Entrevue avec Ian Millar | l'Encyclopédie Canadienne

Entrevue

Entrevue avec Ian Millar

Le 9 septembre 2014, l’auteur Jeremy Freeborn s’est entretenu avec le double champion de la finale de la Coupe du monde et médaillé d’argent aux Jeux olympiques, Ian Millar.

Le 9 septembre 2014, l’auteur Jeremy Freeborn s’est entretenu avec le double champion de la finale de la Coupe du monde et médaillé d’argent aux Jeux olympiques, Ian Millar. Le cavalier vétéran était au complexe Spruce Meadows, à Calgary, où il a gagné le prestigieux Grand prix international du PC de 2014 et a contribué à la victoire de l’équipe canadienne à la Coupe des nations BMO 2014.

JF : Quand avez-vous commencé à monter à cheval?

IM : J’ai grandi à Ottawa. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours aimé les chevaux. Je risque de trahir mon âge, mais à cette époque-là, la voiture de laitier était tirée par un cheval. Je courrais le matin voir le laitier, qui me permettait de monter sur le siège. Je m’imaginais que je dirigeais le cheval, mais celui-ci connaissait bien sûr très bien la tournée. Je m’assoirais sur le wagon le long de plusieurs rues.

Mon père, militaire, était transféré pour assurer le commandement de la région militaire de l’Ouest. J’ai tellement insisté auprès de mes parents pour monter. J’ai demandé si je pourrais faire de l’équitation une fois qu’on déménagerait dans l’Ouest. Ils étaient d’accord. Bien entendu, quand nous avons traversé la frontière entre le Manitoba et l’Ontario, j’étais très déçu de voir que les hommes n’étaient pas à cheval et que les femmes ne conduisaient pas des chariots. Tout le monde était en voiture.

Nous sommes arrivés en Alberta, et il y avait quelques chevaux à un magasin près de l’endroit où on passait l’été. Le fils d’un propriétaire de ranch local venait louer les chevaux. Bien sûr, j’y suis allé, et j’ai commencé à monter et à lui donner un coup de main. Bientôt, je dirigeais l’entreprise le jour, pendant qu’il aidait son père sur le ranch. Ma compensation, c’était de monter tant que je voulais, tant que les chevaux n’étaient pas loués. Il irait en randonnée avec son grand groupe d’amis, et je montais avec eux. Nous avons déménagé à Edmonton à l’automne, et je me suis inscrit dans une école d’équitation. Toute la famille a commencé à faire de l’équitation. Le reste, comme on le dit, appartient à l’histoire!

Je vous raconte cette histoire parce que, il y a quelques années, à Spruce Meadows, un homme m’a abordé en demandant : « Savez-vous qui je suis? » J’ai répondu : « Non, je l’ignore. » Il a dit : « Je suis l’homme qui vous a mis en selle pour la première fois. » Il était le fils du propriétaire du ranch à Gull Lake, en Alberta. Après toutes ces années, c’était extraordinaire de le rencontrer.

JF : Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans le saut d’obstacles?

IM : Franchement, c’est entièrement lié aux chevaux. J’aime beaucoup le saut d'obstacles parce que, dans le contexte sportif, les sports équestres sont vraiment quelque chose de particulier. On peut avoir ses favoris, mais n’importe quoi pourrait arriver le jour d’une compétition. On est en présence de deux athlètes. Il y a toujours un cheval, et même si on les entraîne, on ne peut jamais être certain de ce qu’ils vont faire. Il y a tellement de variables qui vont de pair avec ce sport. C’est dramatique. Parfois, j’ai l’impression que les scénaristes de Hollywood ne pourraient pas inventer mieux. C’est ça, la réalité de notre sport.

JF : Vous étiez nommé à l’équipe équestre canadienne pour la première fois en 1971. Quel effet cela vous a-t-il fait, et comment était votre première expérience à titre de représentant du Canada?

IM : J’étais très fier. Cela faisait des années que je connaissais l’existence de l’équipe, et je voulais y participer. À cette époque-là, nous avions un circuit international d’automne qui faisait le tour de Harrisburg, Washington, New York (au Madison Square Garden, ce n’est pas rien de le dire!) et au Royal Agriculture Winter Fair, de Toronto. Je faisais partie de cette grande équipe. Quelle expérience fantastique! L’année suivante [en 1972], j’ai participé pour la première fois aux Jeux olympiques à Munich, en Allemagne.

JF : Est-ce qu’il y avait beaucoup de pression en 1971, étant donné que l’équipe canadienne avait gagné la médaille d’or aux Jeux olympiques de 1968, à Mexico?

IM : Oui, tout à fait. Chaque fois qu’on part à l’aventure avec une telle équipe, tout le monde est excité et l’on veut tous gagner. Le niveau d’énergie était très élevé. Nous étions un groupe de jeunes cavaliers. Jim Elder, qui a participé aux Jeux olympiques de 1968, était parmi nous; il était notre mentor. C’était une expérience formidable et très énergique.

JF : Vous avez monté Big Ben en compétition pendant 10 ans, de 1984 à 1994. Selon vous, pourquoi Big Ben était-il un excellent cheval d’obstacles?

IM : Il possédait ce mélange spécial de caractéristiques qui vont de pair avec un champion. Certainement, il possédait tous les traits physiques nécessaires, mais ce qui a fait de lui un champion était son cœur et son esprit. Ce n’est pas tellement différent d’un athlète humain. En fin de compte, c’est le cœur et l’esprit qui font la différence. Chaque matin, il se réveillerait et dirait : « Comment pourrais-je te rendre heureux aujourd’hui? Que puis-je faire pour toi aujourd’hui? » Il avait le don de sentir le bon moment. Quand je le montais dans une grande compétition, il semblait toujours ressentir l’importance de celle-ci et il se montrait à la hauteur. Il est devenu un athlète professionnel accompli. Une mauvaise journée pour lui, c’était la chute d’une barre. Ça représentait pour lui une mauvaise journée. D’habitude, il sautait sans faute; c’est ce à quoi on pouvait s’attendre de lui.

JF :Aujourd’hui, vous avez représenté le Canada à tous les Jeux olympiques depuis 1972, sauf les Jeux olympiques boycottés en 1980. En jetant un regard rétrospectif sur votre carrière, comment le saut d’obstacles a-t-il évolué au cours des 40 dernières années?

IM : En ce qui concerne la compétition olympique, on pourrait dire qu’il s’agit presque d’un sport différent. Avant 1984, les parcours étaient de loin plus hauts, plus larges et plus difficiles que ceux qu’on sautait pendant tout le reste de l’année. C’était comme si un coureur se présentait aux Jeux olympiques pour y découvrir que le 100 m n’était plus le 100 m, mais le 120 m. L’ajout de 20 m en fait une compétition tout à fait différente. C’est ce qui arrivait avec les premières compétitions équestres des Jeux olympiques. Cela a commencé à changer en 1984 avec Bert de Némethy, le chef d’équipe américain qui était aussi le chef de piste des Jeux olympiques de 1984, à Los Angeles. Il s’agissait des premiers Jeux olympiques où l’on partait en se disant qu’ils avaient été plus difficiles que ce qu’on sautait la plupart du temps, mais qu’ils correspondaient à ce qu’on pratiquait. Cette tendance continue depuis.

JF : À quel point était-il significatif pour vous de gagner deux finales de la Coupe du monde avec Big Ben, l’une après l’autre, en 1988 et en 1989?

IM : C’était très significatif pour Big Ben, pour ses propriétaires et pour moi. Normalement, les chevaux de grande taille ne gagnent pas dans les parcours internes à cause des petits stades. Ils ne sont pas assez rapides pour le faire, mais lui, il l’était. Gagner les finales de la Coupe du monde, à l’intérieur, deux fois de suite, c’était très significatif.

JF : À 61 ans, vous avez gagné la médaille d’argent, avec In Style, dans la compétition par équipe des Jeux olympiques de 2008 à Hong Kong [la compétition équestre a eu lieu à Hong Kong à cause de la difficulté d’établir une zone indemne de maladies équines à Beijing]. À quel point était-ce gratifiant d’être reconnu en tant que médaillé olympique à ce point de votre prestigieuse carrière?

IM : C’était inestimable. In Style appartient à Susan et Ariel Grange. Notre équipe canadienne a beaucoup concouru ensemble; elle avait beaucoup de synergies. Nous avons perdu l’un de nos cavaliers [Mac Cone], car son cheval a subi une blessure et il ne pouvait plus participer à la dernière ronde de la compétition par équipe. Si vous aviez misé sur la compétition, vous auriez dit que le Canada n’avait aucune chance, une fois que nous avions perdu notre quatrième cavalier. Nous avions besoin de tous les quatre. Seulement trois scores sont pris en compte, mais historiquement, on a besoin de tous les quatre [pour gagner]. [Aux Jeux olympiques, quatre cavaliers représentent chaque pays, mais seulement les trois meilleurs scores comptent. La perte de Mac Cone a fait en sorte que les scores des trois cavaliers restants comptaient lors de la deuxième ronde.] Gagner trois médailles d’argent avec trois cavaliers était spectaculaire; c’était du jamais vu.

JF : Comment réagissez-vous quand quelqu’un dit que vous êtes une icône du sport canadien à cause de votre longévité et de votre engagement au saut d’obstacles?

IM : Je ne saurais pas à quoi la personne réfère. Je travaille simplement fort, toute la journée, avec mes chevaux et mes étudiants. J’essaie simplement de faire de mon mieux, d’être le meilleur cavalier que je puisse être et de faire mon possible lors des compétitions. J’adore tout ça. J’adore chaque moment. Personnellement, ça me plaît.

JF : À quel point est-ce significatif pour vous que vos enfants, Jonathon et Amy, soient cavaliers?

IM : C’est très important. Je pense que s’ils ne s’intéressaient pas à ce sport, je trouverais les aspects difficiles encore plus difficiles. Cela a un grand effet sur moi que nous travaillions ensemble, en famille. Par exemple, Jonathon était avec moi aux Jeux équestres mondiaux FEI 2014, en Normandie. Amy assiste à certains événements, et j’assiste aux leurs. Parfois, nous participons tous ensemble. C’est vraiment un plaisir. Je pense toujours que si nous participons les trois à un Grand prix, j’ai trois chances de gagner. S’ils gagnent, c’est encore mieux. Cela me fait plus plaisir que si je gagnais moi-même.

JF :À quel point est-ce significatif pour vous que les Jeux équestres mondiaux se tiennent à Montréal en 2018, et songez-vous à y participer?

IM : Mon but est de participer aux Jeux panaméricains de 2015 à Toronto, au parc équestre Caledon Pan Am, puis aux Jeux olympiques de 2016 à Rio de Janeiro. Ensuite, je vais prendre le temps d’y réfléchir. Tout dépendra du cheval que j’aurai. On ne peut être mieux que notre monture. Si j’ai de bonnes montures, si je suis en santé et si j’évite les blessures, j’imagine que je vais continuer.

JF : Comment se passent les préparatifs aux Jeux panaméricains à Toronto (2015)?

IM : Très bien. Les installations sont fantastiques. Je siège au comité des sports équestres des Jeux panaméricains; c’est une expérience qui me plaît beaucoup. J’ai deux chevaux, Dixson et Star Power, qui sont, je touche du bois, très prêts; j’ai hâte aux Jeux panaméricains.

JF : Quel Canadien historique vous a le plus inspiré?

IM : Il y en a eu beaucoup. Jim Elder et Tom Gayford [gagnants de la médaille d’or en saut d’obstacles par équipe pour le Canada aux Jeux olympiques de 1968, avec leur coéquipier Jim Day] m’ont beaucoup inspiré. Tom Gayford était aussi le chef d’équipe canadien pendant plusieurs années. J’ai aussi eu le grand plaisir de rencontrer Jeanne Sauvé, qui était alors notre gouverneure générale. La meilleure partenaire, et la plus grande inspiration, que j’aie jamais eue dans la vie et dans le sport étaient ma défunte épouse, Lynn. Elle a travaillé avec moi pendant tant d’années, et sa contribution était immense.

JF : Qui vous a le plus influencé dans votre carrière équestre?

IM : Il y a eu beaucoup de personnes. N’en nommer qu’une seule enlèverait quelques mérites aux autres, car il y a beaucoup de personnes qui ont contribué de façon importante à mon entraînement et à ma carrière. Je trouve toujours intéressant de savoir pourquoi elles le font. Quand j’y pense, je crois qu’elles voyaient une personne très enthousiaste, intéressée et qui travaillait fort, et elles voulaient tout simplement m’aider. C’est le même sentiment que j’éprouve aujourd’hui quand je vois un jeune cavalier qui est enthousiaste, talentueux et travaillant. S’il y a quoi que ce soit que je peux faire pour lui, je veux lui tendre la main et l’aider.

JF : Comment aimeriez-vous qu’on se souvienne de vous dans le sport?

IM : J’aimerais être perçu comme un bon homme de cheval. Un cavalier, c’est une chose, c’est-à-dire une personne qui monte à cheval. Un homme de cheval, c’est plus que ça. Il comprend l’alimentation et la nutrition équines. Il connaît un peu la forge et la médecine vétérinaire. C’est un entraîneur. Il peut jeter un coup d’œil dans le box d’un cheval et juger de son humeur et de sa santé. C’est ce que veut dire être un homme de cheval accompli, et c’est ainsi que j’aimerais qu’on se souvienne de moi.

JF : Quel était le moment le plus gratifiant de votre carrière?

IM : D’en nommer un seul enlèverait l’importance de tant d’autres, car gagner le Grand prix de la Spruce Meadows (1987, 1991, 2014) était capital et la médaille d’argent aux Jeux olympiques de 2008 à Hong Kong était immense, tout comme gagner la médaille d’or aux Jeux panaméricains deux fois (1987 et 1999). Aux Jeux panaméricains de 1999 à Winnipeg, nos chances étaient bien minces, mais nous avons réussi. Il y a donc toute une liste. Ce sont tous des moments différents, mais ils ont tous une grande valeur et sont bien appréciés.

JF : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Canadiens qui rêvent de devenir cavaliers équestres?

IM : Apprenez tout ce que vous pouvez au sujet des chevaux. Devenez hommes et femmes de cheval, pas seulement des cavaliers et cavalières. Au bout du compte, lorsqu’on regarde les personnes qui ont été championnes dans ce sport, ce sont principalement des hommes et des femmes de cheval.