Entretien avec Kyle Shewfelt | l'Encyclopédie Canadienne

Entrevue

Entretien avec Kyle Shewfelt

Le 15 décembre 2015, Kyle Shewfelt a accordé une entrevue à Jeremy Freeborn pour L’Encyclopédie canadienne au Panthéon des sports canadiens de Calgary.

Aux Jeux olympiques de 2004 à Athènes, le gymnaste Kyle Shewfelt, de Calgary, en Alberta, a écrit une page de l’histoire du sport canadien. Il est devenu le premier gymnaste artistique canadien à remporter une médaille d’or aux Jeux olympiques en se classant premier à la compétition masculine de gymnastique au sol. Cela a constitué le moment fort de la carrière de l’athlète, décoré de trois médailles d’or aux Jeux du Commonwealth et de trois médailles de bronze aux Championnats du monde de gymnastique. Le 15 décembre 2015, Kyle Shewfelt a accordé une entrevue à Jeremy Freeborn pour LEncyclopédie canadienne au Panthéon des sports canadiens de Calgary.

JF : Quel est l’aspect de la gymnastique qui vous a attiré vers ce sport?

KS : Enfant, je pratiquais déjà beaucoup de sports. Je suivais des leçons de natation, et je jouais au baseball et au hockey. Jimagine que jai toujours aimé le sport; toutefois, cela ne me motivait pas. Je nétais pas passionné... Je me suis alors mis à faire la roue dans la maison et à me tenir en équilibre sur les mains, contre le mur. Lorsque je suis allé au gymnase pour la première fois [à lâge de six ans], jai vécu une véritable épiphanie : javais trouvé ma place. Je voulais surtout avoir la liberté dexplorer le potentiel de mouvement humain, et jadorais la vitesse et les sauts périlleux.

JF : Votre père jouait pour les Wheat Kings de Brandon, au sein de la Western Hockey League. Parlez-moi du jour où vous avez annoncé à vos parents que vous préfériez la gymnastique au hockey.

KS : Je men souviens très bien. Je devais faire un choix. Javais sept ans et jétais doué au hockey. Je patinais très bien. Je pouvais faire plusieurs tours de patinoire, mais je ne comptais pas toujours de buts. Je me laissais parfois aller à faire des culbutes et des grandes roues sur la glace; ma préférence était donc évidente pour mes parents. Je me souviens quà un certain moment, le hockey et la gymnastique sont entrés en conflit. Je devais abandonner le hockey pour faire de la gymnastique, ou encore abandonner la gymnastique pour jouer au hockey. Ma mère ma présenté cet ultimatum, et en moins de 3,2 secondes, je lui ai répondu : « La gymnastique ».

Je ne me souviens pas de la réaction de mes parents. Jimagine que mon père était un peu déçu. Étant hockeyeur, je suis certain quune partie de lui voulait que ses fils sadonnent eux aussi à ce sport [le frère de Kyle, Scott, est de deux ans son aîné]. Malgré tout, mes parents mont toujours appuyé et nont jamais remis en question mes aspirations. Ils mont soutenu sans hésitation. Ils ont organisé des soirées bingo et casino [pour amasser des fonds] et ont payé tous les frais nécessaires.

Je crois quen tant que parent, il est génial de voir son enfant trouver sa passion. Tant denfants mettent si longtemps à trouver la leur. Jai découvert la gymnastique à un très jeune âge, et je mestime très chanceux.

JF : À quel moment de votre vie avez-vous commencé à prendre la gymnastique plus au sérieux?

KS : Javais environ neuf ans. Jai commencé à pratiquer la gymnastique à six ans et, trois ans plus tard, je savais que javais un talent spécial. Jétais conscient de lengouement que je suscitais chez les gens qui me voyaient à lœuvre. On me disait : « Un jour, tu te rendras aux Olympiques » ou encore « Tu apprends si facilement. Tu es à laise dans les airs, tu bouges vite et tu as une grande puissance. » À neuf ans, je pouvais déjà réaliser un double saut arrière complet avec vrille. Je crois que pour nimporte quel enfant qui se démarque dans un sport et qui sait quil a une sorte de don, il est facile de conclure que les plus hauts sommets sont à sa portée.

Il y avait également une femme qui sentraînait au même gymnase que moi [Altadore Gymnastics Club, dans le sud-est de Calgary] Jennifer Wood, qui sétait qualifiée pour les Jeux olympiques de 1992 à Barcelone. Jai eu loccasion de mentraîner à ses côtés tous les jours. Cest à cette époque que jai compris que je pouvais, moi aussi, devenir un athlète olympique. Quelquun de mon club, de ma ville, y était parvenu. Je me suis alors dit : « Pourquoi pas moi? » Ainsi, à lâge de neuf ans, jai vécu une période importante de ma vie, étant témoin du travail acharné de Jennifer pour se rendre aux Olympiques. Cest à ce moment-là que le rêve a vraiment pris forme pour moi. Devenir athlète olympique ne suffisait pas : il me fallait devenir un champion. Je regardais tout le temps la gymnastique à la télévision. Cétait une véritable obsession. Je voulais être comme les Russes et les Chinois.

JF : Qu’est-ce qui vous impressionnait le plus chez les gymnastes russes?

KS : Jaimais leur élégance. Ils savaient combiner à la perfection art et athlétisme. Jadmirais la manière dont ils sexécutaient avec confiance et style. Selon moi, la gymnastique est une combinaison parfaite dathlétisme et dart. On peut vraiment se distinguer et afficher sa personnalité en faisant les choses différemment et en y ajoutant une touche subtile. Les Russes excellaient à cet égard. La façon quils avaient de se placer au coin du tapis, de pointer lorteil et de tenir le menton bien haut, ainsi que la détermination dans leur regard, les distinguaient vraiment des autres gymnastes du monde. Ce sont là de petits détails, mais cest ce à quoi jaspirais.

JF : Qu’est-ce qui vous impressionnait le plus chez Jennifer Wood?

KS : Jennifer a révolutionné la gymnastique. Cétait la première gymnaste albertaineà se qualifier pour les Jeux olympiques, et je crois quelle a joué en quelque sorte un rôle de leader en inspirant tant de jeunes gymnastes à suivre sa trace. Jennifer a toujours su rassembler les gens. Elle était ouverte desprit et travaillait dur pour atteindre ses objectifs. Son histoire est si inspirante : bien quelle nait pas fait partie de léquipe canadienne aux Jeux de Séoul en 1988, elle a quand même poursuivi son entraînement pour devenir un jour athlète olympique, car cétait son rêve. Pour moi, étant enfant, cétait là une grande leçon : on pouvait poursuivre ses rêves et parvenir à les réaliser un jour même sil fallait sy reprendre à plusieurs reprises.

JF : Vous avez fréquenté la National Sports School de Calgary. Selon vous, quels sont les avantages offerts par les établissements spécialisés en sport pour les athlètes de haut calibre?

KS : Jai fréquenté la National Sports School à partir de la dixième année. Jy ai profité dune liberté et dune flexibilité sans pareil. Les études étaient importantes, certes, mais ce qui comptait le plus à cette époque, cétait le sport. Il ny avait pas de temps à perdre : les coupes du monde approchaient. Cétait loccasion, pour moi, de me qualifier pour les Jeux olympiques. Je devais consacrer toute mon énergie à lentraînement. Mon école me facilitait les choses. Je pouvais être à la fois étudiant et athlète, et exceller dans ces deux rôles.

JF : Enfant, vous avez été victime d’intimidation. Votre implication en gymnastique y était-elle pour quelque chose?

KS : Cela ne fait aucun doute. Je crois que quiconque ne se fond pas dans la masse ou fait des choses différentes ou moins populaires devient inévitablement la cible de moqueries. En tant que garçon pratiquant la gymnastique, jai reçu toutes sortes de surnoms que je ne souhaite pas répéter. Bien entendu, cela me peinait beaucoup, mais je devais maccrocher à mon sport. Je prétendais être indifférent à toutes ces railleries, mais au fond de moi, javais du mal à composer avec ma situation. Aujourdhui, en tant quadulte, je suis parfois témoin de lintimidation que subissent les jeunes gymnastes. Je leur dis de rester vrais et que, peu importe ce que les gens pensent et quels que soient les choix quils font, ils ne pourront jamais plaire à tout le monde. Je leur dis de pratiquer le sport qui leur plaît et de tout faire pour y exceller. Lorsquon est doué dans un sport, lintimidation diminue considérablement. Du jour au lendemain, on se met à parcourir le monde, les possibilités se multiplient et on connaît le succès. Lintimidation devient soudain histoire du passé.

Kallie Humphries. Photo: Charlie Booker

JF : Parlez-moi un peu de la campagne « I’ve Been Bullied » [j’ai été victime d’intimidation] dont Kaillie Humphries et vous faites partie.

KS : La campagne « Ive Been Bullied » a été lancée par Catherine Oshanek en 2011. Ce programme vise à partager des histoires auxquelles les gens peuvent sidentifier. Je crois quil est important, pour les jeunes, de savoir que leurs mentors ont peut-être, eux aussi, été victimes dintimidation, et quils sen sont sortis. Je souhaitais mimpliquer pour cette cause et, en particulier, donner une voix aux jeunes garçons qui sadonnent à des activités non conventionnelles, quils soient artistes, danseurs ou gymnastes. Nous sommes tous des individus uniques. Tout ce qui compte, cest dêtre passionné et de se donner corps et âme à ce que lon aime. Voilà le message que je tente de transmettre. Faites ce que vous voulez sans vous soucier des attentes des autres.

JF : Croyez-vous que les préjugés à l’endroit des gymnastes de sexe masculin commencent à s’atténuer en Amérique du Nord?

KS : Je crois quil y a des gens mal éduqués partout dans le monde qui croient que les hommes qui pratiquent une activité artistique ne sont pas de vrais hommes. Lunivers sportif nord-américain est un peu étrange. On fait la promotion de la violence et on encourage les joueurs à se battre sur la glace, accordant en revanche peu dattention aux prouesses dathlètes capables de se mouvoir de façon élégante, tout en légèreté.

Je crois quen Amérique du Nord, la violence est plus appréciée quailleurs, surtout en ce qui concerne les sports de combat. En Europe, toutefois, tous les parents semblent vouloir inscrire leurs enfants à la gymnastique, tandis quau Japon, on souhaite que son enfant devienne le prochain Kohei Uchimura [champion masculin toutes catégories en gymnastique aux Jeux olympiques de 2012 à Londres]. Il est essentiel de mettre fin aux préjugés. Les garçons qui pratiquent la gymnastique sont des athlètes accomplis. La dure réalité, cest que très peu de gymnastes atteignent les plus hauts niveaux dans leur discipline. Par contre, la gymnastique constitue la base idéale pour développer la puissance, la souplesse, la coordination et lagilité. En pratiquant la gymnastique, on devient un meilleur athlète de façon générale. Cest pour cette raison que je tente de promouvoir ce sport, qui constitue à mon avis la base de tous les autres sports. Jestime que tous les hockeyeurs devraient également sentraîner à la gymnastique. Cela leur permettrait de jouer encore mieux sur la glace.

JF : Kelly Manjak a été votre instructeur dès l’âge de six ans, jusqu’à votre participation aux Jeux olympiques en 2004. Il est rare qu’un instructeur demeure aux côtés d’un athlète aussi longtemps. Vous considérez-vous chanceux d’avoir pu profiter d’une si grande stabilité?

KS : Cest cette stabilité qui ma permis dêtre bien préparé mentalement, physiquement et émotionnellement ce jour-là à Athènes. Kelly et moi nous sommes épanouis ensemble, lui en tant quinstructeur, moi en tant quathlète. Il vient de Cranbrook, en Colombie-Britannique. Son histoire est bien plus intéressante que la mienne, à mon avis. Kelly était trop grand pour participer aux compétitions de gymnastique au niveau élite. Il aimait tant ce sport, toutefois, quil est devenu instructeur. Cétait une personne si passionnée et dévouée. Il se consacrait autant que moi à la gymnastique. Il était présent tous les jours pour maider dans mon entraînement. Il ma poussé à continuer lorsque, adolescent, je me rebellais un peu; il ma aussi aidé à me fixer des buts et à créer des plans pour les atteindre. Nous nétions pas toujours sur la même longueur donde. Nous avons tout vécu ensemble. Je voyais Kelly plus souvent que mes parents. Cétait le roc sur lequel je mappuyais. Aux Jeux olympiques de 2004 à Athènes, sa présence était pour moi une source de calme et de réconfort. Il me connaissait si bien quil savait toujours exactement ce qui se passait sans avoir à me le demander.

JF : Parlez-moi du « saut de cheval de Shewfelt ».

KS : Cest amusant. Selon Wikipédia, jai été le premier à exécuter ce saut aux Jeux olympiques de 2008 à Beijing. Pourtant, il nen est rien. Jai réalisé le saut de cheval pour la première fois aux Championnats canadiens de gymnastique de 1999 à Burnaby, en C.-B., puis de nouveau aux Jeux olympiques de 2000 à Sydney.

Le saut de cheval de Shewfelt consistait simplement en lajout dune demi-vrille supplémentaire à un saut que tous les athlètes du monde réalisaient déjà. Il est génial dêtre considéré comme un pionnier. À lépoque, jai ressenti une grande fierté. Ce saut fait maintenant partie du code de pointage (document officiel de la Fédération internationale de gymnastique qui régit lattribution de points), et une photo laccompagne. Jai imprimé la description du saut, que je garde précieusement dans un petit cadre installé dans mon bureau.

En 1999, je pouvais exécuter très aisément la double vrille. Javais aussi exécuté la double vrille et demie lors de mon entraînement. On a instauré à cette époque-là une règle très avantageuse selon laquelle on pouvait effectuer un saut de cheval et conserver sa note. On pouvait ainsi effectuer un saut de cheval plus difficile et, si lon obtenait une meilleure note, on gardait celle-ci. Dans le cas contraire, la première note serait retenue; les organisateurs tentaient ainsi dencourager les sauts plus hauts et difficiles. Jai réussi avec brio mon premier saut de cheval. Je me suis donné à fond. Cétait sur un cheval darçons étroit, de style traditionnel. Aujourdhui, le cheval darçons est plus massif. Jai réussi mon saut. La foule était en délire. Jai encore tout cela sur vidéo.

JF :Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez remporté deux médailles d’or en gymnastique aux Jeux du Commonwealth de 2002 à Manchester?

KS : Cest étrange. Les Jeux du Commonwealth ne reçoivent pas toute lattention quils méritent. Ce moment-là a eu une grande importance pour moi. Javais déjà participé aux Jeux olympiques de 2000 à Sydney. Toutefois, il sagissait là de lune de mes premières compétitions en équipe, car javais participé à titre individuel aux Jeux de 2000 [Kyle Shewfelt et Sasha Jeltkov de Montréal étaient alors les seuls gymnastes canadiens de sexe masculin à participer aux Jeux, étant donné que le Canada ne sétait pas qualifié pour la compétition en équipe]. En 2002, je me suis rendu à Manchester avec mes coéquipiers.

[Huit ans plus tôt,] en 1994, ma mère, ma grand-mère, ma tante et moi nous rendions à Victoria pour assister aux Jeux du Commonwealth. Jobservais les athlètes. Je tenais un panneau sur lequel était inscrit le nom de chacun des gymnastes. Je ne ratais aucun événement. Jarrivais une heure à lavance pour vraiment mimprégner de latmosphère, et jétais encore sur place une heure après la fin des compétitions, afin de pouvoir rencontrer les athlètes et leur demander leur autographe. Assister à la compétition de gymnastique complète des Jeux du Commonwealth de 1994, pour moi, cétait encore mieux qualler à un concert rock.

Ainsi, ma participation aux Jeux de 2002 à Manchester avait quelque chose de surréel. Jai senti que je commençais à atteindre mes buts et que jallais acquérir une véritable réputation internationale. Je commençais à obtenir des résultats très uniformes. Jai vécu un moment très spécial, où jai pensé : « Oh mon dieu ». Jai vu un enfant dans la foule qui me regardait. Cétait comme regarder dans un miroir. Javais fait tout un bond dans ma carrière dathlète.

JF : Quel souvenir chérissez-vous le plus de la routine au sol qui vous a valu l’or aux Jeux olympiques de 2004 à Athènes?

KS : Je men souviens comme si cétait hier. Il y a de ces moments de la vie qui restent à jamais gravés dans notre mémoire. Pour moi, lun de ces moments est survenu juste avant le début de ma routine. Quand je pense à ce moment-là, je sais que je ne pourrai jamais revivre quoi que ce soit daussi intense. Jétais si prêt. Cétait comme si je mapprêtais à me lancer dans un profond précipice. Je navais aucune idée de ce qui allait se produire. Jétais concentré, et jétais prêt. Je me suis simplement laissé aller. Je me suis entretenu au cours de ma carrière avec un grand nombre dathlètes de haut calibre. Jai discuté avec le nageur Mark Tewksbury, la rameuse Marnie McBean et la patineuse de vitesse Catriona Le May Doan. Tous disent avoir vécu la même expérience, soit un détachement de leur propre corps et un laisser-aller complet au moment de leurs plus grandes compétitions. On ne pense plus. On arrête dessayer, et on se laisse simplement aller. On ne peut faire cela que lorsquon est entièrement préparé. Ce moment-là a été très spécial pour moi.

Tewksbury, Mark
Le médaillé d'or aux Jeux olympiques de Barcelone (photo de Ted Grant/Canadian Sport Images).

LeMay Doan, Catriona

Je me souviens mêtre dit, au beau milieu de ma routine au sol, que jétais à mi-chemin et que tout était parfait. Je men souviens très bien. Cétait une sensation si agréable. Tous mes sens étaient en éveil.

Après ma descente [mon exécution], quelque chose sest échappé de moi. Cétait un cri ou un genre de rugissement. Jévacuais toutes mes émotions. Cétait génial.

Ce dont je me souviens le mieux, toutefois, cest dêtre accouru auprès de Kelly pour le serrer dans mes bras. Nous étions euphoriques, tous les deux. Je ne pourrai jamais oublier ce moment-là. Nous ignorions si nous avions gagné ou non. La note navait pas encore été annoncée. Mais le sentiment de réussite et dautosatisfaction, et le fait de savoir que javais donné le meilleur de moi-même et, pour Kelly, de savoir que je naurais pas pu mieux mexécuter , nous suffisaient amplement. Ce sentiment était tellement puissant que le résultat mimportait peu. Jappréhendais de voir apparaître la note, car je ne voulais pas que mon sentiment deuphorie sévanouisse. Enfin, lorsque la note sest affichée, nous classant au premier rang, jai ressenti quelque chose de formidable. Mais cest le moment qui a précédé lannonce de la note, alors que je savais que ma routine sétait déroulée exactement comme prévu, que je chéris le plus.

JF : Nombreux sont ceux qui estiment que vous auriez dû remporter une deuxième médaille olympique au saut de cheval à Athènes, et que les juges ont commis une grave erreur en attribuant à Marian Dragulescu, de la Roumanie, une note plus élevée que la vôtre, ainsi que la médaille de bronze. Quelle est votre opinion à cet égard?

KS : Les juges ont commis une erreur. Six mois après les Jeux olympiques de 2004 à Athènes, quatre juges ont été pénalisés et suspendus pour une période dun an [pour leur mauvais jugement de la finale de saut de cheval]. En réalité, ce jour-là, cétait moi, le troisième meilleur athlète. Je ne suis normalement pas le troisième meilleur athlète au monde en saut de cheval. Je ne lai jamais été. Toutefois, ce jour-là, de nombreux athlètes sont tombés et ont fait des fautes, y compris Marian. Marian est lun de mes meilleurs amis. Cest un grand athlète et une bonne personne. Mais ce jour-là, à mon avis, ses fautes auraient dû lui valoir une pénalité. La note quil a obtenue était illogique [étant donné sa chute]. Je men rends compte aujourdhui. Sur le moment, toutefois, jétais concentré sur ma routine et mon exécution. Jessayais de ne pas me soucier des choses sur lesquelles je navais aucun contrôle. Jaurais dû me défendre un peu plus. Bien que je néprouve aucun regret dans la vie, jaurais quand même dû porter plus attention aux notes lors de cette compétition. Javais remporté une médaille dor historique la veille. Jétais parti de chez moi depuis deux mois. Javais hâte de voir ma famille. Jétais épuisé.

Je ne voulais pas mattarder au négatif. Je suis une personne foncièrement positive. Je voulais me concentrer sur ma victoire, et quitter ces Jeux olympiques sur une note positive.

JF : Parlez-moi de votre implication au sein de l’organisme Right to Play.

KS : Des représentants de Right to Play mont approché en 2004, après ma victoire aux Jeux olympiques dAthènes. Après avoir assisté à une activité caritative pour lorganisme, jai constaté que le sport pouvait avoir une grande influence à linternational et quil ne sagissait pas simplement de jeux ou dathlétisme. Le sport vous enseigne des leçons de vie, des compétences et le respect de soi et des autres. Le sport vous enseigne comment prendre soin de vous-même et des personnes qui vous entourent. Le sport a la capacité non seulement denseigner des leçons dune grande valeur, mais aussi de faire en sorte que celles-ci durent toute la vie.

Right to Play est un organisme incroyable qui fait appel au sport et au jeu pour faire avancer sa cause. Il ne sagit cependant pas que de sport. Il sagit aussi de samuser. Les personnes issues des communautés aidées par lorganisme vivent dans des conditions plus difficiles que la moyenne des gens. Nous tentons de leur montrer comment retrouver lespoir et le bonheur.

Je mets toujours les enfants qui sautent sur le trampoline au défi de froncer les sourcils. Je leur dis : « Tu ne peux pas sourire. Pas le droit de sourire lorsque tu es sur le trampoline. » Pourtant, ils ne peuvent pas faire autrement que de sourire, car cest là une réaction naturelle. Lorsquon bouge et quon interagit avec dautres personnes, on se sent bien et on renforce au fil du temps ses capacités de leadership.

Bref, Right to Play est un organisme extraordinaire lorsquil sagit de promouvoir les aptitudes humaines et de faire du monde un meilleur endroit où vivre. Cest pour cela que je mimplique.

En 2011, jai eu loccasion de visiter le Liberia. Jai alors vu le programme en action.

Ce qui est génial aussi, à propos de Right to Play, cest que lorganisme ne se contente pas dessayer de résoudre les problèmes seulement par largent. On tente de poser des bases solides. Right to Play enseigne aux dirigeants de la communauté comment devenir des leaders en matière de sport et de jeux, comment enseigner les jeux et comment favoriser léducation au sein de la communauté. Lobjectif de Right to Play est de quitter les communautés après avoir accompli son travail, car on vise des communautés autonomes qui se développent de façon durable. Ainsi, on se rend sur place, on met les outils nécessaires à la disposition des gens, puis on quitte pour laisser les communautés appliquer elles-mêmes les solutions proposées.

JF : Parlez-moi de votre travail d’analyste de gymnastique à la télévision.

KS : Jai toujours voulu faire cela. Je me sens si privilégié davoir eu cette occasion. Jai toujours aimé travailler à la télévision et je me sens à laise devant la caméra. En 2008, après ma compétition, Scott Moore, président de CBC Sports, ma invité à le rencontrer à son bureau. Jai accepté. Après mavoir félicité pour ma médaille olympique, il ma demandé si jaimerais devenir commentateur. Je lui ai répondu : « Oui, ça serait génial. Quand? » Sa réponse : « Demain. Nous aimerions connaître votre perspective sur la compétition masculine ici à Beijing. » Il ma offert une occasion dont javais toujours rêvé. Jai accepté sans hésiter, et je ne manque jamais de remercier Scott chaque fois que je le vois. Cest fantastique. Jadore cela.

JF : Qu’avez-vous ressenti à votre intronisation au Panthéon des sports canadiens en 2010?

KS : Cétait une journée vraiment spéciale pour moi et, je crois, encore plus pour mes parents. Ils ont travaillé darrache-pied toutes ces années, et ils étaient si fiers de moi. Quel bonheur, que de voir ses réalisations reconnues! Le Panthéon des sports canadiens est un endroit hallucinant; jadore les artéfacts et toute lhistoire quil renferme.

JF : En 2013, vous avez inauguré le centre de gymnastique Kyle Shewfelt à Calgary. Que pensez-vous de l’évolution du centre?

KS : Jen suis très satisfait. Lidée mest venue après les Jeux olympiques de 2004 à Athènes. Bien entendu, gagner une médaille olympique, cest super; toutefois, je cherchais comment pousser mon engagement un peu plus loin afin davoir un impact positif sur ma communauté. Je crois que cest là le vrai défi. Monter sur le podium ne dure quun moment. Je voulais avoir un impact sur la prochaine génération. Après les Jeux olympiques de 2012 à Londres, jai vécu une transition difficile. Une fois à la retraite, il peut être difficile de décider quoi faire ensuite. Jai entrepris des études de gestion dentreprise à lUniversité Mount Royal. Jai également étudié la télédiffusion. Le monde des affaires me passionne. Jaime [lidée de] prendre en main ma propre réussite et mes propres [échecs]. Cela me motive.

Lorsque jai décidé douvrir un gymnase, jai dabord élaboré un plan daffaires, puis je me suis mis en contact avec les bonnes personnes et j’ai formé une équipe de gens compétents. Nous existons maintenant depuis deux ans. Je suis heureux de pouvoir partager ainsi ma passion pour la gymnastique.

JF : Quel est le personnage canadien qui vous a le plus inspiré au cours de votre carrière, et pourquoi?

KS : Tous les athlètes olympiques canadiens sont pour moi une source dinspiration. Je pleure de fierté chaque fois que je vois des athlètes canadiens participer aux Jeux olympiques. Je connais si bien les sacrifices quils ont dû faire et le travail quils ont accompli. Je sais ce quils ressentent en tant que représentants de leur pays. Jadmire ceux qui se tiennent bien droits, se donnent entièrement et prennent un risque, en sachant quils pourraient tout gagner... ou tout perdre. Cest ce que je trouve le plus inspirant chez les athlètes olympiques canadiens.

Le texte de cet entretien a été modifié et condensé.