Lhasa de Sela | l'Encyclopédie Canadienne

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Lhasa de Sela

Lhasa de Sela, auteure, compositrice, interprète, réalisatrice, directrice musicale et artiste peintre (née le 27 septembre 1972 à Big Indian, aux États-Unis; décédée le 1er janvier 2010, à Montréal, au Québec). Lhasa de Sela a été une artiste de musique du monde qui s’est exprimée en espagnol, français et anglais. Son album de début La Llorona (1998), enregistré en espagnol, est gagnant d’un prix Juno dans la catégorie Meilleur album global de l’année et lui vaut une nomination aux prix Juno dans la catégorie Meilleure nouvelle artiste solo. En 2005, elle remporte le prix de la Meilleure artiste des Amériques aux prix World Music de la BBC.

Lhasa de Sela

Enfance et influences musicales

Lhasa de Sela est née à Big Indian, un hameau des monts Catskill situé dans la municipalité de Shandaken, du comté d’Ulster de l’État de New York. Sa mère, Alexandra Karam, est une photographe et comédienne américaine. Au moment où celle-ci donne naissance à Lhasa, elle est plongée dans la lecture du Livre tibétain des morts, d’où le prénom qu’elle choisit pour sa fille (Lhassa est la capitale du Tibet). Le père de Lhasa, Alejandro Sela, est un auteur et professeur d’espagnol et de littérature d’origine mexicaine. Les parents de Lhasa sont tous deux enfants uniques, mais proviennent de familles aux origines multiples (dont libanaises, polonaises et panaméennes).

À partir de l’âge de deux mois, Lhasa et ses trois sœurs (Sky, Ayin et Miriam) voyagent en compagnie de leurs parents à bord du bus familial entre les États-Unis et le Mexique. Pendant sept ans, le père collectionne les petits emplois et la mère enseigne aux filles. Durant cette période, ils vivent aussi dans une communauté catholique au Mexique. Lhasa fréquente, à ce moment, l’église tous les jours et reçoit les sacrements catholiques.

Le petit clan nomade vit au rythme de la musique. Alejandro aime écouter les standards américains et mexicains tandis qu’Alexandra préfère la musique arabe, latine, rom ou japonaise. Lhasa fredonne en tout temps et trouve ses influences musicales dans des styles et rythmes divers. Chavela Vargas, l’illustre chanteuse de ranchera du Costa Rica (naturalisée Mexicaine) est, pour elle, une grande inspiration. Tom Waits, Vladimir Vissotski, Randy Newman, Jacques Brel, Anouar Brahem, Sam Cooke, Al Green, Amália Rodrigues, Cuco Chavez, Leonard Cohen, Björk et Radiohead sont d’autres artistes qui, au fil du temps, l’aident à façonner son univers musical. Pour elle, « la musique est un moyen de briser la solitude, de se montrer à soi-même, et aux autres, qu’on est ensemble, qu’on vit tous la même chose… »


Adolescence et rencontres déterminantes

Lhasa apprend très vite à se détacher de son image personnelle. À l’âge de 12 ans, elle fait un séjour dans une colonie de vacances dans le cadre d’un projet scolaire environnemental, près de San Francisco. Sans miroir pendant cette période, elle est choquée à son retour par son allure de vagabonde. Elle réalise que, malgré tout, elle se sent immensément belle intérieurement. Bien plus tard, lors d’une entrevue accordée au journal Le Devoir, elle fait référence à cette expérience et compare la musique avec cette sensation vécue à ce moment : « Il y a des façons de créer et d’enregistrer de la musique qui te ramènent plus vers l’intérieur. Si tu évites les miroirs, tu ne remarques plus les petits défauts au coin de tes yeux. Ça permet de t’attarder à la beauté générale des choses, à la force de l’ensemble, à ce que tu ressens en dedans. »

L’appel de la musique est très fort. À 13 ans, elle commence à chanter sur scène. Elle interprète des standards du jazz et des pièces de Billie Holiday dans un café grec de San Francisco. Avec l’aide d’un professeur elle apprend les rudiments nécessaires à l’interprétation d’œuvres vocales jazz, et « le respect des textes ».

À 18 ans, elle entreprend des études au St. John’s College de Santa Fe, au Nouveau-Mexique, dans le programme de langue étrangère et de grec ancien, mais abandonne ce projet en cours de route. En 1991, elle décide de s’installer à Montréal, où elle rejoint ses sœurs qui apprennent le métier d’acrobate et les arts du cirque. Lhasa travaille un certain temps comme serveuse à la Maison de la culture mondiale ainsi qu’au pub L’Barouf. Petit à petit, elle commence à se produire dans les bars, où elle reprend souvent des bossanovas, des pièces traditionnelles mexicaines et aussi, très souvent, des pièces du groupe Bratsch. Lors de son premier été à Montréal, elle découvre cette formation, avec laquelle elle aura la chance de jouer plus tard à Paris, sur la scène du Bataclan.

Yves Desrosiers

Toutefois, c’est grâce à sa rencontre avec le multi-instrumentiste, auteur et compositeur Yves Desrosiers que sa carrière de chanteuse commence réellement. Par l’intermédiaire d’une amie commune, elle fait sa connaissance lors d’un spectacle de l’artiste Térez Montcalm. À cette époque, elle ne parle pas beaucoup français et Desrosiers fait déjà partie du métier (il est à ce moment-là musicien au sein de Jean Leloup et La sale affaire). Elle le croise à nouveau par hasard, un an plus tard, alors qu’elle est assise à une terrasse, et profite de l’occasion pour lui parler de son souhait de chanter de façon professionnelle. Ils échangent leurs coordonnées et une collaboration prend naissance entre les deux artistes.

Aidés par quelques acolytes, dont le percussionniste et batteur François Lalonde, le bassiste Mario Légaré, le guitariste Rick Haworth et l’accordéoniste Didier Dumoutier, ils travaillent à leur projet pendant environ cinq ans avant d’obtenir un contrat de disque. Au cours de cette période, ils présentent leur musique ici et là dans les bars du Plateau Mont-Royal.


La Llorona (1997)

Écrit en plein hiver, l’album La Llorona (qui se traduit par « La pleureuse ») fait référence au personnage féminin mythique aztèque qui ensorcelait les hommes par son chant triste en les entraînant près d’une rivière pour les embrasser et les transformer en pierre. Sorti le 4 février 1997, l’album contient des pièces chantées seulement en espagnol et récolte un succès phénoménal. Certifié or au Canada dès février 1998, avec 50 000 exemplaires vendus (il est certifié platine en 2004), il représente le Québec dans la série « Découvertes » du Printemps de Bourges (France). La Llonora vaut également à Lhasa le prix Félix de l’Artiste québécois ― Musiques du monde en 1997 et un prix Juno dans la catégorie Meilleur album global (Best Global Album) en 1998. Lhasa illustre elle-même la pochette de son album. Les textes abordent les thèmes de l’amour, de l’abandon et de la fuite. Finement écrits, ils s’expriment sur des mélodies aux sonorités grecques, péruviennes, klezmers, roms, et même country.

La Llonora de Lhasa de Sela

The Living Road (2003)

Dans la foulée de ce succès inattendu, elle part vivre en France pendant trois ans, dont deux où elle habite Marseille. Elle participe au spectacle La Maison Autre (en interprétant une chanson, « La marée haute »), monté par le cirque ambulant Pocheros, une troupe dont font partie ses sœurs qui sont acrobate, trapéziste et funambule. Elle apprécie cette expérience de proximité entre artistes, mais se sent moins libre que lorsqu’elle interprète ses chansons pour ses concerts.

Elle commence l’enregistrement de The Living Road à Paris avec les musiciens émérites Vincent Ségal, Cyril Atef et Sébastien Martel, mais ressent vite la pression de leur rythme de travail. Elle choisit alors de repartir à Montréal et s’entoure de deux producteurs qu’elle connaît bien, François Lalonde et Jean Massicotte, afin de peaufiner son album. Les sessions de travail et d’enregistrement des chansons en anglais et en français se prolongent sur une période de sept mois. L’album est publié le 21 octobre 2003. Le Times de Londres le place en troisième position du palmarès des meilleurs albums de musique du monde; il est aussi certifié or au Canada et en France. Elle est sacrée meilleure artiste des Amériques lors des Award for World Music de la BBC en 2005. Aux Juno, elle est également finaliste aux prix Album de l’année – Musique du monde pour The Living Road (en 2004) et Vidéo de l’année pour « Con Toda Palabra » (en 2006).

Lhasa (2009)

Après une tournée européenne et nord-américaine, elle prend un nouveau virage vocal pour composer son album éponyme Lhasa. Après avoir fait plusieurs extinctions de voix, elle se décide à chanter dans des tonalités plus hautes, plus confortables pour elle. Elle fait aussi appel à un nouveau noyau d’interprètes, dont la harpiste Sarah Pagé, le contrebassiste Miles Perkin, le batteur Andrew Barr et les guitaristes Joe Grass et Freddy Koella. C’est le chanteur Patrick Watson qui l’aide à composer les textes chantés, cette fois, exclusivement en anglais. L’album est enregistré au Studio Hotel2tango, à

Montréal et lancé le 20 avril 2009 dans la même ville. Elle entreprend ensuite une tournée, mais doit annuler en juin ses concerts en Islande et à Paris pour des raisons de santé. Atteinte depuis plusieurs mois d’un cancer du sein, Lhasa s’éteint le 1er janvier 2010 dans son appartement de Montréal.


Héritage

Un parc où elle flânait souvent pour trouver l’inspiration, situé non loin de son studio dans le Mile-End de Montréal, est nommé en son honneur en 2014. En octobre 2016, Lhasa remporte à titre posthume le Prix du Patrimoine Polaris grâce à son premier album, La Llonora, et en décembre 2017, un spectacle intitulé « La route chante » rend hommage aux 20 ans de la parution de cet album. Un album devant public capté en mai 2009 paraît en novembre 2017 (Live in Reykjavik).