Nationalisme francophone au Québec | l'Encyclopédie Canadienne

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Nationalisme francophone au Québec

​Le nationalisme francophone au Québec ou le nationalisme québécois découle de l’évolution du nationalisme canadien-français.

Drapeau du Québec
(oeuvre de Karen E. Bailey/avec la permission des Biblioth\u00e8que et Archives Canada).

La nation et le nationalisme au Québec ont retenu l’intérêt des intellectuels et marqué le développement de la pensée politique au Québec. La manière dont les intellectuels définissent la nation et le contexte politique dans lequel elle s’inscrit a pris différentes formes depuis la Conquête britannique (1760). C’est d’abord une idéologie axée sur la survivance des Canadiens français au sein du Canada qui prévaut jusqu’à la Révolution tranquille des années soixante. Dès lors, un nationalisme spécifiquement québécois lié au projet d’émancipation politique du Québec prend forme dans les écrits et marque de manière importante les événements politiques des décennies suivantes. Plus récemment, en réaction à un nationalisme québécois aux accents ethnicistes, des auteurs proposent un nationalisme civique et / ou territorial plus inclusif, voire interculturaliste. À celui-ci s’oppose, un nationalisme patrimonial et historique auquel se greffe l’option pour le Québec d’un régime politique républicain.

La survivance

La sauvegarde de l’identité collective française domine l’expression du sentiment national au point où elle détermine les aménagements politiques successifs de la Nouvelle-France devenue colonie britannique en 1763 (voir Traité de Paris). Cette résistance au conquérant anglais culmine d’abord avec la rébellion des Patriotes de 1837), ceux-là mêmes dont la lutte nationale concerne exclusivement le Bas-Canada qu’il s’agit de détacher de son lien avec la métropole anglaise afin d’instaurer une nation politique autonome, et ce, en s’inspirant de l’exemple américain et des idées du républicanisme français. Les Patriotes conçoivent dès lors la nation en termes d’identité politique réunissant tous les habitants d’un même pays, le Bas-Canada, régit selon le principe des libertés démocratiques.

Montréal, émeutes de
Émeutiers rendus furieux par l'adoption d'une loi visant à fournir une compensation aux victimes des Rébellions de 1837. Peinture réalisée par Joseph Légaré (avec la permission du Musée McCord).
Louis-Joseph Papineau
Pendant la rébellion de 1837, Papineau a perdu la maîtrise des événements dont il avait été l'instigateur (avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada/C-11075).

L’échec de cette rébellion que vient consacrer l’Acte d’Union de 1840, acte selon lequel le Haut-Canada et le Bas-Canada ne forment plus désormais qu’une seule entité politique, marque un tournant politique décisif non seulement en regard du pouvoir dominant, mais aussi et surtout un tournant idéologique dont la prégnance sera plus que séculaire. En clamant ouvertement l’objectif d’assimilation, ce nouveau régime politique rive pendant plus d’un siècle le sentiment national à l’impératif de la survivance française en terre d’Amérique. Désormais, le Canada français va s’identifier par ses traits culturels. La nation n’est plus un territoire habité qu’on entend diriger comme le proposaient les Patriotes de 1837, mais une communauté de langue, de religion, de lois, de coutumes et de traditions qui est menacée et qu’il faut défendre. Ainsi s’amorce la conception de la nation comme une communauté socioculturelle à sauvegarder au Canada.

Triomphe clérical

Même si les idéaux politiques de nation et de liberté formulés par les Patriotes connaissent un prolongement certain, dans les activités et publications de l’Institut canadien (1844-1869), leurs idées libérales, démocratiques et laïcistes ne parviennent pas à triompher de l’affrontement doctrinal qui les oppose au clergé catholique. Celui-ci réussit à imposer par sa prédication ultramontaine (voir Ultramontanisme) et ses condamnations à l’endroit du libéralisme, l’importance primordiale de la foi catholique et le devoir de soumission à l’autorité légitime anglaise; il en vient même à faire de la religion catholique le premier critère de la nationalité canadienne-française. La religion est le meilleur moyen de cohésion des Canadiens français au Canada. Ce lien que le clergé établit entre la religion catholique et la survivance française lui permet de formuler un nationalisme ultramontain et conservateur dont Jules-Paul Tardivel sera le plus illustre représentant à la fin du XIXe siècle. Ce militant catholique et laïc invoque le premier, depuis le régime politique établissant l’union des colonies britanniques de l’Amérique du Nord (voir L’Acte de l’Amérique du Nord Britannique) en 1867, l’idée d’un État francophone séparé.

Jules-Paul Tardivel
Jules-Paul Tardivel, journaliste et romancier (1851-1905). Dans les derni\u00e8res décennies du XIXe si\u00e8cle, il est l'un des interpr\u00e8tes les plus reconnus de l'ultramontanisme et l'une des figures dominantes du nationalisme canadien-fran\u00e7ais.

La ligue nationaliste

Contre cette idée et aussi dans l’objectif de s’opposer à la participation du Canada aux guerres de l’Empire britannique du début du XXᵉ siècle, des intellectuels canadiens-français se portent les premiers à la défense du Canada comme pays souverain. Ils fondent en 1903 la Ligue nationaliste (Olivar Asselin, Omer Héroux, Armand Lavergne et Jules Fournier) et se revendiquent des idées du maître, Henri Bourassa.

Pour Bourassa, la nation et le nationalisme ont un sens politique; ils se situent au-dessus des deux principales communautés socioculturelles et linguistiques du Canada. La première les contient, le second harmonise leurs rapports de coexistence dans le cadre d’un même État. De ce point de vue, le Canada résulterait de la rencontre harmonieuse de « deux peuples », de deux langues et de deux religions. Cette vision de la nation canadienne, « anglo-française », Henri Bourassa et ses disciples la fondent sur l’histoire et en particulier sur une interprétation du projet des Pères de la Confédération. Selon celle-ci, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 a été une entente entre les deux peuples fondateurs du Canada, une « libre et volontaire association de deux peuples, jouissant de droits égaux en toutes matières ».

Henri Bourassa, 1917.

Cette vision fédéraliste du Canada érigée à la fois contre l’impérialisme britannique et le séparatisme de Tardivel établit une dissociation entre la communauté socioculturelle d’appartenance et l’identité nationale relevant de l’obligation politique. Il en ira tout autrement des successeurs de Bourassa qui, sur les prémisses du traditionalisme, attribuent l’appellation nationale au seul groupe canadien-français.

La communauté « de sang »

La crise de la Conscription en 1917 et l’échec des luttes en faveur des écoles de langue française hors Québec avec l’adoption du règlement 17 par le gouvernement ontarien (voir Question des écoles de l’Ontario) confirment aux disciples du chanoine Lionel Groulx, réunis autour de L’Action française (publié à Montréal de 1917 à 1928), que seuls les Canadiens français forment une nation. De leurs avis, cette nation est la plus fortement constituée en Amérique du Nord, car elle jouit du plus haut degré de cohésion et de solidarité résultant d’une communauté de sang, de langue, d’histoire, de religion et de mœurs. Qui plus est, cette communauté est animée d’un vouloir-vivre collectif.

L’Action française apporte donc au nationalisme canadien-français l’argument historique, en particulier celui de la naissance d’une nation neuve en terre d’Amérique et de sa résistance héroïque face à l’assimilation anglo-saxonne. La voie tracée par les ancêtres après la Conquête conduit le Canada français à « l’émancipation » nationale. Tel est le sens des grands moments de l’histoire dont l’œuvre de Lionel Groulx est le modèle. Dans cette foulée, l’Action française propose à la nation canadienne-française l’idéal d’un État français souverain, la Laurentie, devant faire coïncider identité nationale et citoyenneté politique. Toutes les idées économiques, sociales, culturelles et politiques convergent vers cette affirmation primordiale de l’existence nationale qui lui vaut l’épithète de « nationalisme intégral ». Cette pensée fait école jusqu’à la fin des années cinquante, avec la publication de L’Action nationale (fondée en 1933 par Esdras Minville) qui propose à la faveur de la crise économique des années trente une position politique plus modérée de nationalisme autonomiste proclamant la province de Québec l’« État national » des Canadiens français au Canada.

Lionel Groulx
\u00a9 Marie-Josée Hudon. Toutes les \u0153uvres reproduites sont la propriété de l'artiste. Reproduite avec la permission du Musée des Grands Québécois.

L’émancipation politique

Ce nationalisme traditionaliste défendu par Lionel Groulx et associé au régime politique de Maurice Duplessis est la cible des fondateurs (Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier) de la revue Cité libre (1950‒1966) qui plaident en faveur de la démocratisation des institutions politiques et de la modernisation de l’État. Or, c’est dans le processus de modernisation de l’État québécois, qui s’incarne dans la Révolution tranquille, qu’émergent des organisations politiques indépendantistes ‒ comme le Parti québécois (1968) et un nouveau nationalisme dissocié du traditionalisme. Proclamant un objectif de libération nationale, plusieurs intellectuels prônent le développement de l’identité québécoise à la manière de l’ethnicité réappropriée qui devient la raison d’être du projet politique de former le pays du Québec.

Pierre Bourgault
\u00a9 Marie-Josée Hudon. Toutes les \u0153uvres reproduites sont la propriété de l'artiste. Reproduite avec la permission du Musée des Grands Québécois.
Pierre Falardeau
\u00a9 Marie-Josée Hudon. Toutes les \u0153uvres reproduites sont la propriété de l'artiste. Reproduite avec la permission du Musée des Grands Québécois.

Et en particulier, une évaluation de l’expérience du « colonialisme » au Québec vient soutenir le plaidoyer des intellectuels pour l’indépendance et le socialisme. La décolonisation est invoquée pour retrouver l’identité québécoise en ces termes : le peuple québécois est colonisé, culturellement aliéné, dépersonnalisé. L’indépendance nationale est alors présentée comme la solution pour libérer le peuple de la domination coloniale et capitaliste du Canada anglais. Ces thèses anticolonialistes sont avancées par plusieurs publications (dont Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières) et périodiques parmi lesquels la revue Parti pris (1963‒1968) sert de pôle de référence. Malgré la théorie de la lutte des classes et l’appel à la révolution socialiste, c’est la problématique de l’oppression nationale qui accapare le coeur de la réflexion.

La vision indépendantiste

Des événements d’octobre 1970 (voir Crise d’octobre) au Référendum du Québec (1980), en passant par l’avènement au pouvoir en 1976 du Parti québécois, on ne compte plus les multiples façons que les intellectuels ont eues, pendant plus de 10 ans de se réclamer à la fois du marxisme et du nationalisme indépendantiste. C’est dans la réalité des luttes et alliances de classes que la question du Québec est appréhendée comme phénomène contribuant au procès de la dislocation de l’État canadien. Marquée par la critique des totalitarismes, la fin de cette prépondérance idéologique du marxisme confère aux années postréférendaires toute sa vigueur aux idées démocratiques inspirant une forme nouvelle de retour à la question du Québec, question qui définit cette fois la nation québécoise en termes d’entité politique pouvant réunir diverses communautés socioculturelles, et dont la souveraineté est présentée comme réponse au défi du pluralisme de la société québécoise.

René Lévesque
\u00a9 Marie-Josée Hudon. Toutes les \u0153uvres reproduites sont la propriété de l'artiste. Reproduite avec la permission du Musée des Grands Québécois.

S’il est convenu d’associer l’après-référendum du 20 mai 1980 au déclin du nationalisme indépendantiste, cette période correspond aussi à la crise budgétaire de l’État et à la volonté politique avouée de réduire l’interventionnisme étatique, longtemps considéré comme fer de lance du mouvement national québécois.

Le renforcement de la primauté accordée à la société de marché contre une politique socialisante d’où provient l’État providence et la proposition d’une société ouverte aux accords de Libre-échange avec les États-Unis, modifient les points de repère du débat politique et par là même les données de l’engagement intellectuel.

Échec de la réforme du fédéralisme

Les échecs successifs des propositions de réformes du fédéralisme canadien en vue de rattacher formellement le Québec à la Constitution de 1982 (voir Rapatriement de la Constitution; Accord du lac Meech; Accord de Charlottetown), ravivent le mouvement souverainiste. Ainsi en témoignent la députation souverainiste que forme pour la première fois en 1993, le Bloc québécois (BQ) à la Chambre des communes à Ottawa, l’élection à l’Assemblée nationale du Québec à l’automne 1994 d’un gouvernement du Parti québécois et la tenue d’un référendum sur la souveraineté en octobre 1995 (voir Référendum du Québec de 1995). De sorte qu’au moment précis où le Québec s’apprête à vivre l’expérience de l’État-nation, la pensée politique à son propos en est, quant à elle, à sortir « la nation » de ses termes identitaires et ethniques.

Jacques Parizeau, homme politique
Ancien chef du Parti Québécois, Jacques Parizeau, en septembre 1989. En 1994, il est le deuxi\u00e8me chef du Parti québécois \u00e0 devenir premier ministre (photo de Jim Merrithew).

Interculturalisme

Le plaidoyer pour le Québec souverain en appelle à une société moderne, laïque, pluraliste et ouverte sur le monde. Ce que d’aucuns désignent d’un nationalisme « civique » et/ou « territorial » s’adressant à tous les citoyens sans égard à leurs particularismes d’origine. Le nationalisme exprimé ne se fonde plus sur l’identité ou l’idée d’une descendance commune empreinte ou accusée de xénophobie, mais sur la citoyenneté d’un peuple qui partage la même histoire, les mêmes institutions et s’identifie à un territoire commun. Un tel sentiment national est aussi dit social puisqu’il privilégie l’inclusion et fait appel à une culture de convergence respectueuse des valeurs démocratiques. Il s’agit cette fois de l’affirmation d’une société ouverte sur le monde, d’un nationalisme qui situe l’État souverain du Québec dans le système des échanges mondiaux et de l’interdépendance croissante des États. Cette thèse est présentée en détail notamment dans les travaux de l’historien et sociologue Gérard Bouchard sur l’interculturalisme.

Or, ce contexte de mondialisation des échanges et de multiplication des mouvements migratoires marquant l’orée du XXIᵉ siècle ravive le retour de la question identitaire du Québec français. Dans cette perspective, plusieurs travaux notamment ceux de Jacques Beauchemin, d’Éric Bédard et de Mathieu Bock-Côté constituent un véritable plaidoyer en faveur d’un nationalisme historique. Ces travaux invoquent le recours aux sources pour réhabiliter le passé, l’histoire, le patrimoine et la culture comme moyen d’échapper aux dogmes présents associés au multiculturalisme, et ce afin que la majorité historique de langue française au Québec ne devienne pas un groupe culturel parmi d’autres. À ce nationalisme patrimonial se greffent aussi des essais – entre autres ceux de Marc Chevrier et de Stéphane Kelly – plus attachés aux institutions politiques nécessaires au maintien de l’identité en proposant pour le Québec l’instauration d’un régime politique républicain. Tels sont les termes qui animent actuellement la réflexion sur nation et identités au Québec.

Voir aussi Relations francophones-anglophones; Anglos-Québécois

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