de la liberté offerte par les nouveaux systèmes numériques. Il travaille sur des projets en lesquels il croit, allant jusqu'à parfois offrir gratuitement ses services à un documentariste digne de son aide nécessitant une opération de sauvetage.
Bien qu'il traite souvent de sujets sérieux comme producteur et réalisateur, Peter Wintonick croit profondément que les films sont de puissants instruments de changement. Dans son métier, il est totalement contre une approche didactique, propagandiste et dépourvue d'humour. Il dit de sa profession que « Le documentaire est un moyen de mettre en lumière la vérité à travers un regard artistique ». Il croit que le documentaire peut transformer les individus et modifier les politiques gouvernementales. Il n'est toutefois pas naïf et tempère son optimisme avec des remarques sarcastiques et ironiques. Ainsi, c'est avec une attitude enjouée et irrévérencieuse qu'il aborde la vie et le travail. À une reprise, il s'identifie comme « groucho marxiste » et jusqu'à sa mort, il lance de drôles de jeux de mots similaires.
Activiste et enseignant
Toujours occupé à rédiger des propositions, à monter des séquences et à produire ses films et ceux d'autres personnes, Peter Wintonick voyage tout de même à travers le monde sur le circuit international du documentaire où il présente ses films dans les festivals ou fait partie du jury de ceux-ci, tient des ateliers, donne des allocutions lors d'événements et offre ses conseils et ses compétences à des confrères et à de jeunes cinéastes prometteurs. En 2006, il cofonde DocAgora, à la fois congrès et festival du film itinérant traitant du développement des médias numériques qui a une présence en ligne bien établie. Il enseigne à l'Université Concordia de Montréal. Aussi, il écrit de nombreux articles sur le cinéma pour des publications comme POV Magazine (Canada), The Guardian (Royaume-Uni), Dox Magazine (Danemark) et Insider (Australie).
Pour de nombreux cinéastes émergents, Peter Wintonick est une figure quasi angélique qui intervient dans leurs vies professionnelles et personnelles. Il les aide à lancer ou à compléter leurs films, les conseille sur la façon de naviguer dans les festivals ou de distribuer leurs oeuvres et les traite toujours avec respect, peu importe leur statut dans l'industrie. Mila Aung-Thwin compte parmi les nombreux cinéastes que Peter Wintonick encadre. Les deux sont partenaires au sein de la société cinématographique à succès EyeSteelFilm. En 2008, Peter Wintonick devient producteur et directeur du développement de l'entreprise. Il y produit le film primé China Heavyweight (2012), de Yung Chang.
Penseur en résidence
En 2005, le premier ministre de l'Australie du Sud décrit Peter Wintonick comme étant « l'équivalent cinématographique d'un homme de lettres » et l'invite à devenir le septième « Penseur en résidence » annuel d'Adélaïde pour se concentrer sur l'utilisation des médias et des technologies numériques. Le poste, qui vise à « apporter de nouvelles idées à l'État et à les transposer de façon pratique afin d'améliorer la vie des personnes qui vivent ici », reconnaît l'étendue des connaissances de Peter Wintonick tout en lui offrant l'occasion de transmettre des idées qui lui tiennent à coeur.
Décès et héritage
Jusqu'à sa mort à 60 ans des suites d'un cholangiome malin, forme rare de cancer du foie, Peter Wintonick rêve de nouveaux projets, de l'avenir de la cinématographie et de changements sociaux. Il parvient à réaliser plusieurs d'entre eux. Dès son jeune âge, il était fasciné par l'idée de l'Utopie. Pendant des années, il prend des notes et tourne des images dans le but de faire un film sur le sujet. Ce rêve se poursuit grâce à Mira Burt-Wintonick, la fille qu'il a eue avec Christine Burt, sa partenaire de longue date qu'il épouse sur son lit de mort. Dans les mois qui suivent sa mort, Burt-Wintonick et EyeSteelFilm amassent plus de 37 000 $ pour compléter le dernier film de Peter Wintonick, Be Here Now. Les cinéastes documentaires Morgan Spurlock, Lucy Walker et Peter Raymont, tout comme Atom Egoyan, Bruce McDonald et de nombreux autres, contribuent à la campagne.
Après la mort de Peter Wintonick, Tom Perlmutter, président de l'ONF, dit que « Peter est (vraiment difficile de parler de lui au passé) l'une des éminences du monde du documentaire. Il connaissait tout le monde et tous connaissaient sa passion, son engagement et sa générosité. Le corpus d'œuvres qu'il a créé est imposant; mais sa contribution va bien au-delà du nombre de films réalisés. Elle se traduisait par sa vision plus vaste du documentaire, une vision qui était la quintessence même du bien-être moral de l'univers. » Mila Aung-Thwin souligne que « sa présence est perceptible de façon fort concrète dans des milliers de films », alors que Ray Pride, du magazine Filmmaker, le décrit comme un « cinéaste documentariste et ours désordonné à la voix canadienne, feutrée et curieuse qui contraste avec sa charpente de Bouddha... Parmi les personnes que j'ai côtoyées, il est l'un des rares individus à être sans contredit “noble” ».
En 2014, le Sheffield Doc/Fest crée le prix Peter Wintonick décerné au meilleur film activiste à chacun des festivals annuels, alors que l'Association des critiques de films de Toronto crée le Fonds documentaire Peter Wintonick. Mira Burt-Wintonick reçoit le premier chèque de 5 000 $.
Prix
Meilleur long-métrage canadien - Mention spéciale du jury (Chomsky, les médias et les illusions nécessaires), Festival international du film de Toronto (1992)
Film canadien le plus populaire (Chomsky, les médias et les illusions nécessaires), Festival international du film de Vancouver (1992)
Hugo d'or, meilleur documentaire social ou politique (Chomsky, les médias et les illusions nécessaires), Festival international du film de Chicago (1992)
Conque d'argent, meilleur film documentaire de plus de 40 minutes (Chomsky, les médias et les illusions nécessaires), Festival International du documentaire, du court-métrage et des films d'animation de Mumbai (1994)
Meilleur documentaire long-métrage – Mention spéciale (Cinéma vérité – Le moment décisif), Festival international du film de Vancouver (1999)
Prix du jury oecuménique (Cinéma vérité – Le moment décisif), Festival international du film de Berlin (2000)
Prix pour les films sur les conflits et résolutions (Seeing Is Believing: Handicams, Human Rights and the News), Festival international du film des Hamptons (2002)
Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques (2006)