La Loi constitutionnelle de 1982 constitue un document capital de l’histoire du Canada. Elle marque l’obtention de sa pleine indépendance, en lui permettant de modifier sa Constitution sans l’approbation de la Grande‑Bretagne, et enchâsse également la Charte des droits et libertés dans la Constitution du Canada qui constitue la loi suprême du pays. La Loi a été adoptée après une lutte politique et juridique acharnée de 18 mois qui a dominé les gros titres des médias et les programmes de chaque gouvernement du pays. (Voir Rapatriement de la Constitution.)
Liens avec la Grande‑Bretagne
Au moment de la création de la Confédération, la Constitution du Canada consiste en plusieurs lois du Parlement britannique, situé à Londres, en Angleterre. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB), aujourd’hui appelé Loi constitutionnelle de 1867, est le plus important de ces textes. La Constitution inclut également une série de conventions constitutionnelles britanniques qui sont des règles non écrites, mais largement acceptées. Seul le Parlement britannique a le pouvoir d’amender l’AANB.
Avec le Statut de Westminster, en 1931, la Grande‑Bretagne affirme qu’elle est disposée à octroyer une pleine autonomie aux dominions de son empire, notamment le Canada (voir aussi Commonwealth). Toutefois, le Canada se retrouve face à une série de questions et de choix à faire: s’il accepte ce transfert de pouvoir constitutionnel de la Grande‑Bretagne et s’il devient libre de modifier sa propre constitution, quelle procédure devrait‑il adopter pour ce faire? Le gouvernement fédéral devrait‑il être autorisé à modifier la Constitution unilatéralement ou le consentement des provinces devrait‑il être requis? Si l’approbation des provinces est nécessaire pour amender la Constitution, devraient‑elles le faire à l’unanimité ou simplement à la majorité? Si l’accord de la majorité des provinces est requis, devrait‑on accorder une voix à chacune d’entre elles ou le poids relatif de leur population devrait‑il être pris en compte? Enfin, le Québec devrait‑il disposer d’un droit de veto lui permettant de protéger les intérêts de la minorité canadienne française du Canada? Jusqu’à ce que le Canada soit en mesure de trouver des réponses à ces questions, c’est le Parlement britannique qui conserve le pouvoir de modifier la Constitution du Canada.
Pierre Trudeau et les premiers ministres
Des générations de politiciens canadiens se sont débattues, en vain, avec le problème du changement constitutionnel. Depuis les années 1930, une série de conférences fédérales‑provinciales se sont soldées par des échecs, le premier ministre du Canada et les premiers ministres provinciaux n’ayant jamais réussi à se mettre d’accord sur une procédure de modification de la Constitution. (Voir également Relations fédérales‑provinciales.)
Toutefois, la situation va considérablement évoluer, en mai 1980, avec le référendum du Québec sur la souveraineté‑association. Pendant la campagne, le gouvernement fédéral, dirigé par Pierre Trudeau, promet à la population québécoise qu’Ottawa rouvrira les négociations constitutionnelles. Après la défaite des séparatistes lors de ce référendum, le premier ministre canadien lance immédiatement un processus de création d’une Charte des droits et d’une formule de modification constitutionnelle, c’est‑à‑dire des critères devant être remplis pour amender la Constitution.
Cependant, les gouvernements provinciaux, à l’exception de ceux de l’Ontario et du Nouveau‑Brunswick, soit huit gouvernements sur dix, s’opposent tous aux propositions du premier ministre fédéral. (Voir Bande des huit.) En conséquence, Pierre Trudeau annonce qu’il entend poursuivre sa réforme seul. Il demande aux Britanniques de modifier l’AANB, en conformité avec une résolution du Parlement à Ottawa. Cependant, le chef de l’opposition, Joe Clark, retarde l’adoption de la résolution à la Chambre des communes, les premiers ministres provinciaux décidant de poursuivre le gouvernement Trudeau devant les tribunaux au sujet de son projet de réforme. En septembre 1981, la Cour suprême rend une décision quelque peu confuse. (Voir Renvoi sur le rapatriement.) Les juges suprêmes indiquent en effet que, juridiquement, le gouvernement fédéral pourrait aller de l’avant, sous réserve que le Sénat et la Chambre des communes adoptent une résolution en ce sens, mais qu’une convention constitutionnelle exige qu’Ottawa cherche à obtenir un soutien provincial notable avant de solliciter la Grande‑Bretagne dans le cadre de modifications constitutionnelles.
Pierre Trudeau retourne alors à la table des négociations pour une dernière fois. En novembre 1981, le gouvernement fédéral et neuf des dix gouvernements provinciaux (tous sauf celui du Québec) se mettent d’accord sur une proposition à envoyer à la Grande‑Bretagne. L’accord fédéral‑provincial prévoit que la nouvelle Constitution « rapatriée » inclura désormais une formule régissant de futurs amendements et qu’elle comprendra également une Charte des droits et libertés qui, bien qu’enchâssée dans la Constitution, contiendra des clauses susceptibles d’être annulées pendant de courtes périodes par le Parlement fédéral ou par les assemblées législatives provinciales (voir Clause dérogatoire). La Grande‑Bretagne approuve l’accord, qui est signé par la reine Elizabeth II le 17 avril 1982. (Voir Rapatriement de la Constitution.)
Contenu de la Loi constitutionnelle de 1982 Parties 1 à 4
La Charte canadienne des droits et libertés constitue la première partie de la Loi constitutionnelle de 1982. Elle empêche les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de porter atteinte aux droits et aux libertés de la population canadienne. Elle prévoit une clause dérogatoire, en vertu de laquelle ces gouvernements peuvent exempter une loi quelconque de certaines dispositions de la Charte (voir aussi Loi constitutionnelle de 1982: document).
La deuxième partie de la Loi garantit, au Canada, les droits des Autochtones déjà existants, sans, toutefois, définir en quoi ils consistent.
La troisième partie reconnaît la pratique du gouvernement fédéral, en place depuis les années 1950, consistant à fournir des paiements de péréquation aux provinces les plus pauvres. Ces paiements ont pour objectif de réduire les disparités, d’une province à l’autre, en matière de services fournis à la population.
La quatrième partie appelle le premier ministre fédéral et les premiers ministres provinciaux à tenir une conférence constitutionnelle, avant le 17 avril 1983, pour discuter des droits des Autochtones.
Cinquième partie: la formule de modification
La cinquième partie de la Loi constitutionnelle de 1982 contient la procédure d’amendement de la Constitution. Elle stipule que la plupart des articles de la Constitution peuvent être modifiés avec l’approbation du Sénat, de la Chambre des communes et des assemblées législatives d’au moins deux tiers des provinces (c’est‑à‑dire de sept d’entre elles), sous réserve qu’elles représentent au moins 50 % de la population canadienne, une règle connue sous l’appellation de « règle 7/50 ».
Toutefois, une approbation unanime du Sénat, de la Chambre des communes et des dix assemblées législatives provinciales est requise pour modifier les dispositions constitutionnelles portant sur la composition de la Cour suprême, sur l’utilisation du français et de l’anglais, sur le droit d’une province à avoir au moins autant de députés fédéraux que de sénateurs, et sur les charges de la reine, du gouverneur général ou des lieutenants‑gouverneurs.
La formule d’amendement ne fait pas explicitement mention de l’abolition du Sénat. En 2014, le gouvernement fédéral sollicite la Cour suprême relativement à une limitation à neuf ans du mandat des sénateurs. Dans sa décision, la Cour indique qu’une modification de la composition du Sénat exigerait un amendement en vertu de la règle « 7/50 », ajoutant que, dans le cas de l’abolition du Sénat, il faudrait le consentement du Parlement et des dix provinces.
Les amendements qui ne concernent que quelques provinces (par exemple, un changement de frontière entre deux provinces) peuvent être adoptés par le Sénat, par la Chambre des communes et par les provinces concernées. Un amendement peut, en outre, être adopté sans l’accord du Sénat si la Chambre des communes l’approuve, puis réitère son appui au moins 180 jours plus tard.
Sixième et septième parties
La sixième partie de la Loi constitutionnelle de 1982 modifie l’AANB de 1867, en précisant que les gouvernements provinciaux ont compétence exclusive sur leurs ressources naturelles non renouvelables. (Voir aussi Partage des pouvoirs.) La septième partie contient diverses dispositions mineures.
Conséquences
Le gouvernement du Québec, dirigé par le premier ministre René Lévesque, proteste, avec véhémence et avec une certaine amertume, contre le fait qu’Ottawa et neuf des provinces aient agi sans l’accord du Québec. Les nationalistes de la province évoquent, pour désigner la nuit du 4 novembre 1981, au cours de laquelle un accord a été ainsi obtenu, une « nuit des longs couteaux » (référence à un épisode d’assassinats perpétrés par les nazis, au sein même de leur parti, en 1934). Ils estiment que le Québec a été trahi par Pierre Trudeau et par les autres premiers ministres, (Voir Rapatriement de la Constitution.)
Brian Mulroney devient premier ministre en 1984. Il est déterminé à amender la Constitution pour la rendre acceptable par le gouvernement du Québec. À compter de 1985, c’est Robert Bourassa, un fédéraliste libéral, qui est à la tête du gouvernement québécois. En 1987, Brian Mulroney et tous les premiers ministres provinciaux s’entendent sur une série d’amendements constitutionnels désignés sous le nom d’Accord du lac Meech. Toutefois, cette entente s’effondre trois ans plus tard, après le refus des assemblées législatives du Manitoba et de Terre‑Neuve de la ratifier. (Voir aussi La mort de l’Accord du lac Meech: éditorial).
Une autre entente, l’Accord de Charlottetown de 1992, va également connaître un sort semblable (voir aussi Accord de Charlottetown: document), après avoir été rejetée lors d’un référendum national. À nouveau, les nationalistes québécois affirment que leur province a été humiliée. Ce sentiment alimente le succès croissant du Bloc québécois, un nouveau parti séparatiste qui siège à Ottawa.
Le ressentiment suscité par les événements de 1981‑1982 est encore présent chez un certain nombre de nationalistes québécois. Cependant, la place du Québec dans la Constitution n’est plus au premier plan du débat public canadien. Des enquêtes d’opinion publique montrent que la Charte des droits et libertés bénéficie d’un large soutien dans toutes les provinces, y compris au Québec.
Voir aussi Loi constitutionnelle de 1982: document; Histoire constitutionnelle; Droit constitutionnel; Monarchie constitutionnelle; Paix, ordre et bon gouvernement; Loi constitutionnelle de 1867; Loi constitutionnelle de 1867: document; Loi constitutionnelle de 1982; Loi constitutionnelle de 1982: document; Rapatriement – La canadianisation de la Constitution: éditorial; Rendre à César ce qui appartient à César… histoire revisitée du rapatriement de la Constitution: éditorial.