Les Métis sont un peuple d’origine autochtone et européenne. Ils sont l’un des trois peuples autochtones reconnus du Canada. L’utilisation du terme « Métis » est à la fois complexe et sujette à controverse, et comporte différentes significations historiques et contemporaines. Le terme est employé pour décrire les communautés d’origine mixte européenne et autochtone partout au Canada, et pour désigner une communauté spécifique – définie comme la Nation métisse – (voir Les Métis sont un peuple, pas un processus historique et Les « autres » Métis). Bien que le gouvernement canadien marginalise politiquement les Métis après 1885, ceux-ci sont depuis reconnus comme un peuple autochtone disposant de droits inscrits dans la Constitution du Canada et plus clairement définis dans une série de décisions de la Cour suprême du Canada.
Définitions et terminologie
Note de la rédaction : Pour favoriser une meilleure compréhension de la question complexe qu’est l’identité métisse et sa définition, l’Encyclopédie canadienne a commandé deux articles d’opinion mettant au jour différentes perspectives sur le sujet. L’article Les Métis sont un peuple, non pas un processus historique explore la question de l’identité métisse du point de vue de Métis ayant des liens ancestraux avec la colonie de la rivière Rouge. L’article Les « autres » Métis, quant à lui, explore la question de l’identité métisse du point de vue de Métis ne pas ayant des liens ancestraux avec la colonie de la rivière Rouge.
L’utilisation des termes « Métis » et « métis » est complexe et sujette à controverse. Lorsqu’il commence par une lettre majuscule, le terme renvoie généralement aux membres de la Nation métisse, qui tire ses origines de la vallée de la rivière Rouge et des prairies qui l’entourent. En 2002, le Ralliement national des Métis (RNM), l’organisation politique qui représente la Nation métisse, définit ainsi le mot « Métis » : « Toute personne qui s’identifie comme Métis se distingue des autres peuples autochtones, est issue de la Nation métisse historique et est acceptée par la Nation métisse. » Selon le RNM, le territoire des Métis englobe les trois provinces des Prairies et certaines parties de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, des Territoires du Nord-Ouest et du nord des États-Unis. Les membres de la Nation métisse ont une culture, une langue ancestrale ( mitchif), une histoire et des traditions politiques communes, et sont connectés par un vaste réseau de liens de parenté.
Le Congrès des Peuples autochtones (CPA) a souvent critiqué cette définition du terme « Métis », soutenant qu’il exclut « de nombreuses personnes qui peuvent revendiquer de façon légitime l’identité métisse ». C’est toutefois la définition du RNM qui a généralement été adoptée par les gouvernements fédéral et provinciaux, ainsi que les tribunaux. Par exemple, les droits autochtones des Métis définis dans l’arrêt Powley et l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 n’ont été appliqués qu’aux collectivités métisses à l’ouest de Sault Ste. Marie, en Ontario. Bien que plusieurs poursuites s’appuyant sur les droits visés par l’article 35 aient été intentées par d’autres communautés, aucune n’a porté fruit. Par exemple, la décision rendue dans R. c. Vautour en 2010 s’oppose à l’idée d’une communauté métisse dans les Maritimes. De plus, les droits définis par l’arrêt Powley et par divers gouvernements provinciaux se sont appliqués exclusivement à ce que le RNM nomme la « patrie métisse ». Celle-ci englobe les provinces des Prairies et certaines parties de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et des Territoires du Nord-Ouest.
Généralement, lorsqu’on l’écrit avec un « m » minuscule, le terme « métis » renvoie habituellement à toutes les communautés d’ascendance européenne et autochtone au pays, ce qui inclut celles de l’Ontario et du Québec ainsi que les établissements d’Indiens non inscrits situés à proximité de réserves des Premières Nations. Dans le contexte de la traite des fourrures de la région des Grands Lacs au 18e siècle et au début du 19e siècle, le terme est souvent utilisé pour décrire les familles et les collectivités d’ascendance mixte, bien que certains chercheurs l’évitent désormais.
L’utilisation contemporaine du terme « métis » est aussi différente de sa signification historique. À la rivière Rouge, au 19e siècle, il existe deux communautés proéminentes d’ascendance mixte : une importante population de Métis catholiques francophones et un large groupe de « Sang-Mêlés » anglophones, qui sont en majorité des agriculteurs anglicans. Même si l’on peut considérer ces deux groupes comme distincts, malgré l’absence de limite claire entre eux, le terme « Sang-Mêlé » tombe en désuétude à cause de sa connotation péjorative. Ainsi, le sens contemporain de « métis » inclut habituellement les peuples de tradition française et anglaise.
Par ailleurs, les définitions juridiques canadiennes compliquent davantage la terminologie métisse. Selon l’article 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982, les « Indiens, les Inuits et les Métis » sont reconnus comme des peuples autochtones en vertu du droit canadien. Cependant, malgré plusieurs décisions de la Cour suprême du Canada, les droits des Métis (et qui peut s’en prévaloir) demeurent en grande partie à définir. Toutefois, en 2016, la Cour suprême du Canada statue, dans l’affaire Daniels, que le gouvernement fédéral a compétence à l’égard des Métis et que les membres de la nation métisse et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » au sens de la Loi constitutionnelle. La Cour, à défaut de clarifier la définition juridique du terme « métis », élimine un important obstacle gouvernemental utilisé pendant plusieurs générations pour éviter de traiter des questions métisses non résolues.
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Communautés métisses au Canada
On retrouve des peuples d’ascendance mixte un peu partout au Canada. Les premiers mariages entre Autochtones Européens remontent aux tout premiers contacts. Toutefois, ces mariages sont-ils à l’origine de communautés métisses distinctes? Les chercheurs ne s’entendent toujours pas sur le sujet. Certains soutiennent que toute personne d’origine mixte devrait être considérée comme Métis. D’autres, suivant la définition du RNM, suggèrent plutôt que seuls les membres de communautés métisses distinctes qui se désignent eux-mêmes comme « Métis » devraient être appelés Métis. Les « Métis du Labrador », par exemple, ont abandonné le terme au profit d’un autre que leurs ancêtres utilisaient pour se définir : NunatuKavut. Les chercheurs qui défendent la définition de la rivière Rouge du terme « Métis » soutiennent que l’identité métisse n’est pas simplement le résultat d’un double patrimoine, mais plutôt la possession d’un seul patrimoine culturel ayant deux origines. Ainsi, une personne d’ascendance crie et canadienne-française ne serait pas considérée comme Métis seulement en raison de la mixité de son ascendance : elle devrait aussi avoir un patrimoine métis remontant à la colonie de la rivière Rouge.
D’autres ont fait valoir qu’une définition aussi étroite n’offre qu’une compréhension limitée de l’histoire des Métis. Les collectivités de l’Ontario et de l’est du Canada qui ont demandé à être officiellement reconnues comme métisses, par exemple, ont exprimé de la frustration quant à la notion populaire selon laquelle une ascendance avérée associée à la colonie de la rivière Rouge est nécessaire pour se dire « authentiquement » Métis. Ces personnes soutiennent que les familles et les collectivités mixtes existent depuis la traite des fourrures du 18e siècle et du début du 19e siècle dans la région des Grands Lacs, soit bien avant l’établissement de la colonie de la rivière Rouge. Toutefois, pour de nombreux Métis de la rivière Rouge, le terme constitue un aspect important de leur histoire, de leur patrimoine et de leur identité propres tels qu’ils sont consacrés par le droit canadien. Cette question demeure au cœur d’un débat animé entre les différentes populations de Métis au Canada. (Voir Les « autres » Métis; Les Métis sont un peuple, pas un processus historique).
Communautés des Grands Lacs
La première communauté de métis (en minuscules) émerge durant la traite des fourrures dans la région des Grands Lacs au 18e siècle. Les protocoles autochtones en matière de diplomatie et d’économie encouragent les commerçants français à tisser des liens familiaux avec les grandes familles autochtones de la région soit par mariage, soit par rites d’adoption. Ces unions avec des femmes autochtones, souvent appelées « mariages à la façon du pays », impliquent habituellement un engagement mutuel à l’égard des proches et des communautés autochtones locales. En général, les commerçants français passent leur vie au sein de ces familles en tant qu’employés officiels du fort ou comme « gens libres » (hommes libres français et métis qui approvisionnent les postes de traite ou servent de guides, d’interprètes ou de coureurs des bois). Le gibier, le poisson, le riz sauvage et le sirop d’érable assurent leur survie, supplémentés par de l’agriculture sur brûlis de petite envergure. Avec le temps, de petits groupes familiaux mixtes s’établissent un peu à l’écart pour se lancer en affaires dans des créneaux commerciaux précis. Beaucoup d’entre eux deviennent d’ailleurs des forces économiques et sociales bien connues dans la région des Grands Lacs.
Des chercheurs avancent que le terme « métis » s’applique mal à la région des Grands Lacs parce que les communautés mixtes de l’époque préfèrent les termes « Saulteaux », « Bois-Brûlés » et « Chicots ». Bien que le terme « métis » apparaisse à l’occasion dans les écrits de l’époque, il est utilisé principalement par des étrangers pour expliquer le réseau complexe de relations entre les communautés autochtones et leur parenté, et non par les « métis » des Grands Lacs eux-mêmes. De la même façon, le terme « Métis » n’entre dans l’usage courant à la rivière Rouge qu’au début du 19e siècle, soit plusieurs années après le déclin de la traite des fourrures dans la région des Grands Lacs et le dispersement des communautés mixtes qui en bénéficiaient. Malgré cette distinction terminologique, les Métis de la rivière Rouge et les métis des Grands Lacs se sont souvent mariés ou ont créé des liens familiaux.
Métis de l’Ouest
Le succès de la traite des fourrures par la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) dans la région qu’elle nomme la Terre de Rupert dépend aussi des mariages entre communautés. La CBH tente d’abord de supprimer ces mariages mixtes, mais elle finit par changer sa politique en observant l’efficacité de ces unions pour l’établissement de réseaux commerciaux, sans parler de leur utilisation fructueuse par sa plus grande rivale, la Compagnie du Nord-Ouest (CNO). De prime abord, les enfants issus de ces mariages n’ont ni communauté distincte ni base économique pour se construire une identité propre. Certains enfants mixtes d’officiers de la CBH font leurs études en Angleterre, en Écosse ou dans les deux parties du Canada (voir Haut-Canada et Bas-Canada, plus tard appelées « Province du Canada »), alors que d’autres familles sont laissées au soin d’autres employés de la CBH lorsque les officiers retournent en Europe. Ce ne sont donc pas tous les enfants mixtes qui font face à un avenir incertain. Par ailleurs, beaucoup d’enfants mixtes restent dans le Nord-Ouest et s’y rassemblent. C’est ainsi qu’ils en viennent à se percevoir comme socialement et culturellement distincts. Avec le temps, ce sentiment se transformera en identité politique.
C’est dans la région de la rivière Rouge et des Prairies que les Métis commencent à faire leur marque dans l’histoire canadienne. En 1810, ils sont établis comme des chasseurs de bisons et des approvisionneurs de la CNO. À mesure que les canaux d’approvisionnement de la CNO s’étendent au-delà d’Athabasca, la région de la rivière Rouge devient un centre d’approvisionnement essentiel au commerce basé à Montréal. Ce faisant, en 1811, le duc de Selkirk, Thomas Douglas, signe une entente avec la CBH pour fonder la colonie agricole écossaise d’Assiniboia dans le but d’approvisionner l’entreprise. Les premiers Métis, alliés des Nor’Westers, voient la colonie comme une menace directe au commerce de la CNO et donc à leur survie.
Le Nor’Wester William McGillivray admet, dans une lettre écrite le 14 mars 1818, que les Métis sont liés à la CNO par leur occupation et de façon familiale. « Malgré tout, précise-t-il, ils se voient tout un chacun comme membres d’une tribu autochtone indépendante ayant droit à des terres, à un drapeau unique et à la protection du gouvernement britannique. » Par ailleurs, il est prouvé que « les Sang-Mêlés appartenant aux dénominations Bois-Brûlés et Métis forment depuis longtemps déjà une tribu d’Indiens séparée et distincte ».
La création de la colonie de la rivière Rouge, loin d’atténuer ces craintes, attise plutôt l’hostilité des Métis et de la CNO. Des décrets du gouverneur de la colonie interdisent l’exportation et la vente du pemmican à quiconque à l’exception des forts locaux de la CBH. Plus tard, il interdit la chasse au bison à cheval (voir Proclamation sur le Pemmican). Ces mesures sont des sanctions économiques directes contre les familles métisses qui approvisionnent la CNO en pemmican fait à partir de la viande de bison (résultat de chasse à dos de cheval). Après une intensification des attaques sur les forts de traite des fourrures rivaux par des officiers de la CBH et de la CNO, beaucoup de Métis influents deviennent hostiles aux chefs de la colonie de Selkirk. Sous les commandes de Cuthbert Grant en 1815, ils décident d’évincer les colons de la région. En 1816, après que Selkirk lui-même a décidé d’évacuer les Nor’Westers, le gouverneur de la colonie, Robert Semple, décide de s’en prendre à un groupe de soldats métis à Seven Oaks. Un combat s’ensuit, et les soldats métis tuent Robert Semple et plusieurs autres colons. L’incident est immortalisé dans La Chanson de la Grenouillère, de Pierre Falcon. (Voir aussi Musique des Métis.)
La bataille de Seven Oaks résulte en une entente entre Cuthbert Grant et le chef par intérim de la colonie de Selkirk, Peter Fidler. En 1821, tous les conflits entre compagnies sont résolus avec la fusion de la CBH et de la CNO. La fusion engendre un surplus de commerçants, et beaucoup décident alors de s’établir dans la colonie de la rivière Rouge, augmentant par le fait même la présence métisse dans celle-ci. Les employés de la CBH ayant une famille métisse réclament la fondation d’une communauté où ils pourront prendre leur retraite, acquérir des terres, gagner leur vie, construire des écoles et des églises, et mettre en place d’autres services. La CBH espère aussi réduire ses coûts en déménageant ses populations dépendantes dans un endroit où elles pourront subvenir à leurs propres besoins sous sa gouvernance.
De 1821 à 1870, la population majoritairement d’ascendance mixte de la rivière Rouge continue à laisser voir ses origines doubles : d’une part, Montréal, les Grands Lacs, les Prairies et la CNO; de l’autre, l’Angleterre, les îles écossaises d’Orcades (particulièrement fructueuses pour le recrutement de la CBH) et la Terre de Rupert. Certains soutiennent que ces groupes font preuve d’une solidarité en raison des nombreux mariages entre eux, de leurs liens commerciaux et de leur participation commune à la chasse au bison, aux compagnies de transport de la CBH et au gouvernement provisoire de 1869 et 1870. D’autres, au contraire, mettent en lumière la division entre les catholiques francophones et les anglophones protestants. Malgré ses tensions et ses liens, la population grandissante du Nord-Ouest est de plus en plus considérée comme un groupe racial à part dès les années 1830. En effet, au 19e siècle, l’interprétation du comportement humain se base en majorité sur le groupe racial d’appartenance. Comme groupe, les Métis ont des possibilités d’avancement très limitées dans les rangs de la CBH.
Même si la CBH affirme qu’elle gouverne la population de la rivière Rouge par l’intermédiaire de son Conseil d’Assiniboia, c’est plutôt par influence qu’elle arrive à ses fins. Tout au long des années 1840 et 1850, les Métis défient le monopole administratif et commercial de la CBH à la rivière Rouge. En 1849, les Métis perturbent le procès du libre-échangiste Pierre-Guillaume Sayer, mettant ainsi fin au monopole de la fourrure de la CBH et ouvrant la voie à une ère de libre-échange. Vers la moitié des années 1850, les Métis réclament au gouvernement impérial de Londres, par l’intermédiaire d’Alexander Kennedy Isbister, avocat de la région, de limiter les pouvoirs du Conseil d’Assiniboia. Dans les faits, le Conseil a rarement le pouvoir policier nécessaire pour obliger les Métis à suivre ses lois; il est donc souvent forcé de faire des compromis avec la communauté pour en assurer l’application.
Gouvernement provisoire de la rivière Rouge de 1869 et 1870
D’autres événements éclipsent les conflits entre les Métis et la CBH dans les années 1860, comme l’intérêt grandissant pour le développement de l’Ouest (exacerbé par le dithyrambique rapport de Henry Y. Hind sur son potentiel en matière d’agriculture) et la Confédération en 1867. En 1869, le Dominion du Canada et la CBH concluent une entente qui permet au gouvernement canadien d’acquérir la Terre de Rupert. Chez les Métis, toutefois, on se demande comment la CBH a pu devenir propriétaire du Nord-Ouest alors qu’une multitude de « natifs du pays », dont les Métis et leurs parents cris, saulteaux et assiniboines, peuvent revendiquer le territoire en tant que descendants de ses premiers habitants. Bien conscients de l’intention des Britanniques de céder leurs territoires au Canada, les chefs métis rejettent en bloc la notion qu’un transfert soit possible sans le consentement des peuples autochtones qui y vivent. Ils élaborent donc des méthodes de résistance qu’ils mettent en place lors de plusieurs assemblées publiques en 1869. Le conflit armé que cette résistance engendre est appelé « rébellion de la rivière Rouge » ou « résistance de la rivière Rouge ».
Les efforts subséquents des arpenteurs pour cartographier la rivière Rouge sans tenir compte des propriétés de ses résidents entraînent la création du Comité national métis et d’un gouvernement provisoire, vers la fin de 1869. Ces événements font de Louis Riel le chef de la résistance métisse (voir aussi Chronologie : Louis Riel). Il consolide son alliance avec les « Sang-Mêlés » et les anciens colons britanniques, puis les trois groupes forment le gouvernement provisoire de l’Assemblée législative d’Assiniboia en mars 1870. Le gouvernement envoie une délégation à Ottawa pour négocier l’entrée de la rivière Rouge dans la Confédération. Les négociations mènent à la ratification de la Loi sur le Manitoba, qui pose le Manitoba comme une nouvelle province de la Confédération en plus d’assurer, entre autres, la protection des terres métisses (dont une réserve de 1,4 million d’acres) et le contrôle politique local et linguistique au gouvernement de la nouvelle province.
Toutefois, l’entente enregistrée par le chef des négociations du gouvernement provisoire diffère grandement de la Loi sur le Manitoba, et les chefs métis déplorent depuis le 19e siècle que l’entente originale n’ait jamais été entièrement mise en œuvre. Les terres promises pour la réserve ne sont en effet jamais réellement attribuées : elles sont plutôt données par fragments à des familles individuelles pendant plus d’une décennie. Les colons et les troupes qui s’établissent dans la nouvelle province après 1870 sont, de façon générale, hostiles envers les Métis. Beaucoup de ces derniers sont « battus et indignés par un groupe de personnes petit mais bruyant » selon le rapport du nouveau gouverneur, Adams Archibald. Les propriétaires fonciers métis sont harcelés alors que les nouvelles lois et amendements à la Loi sur le Manitoba sapent le pouvoir des Métis de lutter contre les arpenteurs et les nouveaux colons.
Sur environ 10 000 personnes d’ascendance mixte au Manitoba en 1870, plus des deux tiers fuient la province dans les années qui suivent. Bien que certains partent vers le nord ou alors le sud (vers les États-Unis), la plupart s’installent à l’ouest autour des colonies métisses déjà existantes près de Fort Edmonton (Lac Sainte-Anne, Saint-Albert et Lac La Biche) et de la, où ils sont rejoints par des familles métisses vivant à Saint-Laurent, à Batoche et au lac Duck.
Résistance du Nord-Ouest
À mesure que les communautés métisses en Saskatchewan grandissent en raison de l’exode manitobain, plusieurs cherchent à clarifier leurs titres des propriétés auprès du gouvernement canadien. Cependant, celui-ci ignore les préoccupations des Métis tout en négociant des traités autochtones majeurs et en acquérant des terres en vue de la construction d’un chemin de fer. Profondément frustrés, les Métis de la Saskatchewan prennent les armes sous le commandement de Louis Riel et de Gabriel Dumont dans ce qu’on appelle la Résistance du Nord-Ouest de 1885.
La défaite des Métis à Batoche et l’exécution de Louis Riel pour trahison mènent à un deuxième exode, en particulier vers l’Alberta, et à un nouvel affaiblissement du pouvoir politique et de la cohésion des Métis (voir Bataille de Batoche). En 1885, sir John A. Macdonald exprime une opinion qui conduit à la négation de l’identité métisse pendant plus d’un siècle : « S’ils sont Indiens, ils vont avec la tribu; s’ils sont Sang-Mêlés, ils sont Blancs. » Si les Métis reçoivent des terres (ou un équivalent financier), c’est souvent seulement sous forme de certificats de propriétés transférables, que des spéculateurs sans scrupules leur achètent au plus vite à des prix dérisoires. En 1900, la Commission des Sang-Mêlés établie en vertu du Traité no 8 avait distribué des certificats aux Métis dans les colonies dénées, donnant de ce fait naissance à ces « chasseurs de certificats », qui se procurent de nombreux certificats de 240 $ pour des sommes en argent de 70 à 130 $.
De 1885 jusqu’à la moitié des années 1900, la pauvreté, le racisme et la démoralisation qui viennent fréquemment avec le fait d’être identifié comme « Sang-Mêlé » en poussent plus d’un à renier ou à cacher, lorsque possible, son patrimoine métis. En 1896, le père Albert Lacombe, s’inquiétant des intérêts métis, fonde Saint-Paul-des-Métis au nord-est d’Edmonton sur une terre fournie par le gouvernement. Pour différentes raisons, dont certaines financières, la colonie n’arrive pas à constituer une entité officielle et s’éteint en 1908, à mesure que des colons du Québec commencent à dominer la région. Les nombreux dispersements des familles métisses dans l’ouest mènent à la création de communautés métisses dans les Prairies, en Colombie-Britannique et dans les Territoires du Nord-Ouest, ainsi que dans le nord des États-Unis et le nord-ouest de l’Ontario.
Militantisme métis au 20e siècle
Malgré les difficultés du 19e siècle, les années qui suivent ne sont pas toutes sombres : en 1909, l’Union nationale métisse Saint-Joseph de Manitoba, fondée notamment par d’anciens associés de Louis Riel, commence à récupérer (à l’aide de mémoires et de documents métis) sa version des événements de 1869-1870 et de 1885. L’effort mène d’ailleurs à la publication, en 1936, du classique Histoire de la nation métisse dans l’Ouest canadien par A.-H. de Trémaudan. Les années 1920 et 1930 voient la montée de nouveaux chefs (notamment James Patrick Brady et Malcolm Norris) qui, en tant que militants socialistes dans les Prairies, bâtissent une nouvelle base politique et structurelle pour la défense des intérêts du peuple métis. Un bon nombre de Métis et d’Autochtones non inscrits sont considérés comme des squatteurs sur les terres de la Couronne en Alberta (même s’ils affirment leurs droits sur celles-ci). Devant la menace posée par un plan fédéral pour que ces terres deviennent de compétence provinciale, Joseph Dion et des alliés organisent la signature de pétitions et envoient des délégations au gouvernement albertain afin d’obtenir des titres fonciers pour les peuples autochtones vivant dans la région.
Après la participation de James Patrick Brady et de Malcolm Norris au mouvement, en 1932, un premier organisme provincial est fondé : il s’agit de la Métis Association of Alberta, ouverte à toute personne d’ascendance autochtone. Beaucoup d’autres organismes provinciaux suivront. Les efforts de l’association mènent à la nomination de la Commission Ewing, qui se tient entre 1934 et 1936 pour « enquêter sur le statut de la population d’ascendance mixte de l’Alberta ». L’association finit par obtenir des terres pour les établissements métis et par faire adopter la Métis Population Betterment Act en 1938. La même année, on fonde la Saskatchewan Métis Society (plus tard appelée Association of Metis and Non-Status Indians of Saskatchewan), qui entame sa lutte pour la reconnaissance et la protection des droits des Métis.
Organisation des Métis à l’ère constitutionnelle
Vers la fin des années 1960, les activités politiques des Métis s’intensifient avec la création de nombreuses autres organisations comme la Manitoba Métis Federation, l’Ontario Métis and Non-Status Indian Association et la Louis Riel Métis Association of BC. Ces organisations luttent contre certaines mesures du gouvernement fédéral comme le Livre blanc de 1969 et l’exclusion continue des Métis et des Indiens non inscrits dans les politiques fédérales.
Dans les années 1970, en collaboration avec leurs homologues indiens non inscrits, les organisations de Métis réussissent à mettre sur pied des programmes d’aide sociale, économique et éducative pour les peuples autochtones. Toutefois, en raison d’une politique qui limite le financement fédéral des Métis et des Indiens non inscrits, ces groupes ne s’adressent qu’aux provinces, qui, elles, les considèrent comme relevant du fédéral. Néanmoins, les organisations de Métis et d’Indiens non inscrits créent des partenariats importants avec les gouvernements provinciaux, qui, avec le temps, produiront une foule de programmes sociaux qui existent encore aujourd’hui.
Pendant les années 1970, les organisations métisses se concentrent sur la création de programmes sociaux pour les Métis et les Indiens non inscrits. Cependant, peu avant le rapatriement de la Constitution, elles s’inquiètent, à l’instar des organisations indiennes et inuites, de la protection constitutionnelle de leurs droits et titres. Pendant le processus de rapatriement, les Métis obtiennent l’inclusion de ce qui est aujourd’hui l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui confirme « les droits existants – ancestraux ou issus de traités » des peuples autochtones, terme qui désigne les « Indiens, Inuits et Métis ». Malgré le fait que certains droits ancestraux métis (et autochtones) demeurent sans définition dans la pratique constitutionnelle, les Métis gagnent une protection officielle de leurs droits contre toute infraction ou violation de la part du gouvernement.
Avant la reconnaissance constitutionnelle des droits autochtones des Métis, ceux-ci collaborent avec les Indiens non inscrits par nécessité et en raison des intérêts partagés par les deux groupes. Cependant, avec la reconnaissance des Métis comme groupe à part entière en 1982, l’alliance commence à disparaître. De 1970 à 1983, le Conseil national des autochtones du Canada (CNAC), maintenant Congrès des Peuples autochtones, représente les intérêts des Métis sur le plan national. Dans le cadre de la conférence des premiers ministres de 1983, toutefois, on crée le Conseil national des Métis pour s’assurer une représentation métisse distincte des Indiens non inscrits. Les conférences des premiers ministres des années 1980, qui visent à définir les droits ancestraux non définis à l’article 35, sont considérées par beaucoup comme un échec. La séparation entre les non-inscrits et les Métis devient plus permanente. Les organisations métisses mettent sur pied un système d’adhésion qui reflète les critères d’affiliation métisse du gouvernement, excluant par le fait même beaucoup d’Indiens non inscrits auparavant membres. Par exemple, pour devenir membre de la Fédération Métisse du Manitoba, une personne doit descendre de la colonie de la rivière Rouge, ce qu’elle prouve en général par un certificat ou des documents de paroisse ou de recensement.
Droits des Métis devant les tribunaux
Puisque les droits des Métis dans l’article 35 ne sont jamais définis durant les conférences des premiers ministres, les Métis décident d’intenter une série de poursuites pour que les tribunaux déterminent ce qui est couvert par ces droits. Depuis que les droits métis ont été constitutionnalisés en 1982, trois décisions majeures ont mis en marche le long processus de définition des droits ancestraux dans le système de loi canadien, mettant en lumière la complexité de la définition de l’identité métisse
La jurisprudence métisse est transformée à la suite du procès R. c. Powley en 2003. Deux chasseurs métis, Steve et Roddy Powley, tuent un orignal non loin de Sault Ste-Marie et sont subséquemment accusés, en vertu de la Loi sur la chasse et la pêche de l’Ontario, de chasse sans permis et de possession illégale de gibier chassé. Pour leur défense, ils allèguent que leur droit de chasse, en tant que Métis, fait partie des droits autochtones qui précèdent l’affirmation de la souveraineté de leur communauté par le Canada. La Cour suprême crée donc le « critère Powley », qui consiste en trois points pour déterminer qui peut revendiquer les droits ancestraux métis en vertu de l’article 35 de la Constitution. En vertu du test Powley, une personne doit a) s’identifier comme Métis, b) posséder des liens ancestraux avec une communauté historiquement métisse et c) être acceptée par une collectivité métisse contemporaine qui existe dans la continuité d’une collectivité historique titulaire de droits.
En 2013, la Cour suprême statue dans l’affaire MMF c. Canada que le gouvernement a failli dans son obligation de distribuer et de protéger les quelque 1,4 million d’acres promis aux peuples métis dans la Loi sur le Manitoba. Depuis cette victoire, la Fédération Métisse du Manitoba fait pression sur le gouvernement fédéral pour négocier des revendications territoriales. Elle vise ainsi l’indemnisation du peuple métis pour les terres et ressources perdues et, au final, l’acquisition d’un territoire légalement reconnu pour les Métis du Manitoba. Le 15 novembre 2016, la ministre des Affaires autochtones, Carolyn Bennett, et le président de la Fédération Métisse du Manitoba, David Chartrand, signent une entente mettant fin à ce différend territorial de 146 ans. Bien que les parties doivent toujours négocier le règlement financier pour le territoire et résoudre certaines autres questions, il s’agit d’un pas en avant dans le règlement de la revendication.
La récente affaire Daniels c. Canada offre un fort potentiel transformateur pour les relations entre les Métis et le gouvernement canadien. En effet, elle met fin à la confusion relative aux compétences qui embrouille ces relations depuis des générations. En 2016, à la suite d’une bataille judiciaire de 17 ans entamée par le regretté chef métis Harry Daniels, la Cour suprême du Canada statue enfin que les Métis et les Indiens non inscrits sont considérés comme des « Indiens » et relèvent donc de la compétence fédérale en vertu de l’article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le gouvernement fédéral est donc responsable des relations avec les Métis et non les provinces, alors qu’il était courant, depuis des décennies, qu’elles s’en occupent. Cette décision pourrait transformer la façon dont les organisations métisses fonctionnent, leurs sources de financement, le type de services qu’elles sont en mesure d’offrir et leur capacité à exiger une consultation et une compensation de la part du gouvernement fédéral.
Vie contemporaine
Le mélange des traditions européennes et autochtones crée une culture métisse riche et unique. Sur le plan de la musique et des danses traditionnelles, le violon et la gigue métis combinent des influences européennes et autochtones (voir Musique des Métis). Le violon métis, généralement de rythme accéléré, s’accompagne de pas de danse rapides. Bien qu’il existe de nombreuses mélodies et danses pour violon, la plus connue est sans doute la gigue de la rivière Rouge, apparue entre le début et le milieu des années 1700. Encore aujourd’hui, les Métis mettent en valeur leurs musiques et danses traditionnelles à l’occasion de concours locaux et nationaux, de rassemblements communautaires, de pow-wow et de conférences.
L’art métis est lui aussi caractérisé par un riche patrimoine. Ayant adopté à la fois des pratiques de perlage autochtones et de populaires motifs floraux européens, les Métis ont su créer une forme d’art unique en son genre. Célèbres pour leurs perlages floraux, les Métis sont souvent surnommés « le peuple du perlage floral ». Christi Belcourt, récipiendaire de nombreuses distinctions nationales et provinciales pour son travail artistique, est l’une des artistes les mieux connues pour ce type de confection. Elle a notamment reçu le Prix du gouverneur général pour l’innovation (2016), le prix du Conseil des arts de l’Ontario pour les arts autochtones (2014) et le prix des femmes influentes du nord de l’Ontario pour le leadership autochtone (2014). Les Métis sont également bien connus pour leurs écharpes aux couleurs vives, tissées avec les doigts et pourvues d’une valeur historique, pratique et sentimentale.
Comme c’est le cas pour leur musique et leur art, les Métis parlent une langue qui combine des éléments autochtones et européens. En effet, le mitchif comprend des verbes de la langue crie et de la langue des Saulteaux (l’ojibwé) et des noms français. Historiquement, les Métis parlaient diverses langues autochtones et étaient souvent instruits en français ou en anglais. Aujourd’hui, de nombreuses communautés métisses parlent et enseignent le mitchif pour garder la langue vivante.
Un certain nombre d’artistes, d’athlètes et de politiciens d’influence ont fait la promotion et contribué à la préservation de la culture métisse, dont les écrivains Sandra Birdsell, Robert Boyer, Maria Campbell et Katherena Vermette, l’architecte Douglas Cardinal, les cinéastes Tantoo Cardinal et Christine Welsh, le juge à la Cour supérieure de l’Ontario Todd Ducharme et plusieurs joueurs de hockey professionnel, dont René Bourque, Wade Redden, Sheldon Souray et Arron Asham.
Selon le recensement mené en 2021 par Statistique Canada, 624 220 personnes s’identifient comme des Métis au pays. Il s’agit d’une augmentation de 6,3 % par rapport à 2016. De ces personnes, 224 655 se disent membres d’une organisation ou d’une collectivité métisse.
Accords historiques sur les droits des Métis et l’autonomie gouvernementale
Le 27 juin 2019, la Métis Nation of Alberta (MNA), la Métis Nation of Ontario (MNO) et la Métis Nation-Saskatchewan (MN-S) signent des accords d’autonomie gouvernementale historiques avec le gouvernement du Canada. Les « Accords Ottawa-Métis » représentent une étape importante de l’histoire des Métis, étant les premières ententes d’autonomie gouvernementale entre des nations métisses et le gouvernement fédéral. La cérémonie de signature historique des accords a lieu à Ottawa et réunit la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, la présidente de la MNA, Audrey Poitras, la présidente de la MNO, Margaret Froh, et le président de la MN-S, Glen McCallum.
Ces accords sont le résultat de plusieurs décennies de lutte des peuples métis pour être reconnus par le gouvernement fédéral et obtenir une autonomie gouvernementale. Les accords de 2019 représentent le plus grand progrès pour les droits métis depuis les droits à la chasse, la reconnaissance et l’auto-identification de 2003 (voir Affaire Powley) et en 2016 (voir Affaire Daniels). Les accords de 2019 seront suivis de négociations visant à donner aux nations métisses le contrôle de leurs affaires notamment en matière de garde des enfants, de sélection des dirigeants, d’activités gouvernementales et de citoyenneté. De façon encore plus importante, les accords donnent aux Métis le contrôle quant à la création éventuelle de constitutions pour leurs nombreuses nations.
Carolyn Bennett, s’exprimant au nom du gouvernement fédéral, considère que les accords marquent le début d’une meilleure relation entre le Canada et les trois nations métisses impliquées : « Ce que nous signons aujourd’hui est une vraie reconnaissance de la nation métisse et de la relation que nous aurons à l’avenir, d’un gouvernement à un autre. Nous sommes ici pour signer non pas un, ni deux, mais bien trois accords d’autonomie gouvernementale historiques et pour reconnaître que vous, les Métis, avez le contrôle sur votre propre gouvernance. »
La présidente de la Métis Nation of Alberta, Audrey Poitras, croit quant à elle que les accords représentent un « changement majeur d’attitude du Canada » envers son peuple et que la signature est un moment historique pour les Métis : « Nous n’exagérons pas en disant que cela fait près d’un siècle que nous nous battons pour les accords que nous avons signés aujourd’hui. Le Canada a enfin reconnu notre droit à l’autonomie gouvernementale. »