Contexte
Jean-Claude Lauzon commence à écrire Léolo avant son premier long métrage de 1987, Un zoo la nuit, en adaptant pour son scénario un roman inachevé écrit durant sa jeunesse. Un zoo la nuit lui vaut un succès retentissant et remporte un total sans précédent de 13 prix Génie.
Dans une entrevue, Jean-Claude Lauzon fait le récit de la genèse de Léolo dans les termes suivants : « Avec le succès du Zoo […] j’avais été contacté par des producteurs américains […], mais les scénarios étaient tellement mauvais. Alors, tranquillement, j’ai commencé à prendre des notes et amasser des photos pour Léolo. À ce moment-là, ça s’appelait Portrait d’un souvenir de famille. »
Il dit d’ailleurs : « Lorsque j’ai commencé à écrire Léolo, je ne savais pas où allait le film, je ne savais pas quel était son sujet, je savais juste dans quel état d’esprit je voulais que les gens soient à la fin de la projection. […] Léolo est autobiographique à 85 % […] Léolo est surtout un hommage à ma mère. »
Léolo est également dédié à André Petrowski, ancien responsable de la distribution des films français à l’Office national du film (ONF) qui prend le jeune Jean-Claude Lauzon sous son aile et l’encourage à accomplir ses penchants artistiques; c’est lui qui servira d’inspiration pour le personnage de Word Tamer.
Synopsis
Léolo, un garçon qui approche de l’adolescence interprété par Maxime Collin, lutte pour survivre aux privations liées à son éducation dans un quartier ouvrier de Montréal. Entouré d’adultes fous qui ont des préoccupations névrosées et par des frères et sœurs qui ont été abîmés ou détruits par un monde extérieur hostile et oppressif, il note toutes ses observations dans un calepin, explorant et énonçant ses rêves et ses cauchemars à la fois vécus et imaginés. Il cherche aussi refuge dans les livres, particulièrement L’Avalée des avalés de Réjean Ducharme et est guidé par Word Tamer, interprété par Pierre Bourgault, un homme bienveillant qui entoure l’enfant de soins attentifs et veille à l’épanouissement de sa volonté d’écrire. Le jeune héros du film s’échappe dans une vie fantasmatique dans laquelle il invente littéralement le mythe de sa propre création : il est le rejeton d’une tomate italienne contaminée chargée de sperme qui, d’une manière ou d’une autre, a réussi à imprégner sa mère, interprétée par Ginette Reno. Son vrai nom est Léo, mais il insiste sur la forme plus italianisée de Léolo. Ses fantasmes lui font rapidement prendre des chemins obscurs et l’amènent à un conflit avec les autorités locales.
Analyse
Mélange de Luis Buñuel, de Federico Fellini et de Claude Jutra, Léolo constitue une suite du premier film de Jean-Claude Lauzon de 1987, Un zoo la nuit, un film que l’on a souvent surévalué. Léolo consiste en un examen, empreint de maturité et de stoïcisme, de l’innocence perdue, de la quête d’un foyer et du conflit incessant et solitaire entre les paroles et les actes. Léo – le jeune protagoniste du film qui n’est autre que le réalisateur lui-même, dont les mondes imaginaire et réel se chevauchent, s’entrecroisent et se heurtent violemment pendant presque toute la narration qui s’enflamme de façon quasiment palpable – est à la fois le commentateur et la victime du monde excentrique, défavorisé et dépravé qui l’entoure. C’est ce double rôle qui donne au personnage sa profondeur et au film sa complexité, le reliant non seulement aux précédentes descriptions de l’enfance dans le cinéma québécois, notamment dans Mon oncle Antoine de Claude Jutra, mais aussi à une société québécoise en transition sur le plan social, politique et, le plus crucial pour Jean-Claude Lauzon, sur le plan de l’imaginaire.
Réception critique
Ce dernier point a également été repris par le critique de cinéma de La Presse Luc Perreault qui précise que le film décrit : « […] la création comme un geste par excellence d’affirmation de soi. Ce modèle de salut personnel trouve son corollaire sur un plan plus large : collectivement, nous indique ce film, le Québec ne s’en sortira que par sa créativité. »
Bien que certains commentateurs estiment que le film est entaché par des défauts narratifs, Léolo est généralement accueilli par des critiques assez laudatives après la première projection au Festival de Cannes 1992. Le critique américain Roger Ebert en parle comme de « l’un des meilleurs films de l’année », ajoutant : « Je n’avais jamais vu un film comme celui-là auparavant. » Janet Maslin du New York Times affirme : « [C’est une œuvre] audacieuse et d’une originalité tonifiante… un film courageux et profondément émouvant qui installe M. Lauzon comme un formidable nouveau talent. » Time Out London dit de Léolo qu’il s’agit d’une « fusion audacieuse du mystique et du macabre » qui combine « un humour sombre avec des images d’une richesse surprenante ».
En revoyant le film après sa projection en ouverture du Festival international du film de Toronto (TIFF), Kenneth Turan du Los Angeles Times indique : « [Le film] a déjà fait sensation partout où il a été montré. Il s’agit d’une œuvre farouchement aventureuse dans son esprit qui constitue une révélation visuelle. Léolo est un film à la fois déchirant et intelligent, un rêve empreint de fièvre et de magie sur l’imagination, la poésie et l’amour. » Dans sa critique dans le magazine Maclean’s intitulée « Un chef-d’œuvre rebelle », Brian D. Johnson écrit que le film « porte le cinéma canadien vers de nouveaux sommets d’ambition et de réussite ».
Distinctions et héritage
Léolo est désigné meilleur film de 1992 par le magazine Maclean’s et est inscrit dans la liste des 10 meilleurs films de 1993 par le magazine Time aux États-Unis, ce dernier l’ayant également intégré, en 2005, à son palmarès des 100 meilleurs films de tous les temps. Léolo sort en DVD en 2008. En 2014, le film est restauré et numérisé dans le cadre du projet Éléphant de Québecor qui vise à créer une base de données en ligne complète du cinéma québécois. La version restaurée est également projetée lors du Festival de Cannes 2014 dans le cadre du programme Cannes Classics.
L’envergure de Léolo n’a cessé de s’accroître au fil des ans. Il a été inscrit, en 2015, dans la liste des dix meilleurs films canadiens de tous les temps à l’occasion d’une enquête menée par le Festival international du film de Toronto, et ce, bien qu’il ait été absent des précédentes listes établies en 1993 et en 2004. En 2016, il est classé parmi 150 œuvres essentielles de l’histoire du cinéma canadien dans le cadre d’un sondage auprès de 200 professionnels des médias mené par le TIFF, Bibliothèque et Archives Canada, la Cinémathèque québécoise et la Cinematheque de Vancouver en prévision des célébrations entourant le 150e anniversaire du Canada en 2017.
Voir aussi : Longs métrages canadiens; Cinéma québécois.
Prix
Meilleur long métrage canadien – Mention spéciale du jury, Festival international du film de Toronto
Meilleur scénario canadien, Festival international de cinéma de Vancouver (1992)
Golden Spike, Festival international de cinéma de Valladolid (1992)
Meilleurs costumes (François Barbeu), Prix Génie 1992
Meilleur montage (Michel Arcand), Prix Génie 1992
Meilleur scénario original (Jean-Claude Lauzon), prix Génie (1992)
Prix du public, Fantasporto (1993)
Prix international du film fantastique, Meilleur réalisateur, Fantasporto Film Festival (1993)