Cet article fait partie d’une série sur l’histoire de l’industrie journalistique au Canada. Nous vous invitons également à consulter les articles sur les premiers journaux au Canada et les journaux au Canada : de 1800 aux années 1900.
Journalisme professionnel
Au début du 20e siècle, un nouveau type de journaux, les « journaux du peuple », voit le jour dans les villes industrielles du pays. De styles divers, les journaux du peuple délaissent les affiliations politiques et se concentrent sur la couverture de l’actualité, notamment de l’actualité sensationnaliste. Ces journaux sont concurrencés par des quotidiens de grande qualité, comme le Montreal Gazette et le Toronto Mail, qui tentent d’intéresser les élites en couvrant en profondeur les affaires politiques et économiques (voir Politiques et médias).
Chaque centre métropolitain important compte alors plusieurs grands quotidiens, qui séparent les rôles de journaliste, de chef de l’information, de rédacteur de nouvelles et de chroniqueur. Ce faisant, ils définissent les bases du journalisme professionnel.
Fusions et acquisitions
Le nombre de quotidiens publiés au Canada culmine à 143 en 1911. Les pressions pour enrayer la concurrence et concentrer la propriété se font déjà sentir. Le nombre de journaux publiés décline à partir de la Première Guerre mondiale (1914–1918) et des années suivantes. Partout au pays, les quotidiens rivalisent pour accroître leurs tirages et vendre plus de publicité. Cette féroce concurrence n’est pas sans faire de victimes. Les perdants font faillite, sont achetés par les journaux prospères ou avalés par les nouveaux conglomérats médiatiques.
Créée en 1904 par William Southam, propriétaire du Hamilton Spectator et du Ottawa Citizen, la société Southam Inc. acquiert graduellement des journaux d’un océan à l’autre, dont le Calgary Herald(1908), l’Edmonton Journal (1912), le Winnipeg Tribune (1920) et le journal The Province de Vancouver (1922). À Toronto, le Mail et l’Empire fusionnent en 1895. Le journal qui en résulte, le Mail and Empire, fusionne avec le Globe en 1936 (voir Globe and Mail). En 1949 à Halifax, on assiste à la fusion de deux journaux auparavant indépendants ayant chacun deux éditions quotidiennes : The Chronicle (matin) et The Star (après-midi); et The Herald (matin) et The Mail (après-midi), deviennent The Chronicle-Herald (matin) et The Mail-Star (après-midi).
La montée de la radio dans les années 1930 et de la télévision dans les années 1950 vient rompre le monopole publicitaire de la presse écrite. En 1953, il ne reste que 89 quotidiens au pays. En 1986, ce chiffre est en hausse, à 110, mais moins de villes canadiennes sont desservies par au moins deux quotidiens ayant des propriétaires différents. La partisanerie politique perdant de son importance pour les lecteurs, le cadre dichotomique voulant que chaque ville possède un quotidien d’allégeance libérale et un autre d’allégeance conservatrice disparaît progressivement.
Tabloïdes et journaux nationaux
Les fusions et les faillites de certains journaux métropolitains au 20e siècle contrastent avec l’émergence de nouveaux quotidiens dans les villes en essor (voir urbanisation). L’apparition des tabloïdes dans les grandes villes après 1960 constitue une évolution importante. Avant leur arrivée, presque tous les quotidiens métropolitains étaient des journaux grand format ou des journaux fusionnés établis au tournant du siècle.
En ciblant les classes populaires, les tabloïdes adoptent la stratégie des premiers quotidiens canadiens à grand tirage de la fin du 19e siècle (La Presse de Montréal et le Toronto Star). Le pionnier des tabloïdes au Canada est Pierre Péladeau, qui crée dans les années 1960 les très populaires Journal de Montréal et Journal de Québec. Le Toronto Sun, qui naît des cendres du Toronto Telegram en 1971, répète ce succès au Canada anglais, en ajoutant le populisme de droite à la formule habituelle des tabloïdes, centrée sur le sexe, le vice et le sport. Le Sun lance des journaux à Edmonton, Ottawa et Calgary (voir les journaux Sun Média).
Une innovation technologique importante survient à partir des années 1980, alors que le Globe and Mail, acquis par le Thomson Group lors de l’achat de FP Publications, recourt à la nouvelle technologie de la télématique pour publier une édition pancanadienne. Cette édition est transmise par satellite à des presses situées dans les régions de l’Atlantique, du centre et de l’ouest du pays (voir Communication par satellite).
Types de quotidiens
Ces évolutions aboutissent (avec certaines variations d’une région à l’autre) à l’existence de quatre principaux types de quotidiens au Canada : 1) les quotidiens nationaux haut de gamme, comme le Globe and Mail et le National Post (fondé en 1998) au Canada anglais et Le Devoir au Canada français; 2) les tabloïdes; 3) les quotidiens des petites villes, comme les journaux publiés par les clans Thomson et Desmarais; et 4) les quotidiens généralistes de marché intermédiaire, les plus nombreux en circulation, qui disposent d’un monopole ou sont en concurrence avec les tabloïdes dans la plupart des grandes villes. Ces quotidiens sont caractérisés par les journaux de la famille Southam, comme le Calgary Herald et le Montreal Gazette, et Le Soleil, publié par UniMédia à Québec. Les journaux de langue chinoise, comme les Chinese Express et Shing Wah Daily de Toronto, et les Chinese Voice et Chinese Times de Vancouver, représentent une cinquième catégorie de quotidiens canadiens.
À bien des égards, le Toronto Star demeure quant à lui dans une catégorie à part. Basé dans une grande ville et en concurrence avec plusieurs tabloïdes, journaux métropolitains et quotidiens nationaux à Toronto, le Star a le plus grand tirage au pays, même s’il n’est pas un quotidien national. Tout comme les journaux nationaux, il compte de nombreux correspondants à l’étranger.
En 1981, 89 % des adultes canadiens lisent au moins un quotidien par semaine et 69 % lisent au moins cinq exemplaires par semaine. Presque tous ceux qui ont un accès direct à la livraison de quotidiens lisent régulièrement le journal, cette proportion étant toutefois un peu plus faible chez les Francophones que chez les Anglophones.
Le marché francophone correspond à 18 % des tirages nationaux et comprend onze journaux : neuf au Québec, un à Ottawa et un à Moncton. Trois réseaux se partagent 90 % des tirages francophones : l’entreprise Québecor inc. de Pierre Karl Péladeau (environ 50 % des tirages), la société Gesca de Paul Desmarais (voir Power Corporation du Canada) et UniMédia de Jacques Francoeur (voir également Presse hebdomadaire au Québec).
Dans les années 1980, les quotidiens métropolitains commencent à publier le matin plutôt que l’après-midi, et à offrir une édition dominicale. Les journaux consolident leur place aux côtés des autres médias, bénéficiant en partie de la multiplication des stations qui vient fragmenter les publics radiophoniques et télévisuels.
Concentration et convergence des médias
Le paysage journalistique évolue graduellement et la convergence s’accentue au fil des décennies. Les quatre principaux propriétaires de journaux au pays contrôlent 36 % des tirages en 1960, 53 % en 1970 et 65 % en 1980. Au début des années 1980, à peine le quart des journaux canadiens sont indépendants. Reflet de cette convergence, des chaînes uniques contrôlent au moins les deux tiers des tirages provinciaux dans toutes les provinces du Canada, sauf l’Ontario et la Nouvelle-Écosse. En 1990, les quatre principaux propriétaires de journaux contrôlent 67 % des tirages au pays.
Un autre facteur contribuant à la concentration et à l’homogénéité du journalisme canadien est que les propriétaires des quotidiens détiennent en commun la Presse canadienne, principale agence de presse au pays et important fournisseur de nouvelles pour les stations de radio et de télévision.
La convergence des journaux est étudiée en 1969-1970 par le Comité spécial du Sénat sur les moyens de communication de masse, présidé par le sénateur Keith Davey, et en 1980-1981 par la Commission royale sur les quotidiens présidée par Tom Kent,aussi appelée Commission Kent. Ces deux études se penchent sur la concentration de la propriété des journaux et le déclin de la concurrence, la Commission Kent analysant la conglomération des quotidiens avec d’autres types de médias (voir Propriété des médias et Convergence des médias).
Les deux études soulignent que la liberté de presse repose sur la diffusion étendue de renseignements et d’opinions provenant de diverses sources, et que la convergence excessive de la presse pourrait nuire à ce principe. Le comité Davey recommande au gouvernement fédéral d’établir un comité de surveillance de la propriété de la presse. La recommandation est ignorée.
La Commission Kent recommande que les propriétaires de journaux ne puissent pas détenir de licences de radiodiffusion et de télédiffusion dans le même marché, demande que le gouvernement Trudeau accepte en principe. Cette recommandation, qui n’est que partiellement appliquée par le CRTC, sera toutefois abandonnée par le gouvernement Mulroney. Ottawa fait également pression pour que les quotidiens intègrent des conseils de presse. À la fin des années 1980, toutes les provinces sauf la Saskatchewan ont leurs conseils de presse. La demande de la Commission Kent de démanteler les pires cas de convergence et d’en contrecarrer les effets par des mesures favorisant la reddition de comptes et l’indépendance journalistique n’est pas acceptée. Les propriétaires de journaux s’y opposent farouchement, dénonçant une atteinte potentielle à la liberté de presse.
La Commission Kent conclut que la dynamique économique de l’industrie des journaux mène à la concentration de la propriété et à la réduction de la concurrence dans les marchés régionaux. Les quotidiens tirent environ 80 % de leurs revenus en vendant 50 ou 60 % de leurs pages à des annonceurs. À peine 20 % de leurs revenus découlent de la vente de journaux aux lecteurs. Dans bien des marchés, il est moins coûteux pour les annonceurs de rejoindre leur clientèle en passant par un seul journal, plutôt que par deux quotidiens ou plus. Ainsi, dans la plupart des villes, la concurrence de plein front entre le même type de journaux disparaît, la diversité journalistique ne perdurant que là où le marché est suffisamment important pour être segmenté en plusieurs lectorats.
Parallèlement, les importants coûts liés au lancement ou à la refonte d’un journal, et les économies d’échelle découlant d’une gestion centralisée, favorisent les chaînes au détriment des journaux indépendants. Une fois son monopole établi dans un marché, un quotidien devient plus rentable que la plupart des grandes entreprises.
Journaux communautaires
Le déclin du nombre de quotidiens métropolitains et l’abandon des marchés périurbains non rentables par les autres journaux donnent un élan aux journaux communautaires. De 1968 à 1978, les tirages de journaux communautaires sont plus que doublés. Au cours de cette période, la propriété des journaux communautaires se concentre progressivement entre les mains des chaînes détenues par les propriétaires des grands quotidiens.
Édition électronique
À la fin des années 1980, la plupart des journaux appartiennent à des conglomérats ayant des parts importantes dans d’autres entreprises, médiatiques ou d’autre nature. Certains éditeurs novateurs se diversifient grâce aux médias électroniques, en offrant du contenu consultable sur ordinateur ou des services vidéotex accessibles sur des terminaux télévisuels munis d’un clavier (un précurseur d’Internet).
Par exemple, le Globe and Mail lance le service en ligne Info Globe, qui répertorie les articles du journal publiés au fil des ans, en plus de nouer un partenariat avec les librairies Chapters dans les années 1990. Southam Inc. et Torstar Corp, propriétaires du Toronto Star, créent Infomart, un organisme de commercialisation de vidéotex qui contribue activement au système canadien de Télidon, que le Star finira par abandonner. Le Soleil de Québec et La Presse de Montréal sont également des pionniers des essais avec vidéotex.
À l’époque, plusieurs s’attendent à ce que la presse électronique réduise les recettes publicitaires et le lectorat des journaux en raison de sa portabilité. Toutefois, les quotidiens demeurant une source pratique et complète d’actualités, d’information et de divertissement, ils semblent susceptibles de perdurer pendant une longue période, en raison de leur lisibilité, de leur portabilité et de leur souplesse. Plusieurs des premiers services de presse électronique sont d’ailleurs abandonnés.
L’essor que connaissent les journaux dans les années 1980 est freiné par l’avènement d’Internet et son utilisation répandue dans les années 1990.