Éducation et début de carrière
Jim Egan est le fils aîné de James Egan et de Nellie (Josephine) Engle. Charles, son unique frère, voit le jour en 1922. Jim Egan fréquente d’abord la Holy Name School puis l’Eastern High School of Commerce, toutes deux situées à Toronto. Pendant ses études secondaires, il suit un cours intégré de biologie, de chimie et de physique, ainsi que des cours de littérature et de création littéraire anglaises. Indifférent par rapport à ses études, il abandonne le système d’éducation en deuxième année du secondaire. Toujours attiré par le monde naturel, Jim Egan travaille de 1937 à 1939 dans des fermes des environs deBailieboro, en Ontario. Il tente de s’enrôler après la déclaration de guerre en septembre 1939, mais doit essuyer un refus en raison d’une cicatrice cornéenne (voir Deuxième Guerre mondiale).
Sans diplôme d’études secondaires, en autodidacte il découvre la biologie et le monde naturel en puisant dans des livres et magazines. Les hommes physiquement aptes prenant part à l’effort de guerre, de nombreux débouchés d’emploi se libèrent pour les autres. Fort de son intérêt pour la biologie et de son expérience agricole, Jim Egan obtient un emploi de technicien au sein de la faculté de zoologie de l’Université de Toronto (voir Zoologie). Il œuvre ensuite au sein duservice de production d’insuline de la société Connaught Laboratories (de nos jours dénommée Sanofi Pasteur Limitée) et de son laboratoire de culture de tissus. Il contribue aux recherches sur le typhus, la polio et le cancer sous la direction du Dr Raymond Parker, un acteur clé dans la recherche d’un vaccin contre la polio.
En 1943, Jim Egan parvient à s’enrôler dans la marine marchande en tant que matelot de troisième classe. Il sert jusqu’en 1947. Il travaille à bord de plusieurs navires, voyageant dans la Méditerranée et les mers du Sud. La guerre et l’après-guerre constituent ses premiers contacts avec un « monde gai », composé notamment de bars et de clubs de villes comme Londres et Hambourg.
De retour à Toronto après la guerre, en 1948 Jim Egan fait la rencontre de John (Jack) Norris Nesbit (1927-2000). En résulte une relation durable qui se poursuivra jusqu’à la mort de ce dernier en 2000.
S’appuyant sur son expérience en laboratoire, Jim Egan fonde une série de sociétés de fournitures biologiques, à partir de 1949 et jusque dans les années 1970.
Activisme gai et travail communautaire
Les intérêts de lecture de Jim Egan englobent les icônes gaies de l’époque–André Gide, Walt Whitman, Oscar Wilde – et les ouvrages de pionniers en matière de recherche sur la sexualité tels que Havelock Ellis.
L’ouvrage Sexual Behavior in the Human Male d’Alfred Kinsey, paru en 1948, exerce une profonde influence sur lui. Jim Egan se met à étudier l’homosexualité et, à partir de 1949, les lettres qu’il envoie aux journaux locaux tels que le Globe and Mail, le Toronto Daily Star et le Toronto Telegram dénoncent des reportages trompeurs ou sensationnels sur l’homosexualité. Il s’agit d’une position courageuse, une vingtaine d’années avant la décriminalisation de l’homosexualité au Canada. Jim Egan appose d’abord un pseudonyme puis ses initiales (JLE) à ses lettres et articles(des années plus tard, il finit par utiliser son propre nom).
Au début des années 1950, il n’est pas inhabituel pour les journaux, et en particulier les tabloïds, de recourir à des titres sensationnels dans leur couverture de la communauté LGBTQ2. Par exemple, le titre « Queers Flushed from 'Love' Nest » (Des queers sont expulsés de leur « nid d’amour ») s’en prend aux couples de même sexe, tandis que « ‘Pansies’ Bloom in Cocktail Bar » (Les folles abondent dans ce bar à cocktails) suggère que les gens ouvertement gais sont non seulement anormaux, mais également qu’ils ne devraient pas être autorisés à fréquenter les établissements respectables. Jim Egan riposte contre pareilles insultes.
« J’ai simplement fait savoir à la presse qu’il y avait au moins une personne qui n’allait pas se laisser faire et lui permettre de proférer pareilles grossières inexactitudes et diffamations. »
En 1949 et en 1951, Jim Egan élargit sa campagne en envoyant des lettres à des magazines grand public américains tels que Coronet, Ladies’ Home Journal, Parents’ Magazine et Redbook, mais ceux-ci ne les publient pas. Il essaie également de leur vendre des idées d’histoires dépeignant l’homosexualité d’une manière honnête et directe. Ces tentatives sont également vouées à l’échec.
Jim Egan se met alors à correspondre avec des personnes partageant ses idées. À partir de 1951, il entretient une brève correspondance avec Henry Gerber (1892-1972), fondateur à Chicago en 1924 de la Society for Human Rights, la première organisation de défense des droits des gais aux États-Unis, et éditeur deFriendship and Freedom, le plus ancien magazine gai américain. Dès 1953, Jim Egan correspond avec les membres de la Mattachine Society de Los Angeles, formée en 1950 comme organisation américaine de défense des droits des gais.
« En octobre 1950, une de mes lettres a été publiée pour la première fois dans le quotidien True News Times (TNT). Le TNT publiait une chronique de potins et d’anecdotes gais ridicules rédigée par un soi-disant Masque. Ma lettre déplorait certaines des remarques stupides et désagréables qui y étaient véhiculées. Ces chroniques gaies étaient remplies d’insinuations, telles que : ‘Quel barman bien connu est sorti avec quel homme gai bien connu?’ Je n’ai jamais été en faveur de commérages de ce genre sur les gais. » — Jim Egan dans ses mémoires, Challenging the Conspiracy of Silence (1998), publiées par Canadian Lesbian and Gay Archives.
Chronique
Le premier véritable succès littéraire de Jim Egan survient de novembre à décembre 1951, lorsque sa série en sept volets « Aspects of Homosexuality » est publiée dans le tabloïd torontois True News Times (TNT). Ne se limitant plus à des lettres de plainte, Jim Egan dispose désormais d’une plateforme pour publier des survols de perspectives historiques, juridiques et scientifiques du désir gai, ainsi que faire valoir le besoin d’un plus grand degré de tolérance. Ses écrits constituent un témoignage profond de ses influences littéraires. Jim Egan a l’intention de contrer ce qu’il considère comme des mensonges et des distorsions éhontés dans la presse, et de contester ce qu’il appelle « la conspiration du silence » entourant la vérité sur l’homosexualité. Cette série représente un moment charnière dans l’histoire du journalisme gai au Canada, dans la mesure où elle est constituée des premiers longs articles publiés d’un point de vue gai.
Jim Egan se sert de son expérience avec TNT comme tremplin vers une publication plus importante. Il persuade Philip Daniels, éditeur du tabloïd torontois Justice Weekly, de publier « Homosexual Concepts », une série signée JLE de 12 articles, de décembre 1953 à février 1954. Lui succède une série sans titre, publiée en 15 parties de mars à juin 1954. Dans le Justice Weekly, Jim Egan élargit son champ d’action, en abordant notamment la « cause » et la « guérison » de l’homosexualité, ainsi qu’en présentant des reportages sur les événements actuels, tels que la purge alors en cours, menée par le sénateur Joseph McCarthy, de centaines d’employés du gouvernement américain en raison de leur orientation sexuelle.
Au moment où il cesse d’écrire pour Justice Weekly, Jim Egan suggère à Philip Daniels de contacter des publications gaies étrangères pourproposer la republication d’articles en échange d’abonnements. Philip Daniels accepte, ce qui mène à la reparution, à partir de 1954 et jusque dans les années 1960, de plus de 200 articles d’intérêt pour la communauté gaie provenant de publications telles que ONE Magazine et Mattachine Review. Ces articlesde Justice Weekly constituent une importante source d’information pour les Canadiens gais avant la fondation de la première presse gaie au Canada, en 1964.
De 1955 à 1963, Jim Egan et Jack Nesbit se lancent dans l’agriculture en Ontario rural et, pendant un certain temps, exploitent une animalerie doublée d’un centre de jardinage à Beamsville, en Ontario. Cette périodemarque pour Jim Egan un ralentissement de son activisme gai, bien que Jack Nesbit et lui-même participent à la cinquième conférence Midwinter Institute de ONE, Inc. à Los Angeles en 1959, où ils font la rencontre de nombreux militants, dont la Dre Blanche Baker, la Dre Evelyn Hooker, Jim Kepner et W. Dorr Legg. Inspiré par ces contacts, Jim Egan publie en 1959 deux articles dans le magazine ONE, tout en relançant sa campagne de lettres aux journaux et magazines.
De retour à Toronto en 1963, il fait office de spécialiste et de guide pour le journaliste Sidney Katz, dont la série en deux parties « The Homosexual Next Door: A Sober Appraisal of a New Social Phenomenon » paraît dans les éditions de février et mars 1964 du magazine Maclean’s. Ces articles sont considérés comme étant les premiers de fond publiés dans un magazine canadien grand public à adopter une vision généralement positive de l’homosexualité. En 1965, The Homosexual Next Door est republié sous forme de livret par la Mattachine Society.
En 1964, la relation entre Jim Egan et Jack Nesbit est mise à rude épreuve en raison de l’activisme de plus en plus public du premier. Jack Nesbit est un homme réservé qui ne souhaite pas attirer l’attention sur son orientation sexuelle. Il juge trop visible l’implication de Jim dans « The Homosexual Next Door ». Après une brève séparation, Jack Nesbit convainc Jim Egan de déménager en Colombie-Britannique pour amorcer une nouvelle vie ensemble. Ils fondent une société de spécimens biologiques marins, en activité jusqu’en 1972. Au fil des années, ils vivent dans diverses parties de l’île de Vancouver, s’installant finalement à Courtenay. Bien qu’ils ne s’impliquent pas initialement en activisme gai en Colombie-Britannique, Jack Nesbit se sent de plus en plus à l’aise à ce chapitre, si bien qu’en 1985 ils fondent la section locale de Comox Valley de l’Island Gay Society. Jim Egan est également impliqué dans la sensibilisation au sida, et occupe la présidence de la North Island AIDS Coalition en 1994.
Carrière politique
L’intérêt de Jim Egan envers le monde naturel le pousse à s’engager dans l’activisme environnemental en Colombie-Britannique, particulièrement auprès de groupes comme la Society for the Prevention of Environmental Collapse et le Save Our Straits Committee. Son désir de faire la différence grâce à l’implication communautaire finit par le mener à la politique. En 1981, il est élu directeur régional de la zone électorale B du district régional de Comox-Strathcona. Il est alors l’un des premiers hommes politiques ouvertement gais à servir au Canada; réélu à deux reprises, il exerce ses fonctions de 1981 à 1993, année où il décide de ne pas briguer de nouveau mandat.
Egan c. Canada
En 1987, Jim Egan et Jack Nesbit demandent, au nom de Jack, la prestation de conjoint prévue par la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Ils sont à l’époque en couple depuis près de 40 ans et répondent à tous les critères d’obtention de cette prestation. Le refus de la demande par Santé et Bien-être social Canada sous motif de leur orientation sexuelle (ceux-ci formant un couple de même sexe) ouvre la voie à une contestation judiciaire en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés dont l’issue fera jurisprudence. Leur cause, présentée en 1988 devant la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, revendique une discrimination dans la définition de « conjoint » de laLoi sur la sécurité de la vieillesse, affirmant que celle-ci discrimineles couples de même sexe en raison de leur genre et de leur orientation sexuelle, et ce, en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte. La Cour fédérale rejette la demande du couple en 1991, déclarant que cette relation « ne constitue pas une relation conjugale ». Le couple interjette appel de la décision auprès de la Cour d’appel fédérale qui, en 1993, confirme la décision du tribunal inférieur. Jim Egan et Jack Nesbit déposent alors une demande d’appel devant la Cour suprême du Canada, qui est acceptée (voir Système judiciaire du Canada).
En mai 1995, la Cour suprême statue sur l’affaire Egan c. Canada, rejetant l’appel. Du même élan, elle statue toutefois que l’« orientation sexuelle »doit être consacrée dans la Charte comme motif de discrimination, offrant ainsi une protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle (voir Droits LGBTQ2 au Canada). La décision est décrite comme « une bataille de perdue, mais une guerre de gagnée ». En raison de la décision Egan, les lois discriminatoires fondées sur l’orientation sexuelle dans tous les domaines de la vie (notamment en matière d’emploi, d’avantages gouvernementaux, d’impôt sur le revenu, ou de droit de la famille) s’ouvrent désormais à la contestation.
Héritage et importance
En tant qu’homme ouvertement gai, Jim Egan est reconnu comme un journaliste queer pionnier au Canada de la lutte contre la discrimination et les préjugés contre lespersonnes LGBTQ2. Ses chroniques dans le True News Times et le Justice Weekly offrent aux lecteurs un point de vue gai sur les affaires historiques et actuelles. L’appui de Jim Egan en faveur des éditeurs gais étrangers mène à la reparution d’œuvres sélectionnées dans le Justice Weekly, augmentant ainsi considérablement l’accès au contenu gai pour le lectorat canadien. L’héritage le plus important laissé par Jim Egan et Jack Nesbit est sans doute le courage dont ils font preuve dans la contestation sur la prestation de conjoint en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, et dans l’affaire Egan c. Canada qui en découle. L’affaire débouche sur une décision dictant d’interpréter « l’orientation sexuelle » comme un motif de discrimination illicite dans la Charte canadienne des droits et libertés, une issue monumentale pour les droits LGBTQ2 au Canada. La décision historique ouvre la voie à d’autres activistes et constitue un précédent pour d’autres victoires importantes, y compris le mariage entre personnes de même sexe.
Prix et distinctions
- Prix national des droits de l’homme, Fondation Lambda pour l’excellence (1995)
- Grand maréchal honoraire (avec Jack Nesbit) des célébrations de la fierté gaie de Toronto et Vancouver (1995)
- Jim Egan et Jack Nesbit ont fait l’objet du documentaireJim Loves Jack, de David Adkin (1996)
- Bourse de recherche Paul Harris, pour ses efforts de longue haleine pour l’égalité des droits, Rotary International (1997)
- Intronisation à la Collection nationale de portraits de la Canadian Lesbian and Gay Archives pour ses contributions à titre de défenseur des droits LGBTQ2 au Canada (1998)