Le Parti libéral a dominé la politique fédérale pendant la plus grande partie de l’histoire du Canada, en appliquant la formule gagnante mise au point sous la direction de sir Wilfrid Laurier : chevaucher le centre de l’échiquier politique. Les libéraux ont formé de nombreux gouvernements et fourni 10 premiers ministres au Canada, mais ils ont aussi eu leur part de défaites et de dissensions internes. Aux élections d’octobre 2015, le parti s’est hissé de la troisième à la première place à la Chambre des communes, obtenant un gouvernement majoritaire sous la direction de son chef Justin Trudeau. Il s’est maintenu au pouvoir aux élections de 2019, formant cette fois un gouvernement minoritaire.
Origines du Parti libéral
Le Parti libéral du Canada prend racine dans les partis d’opposition qui voient le jour dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique, lorsque des assemblées représentatives sont établies en Nouvelle-Écosse (1758), à l’Île-du-Prince-Édouard (1773), au Nouveau-Brunswick (1784) et dans le Haut et le Bas-Canada (1791). Ces partis se forment pour faire opposition aux oligarchies (petits groupes d’élites) qui dominent les administrations coloniales.
Dans le Bas-Canada (Québec), un parti essentiellement francophone (le Parti canadien) défend le principe du gouvernement responsable, suivant lequel le Cabinet ne peut gouverner que s’il jouit de la confiance de l’assemblée élue. Il prend le nom de Parti patriote en 1826 et revendique sous la direction de Louis-Joseph Papineau plus de pouvoir pour l’assemblée législative élue du Bas-Canada, où il détient la majorité. Devenu plus radical avec le temps et frustré dans ses ambitions, il provoque les rébellions de 1837‑1838, qui se solderont par des échecs. Dans le Haut-Canada (Ontario), le parti d’opposition est celui des réformistes, dont les éléments plus radicaux, dirigés par William Lyon Mackenzie, prendront part aussi aux rébellions.
Dans les Maritimes, Joseph Howe mène pendant 10 ans une lutte en faveur du gouvernement responsable et obtient gain de cause en 1848. Dans les deux Canada, une alliance politique anglo-française se forme lorsque les réformistes du Haut-Canada (menés par Robert Baldwin) se joignent à ceux du Bas-Canada (menés par Louis-Hippolyte La Fontaine) pour former un gouvernement en 1842, puis à nouveau en 1848 dans la Province unie du Canada. Ils obtiennent le gouvernement responsable cette année-là, peu de temps après qu’il a été accordé à la Nouvelle-Écosse.
Le mouvement réformiste du Haut-Canada se scinde en 1849 avec l’apparition d’une faction radicale qu’on appelle les Clear Grits, pour qui les Canadiens français exercent trop d’influence dans le gouvernement. Ils réclament donc la représentation selon la population, qui procurerait plus de sièges au Haut-Canada, où la langue anglaise domine, au détriment du Bas-Canada francophone.
Lorsque des réformistes modérés forment un gouvernement de coalition avec les conservateurs en 1854, les Grits se retrouvent dans l’opposition avec le Parti rouge (comme on appelle alors les réformistes au Bas-Canada), dirigé par Antoine-Aimé Dorion. Réformistes et Clear Grits s’allient sous la direction de George Brown et adoptent le nom de « libéraux » en 1857, un parti qui domine bientôt la scène politique au Haut-Canada. Divisée sur des questions comme la représentation selon la population, l’alliance avec les rouges tient tant bien que mal pendant un temps, jusqu’à ce que le chef libéral George Brown se joigne à la Grande Coalition de 1864, qui ouvrira la voie à la Confédération.
Mackenzie et Laurier
Après la Confédération, les libéraux de l’Ontario, les rouges du Québec et les réformistes des Maritimes s’unissent sous l’appellation de « libéraux ». Ils ont peu de succès contre les ruses politiques du premier ministreconservateursir John A. Macdonald et sa coalition fédérale, mais ils disposent bientôt de solides organisations provinciales. Après le scandale du Pacifique et la chute du gouvernement de Macdonald, le maçon Alexander Mackenzie forme le premier gouvernement libéral du Canada en 1873. Une grave dépression économique et l’aveuglement politique de Mackenzie font que Macdonald est réélu en 1878 avec son programme de protection du commerce. La Politique nationale qui en résulte, avec imposition de tarifs douaniers protectionnistes, est vivement contestée par Edward Blake, un avocat de Toronto et ex-premier ministre de l’Ontario, qui dirigera le Parti libéral de 1880 à 1887. (Blake demeure à ce jour le seul chef libéral fédéral qui n’est jamais devenu premier ministre.)
Choisi comme chef sur la recommandation de Blake à un caucus fédéral pourtant réticent, Wilfrid Laurier élargit graduellement la base du parti dans son Québec natal, où il s’est fait connaître en prêchant les vertus de la conciliation raciale. Profitant de la maladresse des conservateurs dans la crise scolaire du Manitoba, il remporte les élections de 1896 en faisant campagne sur les droits des provinces. Il gagnera aussi les trois suivantes en copiant la recette de Macdonald : une coalition de forces pancanadienne et un arrangement entre Canadiens anglais et français. Avec lui, les principes traditionnels du réformisme libéral se teintent de pragmatisme et de favoritisme.
Laurier bâtit sa coalition électorale au Canada anglais en s’appuyant sur les organisations de premiers ministres provinciaux libéraux qu’il fait entrer dans son Cabinet en tant qu’éminences grises de leurs régions respectives. Il approuve la vigoureuse politique d’immigration que son ministre du Manitoba, Clifford Sifton, propose pour coloniser l’Ouest et, avec le Grand Trunk Railway et le Chemin de fer Canadien du Nord, il se prête au même genre de collaboration à la liaison transcontinentale que son caucus dénonçait pourtant dans les années 1880 lorsque c’était le cheval de bataille de Macdonald.
Des divergences de principe distinguent encore les libéraux de Laurier de leurs adversaires conservateurs. En politique étrangère, les libéraux préfèrent créer la Marine royale canadienne plutôt que de contribuer à la British Navy (voirLoi du service naval). En politique commerciale, Laurier atteint l’objectif libéral de longue date d’un accord de réciprocité avec les États-Unis. Cette victoire va pourtant se retourner contre lui : la réciprocité lui aliène les milieux d’affaires protectionnistes qu’il a courtisés et les libéraux perdent les élections de 1911 aux mains des conservateurs portés par une vague d’antiaméricanisme. Laurier restera chef de son parti, assistant impuissant à la dégringolade qu’il subit lorsque la question de la conscription en vue de la Première Guerre mondiale ébranle temporairement la solidarité de son alliance franco-anglaise.
King, St-Laurent et Pearson
William Lyon Mackenzie King accède à la chefferie en 1919 et deviendra le premier ministre aux plus longs états de service de toute l’histoire du Canada (de 1921 à 1948, sauf pour deux périodes passées dans l’opposition, en 1926 et de 1930 à 1935). C’est sous les libéraux de King que les Canadiens entrent dans la grande crise économique des années 1930 et qu’ils traverseront ensuite la Deuxième Guerre mondiale.
On a attribué la longévité politique de King à son étonnante faculté de brouiller les enjeux politiques pour maintenir ses appuis dans des groupes aussi idéologiquement opposés que les agriculteurs libre-échangistes de l’Ouest et les manufacturiers protectionnistes du Canada central; à son habile reconnaissance de l’importance de l’appui du Québec, surtout durant la Deuxième Guerre mondiale; à son talent pour attirer dans son Cabinet des ministres forts, appuyés sur de solides assises régionales, et tirer le meilleur parti de leur aptitudes et de leurs relations; à son don de présenter un visage progressiste à l’électorat en introduisant graduellement des programmes de sécurité sociale tout en ménageant les milieux d’affaires.
Le successeur désigné de King, Louis St-Laurent, a davantage l’admiration des élites de la fonction publique et des affaires, mais à cause de sa négligence de l’organisation du parti et de sa dépendance envers la bureaucratie d’Ottawa, son régime assiste à l’effondrement de la grande alliance libérale du temps de King et au début de la disgrâce du parti dans l’Ouest canadien. Depuis la courte défaite de St‑Laurent aux mains du conservateurJohn Diefenbaker en 1957, le Parti libéral se bat pour regagner les solides appuis qu’il a déjà eus dans l’Ouest.
Il faudra trois élections générales avant que Lester Pearson, ancien diplomate et secrétaire d’État aux affaires extérieures et prix Nobel de la paix, ne reprenne les rênes du pouvoir fédéral en 1963. S’il a pu rebâtir le parti, il le doit surtout au talent d’organisateur et aux convictions réformistes de son proche conseiller Walter Gordon, dont les réformes lui coûtent pourtant de voir l’Ouest s’éloigner encore davantage d’un parti désormais dominé par les gens de Toronto. Gordon est félicité pour la victoire minoritaire de 1963, puis blâmé pour avoir recommandé un retour aux urnes en 1965, qui aboutit à un autre gouvernement libéral minoritaire. Sans jamais obtenir une majorité de sièges, Pearson accomplit beaucoup de choses en cinq années de pouvoir, dont un programme national d’assurance-santé, le Régime de pensions du Canada et un drapeau canadien distinct.
Trudeau et Turner
Pierre Trudeau succède à Lester Pearson au terme d’une campagne âprement disputée en 1968. Sous son règne, les Canadiens français se font plus présents que jamais dans le parti et dans le gouvernement du Canada. Son attachement au fédéralisme et son acharnement à combattre les forces séparatistes du nationalisme québécois, ainsi que son charisme personnel, sont au cœur du magnétisme qu’il exerce très tôt sur la population ‒ un phénomène qu’on a appelé la « trudeaumanie » ‒ et des fortes animosités qu’il provoquera plus tard chez les électeurs anglophones. Malgré une popularité nettement vacillante, le Parti libéral parvient à se maintenir au pouvoir jusqu’en 1979, puis à nouveau de 1980 à 1984, grâce à sa force dans le Canada central. Il continue cependant de se démener en vain pour regagner les faveurs de l’Ouest. Les libéraux de Trudeau « rapatrient » la Constitution et adoptent la Charte canadienne des droits et libertés en 1982.
Trudeau cède sa place de chef en 1984 et voit son ancien ministre des Finances, John Turner, lui succéder. Assermenté premier ministre le 30 juin, Turner déclenche aussitôt une élection générale, espérant profiter d’un bref regain de popularité dans les sondages d’opinion publique. Faute d’une organisation suffisante ou d’un programme convenable, et dépourvu d’un style personnel attrayant en campagne électorale, il entraîne le parti dans une défaite écrasante, ne remportant que 40 sièges à la Chambre des communes, contre 211 pour les conservateurs. Pendant les quatre années suivantes, les libéraux se débattent avec des problèmes d’organisation et d’idéologie. Aux élections de 1988, Turner mène une solide campagne qui fait appel au nationalisme, misant sur l’anxiété que provoque le projet des conservateurs de conclure un accord de libre-échange avec les États-Unis. Il redore le blason du parti à la Chambre avec une récolte respectable de 82 sièges, puis démissionne de son poste de chef.
Chrétien et Martin
Lorsque Jean Chrétien accède à la chefferie en 1990, il hérite d’un parti désorganisé, au bord de la faillite. Son appui à l’Accord de Charlottetown proposé par les conservateurs fait reculer les libéraux au Québec, mais en peaufinant leurs politiques et leur organisation, ces derniers sont fin prêts lorsqu’arrive l’échéance électorale d’octobre 1993. Ils ont insisté sur la création d’emplois et publié un programme de campagne détaillé qui fait taire les critiques selon lesquelles ils retomberaient dans la folie dépensière des gouvernements libéraux précédents. La campagne est un triomphe et les libéraux obtiennent une nette majorité avec 177 sièges. Avec l’anéantissement du Parti progressiste-conservateur (qui passe de 154 sièges à 2), l’effondrement du NPD (qui passe de 43 sièges à 9) et la montée du Bloc québécois (qui enlève 54 sièges), le Parti libéral de Chrétien est la seule formation nationale qui peut se vanter d’avoir des représentants de chaque province à la Chambre des communes. Il remporte les deux élections générales suivantes (en 1997 et en 2000), chaque fois avec une majorité.
Le gouvernement de Chrétien se lance dans un ambitieux programme, mené par le ministre des Finances Paul Martin, en vue d’équilibrer le budget fédéral. Il élimine le déficit de 42 milliards de dollars, mais au prix de fortes réductions dans les programmes sociaux et les paiements de transfert aux provinces. Chrétien fait peu de cas des nationalistes québécois, convaincu que la qualité de son gouvernement constitue une riposte efficace aux appels à la souveraineté du Québec. C’est un mauvais calcul, comme le révèle le référendum du Québec de 1995, que le camp fédéraliste gagne par une marge infime. Chrétien réagit à cette quasi-défaite par la Loi sur la clarté, où le gouvernement fédéral déclare qu’il ne négociera la séparation du Québec qu’après qu’une forte majorité aura dit oui à cette option dans un référendum fondé sur une question claire.
L’usure du pouvoir se fait sentir, et Chrétien doit faire face à l’opposition croissante des partisans libéraux de Paul Martin, son rival de longue date. Craignant de perdre un vote de confiance à un congrès libéral, il annonce en 2002 qu’il cède sa place. Martin devient chef du parti et premier ministre en 2003, promettant de renforcer le régime d’assurance-santé, de redorer le blason du Canada sur la scène internationale et de régler ce qu’il appelle le « déficit démocratique » du pays en accordant plus de pouvoirs aux simples députés. Mais son gouvernement est aussitôt mis à mal par un scandale impliquant l’usage abusif de fonds publicitaires fédéraux au Québec sous le régime de Chrétien. Martin tente de se dissocier de l’affaire en nommant une commission d’enquête, la Commission Gomery. Lors des élections du 28 juin 2004, le parti voit sa représentation réduite à une minorité aux Communes. Tiraillé entre de multiples priorités, Martin donne souvent l’impression d’un homme incapable de prendre des décisions. Le rapport de la Commission Gomery l’exonère de tout blâme dans ce qu’on appelle désormais le scandale des commandites, mais il confirme les allégations de corruption qui visent autant des hauts fonctionnaires de l’État que l’aile québécoise du Parti libéral fédéral. Les libéraux sont défaits aux élections du 23 janvier 2006 et Martin cède sa place le soir même.
Défaites écrasantes
En décembre 2006, les libéraux choisissent Stéphane Dion, qui a déjà siégé au Cabinet. Le nouveau chef hérite d’un parti désorganisé et démoralisé, endetté aussi après des années de querelles internes entre les camps de Chrétien et de Martin. En 2007 et 2008, les libéraux laissent passer des occasions de faire tomber le gouvernement conservateur minoritaire et de forcer la tenue d’une élection générale. Le premier ministre Stephen Harper prend les choses en mains et en convoque une pour le 14 octobre 2008. La pièce maîtresse de la campagne libérale est le « virage vert », qui promet de baisser les impôts et de lever une taxe carbone sur les émissions de gaz à effet de serre. La population ne suit pas et les libéraux voient leur nombre de sièges passer de 95 à 77 à la Chambre des communes. Le 20 octobre, Dion annonce sa démission.
Lorsque le Parlement se réunit en novembre, toutefois, les libéraux et les autres partis d’opposition conviennent de défaire le gouvernement et de demander au gouverneur général de nommer Dion premier ministre. Pour éviter la défaite, Harper annonce la prorogation du Parlement, jusqu’en janvier. Les libéraux s’empressent alors de remplacer Dion et choisissent comme chef l’ancien journaliste et universitaire Michael Ignatieff.
Malgré de vives attaques contre le gouvernement de Harper, les libéraux menés par Ignatieff ne parviennent pas à prendre leur élan. En mars 2011, ils s’allient aux autres partis d’opposition pour faire tomber le gouvernement minoritaire et forcer un retour aux urnes. Le pari se retourne contre eux : le chef du NPD, Jack Layton, vole la vedette à Ignatieff durant la campagne, les conservateurs gagnent avec une majorité d’élus et les libéraux finissent troisièmes derrière le NPD, avec seulement 34 sièges, le pire résultat de leur histoire. Ignatieff annonce sa démission dès le lendemain. Bob Rae, un député libéral qui a déjà été premier ministre de l’Ontario sous la bannière du NPD, devient chef intérimaire à la fin du mois, tandis que les libéraux entreprennent un examen de conscience pour savoir ce qui a bien pu reléguer à une lointaine troisième place un parti naguère dominant sur la scène fédérale.
Justin Trudeau
En 2008, Justin Trudeau, un ancien enseignant, fils aîné de Pierre Trudeau, est élu au Parlement. En 2013, il remporte haut la main la campagne à la direction du Parti libéral, la première de l’histoire du parti où les médias sociaux jouent un rôle important dans le choix d’un nouveau chef. Peu après, Trudeau suscite la controverse en faisant des commentaires sur une possible séparation du Québec et en avouant avoir fumé de la marijuana pendant qu’il était député. Sa popularité ne se dément pourtant pas, ravivant les souvenirs du charisme de son père.
Lors de la campagne électorale de 2015, Trudeau dissipe les doutes, alimentés dans la population par les conservateurs et le NPD, selon lesquels il serait trop jeune et inexpérimenté pour être premier ministre. Il démarque les libéraux de leurs adversaires en promettant de nouvelles dépenses et de nouveaux investissements dans l’économie ‒ au lieu de l’austérité et de l’équilibre budgétaire ‒ et devient l’incarnation du changement aux yeux des électeurs lassés par neuf années de régime conservateur sous l’emprise de Stephen Harper. Les libéraux obtiennent un gouvernement majoritaire et Trudeau devient le 23e premier ministre du Canada.
Il défraie aussitôt la manchette en formant un Cabinet composé à parts égales d’hommes et de femmes, une première au Canada. Au cours de ses deux premières années, son gouvernement accueille 40 000 réfugiés syriens au pays. Il réduit le taux d’imposition des particuliers à revenu moyen et l’augmente pour les Canadiens mieux nantis. Des changements apportés au Régime de pensions du Canada ont pour effet de relever les taux de cotisation et de réduire les économies d’impôt pour un grand nombre, mais aussi d’augmenter les prestations versées aux retraités.
Les libéraux procèdent aussi à une importante réforme du Sénat, fidèles à la promesse faite par Trudeau lorsqu’il était dans l’opposition, celle de libérer le Sénat de l’emprise des partis politiques. Les nouveaux sénateurs siégeront désormais à titre indépendant, non à titre de membres d’un caucus de parti. En l’espace de deux ans, les indépendants surpassent en nombre les sénateurs conservateurs, qui formaient jusque-là le plus grand caucus à la chambre haute.
Le gouvernement de Trudeau légalise l’aide à mourir dispensée dans certaines circonstances, légalise la marijuana, met en œuvre sa Stratégie nationale sur le logement, une initiative de 55 milliards de dollars répartie sur 10 ans, et institue l’Allocation canadienne pour enfants afin de venir en aide aux familles à revenu faible ou moyen. Il lance aussi l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Pour lutter contre les changements climatiques, le gouvernement de Trudeau encourage les provinces à adopter des mesures en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre. En 2019, la taxe fédérale sur le carbone entre en vigueur en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario et au Nouveau-Brunswick, les gouvernements de ces provinces ayant renoncé à créer leurs propres plans de tarification du carbone. Cependant, les libéraux ont dû aussi essuyer les critiques des environnementalistes pour avoir approuvé le projet d’expansion du pipeline Trans Mountain, qui permettrait d’exporter davantage de pétrole tiré des sables bitumineux de l’Alberta (voir Pipelines au Canada).
Les libéraux ont d’importants défis à relever en affaires étrangères, en particulier dans les relations du Canada avec les États-Unis, la Chine et l’Arabie saoudite. Si Trudeau était en bons termes avec le président américain Barack Obama, ses interactions avec le président Donald Trump (élu en 2016) sont tendues. La difficulté tient à la fois au caractère imprévisible du président et à sa menace de révoquer l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). De longues négociations aboutiront en novembre 2018 à l’Accord Canada‒États-Unis‒Mexique (ACEUM).
En décembre 2017, Trudeau entreprend un voyage en Inde censé faciliter des pourparlers commerciaux. Mais la démarche n’amène que de modestes contrats et s’avère un fiasco sur le plan des relations publiques. Certains reportages se moquent de Trudeau élégamment vêtu à la mode locale et laissent entendre qu’il a été boudé par le premier ministre indien, Narendra Modi, en raison de son appui présumé au séparatisme sikh. Les esprits s’échauffent lorsqu’on apprend que Jaspal Atwal, ancien membre d’un groupe illégal de séparatistes sikhs et condamné pour tentative de meurtre, a été invité à une réception officielle du Canada en compagnie du premier ministre. Le cabinet du premier ministre explique qu’il n’a pas approuvé la liste des invités, comme le veut l’usage, et qu’il a aussitôt annulé l’invitation. Vers la fin de la visite, Trudeau rencontre son homologue Modi et le ministre en chef du Punjab, Amarinder Singh. S’il se dit en faveur de l’unité de l’Inde et contre l’extrémisme, il affirme aussi que le gouvernement canadien n’entravera pas chez lui la liberté d’expression des nationalistes sikhs non violents, une position en tous points semblable à celle de son prédécesseur conservateur, Stephen Harper.
Le gouvernement de Trudeau a aussi sa part de démêlés avec la Chine. Le 1er décembre 2018, les autorités canadiennes arrêtent une citoyenne chinoise, Meng Wanzhou, une haute dirigeante de Huawei, à la demande des États-Unis. S’ensuit un interminable conflit diplomatique entre le Canada et la Chine. Cette dernière exige la libération de sa ressortissante, le gouvernement de Trudeau maintient qu’il doit laisser la justice suivre son cours. En l’espace de deux semaines, les autorités chinoises ont arrêté deux Canadiens qu’elles accusent d’espionnage : l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavor. La Chine ordonne aussi la réouverture du procès du Canadien Robert Schellenberg, qu’elle condamne à mort le 14 janvier 2019 pour trafic de drogue. Le gouvernement de Trudeau accuse la Chine de recours arbitraire à la peine capitale et demande la clémence. Avec sa ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, Trudeau en appelle à d’autres dirigeants pour faire monter la pression exercée sur la Chine. Cependant, l’ambassadeur du Canada John McCallum déclare que Meng Wanzhou pourrait gagner sa cause et éviter l’extradition aux États-Unis. Il est démis de ses fonctions en janvier 2019 et bientôt remplacé par Dominic Barton. En guise de représailles économiques, la Chine bloque les exportations canadiennes de porc, de canola et de soya.
Les relations avec l’Arabie saoudite deviennent tendues elles aussi. En 2018, Trudeau et Freeland se prononcent ouvertement contre les violations des droits de la personne dans ce pays. Freeland impose des sanctions contre 17 Saoudiens soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. En même temps, le Canada a une entente de plusieurs milliards de dollars prévoyant l’exportation de véhicules blindés légers de sa fabrication vers l’Arabie saoudite. Les pressions sont fortes de la part de la population pour faire annuler cet accord, qui a été signé par le gouvernement précédent, celui de Stephen Harper, et approuvé par les libéraux.
Sur le front intérieur, Trudeau et son gouvernement sont accusés d’ingérence politique dans l’affaire du vice-amiral Mark Norman, accusé de bris de confiance pour avoir présumément divulgué des renseignements confidentiels, une accusation qui est suspendue en mai 2019. Les avocats de Norman accusent le gouvernement d’avoir dissimulé délibérément des documents pertinents lors de l’enquête initiale et de s’être ingéré dans la poursuite intentée contre leur client, des charges que le gouvernement rejette.
Le parti subit un revers majeur dans la troisième année du mandat de Trudeau. Au début de 2019, deux membres du Cabinet démissionnent : l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale Jody Wilson-Raybould et l’ancienne ministre des Services aux Autochtones Jane Philpott. Wilson-Raybould allègue que le premier ministre et son personnel sont intervenus dans la poursuite menée par le ministère de la Justice contre le cabinet d’ingénierie SNC-Lavalin. Le cabinet est accusé de fraude et de corruption dans ses tractations en Libye. Les sondages d’opinion publique montrent une chute abrupte des appuis au Parti libéral, qui accuse un retard de plus de 10 points dans certains cas sur les conservateurs. Pourtant, dès le début de l’été, le parti a regagné une bonne partie du terrain perdu plus tôt dans l’année.
Les libéraux de Trudeau obtiennent un gouvernement minoritaire lors des élections fédérales du 21 octobre 2019. Si on compare avec celles de 2015, ils subissent des pertes dans toutes les provinces, en particulier dans les Prairies, où l’Alberta et la Saskatchewan n’élisent aucun député libéral. Ils perdent aussi au nombre de voix, recevant 33 % des suffrages exprimés, contre plus de 34 % pour les conservateurs. Malgré tout, ils gagnent 157 sièges, ce qui leur donne une minorité relativement forte.
Conflits internes
Dans tout parti aux assises étendues, il se trouve toujours des groupes restreints mais influents qui s’opposent aux vues de la direction. Ainsi en Colombie-Britannique dans les années 1950, de nombreux libéraux provinciaux ont formé une coalition avec le Crédit social, un mouvement de droite, au grand désarroi du parti fédéral. Dans les années 1960, le libéral Ross Thatcher, premier ministre de la Saskatchewan, s’est opposé farouchement à l’État-providence du premier ministre Lester Pearson. Ces deux conflits ont miné la crédibilité du parti fédéral dans l’Ouest. Depuis les années 1960, tous les partis libéraux provinciaux montent leur propre organisation et poursuivent souvent des politiques qui tranchent avec celles du parti fédéral.
Tout au long de son histoire, le Parti libéral voit aussi ses rangs tiraillés entre les forces du continentalisme et du nationalisme. C’est le cas en particulier dans les années 1960 lorsque Walter Gordon mène les efforts visant à limiter l’emprise étrangère sur l’économie (voirInvestissement étranger). Malgré de nombreux revers, Gordon continue de défendre ses idées dans le parti, contrairement à d’autres dissidents comme les ministres James Richardson and Eric Kierans qui quittent le Cabinet de Pierre Trudeau, dont ils désapprouvent les politiques (linguistique pour Richardson, économique pour Kierans).
À la fin des années 1970 et au début des années 1980, le parti est déchiré entre les tendances de gauche et de droite qu’incarnent respectivement les factions de Pierre Trudeau et de John Turner. Ce dernier quitte son poste de ministre des Finances en 1975, puis se comporte comme le dauphin en exil pendant près d’une décennie.
Des conflits plus récents ont moins à voir avec les politiques qu’avec la direction. Il en est ainsi des querelles qui couvent à l’interne après le congrès du parti de 1984, où Jean Chrétien arrive deuxième, derrière Turner. Les partisans de Turner accusent Chrétien de dénigrer le nouveau chef dans les coulisses. Des accusations semblables viendront du camp de Chrétien après qu’il aura battu Paul Martin au congrès à la direction de 1990. Les tensions perdurent durant tout son mandat de premier ministre, jusqu’à ce qu’il annonce sa démission en 2002.
Financement
Les libéraux ont longtemps recueilli leurs fonds de campagne auprès de la grande entreprise et, dans une moindre mesure, de la petite (voirFinancement des partis politiques). Après l’adoption de la Loi sur les dépenses d’élection (1974), le financement auprès des entreprises cède graduellement la place aux dons des membres, qui sont déductibles du revenu imposable, et aux subventions directes à même les deniers publics (voirSystème de partis). Les contributions d’entreprises disparaissent pratiquement en 2004 avec l’adoption d’une nouvelle loi sur le financement politique, qui interdit aux sociétés commerciales et aux syndicats de verser de l’argent aux partis et qui limite leurs contributions aux caisses électorales des candidats, lesquelles seront interdites en 2006. Pour combler le manque à gagner, les partis ont droit dès lors à un financement public calculé d’après le nombre de voix reçues à l’élection générale précédente. Les libéraux profitent énormément de cette subvention, qui prend fin en 2015.
Pragmatisme
Le Parti libéral a dominé la politique canadienne pendant une bonne partie du 20e siècle. Il a survécu aux années 1920, une époque où la formation du même nom s’effondrait en Grande-Bretagne, et aux années 1990, lorsque le mot « libéral » était péjoratif aux États-Unis. Son succès tient à sa capacité d’occuper le centre de l’échiquier politique, tout en faisant preuve d’une souplesse idéologique grâce à laquelle il peut prôner tantôt une hausse des dépenses publiques et tantôt l’équilibre budgétaire, appuyer le libre-échange en certaines périodes et le condamner vigoureusement en d’autres.
Dans les dernières décennies du 20e siècle, son insistance sur la tolérance a plu aux immigrants et à l’électorat urbain et lui a permis de dépeindre ses adversaires comme étant étroits d’esprit. Au Québec, l’essor du Bloc québécois et, plus tard, du NPD lui a fait grandement obstacle, ébranlant sa mainmise traditionnelle sur une province qui a déjà été la source première de son pouvoir. Mais aux élections de 2015, le Parti libéral a prouvé une fois de plus que son message centriste et flexible trouvait encore un écho au Québec et dans le reste du Canada.