L’Holocauste, ou Shoah en hébreu, est définit comme étant la persécution et le meurtre systématique de six millions de Juifs et de cinq millions de non-juifs, notamment des Roms et des Sinté, des Polonais, des opposants politiques, des personnes LGBTQ et des prisonniers de guerre soviétiques par l’Allemagne nazie, de 1933 à 1945. Les Juifs étaient le seul groupe ciblé pour une destruction complète. L’idéologie raciale nazie les considérait comme des sous-humains.
Bien que les Juifs canadiens n’aient pas vécu directement l’Holocauste, la majorité a fait face à l’antisémitisme au Canada. Les Juifs canadiens n’étaient alors qu’à une génération de ceux venus de régions qui se trouvaient sous occupation allemande, de 1933 à 1945. Ils conservaient des liens étroits avec leurs proches juifs vivant toujours sur leurs terres d’origine. Ces liens ont affecté la réaction de la communauté juive face à l’Holocauste. Il y avait, par exemple, une présence disproportionnée de Juifs dans les Forces armées canadiennes. Les Juifs canadiens se sont impliqués également de façon massive dans les efforts de l’après‑guerre afin de porter secours aux personnes déplacées et aux survivants de l’Holocauste en Europe.
Peinture par Alex Colville.
Antisémitisme au Canada
Les préjugés
envers les personnes adeptes du judaïsme, ou l’antisémitisme
sont socialement
acceptés par la société canadienne dominante pendant de nombreuses années. C’est
une forme flagrante et ouverte de racisme qui précède la
Confédération, avant même que la communauté juive
n’ait une présence notable sur le territoire qui allait devenir le Canada.
Durant les
années avant la Deuxième Guerre mondiale, les
Juifs font face à des limites d’inscriptions
dans les établissements d’enseignement. Leur participation dans certains
domaines, notamment la médecine
et le droit,
est également limitée. Ils n’ont pas l’autorisation ou la possibilité d’accéder
à certaines propriétés ou certains sites de villégiature. Des affiches et des
pancartes sur lesquelles on peut lire « Réservé aux non‑juifs » ou « Les juifs
et les chiens ne sont pas admis » restent affichées jusque dans les années 1930
et 1940. Pendant ce temps, des politiques d’immigration discriminatoires refusent les demandes
de parrainage à presque tous les candidats juifs. Les Canadiens soutiennent
massivement la politique gouvernementale qui classe les Juifs comme des
étrangers qui ne peuvent s’assimiler. Ils sont perçus comme des menaces
potentielles pour la santé de la nation.
Les Juifs
sont particulièrement vulnérables au Québec. Le prêtre
catholique Lionel Groulx
, considéré comme « le père du
nationalisme canadien‑français », adopte une rhétorique raciste et
anti-réfugié.
Il le proclame lors de ses prises de parole à la chaire, à la radio et dans des
revues telles que L’Action nationale et Le Goglu. Le journaliste et sympathisant
nazi Adrien Arcand fonde le Parti national chrétien social,
un mouvement anticommuniste et anti-juif. Il dirige plus tard le National Unity
Party of Canada. Il s’agit d’une émanation des groupes fascistes et antisémites organisés dans de
nombreux villages et villes à travers le pays. Ces groupes comprennent des « clubs swastika »
organisés en Ontario.
Pendant
la crise
des années 1930 en Alberta,
le parti du Crédit social au pouvoir répand des idées antisémites par le
biais d’émissions de radio et de littérature antisémite. Le plus important
d’entre eux est Les Protocoles des Sages de Sion. C’est un texte
fabriqué et d’abord publié en Russie en 1905. Ce texte prétend décrire le plan
de domination du monde par les Juifs.
Le 16 août 1933, un rare incident de violence antisémite d’inspiration nazie se produit lors d’un match de baseball au parc Christie de Toronto. La bataille se déclare lorsque les membres d’un groupe local de jeunesse pro-nazie dévoilent un drapeau arborant la croix gammée. Ceci provoque une réaction de colère de la part du club opposé dont les membres et les admirateurs sont majoritairement juifs. Bien qu’il n’y ait eu aucun décès, « l’émeute de Christie Pits » est un avertissement pour la plupart des Juifs canadiens. Ceux-ci réalisent qu’ils sont très près de la tyrannie à laquelle beaucoup d’entre eux ont échappé, et à laquelle un nombre croissant de leurs proches et leurs amis sont à nouveau exposés à l’étranger.
Refus du statut de réfugié
Menacés par
la montée du nazisme, des centaines de milliers de Juifs européens cherchent
refuge à l’étranger, incluant au Canada. Cependant, l’antisémitisme
est courant parmi les membres hauts placés du gouvernement libéral de
William Lyon Mackenzie King ; il influence les décisions
politiques gouvernementales concernant la crise croissante des réfugiés. Par exemple, Frederick Blair, le
directeur du département de l’immigration au ministère des Mines et des Ressources,
est antisémite
de manière flagrante. Pourtant, Mackenzie King suit ses conseils en matière d’immigration
et de réfugiés.
À l’époque,
la politique d’immigration canadienne classe les Juifs
parmi les groupes d’immigrants les « moins souhaitables », indépendamment de
leur nationalité. Le vieux système de quotas d’immigration est basé sur la race
et est discriminatoire. Il vise non seulement les Juifs, mais également
les Chinois, les sikhs
et les Noirs. Des qualifications supplémentaires,
comme des compétences agricoles ou la preuve d’un montant en capital à investir
de 15 000 dollars, limitent encore plus l’admissibilité des candidats
juifs à l’immigration.
Deux épisodes préfigurent dans le dossier honteux du Canada pendant l’Holocauste : son approche envers la Conférence d’Évian et son rôle dans l’affaire du paquebot Saint Louis.
Conférence d’Évian
La
Conférence d’Évian (du 6 au 15 juillet 1938) est convoquée par le président des
États‑Unis Franklin D. Roosevelt. C’est un rassemblement des dirigeants du
monde entier pour discuter de la crise grandissante des réfugiés allemands et autrichiens fuyant le nazisme.
Mackenzie King ne veut pas que le Canada y
participe. Il craint que la participation canadienne soit perçue comme un
accord pour accueillir des réfugiés juifs. Il croit que l’arrivée de plus de Juifs
au Canada pourrait « créer un nouveau problème ici » et « mélanger des souches
de sang étranger » qui pourrait ternir la société canadienne.
Mackenzie King cède aux pressions des États‑Unis et de la Grande-Bretagne. Il accepte à contrecœur d’envoyer des délégués canadiens à la Conférence d’Évian. Mais ils ne sont envoyés qu’après l’assurance qu’aucun pays ne sera contraint à adopter des mesures concrètes. Au final, la République dominicaine s’avère le seul pays à offrir l’asile aux Juifs.
L’affaire du Saint Louis
En 1939,
907 réfugiés juifs fuient l’Allemagne nazie à bord du paquebot Saint Louis. Le 7 juin 1939, ils se voient
refuser l’entrée au Canada. L’entrée à Cuba, ainsi que dans de nombreux pays de
l’Amérique latine et aux États‑Unis leur a été également refusée précédemment.
Des
citoyens canadiens éminents demandent au gouvernement fédéral d’offrir un
refuge aux demandeurs d’asile. Mais la question est rapidement réglée. Frederick
Blair refuse de considérer la requête en se basant sur la politique. Il déclare
publiquement : « Aucun pays ne peut ouvrir assez grand ses portes pour
accueillir les centaines de milliers de Juifs qui veulent quitter l’Europe :
il faut tracer une limite quelque part. » Le Saint Louis est contraint
de retourner en Europe ; 254 de ses passagers seront assassinés pendant
l’Holocauste.
Entre 1933 et 1947, seuls 5 000 réfugiés juifs sont autorisés à entrer au Canada. Il s’agit du record d’admission le plus faible de tous les pays occidentaux.
Déclenchement de la
Deuxième Guerre mondiale
Tout au
long des années 1930, on compte environ 170 000 Juifs au Canada.
Ils réagissent à la montée du nazisme en Allemagne avec une vigueur collective. Les journaux juifs publient des éditoriaux cinglants ; ils condamnent l’impact dévastateur des lois raciales
nazies sur les Juifs allemands, autrichiens et tchécoslovaques. Le manque d’action du gouvernement canadien pour s’opposer à ces lois oppressives est également ciblé.
À Winnipeg, les Juifs mènent des opérations de
boycottage contre l’Allemagne. Les juifs à travers le pays se joignent à des
rassemblements antinazis. Ils travaillent également à faire pression sur
le Parlement afin que celui-ci autorise le
parrainage de proches subissant des persécutions dans le cadre de régimes fascistes. Des groupes de femmes et des landsmanshaftn (sociétés
d’aide mutuelle) mettent sur pied des campagnes pour collecter des fonds, de la
nourriture et d’autres ressources pour les familles et des proches vivant en
Europe. La Jewish Immigrant Aid Society, chargée de la réinstallation des immigrants juifs, fournit de l’aide pour les
demandes de parrainage.
Le 10
septembre 1939, le Canada se joint au combat de la Grande‑Bretagne contre
l’Allemagne nazie. De nombreux Juifs canadiens sont les enfants de parents immigrants
européens qui ont toujours des liens familiaux et amicaux à l’étranger ; ils
s’empressent de s’inscrire au service militaire. Environ 17 000 Juifs, soit
environ un cinquième de la population masculine juive du Canada, s’enrôlent
dans les Forces armées canadiennes. Ce chiffre est disproportionnellement
plus élevé que tout autre groupe ethnique minoritaire. Parmi ceux qui servent
dans les rangs de l’armée, 421 Juifs canadiens meurent en service ; et 1 971 reçoivent
des distinctions
militaires.
« Étrangers ennemis »
À la suite de l’élection d’Adolf Hitler en 1933, la Grande-Bretagne
accueille des dizaines de milliers de réfugiés, pour la
plupart des juifs allemands et autrichiens. Cependant, après le début de la Deuxième Guerre mondiale
, la Grande-Bretagne les déclare, ainsi que tous ceux venant de pays de l’Axe, « étrangers ennemis ». La Grande-Bretagne se tourne alors vers le Canada et l’Australie et leur demande d’accepter ce groupe de ressortissants étrangers pendant la durée de
la guerre. Le gouvernement de Mackenzie King accepte à contrecœur.
À l’été 1940,
plus de 3 000 réfugiés sont envoyés au Canada. Parmi eux, on compte 2 300 Juifs
allemands et autrichiens âgés de 16 à 60 ans. Ils sont internés
dans des camps gardés en Ontario, au
Québec et au Nouveau‑Brunswick
. Les Juifs de ce groupe sont devenus connus sous le nom de « immigrants accidentels. » Ils sont d’abord internés
dans des
camps de prisonniers de guerre aux côtés de véritables
prisonniers de guerre
. Cette situation est vivement contestée par les internés, le Congrès juif canadien et le Comité national canadien pour les réfugiés et les victimes de persécutions, un organisme composé d’éminents Canadiens non‑juifs. Les internés juifs ne représentent
pas une menace pour la sécurité nationale. Ils ne sont pas en sécurité parmi les prisonniers de guerre nazis. Les hauts fonctionnaires canadiens réalisent ce fait et des camps séparés sont établis. Néanmoins, le statut juridique des internés juifs demeure
incertain. Leur statut de prisonniers de guerre est annulé. Il est remplacé par celui de « réfugiés de l’oppression nazie. » Malgré cela, leur statut juridique au Canada demeure mal défini pendant de nombreuses années.
De nombreux
internés poursuivent leurs études laïques ou religieuses dans les camps. Avec
le soutien des rabbins de Toronto et de
Montréal, les rabbins internés organisent des services
religieux à l’échelle du camp pour les jours saints. Ils respectent également
le shabbat et les lois de la kashrout (loi et
coutume diététique juive).
Les camps ferment en 1943. Les internés juifs ont la possibilité de demeurer au Canada ou de retourner en Angleterre. Walter Kohn (prix Nobel de chimie), Fred Kaufman (juge à la Cour d’appel du Québec) et Emil Fackenheim (philosophe) font partie des 972 internés juifs qui demeurent au Canada.
Un interné juif s'assoit à côté de son placard fabriqué à partir de coffres d'emballage, lieu inconnu, c. 1940-43.
Découverte de l’horreur
Des
articles de presse sur les Jeux
olympiques d’été de 1936, qui se déroulent à Berlin en Allemagne, donnent à
de nombreux Canadiens non juifs un premier aperçu du nazisme. Les rapports sur
Adolf Hitler et son régime totalitaire se poursuivent tout au long de la Deuxième Guerre mondiale.
Le gouvernement canadien et les principaux médias mandatés envoient des journalistes, des
photographes et des cinéastes pour
documenter les avancées militaires (voir Documenter la Deuxième Guerre
mondiale). Les
principaux journaux
publient des reportages sur les atrocités de la guerre en Europe. Cependant, la
mention des victimes juives est minime.
En 1943, le
gouvernement canadien lance son programme officiel d’art de guerre afin de
documenter et rapporter les atrocités en temps de guerre (voir Artistes
de guerre). Trente et un artistes, dont Alex Colville et
Aba Bayefsky, sont choisis pour ce programme.
Ils créent des représentations visuelles de la guerre (photographies, de
croquis et toiles) pour les dossiers militaires et pour le public canadien.
Les journalistes et les artistes ont de la difficulté à décrire ce dont ils sont témoins, comme les restes humains trouvés dans les camps de concentration et dans les camps de la mort. De tels récits sans précédent de violences de masse contre les Juifs commanditées par l’État dépassent toute compréhension. Peu de Canadiens peuvent imaginer l’ampleur de la destruction d’une immense partie de la communauté juive européenne par l’Allemagne nazie.
Peinture par Aba Bayefsky.
Premières rencontres avec
l’Holocauste
Dans les
derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale, les forces de la
Première Armée canadienne jouent un rôle important dans la
libération des camps nazis des Pays‑Bas, de la Belgique et de l’Allemagne. Ces
camps servaient à transporter les Juifs vers les camps de la mort dans la
Pologne occupée. Le personnel militaire tombe nez à nez avec des prisonniers
juifs émergeant de leurs cachettes. En décembre 1944, l’aumônier juif de Toronto,
Samuel Cass, et ses soldats organisent une fête douce-amère de Hannoucah pour les quelques orphelins juifs restants à Anvers, en Belgique.
Pour le
personnel militaire canadien, la rencontre la plus saisissante avec
l’Holocauste et ses survivants a lieu au camp de concentration de Bergen‑Belsen.
Ce camp est libéré par l’armée britannique le 15 avril 1945. Des unités
militaires canadiennes arrivent au camp dans les 48 premières heures. Ils aident
à nourrir et à fournir des soins médicaux et des services de traductions aux
survivants squelettiques, dont la majorité est des juifs. Les aviateurs et les
soldates juifs
canadiens, qui sont nombreux à parler yiddish, apportent une
aide informelle aux survivants. Les soldats collectent et distribuent de la
nourriture, des vêtements et des fournitures chirurgicales à même le matériel
militaire, avec l’approbation silencieuse de leurs supérieurs. Au total, plus
de 1 000 Canadiens se trouvent à Bergen‑Belsen, soit dans le cadre de leur
service officiel, soit à l’occasion de visites informelles.
L’évidence d’une inhumanité flagrante qui vaut à Bergen‑Belsen l’appellation de « camp de l’horreur » est visible partout : famine endémique, typhus, tuberculose, fours crématoires et monceaux de cadavres qui s’empilent sans sépultures. Selon l’historien Mark Celinscak, la souffrance dont ont été témoins le personnel militaire et les bénévoles canadiens à Bergen‑Belsen « est devenue leur moment déterminant de la Deuxième Guerre mondiale… Pour certains, c’est un horrible souvenir récurrent, tandis que pour d’autres, elle a changé à jamais le cours de leur vie. »
Legs : les survivants
de l’Holocauste au Canada
En dépit de
la prise de conscience des horreurs vécues par les Juifs pendant l’Holocauste, l’antisémitisme
persiste au Canada après la guerre. En 1945, à l’occasion des discussions sur
le nombre de réfugiés juifs qui devraient être autorisés à entrer au Canada, un
fonctionnaire du gouvernement canadien répond la phrase désormais tristement
célèbre : « aucun, c’est déjà trop ». En 1946, dans un sondage canadien d’opinion
publique, 49 % des répondants s’opposent à l’immigration
juive. Les Juifs sont le groupe d’immigrants le moins souhaitable. Seuls les ressortissants
allemands se classent plus haut, à l’exclusion des anciens membres du parti
nazi.
Le
changement de l’opinion
publique, et de la politique gouvernementale, envers l’immigration juive
est en réponse à la plus importante crise de réfugiés de l’histoire moderne. Il répond
également à une demande pratique pour une main-d’œuvre qualifiée et bon marché pour
soutenir l’économie
du Canada d’après-guerre. La libéralisation progressive de la politique
commence avec le décret C.P. 2071 du 28 mai 1946 ; elle
culmine avec l’amendement de la politique d’immigration annoncée le 1er mai
1947. Ces mesures marquent un changement radical dans la législation du Canada,
et dans l’attitude de la population envers les immigrants
et les réfugiés. Ces changements sont particulièrement importants pour
les Juifs canadiens. Ceux-ci sont désormais autorisés à
parrainer des réfugiés juifs européens par le biais des programmes « proches
parents » et « main d’œuvre. » Entre 1947 et 1955, les juifs canadiens parrainent
et relocalisent près de 35 000 survivants de l’Holocauste, ainsi que leurs personnes
à charge.
Les
survivants de l’Holocauste et leurs descendants ont contribué à tous les
aspects de la société canadienne. Malgré cela, le Canada est le dernier pays du
monde occidental à avoir érigé un monument
commémoratif national aux victimes de l’Holocauste. Le 20 janvier 2011, le
Congrès juif canadien et Citoyenneté et Immigration Canada dévoilent ensemble le
monument La roue de la conscience. Ce monument commémore les réfugiés du paquebot Saint Louis.
Il présente les noms de tous les passagers, ainsi que les mots haine, xénophobie, racism
e et antisémitisme. Il se trouve actuellement au Musée canadien de l’immigration, au Quai 21,
à Halifax. Le
Monument national de l’Holocauste est dévoilé à Ottawa, le
27 septembre 2017. Il est appelé « Un paysage de deuil, de souvenirs et de
survie » et il reconnaît l’Holocauste ainsi que les contributions de ses
survivants juifs au Canada.
Voir aussi : Judaïsme;
Juifs
et musique juive; Littérature
juive au Canada; Pessah
au Canada.