Entretien avec Mike Weir | l'Encyclopédie Canadienne

Entrevue

Entretien avec Mike Weir

Le 7 octobre 2016, Mike Weir, le champion du Tournoi des Maîtres 2003 de golf, originaire de Sarnia en Ontario, s’est entretenu avec Jeremy Freeborn pour L’Encyclopédie canadienne.
Mike Weir, 2010.

JF : Pourquoi avez‑vous choisi de privilégier le golf par rapport à d’autres sports durant votre enfance et votre adolescence en Ontario?

MW : Effectivement, je pratiquais de nombreux autres sports. J’ai notamment joué au hockey et au base‑ball. Mais je pense que j’aime la solitude qui caractérise le golf. C’est un sport sur lequel on ne peut compter ni sur ses coéquipiers ni sur l’arbitre. Tout repose sur la capacité du golfeur à se maîtriser et à maîtriser son environnement. Lorsque je réfléchis à mes motivations passées, je crois que c’est ce qui m’a fasciné dans le golf. J’ai toujours été un travailleur acharné et je n’ai jamais compté sur personne d’autre.

JF : Quand avez‑vous réalisé que vous pourriez devenir un golfeur de haut niveau?

MW : Je crois que la première fois, je devais avoir 13 ans. Je suis allé jouer un tournoi au Seaforth Golf and Country Club. À l’époque, le parcours ne comprenait que neuf trous. J’ai remporté la compétition réservée aux moins de 18 ans. Aucun des autres juniors, plus âgés que moi, n’arrivait à croire que j’avais gagné. Ils étaient tous persuadés que j’avais triché ou qu’il y avait quelque chose d’autre. Ils ont tous questionné mes partenaires de jeu pour savoir si j’avais effectivement terminé le tournoi en 70 coups. Bien entendu, c’est ce que j’avais fait et c’est à ce moment‑là que j’ai compris que je devais être plutôt performant au golf et que ce sport serait une véritable passion.

JF : Quel est votre souvenir le plus mémorable de votre participation à des compétitions de golf amateur au Canada?

MW : Ma première victoire au championnat de golf amateur masculin de l’Ontario au Mississauga Golf and Country Club en 1990 constitue certainement, pour moi, le moment le plus marquant de ma carrière amateur. J’ai rendu une carte de 68 en ronde finale et réussi à prendre l’avantage sur le double champion amateur des États‑Unis, Gary Cowan. Lors de ce tournoi, j’ai également battu d’autres amateurs à la réputation déjà solidement établie. J’ai remporté ce premier championnat amateur de l’Ontario grâce à un coup roulé de dix pieds sur le dernier trou et c’est quelque chose qui est gravé dans ma mémoire.

JF : Je souhaiterais évoquer les défis que représente une double activité d’athlète et d’étudiant. Avez‑vous rencontré des difficultés à mener à bien vos études universitaires tout en étant simultanément l’un des meilleurs golfeurs lors des compétitions organisées par la NCAA?

MW : Oui, c’était difficile. Il s’agit de trouver un équilibre. Je m’efforçais de programmer un grand nombre de cours tôt le matin pour essayer d’avoir terminé à midi et pouvoir me consacrer à la pratique du golf dans l’après‑midi. Je devais faire attention à m’inscrire le plus tôt possible pour être sûr d’avoir de la place dans les cours que je souhaitais. Il me fallait également suivre le déroulement des cours et rattraper les enseignements, même lorsque j’étais en déplacement.

JF : Quel rôle a joué votre expérience sur le circuit canadien pour vous aider à atteindre vos objectifs d’intégrer le circuit de la PGA?

MW : Un rôle absolument fondamental. C’est en jouant au golf sur des circuits de moindre importance, en Asie, en Australie et particulièrement au Canada, que je me suis fait les dents et ai véritablement appris mon métier de golfeur professionnel. Ce sont des environnements dans lesquels on découvre énormément de choses sur son jeu et sur soi‑même. On apprend à gérer son temps et ses émotions et à devenir un meilleur golfeur. Mes succès ultérieurs doivent énormément à mon expérience sur le circuit canadien.

À la sortie de l’université, je n’étais pas prêt pour une carrière de golfeur de très haut niveau sur le circuit PGA. J’avais besoin de mûrir quelques années sur le circuit canadien pour améliorer mon jeu, en particulier mon élan, ainsi que pour apprendre à gérer le pointage et à jouer à un échelon professionnel. Cette expérience sur le circuit canadien a donc eu un immense impact sur ma carrière.

JF : Quel est votre souvenir le plus marquant de votre victoire à Vancouver lors du Championnat Air Canada de 1999?

MW : Cela a vraiment été l’un des moments les plus forts de ma carrière. Cette première victoire sur le circuit PGA restera à jamais inscrite dans ma mémoire. Mais ce qui a rendu cette victoire encore plus spéciale et plus inoubliable, ce sont les circonstances : tout d’abord, cela se déroulait au Canada devant une foule immense; ensuite, j’ai réalisé un aigle sur le 14e trou, un long coup roulé sur le 16e et un joli double coup roulé sur le 18e.

JF : Avant votre victoire au Tournoi des Maîtres en 2003, vous aviez remporté le Championnat du monde de golf en Espagne en 2000 et le Championnat du circuit de la PGA à Houston en 2001. En dépit des différences entre ces deux victoires, vous aviez à chaque fois fait preuve d’une grande persévérance et d’une grande capacité de résistance. En 2000, vous avez réussi à l’emporter après avoir accusé un retard de huit coups et en 2001 vous avez dû, pour gagner, battre trois golfeurs de très haut niveau (Ernie Els, Sergio Garcia et David Toms) dans une prolongation éliminatoire par « mort subite ». Qu’est‑ce qui, selon vous, vous a permis de remporter ces tournois?

MW : En Espagne, c’est l’expérience. En 2000, j’ai fait une bonne année, mais je sentais que j’étais tout près d’être capable de jouer un golf véritablement de très haut niveau. Après deux rondes, j’avais huit coups de retard. Ce retard était dû à un huit, un triple boguey, sur le 17e trou. Beaucoup d’autres concurrents ont rencontré des difficultés sur ce trou et réalisé des marques élevées. En dehors de ce trou, j’avais l’impression d’avoir le niveau nécessaire pour me battre pour la victoire. Le samedi, j’ai effectué un début véritablement exceptionnel et j’ai joué l’un des meilleurs golfs de ma vie. J’ai rendu une carte de 65 dans des conditions difficiles et j’ai refait une très grande partie de mon retard [Mike est remonté de la 14e à la 2e place]. Le dimanche, je l’ai emporté contre des golfeurs de très bonne réputation comme Tiger Woods, Nick Price et Lee Westwood. Je crois que c’est une combinaison de l’expérience acquise lors de ma victoire l’année précédente au Canada et de ma capacité à poursuivre sur cette lancée l’année suivante qui m’a permis de gagner.

Au Championnat du circuit de la PGA en 2001 à Houston, j’ai véritablement produit un golf de très bonne qualité. Je me suis retrouvé en prolongation éliminatoire par « mort subite » face à trois très grands golfeurs et, sur le tout premier trou, j’ai réussi à frapper un long coup de départ jusqu’au milieu de l’allée. Je me suis ensuite servi de mon fer neuf pour m’approcher jusqu’à huit pieds du trou. Il commençait à faire véritablement sombre, mais je ne voulais surtout pas offrir une autre occasion à Els, Garcia ou Toms. J’ai réussi le coup roulé nécessaire alors qu’on n’y voyait pratiquement plus rien et j’ai gagné.

JF : En revenant sur votre titre au Tournoi des Maîtres, quel est le moment qui vous rend le plus fier?

MW : Mon coup roulé sur le dernier trou de la quatrième ronde. Avoir réalisé un coup roulé de huit pieds pour rester en vie et obliger mes concurrents à disputer une prolongation par « mort subite », alors que la victoire dans le tournoi était en jeu, me remplit de fierté. Je suis extrêmement satisfait d’avoir réussi à rester concentré et à ne pas me laisser perturber par les résultats. Je me suis véritablement efforcé de poursuivre sur la lancée qui m’avait amené jusque‑là et offert une possibilité de victoire. On peut dire qu’un tel coup roulé est un coup déterminant dans une carrière. Si vous le manquez, vous devenez le golfeur qui a eu besoin de trois coups roulés pour mettre la balle dans le trou et a ainsi perdu le Tournoi des Maîtres.

JF : Votre titre au Tournoi des Maîtres est considéré comme l’un des plus grands moments de l’histoire du sport canadien. Tout au long de votre carrière, vous avez remporté trois trophées Lionel‑Conacher et un trophée Lou‑Marsh. Quelle importance cela revêt‑il pour vous d’être reconnu comme l’un des plus grands athlètes canadiens de tous les temps?

MW : C’est un honneur. Au début de ma carrière, je n’envisageais absolument pas ce genre de choses. Je m’efforçais juste de progresser et de devenir un golfeur plus performant. Mon but était de toujours essayer de faire mieux en recherchant l’excellence. Je suppose que cette recherche m’a amené à accomplir des performances intéressantes et je suis extrêmement reconnaissant et fier d’avoir été en capable de tels accomplissements. Être reconnu par des trophées de ce type est véritablement très agréable.

Nous autres canadiens, nous avons eu quelques golfeuses exceptionnelles qui ont accompli de grandes choses, mais nous n’avions jamais eu de golfeur ayant réussi à remporter un championnat majeur [jusqu’à la victoire de Mike au Tournoi des Maîtres en 2003]. J’espère bien que quelques gars plus jeunes que moi suivront le même chemin et seront, à un moment donné, en mesure de battre mes records.

JF : Après votre victoire au Tournoi des Maîtres, vous avez participé à deux tournois mémorables au Canada, l’Omnium Canadien de 2004 à Oakville, en Ontario, et la Coupe des Présidents en 2007 à Montréal, au Québec. Dans les deux cas, vous avez eu affaire à des adversaires de tout premier plan : à l’Omnium Canadien, vous avez dû batailler avec Vijay Singh et lors de la Coupe des Présidents, avec Tiger Woods. Quels ont été, selon vous, les effets de ces deux tournois sur le golf canadien?

MW : Voilà une question intéressante. Je ne suis pas très sûr de leurs répercussions sur le golf canadien. En ce qui concerne la Coupe des Présidents [à Montréal], j’ai dû énormément m’employer pour obtenir la tenue de cette compétition au Canada. J’ai travaillé avec le commissaire et avec le personnel de la PGA pour faire la promotion du golf canadien et tenter d’obtenir que la Coupe se déroule au pays. Je suis particulièrement heureux d’avoir obtenu satisfaction, d’avoir pu participer à cette compétition de prestige, d’avoir joué une partie dans ce contexte contre Tiger Woods et, à titre individuel, d’avoir remporté une victoire. Bien entendu, je regrette que notre équipe n’ait pas remporté la Coupe, mais j’ai tout de même joué une superbe partie contre Tiger.

En 2004 [à l’Omnium Canadien], la conclusion n’a pas été véritablement celle que je souhaitais. J’ai toutefois livré un combat mémorable contre Singh. Nous avons joué une prolongation éliminatoire sur trois trous que j’ai perdue. Singh avait à son actif l’une des années les plus brillantes de l’histoire du golf. En 2004, il a remporté neuf victoires, dont un championnat majeur [le Championnat de la PGA]. Singh était alors numéro un mondial. J’ai presque réussi à le battre [Mike était en tête après la troisième ronde], mais je n’ai pu porter l’estocade et c’est lui qui a mis la main sur le trophée.

Je crois que la Coupe des Présidents a eu des répercussions plus importantes sur le golf canadien que l’Omnium Canadien 2004, et ce, parce qu’à cette occasion, Montréal et le Canada ont été au centre de l’attention mondiale. Des golfeurs en provenance du monde entier [sauf de l’Europe] ont participé à ce tournoi et il a fait l’objet d’une diffusion dans de très nombreux pays aux quatre coins du monde.

JF : Le golf canadien a connu un moment très fort en 2016 lorsque Brooke Henderson a remporté le Championnat féminin de la PGA. Pensez‑vous qu’elle a le potentiel pour être la chef de file du golf canadien pour la prochaine décennie?

MW : Oui, je suis convaincu qu’elle dispose du potentiel pour cela. Elle est tellement jeune et tellement talentueuse. Elle semble véritablement être une grande dame et avoir le talent nécessaire pour devenir la meilleure golfeuse au monde. Je pense que Brooke Henderson et la Néo‑Zélandaise Lydia Ko seront les chefs de file du golf féminin mondial de ces prochaines années. Et au Canada, c’est sans aucun doute la première qui donnera le ton. Son talent ne fait aucun doute et je ne lui vois pas de véritables limites.

JF : Lorsque vous êtes devenu membre de l’Ordre du Canada en 2009, la gouverneure générale, Michaëlle Jean, a fait l’éloge de vos activités de bienfaisance. Que pouvez‑vous me dire dans ce domaine et quelle satisfaction tirez‑vous du fait que ces programmes ont reçu une reconnaissance positive?

MW : C’est pour moi un immense sujet de fierté [la Fondation Mike Weir]. Ce n’est pas pour être reconnu que je me suis lancé dans les activités accomplies avec le Réseau Enfants‑Santé et que j’aide des organismes caritatifs pour les enfants. Je l’ai fait parce que cela s’inscrit dans la démarche de la PGA pour que tous les golfeurs du circuit se mobilisent pour donner en retour quelque chose à leur communauté.

Jeune recrue sur le circuit de la PGA, je me suis rendu au St. Jude’s Children’s Hospital à Memphis au Tennessee. J’ai pu voir l’immense travail qu’ils accomplissaient là‑bas et je souhaitais lancer quelque chose de semblable au Canada. Que la gouverneure générale Michaëlle Jean rende hommage à mon travail dans ce domaine a été pour moi un très grand honneur. Tout ce travail accompli par la Fondation avec les hôpitaux et les organismes caritatifs pour enfants représente quelque chose dont je suis extrêmement fier jusqu’à aujourd’hui.

JF : Qu’avez‑vous à dire à tous les jeunes golfeurs qui rêvent de franchir un palier dans ce sport?

MW : Je veux leur dire que c’est un chemin difficile et qu’ils doivent avant tout faire preuve de persévérance. Les moins solides se chercheront toujours des excuses. Mais lorsque des difficultés se présentent, il faut trouver des réponses et des solutions et conserver une attitude positive à tout moment. Il est alors impératif de réagir et de repartir de l’avant. Dans le sport, comme dans la vie, on ne suit pas toujours une courbe ascendante. Le long du chemin, on rencontre des hauts, mais aussi des bas. Quand de tels creux se présentent, quelle qu’en soit la nature, il faut les surmonter. La bonne attitude consiste alors à persévérer, à faire preuve d’une confiance inébranlable en soi, et ce, quoi que les autres puissent dire et en faisant abstraction de la façon dont les choses se passent sur le moment. Comme je viens de le dire, une telle démarche repose non seulement sur la confiance en soi, mais également sur la capacité à maintenir cette confiance sans se laisser ébranler. Voilà le meilleur conseil que je puisse donner aux jeunes.

JF : En 2016, vous avez un peu travaillé à la télévision, pour TSN lors du Tournoi des Maîtres et pour TNT à l’occasion du Championnat de la PGA. Comment avez‑vous vécu cette transition vers la télévision?

MW : Je reste extrêmement concentré sur ma pratique du golf et toute mon énergie se focalise […] sur mon propre jeu. Mais si une occasion un peu inhabituelle de travailler pour la télévision se présente, j’en suis très heureux. Il est possible qu’à un moment donné de ma carrière, je m’engage véritablement sur cette voie. Mais je n’en suis pas encore à ce stade.

JF : Cette année a vu le décès de la légende du golf Arnold Palmer [le 25 septembre 2016] et vous avez assisté à ses funérailles en Pennsylvanie. Quel genre d’impact Palmer a‑t‑il eu sur l’univers canadien du golf?

MW : Je crois qu’il a eu une influence immense. Il a empoché sa première victoire sur le circuit professionnel à l’occasion de l’Omnium Canadien [en 1955 au Weston Golf and Country Club à Toronto, en Ontario]. Pendant toute sa carrière, Arnold a été un fervent partisan de cette compétition. C’était un ambassadeur exceptionnel pour le golf. Peu importe où il allait un peu partout dans le monde, les gens l’aimaient. Il a également conçu des parcours de golf au Canada [le Northview Golf and Country Club à Surrey en Colombie‑Britannique et le Whistler Golf Club]. Selon moi, les amateurs de golf canadiens n’oublieront jamais Arnold Palmer.

JF : Quelle est la personnalité canadienne qui vous a le plus inspiré et pourquoi?

MW : Il y a tellement de gens que j’admire. Si je devais donner un nom qui me vient à l’esprit là maintenant, je dirais Terry Fox. Je me souviens qu’enfant, alors que j’allais à l’école, je regardais la courageuse bataille qu’elle menait contre le cancer et son périple dans tout le pays. Elle a connu pas mal de revers, mais elle s’est battue avec conviction et s’est montrée forte et persévérante. Je me souviendrai toujours de cet épisode [son voyage] et, à certains égards, c’est quelque chose que je porte toujours en moi.

Cette entrevue a été revue et résumée.