Transcription
D’abord, il y a cette jeunesse en lui, puis tout ce qui l’accompagne, cet optimisme, cet espoir, cette énergie, cette excitation et cette conviction que tout est possible. Et il était vraiment convaincu qu’il allait traverser le Canada en moins de six mois. Il pensait que ça se ferait en six mois.
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Donc, Terry va se coucher vers 7 h le soir et il se lève aux alentours de 4 h du matin. C’est encore la pénombre dehors. Et le voilà qui arrive… nous étions descendus au Poplar Motel et le voilà qui arrive, vous savez, un peu comme un enfant… il a visiblement encore sommeil, et nous, nous sommes tous là à l’attendre, entassés dans la camionnette. Bon, moi je suis un peu nerveuse, j’ai envie de parler, mais évidemment, on ne doit pas dire un mot. Il se glisse dans le fond de la camionnette, se recroqueville au fond d’un sac de couchage et on est tous là, silencieux.
On conduit jusqu’au tas de rochers. Personne ne dit un mot. Il sort du véhicule et ce dont je me souviens, c’est ce magnifique paysage de campagne de l’Est de l’Ontario, vraiment magnifique, et je revois les silos de la ferme, et la lune, toujours haute dans le ciel. C’était le 29 juin, donc l’été ne faisait que commencer. La lune était si brillante que sa lumière projetait des ombres partout, on pouvait distinguer le bétail dans le champ… et Terry ne souffle mot. Il se contente de sortir, simplement, et commence à courir sous la lueur de la lune, vers l’aurore. En fait, il s’éloigne plutôt de l’aurore puisqu’il court vers l’ouest. Mais c’était magnifique et il m’a dit plus tard qu’il avait apprécié ce moment – il s’en souvenait bien – on en a parlé après – il se souvenait de ce moment. Il a dit que c’était une des meilleures journées. Ce calme, cette quiétude, et lui qui court, qui fait ce qu’il aime faire, et personne alentours.
Et puis, plus tard, ils font une pause, dans un champ; dans le champ d’un agriculteur, au bord de la route, et là, Terry mange beaucoup. Les gars somnolent plus ou moins dans la camionnette et Terry se repose lui aussi un peu. Mais vous savez, c’est en plein été, toutes ces fleurs partout, les champs et ce calme. Je pense que c’est ça qu’ils ont vécu intensément. Les films, ils nous ont montré le côté un peu fou de son exploit, la foule, les cris et les encouragements. Mais quand j’y pense, je pense que c’était principalement ça son expérience, courir seul sur des routes de campagne calmes.
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C’était vraiment des gamins! C’était vraiment une bande de petits gars, c’est évident, Darrell avait 17 ans, Terry tout juste 21, pareil pour Doug. Alors ils faisaient constamment des blagues. Ils se sont livrés à des batailles avec la nourriture. Je ne plaisante pas, plusieurs fois, ils se sont bataillés en se jetant des aliments les uns sur les autres. Et ce que j’ai trouvé très intéressant, c’est la manière dont Terry pouvait couper net cette intensité. Une fois qu’il avait fini de courir, il redevenait un jeune Canadien qui faisait tout ce que font les autres jeunes Canadiens; fasciné par le sport, toujours affamé, curieux et drôle. Et vous savez quoi, pour son anniversaire, ils lui ont offert un siège de toilette; c’est tellement absurde.
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Il y avait aussi l’incroyable empathie qu’il avait pour les autres et évidemment, c’est ça le moteur de sa motivation, parce qu’il était capable de voir la souffrance des enfants. Il y avait donc la sagesse qui découle de cette expérience et aussi cette empathie qui vient de l’intérêt qu’on porte aux autres. Et puis il y a cet amour de l’humanité qui pousse à vouloir accomplir quelque chose pour les autres, et ça l’a beaucoup motivé, ça aussi. Il avait survécu, donc il voulait contribuer. Donc tout ça fait qu’il était plus mûr et plus aguerri que la plupart des garçons de son âge, 21 ans, mais c’était aussi un jeune, avec toute l’innocence de la jeunesse. Un garçon qui aimait le sport.
Et toutes ces qualités se combinaient chez ce jeune Canadien exceptionnel; c’est si rare.
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Il avait cette incroyable – cette immense capacité à attirer autour de lui des personnes de qualité, fiables et expérimentées. L’empreinte qu’a laissée à long terme le marathon de Terry Fox, c’est cette capacité de rassembler des gens, de rassembler des gens de toutes les classes sociales. Si vous sortez courir ici à Toronto, vous allez courir aux côtés de très beaux jeunes hommes sikhs en turban, vous verrez aussi des jeunes mères des quartiers Nord de Toronto avec leurs jolies poussettes et vous doublerez de très, très vieux coureurs, qui vont clopin-clopant, à leur rythme. Et chaque fois que je vois ça, je suis abasourdie de constater le nombre de ceux qui – le nombre de ceux qui s’adonnent aujourd’hui à l’activité.
Tout cela a contribué en quelque sorte à souligner la gravité et la profondeur de ce qu’il a commencé. Et il est connu dans le monde entier. Ils ont des courses – un million de personnes courent à Cuba, un million.
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(…) le modèle qu’il est devenu pour les athlètes ayant un handicap est assez incroyable, et il ne portait qu’un appareil très primitif, mais j’ai parlé avec des para-athlètes qui m’ont confirmé à quel point Terry demeure une source d’inspiration pour eux. Et de même, il fut le premier à montrer sa prothèse nue, et elle était laide. Et son message était clair : j’ai perdu une jambe, mais je suis toujours un athlète. J’ai perdu une jambe, mais je peux toujours accomplir des choses! Les répercussions sont donc énormes pour les générations suivantes d’amputés.