Contexte international
Si l’Amérique du Nord britannique connaît sa propre industrialisation, des développements internationaux déterminent la manière dont les Canadiens en feront d’abord l’expérience. Avant la Confédération, le Canada est marqué par sa relation mercantiliste avec la Grande-Bretagne. Le principe du mercantilisme est que les colonies fournissent des matières premières à la « mère patrie », tandis que celle-ci y exporte des biens manufacturés.
La première révolution industrielle débute au milieu du 18e siècle en Grande-Bretagne. C’est une époque d’avancées technologiques, comme la spinning jenny et le moteur à vapeur. Le progrès des machines outils permet le passage de l’agriculture à des industries artisanales à grande échelle de tissage et de textiles. La première révolution industrielle apporte aussi le développement du chemin de fer, des bateaux en acier et des outils de production. La Grande-Bretagne est le premier pays à connaître cette phase de l’industrialisation, qui se produit ultérieurement en Europe de l’Ouest, aux États-Unis et au Japon. Quand l’Angleterre renonce au mercantilisme, dans les années 1840, l’Amérique du Nord britannique se lance dans des activités conduisant à une industrialisation rapide.
Première révolution industrielle en Amérique du Nord britannique : les années 1780 à 1860
Le passage d’une économie fondée sur l’agriculture et l’exploitation des ressources à une économie manufacturière est stimulé par le passage de l’énergie éolienne à la vapeur et l’adoption de nouvelles technologies de transport. Dans l’Amérique du Nord britannique du milieu du 19e siècle, l’industrie est d’abord centrée sur le développement du chemin de fer, qui relie ce qui est aujourd’hui l’ Ontario, le Québec et les Provinces maritimes et l’est des États-Unis. Le début de l’industrialisation est aussi marqué par la création de canaux, comme le canal Lachine , à Montréal (années 1820), qui facilitent le transport des marchandises.
Dans les années 1850, une certaine activité manufacturière, comme des petites usines qui fabriquent des instruments de ferme et d’autres produits de métal, se développe à Montréal, à Toronto et dans d’autres centres plus petits. À la même époque, les progrès réalisés dans certains secteurs de l’économie comme le brassage, la meunerie, les textiles et la construction navale transforment l’économie et établissent les bases d’une industrialisation encore plus poussée. Les entrepreneurs petits bourgeois de la première révolution industrielle forment une classe capitaliste émergente qui vit en grande partie de petites et moyennes entreprises familiales. Pendant cette période, les investissements industriels proviennent souvent de l’émission d’obligations en Angleterre.
Deuxième révolution industrielle au Canada : les années 1860 à 1950
La deuxième révolution industrielle commence au tournant du 20e siècle. Elle est marquée par l’automatisation en série, la chaîne de montage, la production à grande échelle et la gestion du temps de travail. Pendant cette période, des entreprises transforment la fabrication, la consommation, le travail et le paysage urbain. La deuxième révolution industrielle bouleverse profondément l’Amérique du Nord, particulièrement les États-Unis, où les économies d’échelle, dans le chemin de fer, l’acier, les biens de consommation et le secteur automobile, métamorphosent l’économie. Avec d’autres progrès technologiques et le développement des processus de production, la fabrication en série atteint sa maturité. Dans l’industrie automobile, des entrepreneurs et des industriels comme Henry Ford révolutionnent l’assemblage en série en établissant de gigantesques usines conçues pour fabriquer des voitures standardisées, peu coûteuses et durables, s’éloignant de l’approche artisanale, où l’on construisait des voitures luxueuses pour des clients fortunés. La production de masse génère de nouveaux marchés pour l’automobile, et la production et la consommation de voitures se démocratisent.
Cette dynamique se reproduit dans une foule de secteurs de l’économie canadienne, de la transformation de la viande aux outils de ferme en passant par les biens de consommation à petite échelle et la fabrication d’automobiles. La plus grande partie de cette activité économique se déroule en Ontario et au Québec, où sont établies les premières industries. L’extraction des ressources naturelles, particulièrement le charbon, le bois, le pétrole et les métaux, stimule ces secteurs, reflétant l’impact plus général de l’industrie manufacturière sur les communautés non-urbaines. Il y a aussi un développement important des industries du charbon et de l’acier en Nouvelle-Écosse, avec une certaine activité de construction navale.
Après la Confédération de 1867, des secteurs manufacturiers de l’économie sont protégés par les droits de douane mis en place par la Politique nationale (1879). Cette politique a pour but de créer et de protéger une industrie au Canada en imposant une taxe allant jusqu’à 20 % sur les biens fabriqués dans d’autres pays. Si elle protège effectivement certaines industries, la Politique nationale entraîne aussi la création de succursales. Celles-ci sont des usines appartenant à des entreprises basées dans d’autres pays, le plus souvent les États-Unis, qui sont créées au Canada afin de contourner la barrière protectionniste. Dans les années 1920, les activités des succursales américaines dominent certains secteurs industriels du Canada, dont l’assemblage automobile, mais aussi des produits de consommation, les produits chimiques et les pièces d’auto. La Politique nationale entraîne aussi des mécontentements régionaux. L’Ouest et les Maritimes soutiennent que la politique apporte des bénéfices injustes aux industriels, aux travailleurs, aux banquiers et à la population du centre du Canada.
La Première Guerre mondiale accélère la deuxième révolution industrielle au Canada. Pour soutenir l’effort de guerre, l’État adopte des politiques interventionnistes qui encouragent la fabrication de munitions et d’armes, de moyens de transport et d’autres équipements de soutien (voir aussi Commission impériale des munitions).
Les salaires de l’industrie attirent les immigrants et d’autres Canadiens dans les villes, où se concentre la plus grande partie de l’activité industrielle (voir Urbanisation). Pendant la Crise des années 1930, la plus grande partie de la population du Canada devient urbaine. Le passage à une économie basée sur les salaires entraîne une grande misère pendant la crise économique. Les pertes d’emplois massives dans les centres industriels amènent beaucoup de gens à critiquer le système capitaliste, dont l’industrialisation constitue un aspect essentiel.
La Deuxième guerre mondiale met fin à la crise économique grâce à une intervention massive du gouvernement fédéral dans l’économie industrielle. Les planificateurs mettent sur pied de nouvelles industries et des sociétés d’État, et amènent des industries privées à produire de la machinerie, de l’équipement de transport et des armes et munitions pour l’effort de guerre. Par exemple, Ottawa crée la société d’État Polymer qui produit du caoutchouc pour les besoins militaires, ce qui contribue à revitaliser l’industrie chimique dans le sud-ouest de l’Ontario. Dans des endroits comme Windsor, Oshawa et Ajax, les grands manufacturiers comme General Motors of Canada fabriquent sous contrat des équipements et véhicules pour le gouvernement canadien. La production de biens de consommation est suspendue pour la durée de la guerre. Pendant ce temps, la construction navale explose sur la côte atlantique, et la production d’acier domine dans des villes comme Hamilton, en Ontario. À la fin de la guerre, le Canada connaît le plein-emploi.
Impacts sur le marché du travail et les relations entre les travailleurs et le patronat
La croissance d’une industrie manufacturière de masse à la fin du 19e siècle bouleverse le monde du travail. À l’époque du rapport de la Commission royale d’enquête sur la relation entre le capital et le travail, en 1889, il est clair que le travail salarié est devenu la principale forme de revenu pour beaucoup de Canadiens. Néanmoins, les conditions de travail qu’ils connaissent et les salaires qu’ils gagnent sont, plus souvent qu’autrement, loin d’être idéaux. Les environnements de travail sont dangereux, malsains et souvent exigus. Les accidents de travail sont fréquents. Les salaires sont maigres et les heures de travail épuisantes, et le travail des enfants est une pratique commune. Les industries du tabac et des textiles, l’industrie lourde, ainsi qu’une foule d’autres activités font partie d’un système industriel qui exploite les travailleurs (voir Histoire des travailleurs).
Les syndicats ouvriers font leur apparition à la fin du 19e siècle et au début du 20e pour combattre l’exploitation de la classe ouvrière. Des différends au sein du mouvement ouvrier, entre les syndicats de métiers et les syndicats industriels, quant à savoir qui doit faire partie des syndicats ouvriers, divisent souvent ces efforts. Mais la syndicalisation et la lutte pour de meilleurs salaires se poursuivent. Au moment de la Grève générale de Winnipeg (1919), le Canada connaît une résurgence du mouvement ouvrier, combattu par les intérêts corporatistes et le gouvernement, qui réprime le mouvement ouvrier à l’aide des tribunaux (voir Syndicats ouvriers).
Pendant la Crise des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale, le mouvement syndical grandit et défie le système capitaliste. Des organisations comme le Congrès canadien du travail et de nouveaux syndicats internationaux comme les Travailleurs unis de l’automobile s’implantent avec succès dans des industries et obtiennent une reconnaissance et des droits. Ils organisent des grèves massives et des manifestations dans les lieux de travail dans tout le pays pendant la guerre. Des changements juridiques, comme la décision du juge Ivan Rand, en 1946, de rendre les cotisations syndicales obligatoires que les employés soient membres du syndicat ou non, contribuent aussi à faciliter la mise en place de syndicats industriels au Canada (voir Formule Rand). Les travailleurs de l’industries luttent pour obtenir des négociations collectives, un salaire minimum, des pensions , des vacances payées, des avantages sociaux, une réglementation des heures de travail et des lois qui les protègent contre les licenciements, les accidents de travail et la discrimination lors de l’embauche.
Dès la fin du 19e siècle, les familles canadiennes passent d’une économie de ferme à une économie basée sur le travail industriel et les salaires en zones urbaines. Pour cela, tous les membres de la famille doivent travailler pour un salaire, soit en usine (pour la plupart des pères et des enfants, et, de plus en plus, des femmes), soit à la maison, où les femmes prennent des pensionnaires ou font de la lessive ou de la couture pour compléter le revenu familial. Les salaires, par opposition à l’agriculture de subsistance, ou la vente de récoltes, deviennent la première forme de revenu des Canadiens, particulièrement après les années 1920. Ceci reflète la division de classes inhérente à l’économie industrielle, où les moyens de production sont entre les mains d’une petite élite fortunée.
Ère postindustrielle
Dans les années 1950, le travail industriel culmine au Canada. Des autos, des avions, de l’acier, des produits chimiques, des appareils électroménagers et bien d’autres biens de consommation sont manufacturés aux Canada. Le travail industriel constitue le plus important secteur de la main d’œuvre masculine, privilégié par les politiques gouvernementales, qui encouragent le modèle du soutien de famille masculin. Dans les années 1960 et 1970, à peu près 30 % de la population active du Canada est syndiquée, souvent dans un syndicat industriel. Le paysage industriel est marqué par de grandes entreprises et compagnies manufacturières comme Massey-Ferguson, Bombardier, General Motors du Canada, Dominion Steel and Coal Corporation et A.V. Roe Canada Limited.
Entre les années 1960 et 1980, l’automatisation, de nouveaux procédés de fabrication et une productivité accrue commencent à transformer la nature du travail industriel, entraînant une plus grande dépendance à l’égard des technologies et du rendement des travailleurs. Simultanément, la compétition de nations nouvellement industrialisées, ou réindustrialisées, en Europe et en Asie, oblige les manufacturiers canadiens à innover pour demeurer compétitifs. À partir des années 1960, le Canada et plus encore les États-Unis connaissent une désindustrialisation, particulièrement dans la région très industrielle du Midwest.
Après les années 1990, la désindustrialisation devient un facteur important du discours économique, particulièrement en Ontario, où la plus grande partie de l’économie industrielle est située. Cette désindustrialisation est en partie causée par des accords commerciaux comme l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, remplacé par l’Organisation mondiale du commerce, ainsi que des accords régionaux comme l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (1989) et l’Accord de libre-échange nord-américain (1994). Ces accords commerciaux mettent fin à l’approche protectionniste de la Politique nationale. Toutefois, l’automatisation, l’innovation et l’accroissement de la productivité ont pour résultat que moins de travailleurs sont nécessaires pour produire des biens manufacturés.
Après l’embargo des pays arabes sur le pétrole de 1973, qui contribue à provoquer l’inflation et le déclin économique dans la plus grande partie de l’Occident, une quantité croissante de biens durables ou de fournitures sont produits hors du Canada et de l’Amérique du Nord. Dans les années 2000, l’industrie de l’assemblage automobile en Ontario connaît une restructuration et un déclin. Le Pacte de l’automobile de 1965, un accord de commerce administré qui assure quelques garanties de production au Canada, est jugé incompatible avec les règles du commerce international, et l’économie nord-américaine fait face à la crise financière de 2008-2009 (voir Récession).
Dans les années 1970, la révolution informatique et les technologies numériques transforment les lieux de travail. Les effets sont multiples. Avec l’accroissement du travail industriel réalisé automatiquement, notamment par des procédés robotisés, le travail manufacturier perd de son importance en tant que secteur de l’économie industrielle. Simultanément, l’informatisation déplace la plus grande partie de l’économie moderne vers le secteur des services, la vente au détail, l’activité bancaire et la finance, les communications et d’autres aspects de l’économie qui prennent la place de l’industrie manufacturière.