Paix, ordre et bon gouvernement | l'Encyclopédie Canadienne

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Paix, ordre et bon gouvernement

L’expression «Paix, ordre et bon gouvernement» est utilisée à l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) de 1867 (maintenant appelé Loi constitutionnelle de 1867). Elle offre une définition, vague et large, du pouvoir législatif du Parlement canadien sur des sujets qui concernent les provinces. Depuis la Confédération, cette formulation a provoqué des tensions entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux quant à la répartition des pouvoirs. Au‑delà de son aspect constitutionnel, cette phrase a également acquis un sens indépendant auprès de la population canadienne. Elle en est venue à être considérée comme l’équivalent canadien des droits fondamentaux, que sont la vie, la liberté et la recherche du bonheur, inscrits dans la déclaration d’indépendance des États‑Unis, ainsi que de la devise de la République française « Liberté, égalité, fraternité ».


Parlement canadien

Contexte

L’expression « Paix, ordre et bon gouvernement » est utilisée, dans le contexte colonial britannique, pour doter les gouvernements locaux d’un pouvoir législatif. On la retrouve dans le New Zealand Constitution Act de 1852, dans le Commonwealth of Australia Constitution Act de 1900, dans le South Africa Act de 1909 et dans le Government of Ireland Act de 1920. Une variante, « Paix, bien‑être et bon gouvernement », apparaît au Canada dans la Proclamation royale d e1763, dans l’Acte de Québec de 1774, dans l’Acte constitutionnel de 1791 et dans l’Acte d’Union de 1840‑1841. La formulation « Paix, ordre et bon gouvernement » est utilisée, au Canada, pour la première fois, en 1858, dans le cadre de la proclamation de la Colombie‑Britannique.

Confédération

Après des années de consultations et de délibération, la Loi constitutionnelle de1867 est approuvée par le Parlement britannique en 1867. Elle prévoit la fusion de la Province du Canada (l’Ontario et le Québec contemporains), du Nouveau‑Brunswick et de la Nouvelle‑Écosse, au sein d’un dominion fédéral, membre du Commonwealth britannique. Le nouveau pays doit être dirigé par le gouvernement du Canada, avec une ingérence limitée des autorités britanniques. Il doit avoir sa propre Chambre des communes, son propre Sénat et sa propre Magistrature.

Il est prévu que le pouvoir législatif sera partagé entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Compte tenu du régionalisme qui a constitué un facteur de déstabilisation politique avant la Confédération, le gouvernement canadien adopte une structure fédérale. Ce système vise à préserver un certain degré d’autonomie locale des provinces. (Voir aussi  Répartition des pouvoirs; Relations fédérales‑provinciales.)


Conférence de Québec

La Conférence de Québec en 1864, tenue pour établir les bases d'une union des provinces de l'Amérique du Nord britannique. 

Répartition des pouvoirs

Les articles 91 à 95 constituent la partie VI de la Loi constitutionnelle de 1867 qui détaille la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Les Pères de la Confédération ont comme objectif de créer un système au sein duquel le gouvernement fédéral aura compétence sur l’ensemble des affaires nationales, tandis que les affaires locales relèveront des gouvernements provinciaux. L’article 91 définit la compétence du gouvernement fédéral, lui donnant le pouvoir de « légiférer pour la Paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada », et ce, dans tous les domaines ne relevant pas de la compétence exclusive des provinces.

L’article 92 définit les domaines de compétence des provinces. Il s’agit notamment de la fiscalité, du droit relatif à la propriété, à la plupart des contrats et à la responsabilité civile en cas de délit, des travaux locaux, des prisons, des établissements de bienfaisance et des hôpitaux. Si la nécessité se présente de légiférer dans un domaine dont la responsabilité n’est pas établie par les articles 91 ou 92, le principe de « Paix, ordre et bon gouvernement » attribue la compétence de le faire au gouvernement fédéral.

Interprétation

La large portée de l’expression « Paix, ordre et bon gouvernement » peut être interprétée comme signifiant que le gouvernement fédéral devrait avoir autorité sur toute question ne concernant pas immédiatement les provinces. Dans la pratique, le pouvoir fédéral a été interprété par les tribunaux comme se rapportant à quatre domaines, à savoir les compétences résiduelles, l’état d’urgence, la dimension nationale et la prépondérance fédérale.

Branche des compétences résiduelles

La branche des compétences résiduelles, rarement utilisée, concerne tous les domaines qui ne sont pas explicitement décrits aux articles 91 et 92. Bien que les domaines qui n’existaient pas au moment de la création de la Confédération ne relèvent généralement pas de la compétence du gouvernement fédéral, la Cour suprême du Canada juge, en 1952, dans l’affaire Johannesson c. West St Paul (municipalité rurale de) que le gouvernement fédéral a autorité sur l’industrie aérospatiale. Cette décision établit un précédent pour les interprétations modernes de la formule « Paix, ordre et bon gouvernement ».

Branche des pouvoirs d’urgence

Dans des circonstances exceptionnelles, le gouvernement fédéral peut invoquer l’état d’urgence (voir également  Protection civile au Canada), qui octroie au Parlement des pouvoirs spéciaux, permettant au gouvernement fédéral d’intervenir dans des domaines de compétence provinciale, quand le pays fait face à une crise menaçant son existence. Ces pouvoirs d’urgence ne peuvent être prolongés au‑delà de la durée de la situation d’urgence elle‑même.

Pendant la Première Guerre mondiale, le gouvernement fédéral adopte la Loi sur les mesures de guerre qui attribue au Cabinet des pouvoirs étendus sur presque toutes les sujets et lui permet d’ignorer les libertés civiles. (Voir aussi  Internement au Canada; Internement des Ukrainiens au Canada; Internement des Canadiens d’origine japonaise.) En 1988, la Loi sur les mesures de guerre est abrogée et remplacée par la Loi sur les mesures d’urgence, qui vise à autoriser « à titre temporaire, des mesures extraordinaires de sécurité en situation de crise nationale et à modifier d’autres lois en conséquence ».

La Loi sur les mesures d’urgence crée des pouvoirs plus limités et plus ciblés que ceux prévus par la Loi sur les mesures de guerre, afin de permettre au gouvernement fédéral de faire face à des situations d’urgence en matière de sécurité, et ce, dans cinq catégories: les urgences nationales, les sinistres, les états d’urgence, les états de crise internationale et les états de guerre. En vertu de la Loi, les décrets et les règlements émanant du Cabinet doivent être examinés par le Parlement, ce qui signifie que le gouvernement ne peut agir seul, contrairement à ce que prévoyait la Loi sur les mesures de guerre. La Loi sur les mesures d’urgence stipule également que les actions du gouvernement sont soumises à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Déclaration canadienne des droits.

Branche de la dimension nationale

En vertu de la branche de la dimension nationale, le gouvernement fédéral peut légiférer dans des domaines énumérés à l’article 92 lorsqu’ils ont une incidence sur le principe de « Paix, ordre et bon gouvernement ». En 1896 et en 1946, deux affaires liées à la prohibition illustrent comment des situations locales peuvent relever du gouvernement fédéral. En 1988, la Cour suprême statue que cette doctrine s’applique à des sujets qui n’existaient pas en 1867, par exemple, la pollution des océans, et à des affaires provinciales qui comportent une dimension nationale, sans constituer des situations d’urgence.

Branche de la prépondérance fédérale

En cas de chevauchement de lois fédérales et provinciales, les textes adoptés par le Parlement fédéral ont la priorité. Au fil du temps, ce sont effectivement les lois fédérales qui ont été utilisées lorsqu’il y avait un conflit ou un recoupement avec la législation provinciale. Cependant, en novembre 2015, la Cour suprême juge que la prépondérance fédérale ne doit s’appliquer que dans le cas où les lois fédérales et provinciales se contredisent directement.


La statue Justitia
La statue Justitia devant la Cour suprême du Canada, donnant sur la Tour de la Paix du Parlement à Ottawa.
(© Michel Loiselle | Dreamstime)


Portée

L’expression « Paix, ordre et bon gouvernement » est devenue un mécanisme central de médiation pour la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Même si, au départ, le Canada devait être doté d’un gouvernement fort et centralisé (voir  Fédéralisme), les interprétations juridiques de l’expression « Paix, ordre et bon gouvernement », au cours du 20siècle, ont plutôt eu pour effet de préciser les limites de l’autorité fédérale sur les provinces.

La vision de l’identité nationale qu’exprime la formule « Paix, ordre et bon gouvernement » fait partie d’un ensemble de croyances qui composent le mythe du Canada en tant que « royaume pacifique ». Au‑delà de son aspect constitutionnel, l’expression a également acquis un sens indépendant auprès de la population canadienne. Elle en est venue à être considérée comme l’équivalent canadien des droits fondamentaux, que sont la vie, la liberté et la recherche du bonheur, inscrits dans la déclaration d’indépendance des États‑Unis, ainsi que de la devise de la République française « Liberté, égalité, fraternité ».

Voir aussi Histoire constitutionnelle; Droit constitutionnel; Monarchie constitutionnelle;Loi constitutionnelle de 1867; Loi constitutionnelle de1867: document; Statut de Westminster; Statut de Westminster, 1931: document; Renvoi sur le rapatriement; Rapatriement de la Constitution; Loi constitutionnelle de 1982; Loi constitutionnelle de 1982: document.

Lecture supplémentaire