Marie-Joseph Angélique (née à Madère, au Portugal, vers 1705 et décédée à Montréal, QC, le 21 juin 1734). Angélique est une esclave noire, la propriété de Thérèse de Couagne de Francheville à Montréal. En 1734, après que le quartier des marchands de la ville ait été rasé par le feu, elle est accusée d’avoir allumé l’incendie. Il est allégué qu’Angélique aurait commis l’acte en essayant de fuir l'esclavage. Elle est condamnée, torturée et pendue. Bien qu’on ignore toujours si elle a allumé ou non l’incendie, l’histoire d’Angélique est devenue un symbole de la résistance des Noirs et de la liberté.
Enfance et asservissement
Angélique naît à Madère, au Portugal, vers 1705. On ne sait que peu au sujet des 20 premières années de sa vie. Elle est fort probablement d’abord asservie au Portugal, un port actif de la traite transatlantique des esclaves. C’est probablement là qu’elle est vendue, au début de l’adolescence, au commerçant flamand Nichus Block. Angélique est amenée par bateau en Amérique du Nord, faisant possiblement escale en Flandre (aujourd’hui le nord de la Belgique), qui a des relations commerciales étroites avec le Portugal. Angélique arrive dans la Nouvelle-Angleterre, où elle est achetée à l’âge de 20 ans par le marchand français François Poulin de Francheville en 1725. Il la ramène dans sa ville natale, Montréal, en tant qu’esclave domestique. (Entre le moment où Angélique quitte l’Europe et celui où elle arrive à Montréal, elle est revendue au moins deux fois.)
Lorsque François Poulin de Francheville meurt en 1733, Angélique devient la propriété de sa veuve, Thérèse de Couagne, qui l’aurait rebaptisée de Marie-Joseph à Angélique, du nom de sa fille décédée. Angélique habite pendant neuf ans dans la résidence Francheville en tant qu’esclave. Pendant ce temps, elle accouche de trois enfants, dont aucun ne survit à la petite enfance. Les extraits de l’état civil indiquent que leur père est Jacques César, un esclave né à Madagascar et appartenant à un ami de la famille Francheville. Certains chercheurs croient que le couple aurait été forcé par leurs propriétaires à produire des enfants. Angélique a également un amant. Il s’agit d’un travailleur engagé blanc du nom de Claude Thibault qui lui aurait aidé à mettre le feu à Montréal. Les deux essaient de s’enfuir de l’asservissement.
Lutte pour la liberté
En décembre 1733, Angélique demande à sa maîtresse de la libérer. Madame de Francheville refuse de le faire. Cela rend Angélique furieuse. Elle amorce un « petit règne de terreur dans la maison ».
Elle répond à sa maîtresse, menace de la tuer en la « rôtissant », se dispute avec les autres serviteurs de la maison, menace également de les « rôtir » et rend la vie tellement insupportable pour sa collègue Marie-Louise Poirier que celle-ci démissionne. ( The Hanging of Angélique, 2006 — traduction)
Au début de 1734, Madame de Francheville vend Angélique à François-Étienne Cugnet de Québec pour 600 livres de poudre à canon. Elle n’attend que la fonte de glaces sur le fleuve Saint-Laurent pour livrer Angélique par bateau. Selon les rumeurs, Cugnet la revendrait en esclavage dans les Antilles. En apprenant qu’elle serait vendue, Angélique menace d’incendier la maison de Francheville, avec sa propriétaire à l’intérieur.
Peu après, Angélique s’enfuit avec Thibault avec l’intention de retourner dans son pays natal, le Portugal. Le couple met le feu au lit d’Angélique dans la résidence d’Alexis Monière, où Madame de Francheville les avait logés de façon temporaire, et s’enfuit vers la Nouvelle-Angleterre dans l’espoir d’y trouver un navire en partance pour l’Europe. Deux semaines plus tard, Angélique et Thibault sont capturés par la police près de Chambly. Ils rendent Angélique à sa propriétaire en attendant d’être transportée à Québec, tandis que Thibault est emprisonné. Une fois de retour à Montréal, Angélique continue à affirmer qu’elle brûlerait la résidence de sa maîtresse parce qu’elle voulait sa liberté.
Accusation d’incendie criminel
Le soir du samedi 10 avril 1734, une grande partie de Montréal, le quartier des marchands, est détruite par le feu. Au moins 46 édifices, dont la plupart sont des résidences, brûlent, en plus du couvent et de l’hôpital de l’hôtel-Dieu de Montréal. Angélique est accusée d’avoir mis le feu et est arrêtée par la police le 11 avril. Le lendemain, elle est portée devant la justice, accusée d’incendie criminel (crime capital passible de la peine de mort, de torture ou de bannissement). Dans le système juridique français du XVIIIe siècle, tout accusé est présumé coupable. En Nouvelle-France, il n’y a pas de procès devant un jury. La partie défenderesse doit prouver son innocence devant un tribunal inquisitoire. Louis XIV interdit aux avocats de pratiquer leur métier dans la colonie.
Le 12 avril 1734, Angélique, âgée de 29 ans, comparaît devant le juge Pierre Raimbault de la juridiction de Montréal. Sont aussi présents François Foucher, procureur du roi (avocat en chef et procureur), quatre notaires, ainsi que Claude-Cyprien-Jacques Porlier, secrétaire du roi et personnage important au tribunal.
Ainsi débute l’un des procès canadiens les plus spectaculaires du 18e siècle. Plus de 24 témoins comparaissent, dont 23, incluant une fillette de cinq ans, affirment qu’ils croient que c’est Angélique qui a mis le feu, car, à un moment ou un autre, elle leur avait dit qu’elle le ferait. Un des témoins affirme avoir vu Angélique se diriger vers le toit avec un pot de charbon ardent quelques minutes avant l’incendie. La cour estime qu’elle avait voulu s’enfuir, et qu’elle avait mis le feu pour brouiller ses pistes.
Après un procès de six semaines, Angélique est déclarée coupable et condamnée à mort. Elle va se faire couper les mains, puis être brûlée vive. La sentence fait l’objet d’un appel devant la cour suprême à Québec, qui confirme la peine de mort, mais réduit les aspects atroces de celle-ci. Angélique sera torturée et pendue, puis son corps sera brûlé. Elle retourne à Montréal pour attendre sa mise à mort. Tout au long de son procès, au tribunal inférieur de Montréal comme au tribunal supérieur à Québec, elle nie avoir mis le feu.
Mise à mort
Le matin du 21 juin 1734, dans sa cellule, Angélique est torturée avec des brodequins, un instrument de torture médiéval qui lui broie la jambe. Le recours à la torture est courant dans les poursuites pénales du 18e siècle; dans le cas d’Angélique, le tribunal veut qu’elle avoue avoir mis le feu. Soumise à la torture, elle perd son sang-froid et confesse son crime. Toutefois, elle refuse de nommer Claude Thibault comme incendiaire conspirateur. (Les juges croient que Thibault et Angélique ont mis le feu ensemble.)
Après la torture, Angélique, vêtue d’une chemise blanche et tenant dans sa main une torche enflammée (symbole de son crime), est amenée au portail de la Basilique Notre-Dame dans une charrette à déchets. Là, elle confesse son crime et demande le pardon de Dieu, du roi et du peuple. Ensuite, elle est pendue. Le bourreau et tortionnaire est Mathieu Léveillé, un esclave noir employé comme bourreau du roi. Le corps d’Angélique est exposé sur la potence pendant deux heures. À 19 h, il est placé sur un bûcher et brûlé. Les cendres sont recueillies et dispersées aux quatre vents.
Héritage
L’incendie de Montréal, ainsi que l’arrestation et le procès d’Angélique, en disent long sur la nature de l’esclavage au Canada, qui est une institution juridique qui existe pendant plus de deux cents ans. Il est possible que ce ne soit pas Angélique qui ait allumé le feu, mais elle est le bouc émissaire idéal : Noire, esclave, pauvre, étrangère; elle avait tout ce qui caractérise un paria. En tant qu’esclave, Angélique n’a aucun droit reconnu par la
Nouvelle-France ou par la société blanche.
En revanche, c’est peut-être elle qui a mis le feu. Elle entretient beaucoup de rancunes contre la société blanche de Montréal. Les Blancs l’ont rendue esclave, l'ont privée de sa liberté et de ses droits fondamentaux, et lui ont enlevé une patrie qu’elle chérissait manifestement. À Montréal, elle avait essayé au moins une fois de s’enfuir de l’esclavage, mais était contrecarrée. Un incendie avait joué un rôle dans cette première tentative de fuite. Des siècles plus tard, Marie-Josèphe Angélique est devenue un symbole de la résistance des Noirs et de la liberté.
La dramaturge Lorena Gale se fonde sur les transcriptions du procès pour écrire Angélique, mis en scène en 1995 et publié en 2000. En février 2012, la place publique en face de l’hôtel de ville de Montréal est nommée Place Marie-Josèphe Angélique en son honneur.