Norman Bethune | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Norman Bethune

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Comment un médecin au caractère plutôt irascible, originaire de Gravenhurst (Ont.), devient l'un des plus grands héros de la Chine de Mao constitue l'un des récits les plus extraordinaires de l'histoire canadienne.

L'arbre généalogique de Norman Bethune remonte au temps de Guillaume le Conquérant et compte plusieurs générations de chirurgiens ayant pratiqué la médecine dans l'île de Skye, en Écosse. Son arrière-arrière-grand-père, qui avait été fait prisonnier pendant la Révolution américaine à cause de sa loyauté envers la Grande-Bretagne, fuit au Canada lorsqu'il est relâché. Norman tient peut-être son esprit d'aventure de son père, Malcolm, qui s'est essayé à l'élevage de moutons en Australie et à la culture des oranges à Hawaï, où il rencontre et épouse une fervente missionnaire, Elizabeth Ann Goodwin. Celle-ci convertit son mari qui devient pasteur. Sa première affectation les amènera à Gravenhurst, où Norman voit le jour en 1890.

En grandissant, Norman apprend qu'on doit aider ceux qui sont moins privilégiés que soi, mais il semble avoir aussi hérité de ses ancêtres une nature acariâtre. Il est d'abord bûcheron, puis enseigne au Collège Frontière avant de s'enrôler dans un corps d'ambulanciers en septembre 1914. Il subit lui-même une blessure alors qu'il ramasse des blessés près d'Ypres et est rapatrié pour raisons de santé. "Le carnage commence à me scandaliser, écrit-il. Je ne vois pas grand-chose de glorieux dans cette guerre."

En 1916, Bethune obtient son diplôme de médecin et, après la guerre, il s'installe à Detroit pour y soigner les pauvres. Il reproche à ses collègues d'exiger des sommes exorbitantes pour traiter les riches, mais de ne jamais prendre le temps de soigner les pauvres. Atteint de la tuberculose, il entre dans un sanatorium (où il transgresse toutes les règles) et subit une opération alors controversée qui se révélera un succès.

Bethune quitte le Canada pour la dernière fois en 1938 et se joint à la huitième armée de campagne dans la région frontalière de Shanxi-Hobei. Là, il est à la fois chirurgien infatigable et inventif, professeur et propagandiste.

En avril 1928, Bethune commence une nouvelle carrière à Montréal où il soigne les tuberculeux. Il effectue des recherches, des expériences et, quand il trouve les instruments chirurgicaux inadéquats, il en invente de nouveaux.

Le 24 octobre 1936, Bethune s'embarque pour l'Espagne afin de participer à la lutte contre le fascisme. Une fois sur place, il achète une ambulance et met sur pied une unité mobile de transfusion sanguine, une première mondiale, ce qui lui permettra de sauver de nombreuses vies. Alors qu'il est accueilli en héros à son retour au Canada, il sait qu'il ne peut y poursuivre sa carrière parce qu'il a publiquement déclaré appartenir au Parti Communiste.

En janvier 1938, Bethune part pour la Chine alors déchirée par la guerre. Il se dirige vers Chin Kang K'u, dans la province éloignée de Shanxi, mais, comme la ligne de chemin de fer a été coupée par les Japonais, le périple dure quatre mois. Il voyage en troisième classe avec les soldats et les réfugiés, dormant sur des sacs de riz et soignant civils et soldats le long du trajet. En mars, il atteint finalement Yan'an, où les Chinois le félicitent d'être revenu du royaume de la mort. C'est là, dans une caverne éclairée d'une seule chandelle, qu'il rencontre Mao Zedong.

Bethune organise la construction de l'hôpital de Sung-yen K'oun, mais cet hôpital sera détruit par les Japonais à peine trois semaines après son inauguration. Il rassemble à la hâte une unité mobile et se dirige vers le front. Les anecdotes selon lesquelles il donne ses vêtements aux blessés, offre son propre sang pour des transfusions ou parcourt 25 kilomètres pour prodiguer des soins à un seul soldat sont autant d'histoires qui se répandent dans toute la Chine.

Or, son mode de vie rigoureux affecte même le caractère irréductible de Bethune. Il ne connaît que quelques mots de chinois et se sent très seul. "Est-ce qu'on écrit encore des livres?", demande-t-il dans une de ses lettres à un ami canadien. "Est-ce qu'on joue encore de la musique? Est-ce qu'il vous arrive encore de danser, de boire de la bière et d'aller au cinéma?"

Ses collègues se plaignent constamment qu'il n'est pas à sa place. La Chine l'a transformé. "Je suis fatigué, c'est vrai", écrit-il un jour alors qu'il vient de pratiquer dix opérations, "mais je ne me rappelle pas avoir été aussi heureux... On me traite en camarade roi, avec une gentillesse inimaginable. "

Bethune songe à s'absenter de la Chine pendant trois ou quatre mois, mais retarde son départ, car il a trop à faire. Il dirige son équipe sur les pistes glacées jusqu'au pied des monts Mo-t'ien. C'est là que, au cours d'une opération, il s'inflige une coupure au doigt. L'infection envahit la blessure et il meurt de septicémie le 12 novembre 1939, dans le petit village de Huanshih K'ou. Pendant quatre jours, les Chinois transportent sa dépouille en terrain montagneux pour l'exposer solennellement à Chu-ch'eng où 10 000 personnes viennent lui présenter leurs respects.

L'éloge funèbre de Bethune, prononcé par Mao Zedong, a été mémorisé par des millions d'élèves chinois. "L'esprit du camarade Bethune, sa dévotion absolue aux autres dans l'abandon total de lui-même étaient reflétés dans son sens aigu des responsabilités professionnelles et dans sa grande générosité à l'égard de tous." Même si, tous les écoliers de Chine ont entendu parler de Bethune, au Canada, très peu de gens ont eu connaissance de sa mort. À cause de ses prises de position politiques, il y est demeuré presque totalement inconnu. Même aujourd'hui, malgré la production récente de films ou documentaires et la publication de biographies, Bethune n'a pas encore trouvé la place qui lui revient dans le coeur et l'identité des Canadiens. Le fait que des noms tels ceux de Mike Myers, Stompin' Tom Conners ou Don Cherry puissent apparaître avant le sien sur une liste des "Plus grands Canadiens" en dit long sur les valeurs véhiculées par notre culture populaire et sur le triste état de notre conscience historique.

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