Fondation
Publiée pour la première fois le 9 novembre 1826, La Minerve est lancée par Augustin-Norbert Morin, un des plus importants nationalistes canadiens-français. Après la fermeture du Canadien, l’organe officiel du parti, il n’y a plus de journal francophone pour défendre son idéologie. Le seul journal qui le fait est le Canadian Spectator, anglophone, publié par Jocelyn Waller. La Minerve est fondée pour remplir ce rôle. Sous la direction d’A.-N. Morin, le journal peine à trouver des abonnés, ce qui entraîne des difficultés financières. En fait, Morin doit s’arrêter 20 jours à peine après la première édition. Quelques mois plus tard, il vend le journal à son collègue patriote Ludger Duvernay.
Ludger Duvernay, avant la rébellion (1827-1837)
C’est sous la direction de Ludger Duvernay que La Minerve a laissé le souvenir le plus impérissable. Bien que le nombre d’abonnés du journal soit modeste (1 300 vers 1832), son influence est significative car ses éditoriaux sont fréquemment lus publiquement dans des rassemblements pour les personnes qui ne savent pas lire. Il devient l’organe le plus influent du parti, et selon N.-A. Morin, le « journal national » de la colonie. Plusieurs dirigeants patriotes, dont Morin, Louis-Joseph Papineau et Denis-Benjamin Viger, rédigent des éditoriaux pour le journal.
La Minerve soutient l’aile la plus radicale du parti, critiquant fréquemment les vues plus modérées du Canadien d’Étienne Parent, de la Quebec Gazette de John Neilsonet du Populaire de Clément-Charles Sabrevois de Bleury. La Minerve approuve même une insurrection armée, et dans les semaines précédant la rébellion canadienne, publie de nombreux éditoriaux poussant la population à la révolte. Par exemple, le 30 octobre 1837, le journal proclame : « C’est dans un temps de crise extraordinaire que vous vous réunissez tous pour proclamer vos droits et pour dénoncer la tyrannie d’un gouvernement à jamais odieux pour tout bon patriote Canadien. Combien est noble l’exemple que vous nous donnez aujourd’hui ! Combien vos compatriotes vous admirent ! […] nous sommes prêts à faire le sacrifice de tout ce que nous avons de plus cher au monde, pour arracher au vil esclavage le sol qui nous a vus naître. »
Ludger Duvernay après la rébellion (1842-1852)
Après la rébellion, le journal ferme ses portes pendant cinq ans car Ludger Duvernay s’est enfui aux États-Unis et est resté en exil. En 1842, à la demande de son ancien collègue patriote Louis-Hippolyte La Fontaine, Ludger Duvernay revient au Bas-Canada et relance La Minerve. Cependant, la nouvelle Minerve n’est plus le journal radical d’autrefois, mais une version plus modérée. Louis-Hyppolyte La Fontaine veut que Ludger Duvernay l’utilise pour défendre sa position conciliante. Bien que le journal persiste à critiquer certains aspects de l’Acte d’Union, il approuve la lutte de La Fontaine pour obtenir le gouvernement responsable. Le journal s’oppose même au retour de Louis-Joseph Papineau en politique canadienne en 1848, critiquant ouvertement son radicalisme et le présentant comme un « grand agitateur ».
Néanmoins, le journal ne semble pas toujours à l’aise avec sa nouvelle identité. Par exemple, bien que les réformistes s’opposent au mouvement annexionniste (un mouvement mené par l’élite économique anglophone et les Rouges, qui préconise que le Canada se joigne aux États-Unis), La Minerve adopte une position beaucoup plus nuancée (voir Association pour l’annexion; Destinée manifeste). Il reconnaît, avec les annexionnistes, que dans la foulée des lois sur les céréales (voir Canada Corn Act), l’annexion permettrait au Canada d’échapper à des difficultés économiques. Le 12 juillet 1849, le journal affirme même : « Nous avons toujours regardé notre existence coloniale comme transitoire, et nous avons toujours travaillé à nous préparer aux éventualités, aux changements de condition que le temps et les circonstances amèneront […] L’annexion ne nous a jamais effrayé. »
Après Ludger Duvernay (1852-1899)
Après la mort de Ludger Duvernay, en 1852, le journal, de réformiste modéré, devient conservateur. La propriété tombe entre les mains de ses fils Louis-Napoléon et Ludger-Denis. Ceux-ci embauchent des rédacteurs en chef étroitement liés aux conservateurs, dont Évariste Gélinas (1861-1865) et Joseph-Alfred Norbert Provencher (1865-1869). Ce dernier se présente même pour le Parti libéral-conservateur en 1867 et utilise le journal pour promouvoir la Confédération.
En 1869, Arthur Dansereau devient rédacteur en chef, et à partir de 1879, le seul propriétaire, après que les frères ont vendu leurs parts en raison de difficultés financières. Sous la direction d’Arthur Dansereau, le journal continue à soutenir George-Étienne Cartier et le Parti libéral-conservateur.
En 1880, Arthur Dansereau vend ses parts à la Compagnie d’imprimerie de La Minerve, un groupe organisé par Joseph Tassé, qui devient le nouveau rédacteur en chef du journal. Sous la direction de celui-ci, le journal demeure un organe conservateur, défendant même le parti après l’exécution de Louis Riel, blâmant les Métis et Riel pour être devenu « un ambitieux cupide » (voir Rébellion de la rivière Rouge). En 1889, le journal est loué à Trefflé Berthiaume, qui est en désaccord avec la politique éditoriale de Joseph Tassé. L’année suivante, celui-ci est congédié, ce qui entraîne une bataille juridique. L’affaire est réglée par accord mutuel l’année suivante : Joseph Tassé redevient rédacteur en chef et Trefflé Berthiaume ne paie aucune pénalité, mais le journal est en mauvaise position financière.
En 1892, le journal, en difficulté, est vendu à Eusèbe Sénécal (voir aussi Sénécal). Toutefois, il ne survivra plus longtemps. Selon l’historien Jacques Michon, les difficultés financières, la transformation du monde des journaux et, surtout, les victoires libérales à Québec et Ottawa, entraînent la fin de l’organe conservateur, qui cesse de publier en 1897. Bien qu’un groupe d’intérêt conservateur tente de le relancer l’année suivante, il disparaît définitivement en 1899.