Libéralisme
Bien avant d'être associé à un parti politique au XIXe siècle en Espagne, le libéralisme constitue une doctrine qui présente l'individu comme étant l'élément de valeur suprême dans la société.
Le philosophe anglais John Locke (1632-1704) occupe une place de choix parmi les penseurs du libéralisme. Il est le premier à avancer que l'individu possède des droits innés à la vie, à la liberté et à la propriété. Ces droits précèdent le gouvernement. Ce dernier ne résulte que d'une convention par laquelle des individus autonomes ont décidé de s'associer pour mieux protéger leurs droits. Si ce contrat est violé, les personnes ont le droit de se rebeller. Les idées de Locke serviront de justification à la Révolution glorieuse de 1688, en Angleterre, et inspireront les révolutionnaires américains en 1776.
Au début du XIXe siècle, le libéralisme prend déjà de l'essor. En 1810, déjà, et pendant bien des années par la suite, le mot « libéral » a une connotation des plus favorables. Ainsi, dans Emma, la romancière Jane Austen écrit : « Les Cole se sont établis à Highbury et ce sont de braves gens, gentils, libéraux et sans prétention ». C'est en Espagne que le mot « libéral » prend pour la première fois une connotation politique. En 1812, les liberales, un mouvement de la classe moyenne auquel s'opposent les nobles et le clergé, réussit à procurer à l'Espagne un bref répit de l'absolutisme en faisant accepter une constitution. Le terme « libéral » prend aussi un sens politique en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord pendant les années 1820, lorsque les tories britanniques s'en servent pour exprimer leur mépris à l'égard des whigs, plus progressistes.
Deux siècles après son apparition, ce terme sert encore à jeter l'opprobre dans certains milieux. Dans la vie politique américaine, par exemple, des républicains comme Ronald Reagan et Newt Gingrich ont en grande partie réussi à investir le mot d'un sens négatif. Ronald Reagan disait à ses auditoires que les libéraux américains sont tellement gauchistes qu'ils délaissent l'Amérique. Pour sa part, Newt Gingrich a pris l'habitude de traiter ses adversaires de « libéraux radicaux ». Au Canada et en Europe, cependant, le libéralisme correspond encore à une notion honorable.
Les libéraux estiment que chaque personne a une dimension particulière, un caractère unique qui ne demande qu'à s'exprimer. Le but de la vie est d'atteindre cet objectif, de concrétiser ces possibilités. Une personne libre est en mesure de définir le bonheur et de le poursuivre à sa façon, d'arriver à sa propre définition du bien et à sa propre échelle des valeurs. Le rôle de l'État est de fournir les circonstances qui offrent aux personnes un vaste éventail de choix quant à la définition du bien. La société, pour sa part, doit valoriser une telle diversité, tout en traitant chaque individu de façon égale, sans égard à son origine, à sa couleur, à son sexe ou à son rang social. En contrepartie, la personne doit reconnaître sa responsabilité par rapport à son propre sort et à celui de la collectivité.
C'est cet individualisme essentiel qui distingue le libéralisme du conservatisme ou du socialisme. Peu importe leurs divergences sur la finalité de la société, les conservateurs tout autant que les socialistes perçoivent la société comme étant plus qu'un groupe d'individus autonomes. Les conservateurs préconisent une société organisée à caractère hiérarchique, tandis que les socialistes insistent sur le caractère déterminant des classes. La collectivité demeure toutefois le concept fondamental pour les uns comme pour les autres. Le libéralisme correspond donc à une conception particulière de l'alliance entre la poursuite du bien politique et les besoins de la personne. Le libéralisme n'est pas le monopole d'un seul parti. Au Canada, il revêt pratiquement autant d'importance dans l'idéologie du Parti progressiste-conservateur, du Parti réformiste et du Nouveau Parti démocratique que dans celle du Parti libéral, car peu importe le nom du parti, si ce dernier se soucie avant tout de l'épanouissement des individus, il souscrit alors au libéralisme.
Ce sont les Loyalistes de l'Empire-Uni qui ont amené le libéralisme au Canada. Très attachés aux institutions britanniques (notamment à la monarchie), les Loyalistes s'opposaient farouchement au républicanisme américain. Néanmoins, habitués au contexte nord-américain de mobilité économique et de gouvernement représentatif, ils tenaient tout aussi passionnément à la liberté personnelle.
L'Acte constitutionnel de 1791, qui crée les assemblées élues du Haut-Canada et du Bas-Canada, marque le premier succès du libéralisme au Canada. Suivront alors le gouvernement responsable, la représentation selon la population, les droits des minorités et l'État providence. L'influence loyaliste se fait encore sentir de nos jours : le libéralisme, influencé à parts égales par l'histoire britannique et américaine, avec un ajout occasionnel en provenance du Continent, comme l'impact de la révolution de 1848 sur les Rouges, forme le coeur de la vie publique au Canada.
Le libéralisme ne manque toutefois pas de détracteurs. D'éminents penseurs comme George GRANT et C.B. Macpherson s'en prennent aux fondements mêmes du libéralisme. Ils rejettent l'individualisme possessif axé sur l'acquisition de biens par des personnes en situation de compétition et préfèrent une société davantage axée sur la coopération et dont la finalité dépasse les droits et les désirs de ses membres individuels.
Par ailleurs, il arrive souvent qu'à l'intérieur même du libéralisme, plusieurs écoles de pensée se fassent concurrence. Les libéraux sont d'accord pour dire qu'ils veulent augmenter l'éventail des choix personnels. Mais quelle est la meilleure façon d'y parvenir? Le libéralisme « classique » veut protéger la liberté contre l'ingérence externe : on craint le gouvernement, on favorise l'économie de marché et on prise l'autonomie individuelle. Le libéralisme « positif », par contre, soutient que le droit absolu de faire une chose est vide de sens si on n'a pas la capacité réelle de la faire : plus que la simple absence d'entrave, la liberté doit inclure l'égalité des chances. Les égalitaristes libéraux revendiquent des programmes positifs, c'est-à-dire de promotion sociale, qui redistribuent les richesses et créent une plus grande équité dans une vie marquée par la compétition.
Malgré cette divergence fondamentale sur la question de savoir si l'État doit être envisagé comme un obstacle à éliminer ou comme un outil à utiliser, la version canadienne du libéralisme a apporté une contribution réelle au régime de gouvernement démocratique. La réconciliation du pluralisme ethnique avec les droits des minorités dans une communauté nationale est un problème avec lequel la plupart des pays sont aux prises. L'Inde n'est qu'un exemple parmi d'autres de société tiraillée par la discorde sociale et religieuse. Au Canada, les libéraux ont toujours valorisé la protection des droits des minorités. En 1982, un grand pas est franchi à cet égard lorsque la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS permet d'enchâsser dans la Constitution canadienne des droits fondamentaux aussi bien que de nouveaux droits linguistiques pour les minorités. Aux yeux de ses défenseurs, la charte a pour but principal de constitutionnaliser des droits, particulièrement des droits linguistiques, qu'aucun gouvernement ne saura jamais retirer. Armé du bouclier que constitue la charte, le simple citoyen peut ainsi réaliser la société envisagée par Locke, où les droits ont préséance sur l'autorité.
Selon l'expression de sir Wilfrid Laurier, le plus éloquent des libéraux canadiens, la plus grande réalisation du libéralisme canadien est la création de ce « régime de tolérance ».