Donald Marshall Jr., chef mi’kmaq, activiste, reconnu coupable à tort de meurtre (né le 13 septembre 1953 à Sydney en Nouvelle-Écosse; décédé le 6 août 2009 à Sydney en Nouvelle-Écosse). L’emprisonnement de Donald Marshall Jr. (de 1971 à 1982) est devenu l’une des affaires les plus controversées de l’histoire du système de justice pénale du Canada. Il a été la première victime très médiatisée de condamnation pour meurtre injustifiée à voir sa condamnation annulée, ce qui a ouvert la voie à plusieurs autres comme David Milgaard et Guy Paul Morin (voir Affaire David Milgaard; Affaire Guy Paul Morin). Dans les années 1990, Donald Marshall a également été une figure centrale dans l’importante affaire concernant les droits issus de traités relatifs à la chasse et à la pêche portée devant la Cour suprême du Canada.
Jeunesse
Donald Marshall fils naît sur la réserve Membertou au Cap-Breton en Nouvelle-Écosse. Il est l’aîné des 13 enfants de Donald Sr. et Caroline Marshall. Son père est grand chef honoraire de la Nation Mi’kmaq.
Donald Marshall est un jeune rebelle. Il s’attire des ennuis après avoir été envoyé dans une école non autochtone. À 15 ans, il est expulsé de l’école pour avoir frappé un enseignant. Il se joint ensuite au Shipyard Gang de Membertou, une bande composée d’adolescents qui quêtent de l’argent et commettent de petits vols. Donald Marshall devient connu de la police pour son comportement délinquant, mais il n’est pas considéré comme étant violent. À 17 ans, il est condamné à quatre mois de prison de comté pour avoir donné de l’alcool à des mineurs.
Meurtre de Sandy Seale
Dans la nuit du vendredi 28 mai 1971, Donald Marshall rencontre par hasard une de ses connaissances dans le parc Wentworth à Sydney. Il s’agit de Sandy Seale, une jeune noire de 17 ans. Les adolescents croisent ensuite deux hommes, Roy Ebsary et Jimmy MacNeil. Il s’ensuit une confrontation au cours de laquelle Roy Ebsary poignarde Sandy Seale à l’estomac et entaille le bras de Donald Marshall. Tous prennent fuite, laissant derrière Sandy Seale en sang au sol. Donald Marshall revient peu après et aide à appeler une ambulance. Sandy Seale meurt à l’hôpital le lendemain.
Les agents du service de police de Sydney ont peu d’expérience ou de formation en matière d’enquête sur les homicides. Ils refusent l’offre d’aide de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Aucune autopsie n’est pratiquée sur le corps de la victime. La scène de crime n’est ni sécurisée ni photographiée. Une recherche sommaire ne permet de trouver que très peu de preuves. L’arme du crime n’est pas retrouvée.
Donald Marshall se porte volontaire pour aider la police, mais ce n’est que deux jours plus tard que la police recueille sa déclaration officielle. Il raconte comment lui et Sandy Seale ont rencontré deux hommes qui leur ont demandé des cigarettes. Donald Marshall affirme que l’homme plus âgé a proféré des insultes racistes contre les Autochtones et les Noirs avant de sortir un couteau (voir aussi Racisme anti-Noirs au Canada). Il donne à la police une description des hommes, mais celle-ci ne recherche pas les suspects. Après avoir brièvement interrogé Donald Marshall, les enquêteurs décident qu’il a poignardé Sandy Seale pendant une dispute. Ils croient qu’il s’est infligé lui-même sa coupure au bras. Ils ne fouillent pas la maison de Donald Marshall pour chercher l’arme du crime.
Dans des circonstances douteuses, la police interroge trois autres adolescents qui se trouvaient dans le parc Wentworth la nuit du meurtre. Elle obtient deux déclarations affirmant que Donald Marshall a poignardé Sandy Seale. Le 4 juin, la police arrête Donald Marshall et l’accuse de meurtre.
Procès et prison
Le procès de Donald Marshall commence le 2 novembre 1971 au palais de justice du comté du Cap-Breton à Sydney. Il est reconnu coupable de meurtre non qualifié et il est condamné à la prison à vie. Il est incarcéré dans les pénitenciers de Dorchester au Nouveau-Brunswick, et de Springhill en Nouvelle-Écosse. En octobre 1979, il s’évade de la prison de Springhill, mais il est rapidement retrouvé.
Tout au long de son emprisonnement, Donald Marshall insiste sur son innocence. Il croit qu’on lui refuse des permissions de sortie et la permission d’assister aux funérailles de sa grand-mère parce qu’il s’exprime de cette façon. Pour des raisons financières, il est difficile pour ses parents de venir le visiter. La famille Marshall reçoit des appels téléphoniques menaçants et racistes. De plus, l’entreprise de Donald Marshall Sr. en souffre. À un moment donné, la famille est obligée de demander de l’aide sociale. Donald Marshall écrit des lettres aux politiciens pour leur demander la réouverture de son dossier, mais en vain.
Sursis
Dix jours après la condamnation de Donald Marshall, Jimmy MacNeil déclare à la police de Sydney qu’il a vu Roy Ebsary poignarder Sandy Seale. La police rejette cette preuve, car elle considère que l’affaire est close. Le nouveau témoignage de Jimmy MacNeil n’est pas divulgué à l’avocat de Donald Marshall ni au procureur de la Couronne responsable de l’appel de sa condamnation. Toutefois, en février 1982, à la demande de la police de Sydney, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ouvre une enquête sur les affirmations de Jimmy MacNeil et sur de nouveaux renseignements : Roy Ebsary aurait admis à un ancien colocataire qu’il a poignardé Sandy Seale. La fille de Roy Ebsary a également dit à une amie qu’elle a vu son père laver un couteau qui semblait être couvert de sang le soir du meurtre.
De plus, Donald Marshall envoie à la commission des libérations conditionnelles de la Nouvelle-Écosse et au service de police de Sydney des copies d’une lettre que lui a envoyée Roy Ebsary, dans laquelle ce dernier affirme qu’il sait que Donald Marshall est innocent. En décembre 1981, Roy Ebsary est condamné pour une autre agression à arme blanche.
L’enquête de la GRC révèle de graves lacunes non seulement dans le traitement de l’affaire par le service de police de Sydney, mais également dans les procédures judiciaires. Des témoins ont été intimidés par la police et se sont parjurés (donner un faux témoignage). Des éléments de preuve étayant le plaidoyer de non-culpabilité de Donald Marshall ont été dissimulés. Même les propres avocats de Donald Marshall doutaient de son innocence, et ils n’ont donc pas cherché à vérifier son récit des événements du parc Wentworth.
Toute cette affaire mal gérée est entachée de racisme. Certains officiers du service de police de Sydney sont connus pour leurs préjugés à l’égard des Premières Nations. Un des membres du jury qui a condamné Donald Marshall reconnaît avoir des préjugés envers les personnes qui ne sont pas blanches.
Interrogés par les enquêteurs de la GRC, trois témoins reviennent sur le témoignage qu’ils ont donné lors du procès de Donald Marshall. L’arme du crime est retrouvée à l’ancienne résidence de Roy Ebsary. Sur le couteau, il reste encore des fibres des vêtements que Sandy Seale et Donald Marshall portaient le soir du crime. Le 29 mars 1982, Donald Marshall obtient une libération conditionnelle après avoir passé près de onze ans en prison pour un crime qu’il n’a pas commis. Roy Ebsary est éventuellement reconnu coupable d’homicide involontaire pour la mort de Sandy Seale.
Commission royale
En mai 1983, la Cour suprême de Nouvelle-Écosse acquitte officiellement Donald Marshall du meurtre de Sandy Seale. Cependant, les juges exonèrent le service de police de Sydney et les procureurs de la Couronne, tout en tenant Donald Marshall en partie responsable de ses propres malheurs. Une Commission royale est nommée par un décret de la Nouvelle‑Écosse le 28 octobre 1986. La commission conclut que les torts causés à Donald Marshall résultent des attitudes racistes et de l’incompétence de la police, des procureurs et des juges, à chaque étape du processus. Les commissaires déclarent : « Le système de justice pénale a laissé tomber Donald Marshall à pratiquement chaque étape, depuis son arrestation et sa condamnation injustifiée en 1971 jusqu’à son acquittement par la Cour d’appel en 1983, et même au-delà. »
Les commissaires émettent 82 recommandations qui changent radicalement le système de justice pénale de la Nouvelle-Écosse. Toutefois, pour Donald Marshall, le combat pour la justice a des conséquences psychologiques qui le mènent à lutter contre la dépression et l’alcoolisme toute sa vie. Malgré cela, sa cause fait figure de précurseur juridique pour les autres Canadiens condamnés à tort pour meurtre. L’affaire suscite un considérable intérêt de la part du grand public, des groupes de réforme pénitentiaire et des organismes qui s’opposent au rétablissement de la peine capitale. On accorde à Donald Marshall une pension à vie de 1,5 million de dollars en compensation de ses souffrances.
Droits issus de traités
En août 1993, après avoir pêché et vendu des anguilles près d’Antigonish en Nouvelle-Écosse, Donald Marshall est reconnu coupable d’avoir pêché hors saison et sans permis. C’est alors le début d’une bataille juridique de six ans au sujet des droits issus de traités des Mi’kmaq qui se rend jusqu’à la Cour suprême du Canada. Dans une décision historique rendue en 1999, la Cour suprême confirme les droits de pêche et de chasse que la Couronne avait accordés à la nation mi’kmaq dans le traité signé dans le cadre des traités de paix et d’amitié en 1760. L’affaire Marshall demeure une décision importante en matière de droits autochtones attestant le droit des Mi’kmaq, des Wolastoqiyik et des Passamaquoddy de gagner une subsistance commerciale modérée grâce à la pêche et à la chasse, sous réserve uniquement d’exigences de conservation. Donald Marshall, qui ne s’est jamais considéré comme un activiste politique, affirme : « Je n’étais pas là pour moi. J’étais là pour mon peuple. »
Décès
En 2003, souffrant d’une maladie pulmonaire chronique, Donald Marshall subit une double greffe de poumons. Ses dernières années de vie sont marquées par des problèmes de santé, des difficultés familiales et un différend financier découlant de l’affaire sur les droits issus de traités. En 2001, par exemple, un groupe de chefs des Premières Nations de l’Atlantique promet à Donald Marshall de lui verser deux millions de dollars en reconnaissance de son combat historique pour les droits de pêche et de chasse des peuples autochtones. Six ans plus tard, la femme de Donald Marshall révèle qu’il n’a reçu qu’une petite partie de la somme promise par les chefs.
En 2009, souffrant d’insuffisance rénale, Donald Marshall est admis à l’hôpital à Sydney en août 2009, où il meurt à 55 ans. Il est enterré en tant que héros des Premières Nations.
Le saviez-vous?
Les dossiers de la Commission royale sur l’inculpation de Donald Marshall Jr. sont maintenant disponibles en ligne grâce à Nova Scotia Archives. La Commission royale (également connue sous le nom d’Enquête Marshall) nommée le 28 octobre 1986 pour examiner l’affaire en entier, en commençant par l’enquête initiale et le procès, ainsi que la nouvelle enquête et l’appel, a numérisé ses nombreux dossiers pour le public. Le rapport en sept volumes de la Commission comprend 16 390 pages de témoignages retranscrits qui couvrent les 89 jours d’audience, les paroles de 114 témoins et le contexte de 176 preuves. Les enregistrements audio du témoignage de Donald Marshall en langue mi’kmaq ont également été mis à la disposition du public par Nova Scotia Archives comme trésor historique : « La collection est d’une importance vitale, à la fois pour la justification de Donald Marshall, condamné à tort, et pour son rôle dans le façonnement du système judiciaire canadien et celui de la Nouvelle-Écosse tels que nous les connaissons aujourd’hui. »