Krieghoff, Cornelius David
Cornelius David Krieghoff. Artiste (Amsterdam, Hollande, 19 juin 1815 -- Chicago, Ill., 8 mars 1872). Les interprétations de la vie du 19e siècle au Québec de Cornelius Krieghoff sont aussi connues et convoitées pendant sa vie qu'aujourd'hui. Cet artiste doté d'un talent d'entrepreneur est prolifique. On estime son œuvre à un nombre de tableaux et d'épreuves allant de 1500 à 1800, ce qui laisse penser qu'il existe un vif marché enthousiaste pour ses images de francophones ruraux, d'Autochtones, de sports récréatifs, de paysages et de portraits. « Il n'existe pratiquement pas de foyer canadien qui n'a pas quelques souvenirs de lui » stipule l'article nécrologique de l'artiste. Il est beaucoup imité à son époque et la valeur durable des œuvres de Krieghoff encourage la contrefaçon. Dans les 30 dernières années, à presque toutes les ventes aux enchères, figure au moins une œuvre « de », « attribuée à » ou « d'après » Krieghoff.Peindre sur une nouvelle terre
Avant d'immigrer en Amérique du Nord, Krieghoff passe la plus grande partie de sa jeunesse dans la ville protestante de Schweinfurt (Bavière, Allemagne) où son père gère une usine produisant des matériaux fins et des tapisseries personnalisées. À 22 ans (1837), il traverse l'Atlantique. Il s'enrôle pour trois ans dans l'armée des États-Unis et est par la suite affecté dans ce qu'on appelle les « Seminole Wars » en Floride. Son installation au Canada semble être précipitée par des problèmes familiaux : en 1840, après s'être enrôlé à nouveau dans l'armée américaine, il apparaît soudain à Boucherville, à la paroisse où réside Emilie Gauthier, sa femme francophone et mère de son nouveau-né.
Pendant ces premières années civiles, il est itinérant et travaille dans l'entretien des maisons (peinture puis rembourrage de meubles à Rochester, NY, v. 1842-1843) tout en essayant de devenir un artiste professionnel. En 1844, à Toronto, il se sent assez sûr de lui pour se faire de la publicité en tant qu'« artiste » et, en fait, il reçoit une importante commande de portrait (William Williamson and his Son Alexander; Margaret Erskine Williamson and her Daughter Jessie, Collection du Royal Ontario Museum). L'année suivante, toutefois, il se trouve à Paris pour se perfectionner et copie souvent des œuvres de « maîtres » historiques et contemporains du Musée du Louvre et du Musée du Luxembourg. De retour au Canada au début de 1846, il s'établit en tant qu'artiste professionnel, d'abord à Montréal jusqu'en 1853, puis à Québec (1853-1863). L'Europe semble être son quartier général de 1863 à 1870. Il retourne brièvement à Québec en 1870-1871 avant de s'installer à Chicago où il vit avec sa fille jusqu'à sa mort en 1872.
Thèmes principaux
Dès ses débuts, Krieghoff établit deux thèmes majeurs dans son répertoire, auxquels il revient au cours de sa carrière et pour lesquels il est probablement le plus connu : les francophones ruraux et les Autochtones. Ses scènes d'« HABITANT » couvrent une panoplie de situations : dans certaines, par exemple, des gens se saluent en route, jouent aux cartes, font des courses de traîneaux, fraternisent à l'auberge du coin ou tentent d'établir l'étendue de terres non arables - qui leur sont accordées par le gouvernement - dans l'arrière-pays québécois. Dans une autre scène typique, un soldat britannique flirte avec une jeune femme francophone et le moment intime est interrompu par son mari ou un parent. Dans Breaking Lent (Collection Thomson), le prêtre local, sévère et imposant, arrive à l'improviste à l'humble demeure d'un paroissien pour surprendre la famille en train de commettre l'acte interdit de manger de la viande pendant le Carême. Qu'elles soient vues comme des narrations anodines ou subtiles ou des commentaires satiriques sur la société franco-québécoise, de telles scènes de genre témoignent souvent de la conscience de Krieghoff des relations entre les groupes ethniques ou les classes sociales.
Les scènes dans lesquelles Krieghoff peint des membres des Premières nations reflètent sa croyance en leur profonde affection pour la terre. Malgré les représentations souvent détaillées de vanneries exquises, de travaux de perles et d'autres types d'artisanat autochtone, les personnages - toujours placés dans un paysage - sont presque toujours génériques. Ses scènes de « rassemblements indiens », catégorie utilisée par une publicité dans un journal contemporain de Montréal, sont caractéristiques. Dans A Caughnawaga Indian Encampment (Collection du Royal Ontario Museum), les personnages, placés au centre de la scène à côté d'un wigwam voisinant un ruisseau forestier, représentent l' « autochtone » typique. Peu de choses dans l'image elle-même permettent d'identifier clairement ces gens comme ceux qui sont censés avoir inspiré Krieghoff : les MOHAWKS qui, en fait, vivent dans leur communauté de Caughnawaga (auj. Kahnawake) avec son église catholique de pierre et ses maisons blanches, sur la rive sud du Saint-Laurent en face de Lachine. Dans ses tableaux plus tardifs, les gens campent, chassent et font des randonnées dans les forêts profondes et sur les voies navigables, mais ils sont devenus de simples figurants supplantés par la nature dans toute sa splendide grandeur (On Lake Laurent).
Installation à Québec
Les paysages, les portraits et les scènes de loisirs extérieurs prennent une autre signification dans le répertoire de Krieghoff après son arrivée à Québec. Ils fournissent un moyen de profiter des importants marchés militaires et commerciaux du centre ainsi que des affaires touristiques et des loisirs. Les célèbres monuments naturels de la région constituent le centre d'intérêt d'un grand nombre de ses tableaux (St. Anne Falls), alors que d'autres représentent les forêts et les rivières qui sont au cœur de la très importante industrie de bois d'œuvre mais aussi le terrain de jeux des mordus de la nature (Death of the Moose at Sunset, Lake Famine South of Quebec, collection Glenbow).
On peut se procurer les œuvres de Krieghoff de différentes manières. De nombreux tableaux, ainsi que des lithographies, sont vendues aux enchères : à Montréal par J.H. Leeming, Scott & Glassford et Fisher & Armour et à Québec par A.J. Maxham & Company. Des épreuves sont vendues sur abonnement par les journaux locaux. Les librairies vendent des tableaux dans leurs magasins. D'autres œuvres sont manifestement le résultat de commandes (Fraser, with Mr Miller Up, Musée des beaux-arts du Canada), et l'ami intime de Krieghoff John S. Budden agit de toute évidence en tant qu'agent à plusieurs occasions. Nombre d'œuvres de Krieghoff sont exposées et sont en vente à Cincinnati, à Philadelphie, à New York et dans d'autres centres américains, cela indique qu'il bénéficie de représentants commerciaux au sud de la frontière.
Réputation grandissante
Le talent d'homme d'affaires de Krieghoff est aussi évident par son implication énergique en 1847 dans l'exposition de la Montreal Society of Artists, à laquelle il fait une contribution de 48 tableaux, plus de deux fois plus que les autres participants, par ses propositions de tableaux aux Quebec Provincial Exhibitions, qui remportent souvent des prix, par sa lettre visant à convaincre l'honorable Hamnett Pinhey de le choisir pour peindre un portrait de la reine Victoria, par une annonce à la presse montréalaise stipulant que lui et un de ses collègues créeraient un panorama du paysage canadien et par sa pétition aux fonctionnaires du Gouvernement du Canada pour obtenir des subventions pour terminer le projet, dont il fait la promotion en disant qu'il s'agit d'un moyen de vendre la vie canadienne aux immigrants potentiels d'Europe.
La communauté anglophone est la plus réceptive à l'imagination de Krieghoff. Les militaires britanniques collectionnent les images de l'artiste comme souvenirs de leur affectation à la colonie. Les tableaux montrant la vie de ceux qui vivent « près de la terre » attirent des membres de la classe moyenne urbaine montante d'Amérique du Nord qui voient dans de telles scènes anecdotiques l'affirmation de leur propre statut économique et social. Les œuvres exposant la richesse des ressources ou des avancées technologiques du Canada charment l'élite commerciale qui voit en elles l'évidence et le potentiel de croissance économique et de prospérité et donc une représentation de leur propre intérêt et pouvoir professionnels.
Reconnaissance internationale
Krieghoff est d'abord reconnu à un niveau local mais, en 1867, son œuvre est choisie pour représenter le Canada ailleurs dans le monde. Sillery Cove (collection Thomson), une vue magnifique de l'un des dépôts de bois d'œuvre près de Québec est présentée par le Canada à l'Exposition universelle à Paris. L'œuvre, ses qualités artistiques et les sujets reconnus comme importants par les organisateurs de Québec complètent la section de présentation du Canada : une exposition soulignant l'industrie du bois d'œuvre qui est l'industrie-clef d'une grande partie de la richesse du pays.
Avec une palette de couleurs brillantes, de très grands gestes et expressions faciales, un style réaliste et une attention remarquable aux détails qui suggèrent une observation de près de la nature, Krieghoff réussit à créer des tableaux qui séduisent et qui touchent d'importantes parties de la population urbaine canadienne. Ils fournissent une image apparemment cohérente du Canada, le pays qu'ils ont fait leur et assurent ainsi une demande continuelle de ses versions de la « vie canadienne ». Le débat se poursuit quant à savoir si ses images romantiques des « habitants » et des membres des Premières nations sont compatissantes, condescendantes ou satiriques, un débat qui défie nos suppositions quant à l'identité du Canada en tant que nation, autant dans le passé qu'aujourd'hui. Néanmoins, son œuvre continue d'être reconnue pour ses aspects documentaristes et artistiques. Elle fournit un témoignage remarquable de la tentative d'un citoyen de saisir sa perception du Canada en images et, avec ces images, de se faire un nom et d'établir une carrière en tant qu'artiste totalement professionnel dans un pays naissant. (Voir aussi ART, PEINTURE : 19e SIÈCLE ET DÉBUT DU 20e SIÈCLE).