Pacifique Plante | l'Encyclopédie Canadienne

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Pacifique Plante

Pacifique Plante (surnommé Pax Plante), avocat et policier (né le 15 juillet 1907 à Montréal, Québec; décédé le 9 août 1976 à Guadalajara, Mexique). Rendu célèbre grâce à la lutte qu’il a menée contre le crime organisé et la corruption à Montréal au cours des années 1940 et 1950, cet avocat de formation a notamment contribué à la tenue de la Commission d’enquête Caron sur la moralité publique.
Jean Drapeau et Pacifique Plante en 1954

Début de carrière

Pacifique Plante est le fils d’Emma Roy et de l’avocat montréalais Léandre Plante. Devenu à son tour avocat, il obtient le poste de greffier à la Cour municipale de la Ville de Montréal en 1937. Rapidement, il est témoin de nombreuses irrégularités, qu’il dénonce : procédures négligées, poursuites abandonnées sans raison valable, favoritisme. De fait, depuis plusieurs décennies, Montréal est aux prises avec un sérieux problème de corruption au sein de son service de police, voire de son administration municipale.

Ville portuaire, Montréal a acquis depuis le début du siècle, et davantage durant les années 1920 avec la prohibition de la vente d’alcool aux États-Unis et dans les autres provinces canadiennes, la réputation d’être une ville ouverte à tous les plaisirs. En effet, étant le seul grand centre urbain du continent nord-américain à ne pas être régi par une loi sur la prohibition, Montréal est dotée depuis le milieu du XIXe siècle d’un « quartier rouge » (Red Light District) florissant qui abrite un grand nombre de maisons de prostitution et de jeu (voir jeux d’argent), de débits d’alcool clandestin et de cabarets. Cette réputation festive de la ville a un impact direct sur l’essor de son tourisme.

Au fil des ans, la police intervient pour fermer ces lieux, mais ils rouvrent toujours leurs portes quelques mois plus tard. En janvier 1944, alors que la Deuxième Guerre mondiale fait rage, l’Armée canadienne exige la fermeture des maisons de prostitution sous peine d'interdire l’accès des militaires à Montréal, car un nombre important d’entre eux (plus de 4000 entre 1940 et 1943) ont contracté des maladies vénériennes et ont dû être hospitalisés (voir Infections transmises sexuellement). Sous la menace, le maire de Montréal s’empresse de faire fermer le « Red Light »; mais une fois les troupes dispersées, les affaires reprennent de plus belle dans le quartier.

À l’automne 1945, Pacifique Plante devient conseiller juridique de « l’escouade de la moralité », une brigade de policiers de la ville de Montréal qui lutte contre le crime organisé. Un événement à l’été 1946 précipite toutefois sa nomination à titre de directeur adjoint du service de police. Le « roi du jeu » de Montréal, Harry Davis, est abattu en plein jour et son meurtrier, avant d’être arrêté par la police, révèle à un journaliste l’importance de la corruption qui règne parmi les fonctionnaires et les policiers municipaux. L’opinion publique réclame alors qu’un ménage soit fait dans la ville.

C’est ainsi que le 7 août 1946, Pacifique Plante est nommé directeur adjoint responsable de la brigade des mœurs. Rapidement, il se lance dans une vaste campagne d’assainissement de ce qu’on appelle alors le « vice commercialisé ». Multipliant les descentes dans les bordels et les maisons de jeu, il invite les journalistes et les photographes à assister à l’arrestation des contrevenants, révélant ainsi au grand jour les activités illicites de ces commerces. En quelques mois, son action porte fruit : les maisons de prostitution, établissements de jeu et débits d’alcool illégal sont vidés et fermés, ce qui prive le crime organisé de ses revenus. Le coup le plus spectaculaire est sans aucun doute l’arrestation d’Harry Ship en janvier 1948. Trouvé coupable de trois chefs d’accusation pour avoir tenu une maison de jeu, Ship est condamné à six mois d’emprisonnement.

En dépit de ses loyaux services et de sa popularité auprès du public, Pax Plante est congédié au printemps 1948 par le directeur de la police, Albert Langlois, pour des raisons qui seront plus tard jugées futiles.

Montréal sous le règne de la pègre

En réaction à son congédiement, avec l’aide du journaliste Gérard Pelletier, Plante publie entre le 28 novembre 1949 et 18 février 1950 une soixantaine d’articles dans Le Devoir. Ces articles, qui seront rassemblés et publiés en 1950 aux Éditions de l’Action nationale sous le titre Montréal sous le règne de la pègre,dénoncent l’industrie du crime organisé à Montréal et mettent en lumière le système de protection qui s’est développé au fil des ans au sein du service de police. Les révélations qui y sont faites contribuent à la tenue d’une commission d’enquête sur la corruption policière à Montréal. Le 11 mai 1950, Pacifique Plante, assisté d’un jeune avocat du nom de Jean Drapeau, dépose officiellement à la Cour supérieure une requête de plus de 1000 pages, signée par 74 citoyens (réunis au sein du Comité de moralité publique formé en mars 1950) exigeant la tenue d’une enquête. Le travail de cette commission présidée par le juge François Caron s’étale sur 31 mois, du 11 septembre 1950 au 3 avril 1953.

Pacifique Plante, Montréal sous la p\u00e8gre (1950)

La preuve montée par Plante est solide. Drapeau et lui travaillent sans relâche pour que la vérité soit faite sur les agissements des 66 personnes mentionnées dans l’acte d’accusation. La commission Caron, comme on l’appellera communément par la suite, est la plus importante et la plus coûteuse (son coût est estimé à 500 000 $) des enquêtes tenues jusqu’alors sur le vice et la corruption à Montréal. Au cours de celle-ci, 373 témoins sont appelés et plus de 1000 preuves sont présentées. Après plusieurs mois de délibérations, le juge Caron dépose son rapport le 8 octobre 1954. Dans la foulée de celui-ci, le chef de police Albert Langlois est destitué et une vingtaine d’officiers sont suspendus.

Élection de Jean Drapeau à la mairie de Montréal
Pierre Desmarais, Jean Drapeau et Pacifique Plante, 25 octobre 1954
Jean Drapeau
Portrait of Jean Drapeau, Mayor of Montréal by Harry Palmer. 4 December 1986\r\n

Si la Commission Caron a permis à Pacifique Plante d’asseoir son image de justicier incorruptible, elle a surtout révélé au public une autre figure, qui jouera un rôle de premier plan dans l’histoire de Montréal pendant les 30 années suivantes. En effet, le jour même du dépôt du rapport, l’avocat Jean Drapeau annonce qu’il se présente comme candidat à la mairie lors des prochaines élections municipales (voir Politique municipale). Appuyé par le Comité de moralité publique, qui depuis janvier 1951 porte le nom de Ligue d’action civique, Drapeau profite de l’effet Caron et, avec un programme de « nettoyage » de la ville, est élu maire de Montréal le 25 octobre 1954. Une de ses premières décisions est d’ailleurs de nommer Pacifique Plante chef de police intérimaire. Il le restera jusqu’en 1957, moment qui correspond à l’élection du sénateur libéral Sarto Fournier à la mairie de Montréal.

À la suite de menaces pour sa vie, Pax Plante quitte le Québec en 1958 pour s’établir au Mexique, où il vit discrètement, n’effectuant que quelques visites ponctuelles à Montréal, jusqu’à son décès en 1977. Sa connaissance profonde du crime organisé fait de lui un commentateur prisé par les médias, qui n’hésitent pas à le consulter à l’occasion, notamment en 1969 lors du dépôt du rapport de la Commission Prévost sur le crime organisé.

Héritage

Quelques années avant le décès de Pax Plante, Alain Stanké et Jean-Louis Morgan publient Pax. Lutte à finir avec la pègre, le fruit d’une longue entrevue qu’ils ont menée avec celui-ci à propos des liens entre le crime organisé, l’appareil administratif et le pouvoir politique. La carrière de Plante a aussi inspiré plusieurs œuvres de fiction, notamment une série télévisée écrite par Lise Payette et intitulée Montréal ville ouverte. Diffusée à partir de l’hiver 1992, elle raconte les démêlés des deux avocats (Plante et Drapeau) qui se sont attaqués au début des années 1950 à la corruption de l’administration montréalaise. En 1996, l’auteur canadien William Weintraub, dans un ouvrage intitulé City Unique, a pour sa part permis aux lecteurs anglophones de découvrir ou de redécouvrir l’histoire de Pax Plante.

Pour nombre de Canadiens et surtout, de Québécois, Plante incarne l’intégrité, le policier et l’avocat incorruptible qui, contre vents et marées, a su ramener l’ordre dans l’une des administrations municipales les plus corrompues du pays. Il n’est donc guère surprenant, alors que la Commission sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (plus familièrement, la Commission Charbonneau) bat son plein au Québec, de voir Le Devoir titrer : « Faut-il un nouveau “Pax” Plante? ».

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