Historiographie de langue française | l'Encyclopédie Canadienne

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Historiographie de langue française

Le plus remarquable des ouvrages historiographiques de l'époque, Histoire et description générale de la Nouvelle-France, est celui du jésuite Pierre-François-Xavier de CHARLEVOIX (Paris, 1744).

Historiographie de langue française

Divers ouvrages descriptifs et narratifs traitant du Canada et publiés en France aux XVIIe et XVIIIe siècles ont été intitulés « histoires ». Quoique écrites par des Français qui, dans bien des cas, ne se sont rendus qu'en NOUVELLE-FRANCE, ces publications ont fortement influencé l'historiographie canadienne-française. Sans elles, les générations suivantes d'historiens n'auraient pas disposé d'informations sur des évènements dont leurs auteurs ont été témoins, ainsi que de précieuses descriptions de la vie quotidienne des colons et des Indiens.

Le plus remarquable des ouvrages historiographiques de l'époque, Histoire et description générale de la Nouvelle-France, est celui du jésuite Pierre-François-Xavier de CHARLEVOIX (Paris, 1744). L'auteur, un historien déjà publié, séjourne en Nouvelle-France de 1705 à 1709, puis de 1720 à 1722, où il descend la vallée du Mississippi jusqu'à la Nouvelle-Orléans. Richement documentée, son Histoire est un récit fidèle des évènements politiques, militaires et religieux qui se sont déroulés du début du XVIe siècle jusqu'en 1736. Elle est restée, un siècle durant, la meilleure histoire de la colonie française.

Les Canadiens ne s'intéressent guère au genre historique avant le début du XIXe siècle, où se développe un sentiment de NATIONALISME CANADIEN-FRANÇAIS. Michel Bibaud, écrivain montréalais aux talents variés, publie Histoire du Canada (3 volumes, 1837-1878), un ouvrage d'un certain mérite documentaire et littéraire. Cet auteur conservateur critique les nationalistes canadiens-français, notamment L.J. Papineau.

Le premier volume de l'HISTOIRE DU CANADA de François-Xavier GARNEAU, le plus important ouvrage historiographique jamais publié en français au Canada, paraît à Québec en 1845. Deux autres volumes suivent en 1846 et en 1848, et en un siècle, l'ouvrage est réédité huit fois. F-X.Garneau exprime les idéaux qui ont guidé les nationalistes canadiens-français jusqu'au milieu du XXe siècle. Ses récits colorés dépeignent la saga de la Nouvelle-France, racontant les exploits des explorateurs et des COUREURS DE BOIS, ainsi que le travail des missionnaires français. Il vante les hauts-faits militaires des Français et des Canadiens qui ont défendu leur terre contre les Britanniques et, par la suite, les Américains.

Pour les Canadiens, le conflit ne prend pas fin avec la CONQUÊTE; simplement, après 1791, il se situe au Parlement. L'historiographie canadienne-française tout entière est jusqu'à nos jours marquée par la vision de Garneau d'un éternel combat pour la survivance comme élément central de l'histoire du Canada. Tout en désapprouvant RÉBELLIONS DE 1837, F.-X.Garneau critique farouchement les politiques britanniques à l'égard des Canadiens. Il dénonce énergiquement l'ACTE D'UNION qu'il considère comme une tentative de destruction de la nation canadienne-française. Historien autodidacte, il utilise à bon escient les sources officielles et les publications existantes et construit son Histoire sur le modèle des ouvrages de son auteur favori, l'historien français Augustin Thierry, qui soutient que les antagonismes raciaux constituent le moteur de l'histoire.

F.-X.Garneau a montré aux Canadiens français le pouvoir de l'histoire comme élément d'identité nationale. Ses successeurs, partisans de l'idéologie conservatrice qui a dominé le Québec du milieu du XIXe siècle jusqu'aux années 1960, ont produit une foule d'ouvrages historiques exaltant le passé national et religieux du peuple. Les synthèses et les monographies des prêtres historiens Jean-Baptiste-Antoine Ferland, Étienne-Michel Faillon et Henri-Raymond CASGRAIN mettent en exergue le rôle des grandes figures religieuses de la Nouvelle-France.

Ces récits complètent les ouvrages de Garneau qui, de l'avis du clergé, sont trop séculiers. Parmi l'abondante littérature historique de la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs ouvrages se distinguent, comme l'Histoire de la seigneurie de Lauzon de Joseph-Edmond Roy (5 volumes, 1897-1904), encore instructif aujourd'hui.

La première moitié du XXe siècle est dominée par deux historiens : Thomas Chapais et l'abbé Lionel GROULX. T. Chapais assoit sa réputation sur ses biographies de figures marquantes de la Nouvelle-France - l'Intendant TALON et le Général MONTCALM, mais son ouvrage majeur est son Cours d'histoire du Canada (8 volumes, 1919-1934). Série de conférences publiques données à l'Université Laval à l'origine, le Cours traite de la période allant de la Conquête à la Confédération.

Chapais reprend l'Histoire de Garneau de façon plus rigoureuse; il a l'avantage de disposer d'une documentation plus complète. Lui et ses contemporains bénéficient en effet de la création des Archives nationales du Canada à Ottawa. Le Cours de Chapais demeure un ouvrage de référence incontournable pour quiconque étudie l'histoire politique et parlementaire de cette époque. D'autres écrivains, dont le plus célèbre est l'abbé L.Groulx, récusent sa critique des PATRIOTES et sa sympathie pour les politiques britanniques.

En 1915, l'abbé L.Groulx inaugure la chaire d'histoire canadienne au campus de Montréal de l'Université Laval (qui deviendra l'Université de Montréal). En quelques années, il devient l'historien le plus en vue du Canada français, le seul comparable à F.-X.Garneau. Chacun de ses ouvrages suscite des discussions passionnées dans les cercles intellectuels des Canadiens français. Sa synthèse de l'idéal nationaliste de Garneau et de l'idéologie catholique traditionnelle demeure inégalée à ce jour. L'Histoire du Canada français depuis la découverte (4 volumes, 1950-1952) constitue un excellent résumé de l'œuvre de l'abbé L.Groulx.

Écrivain moins remarquable que Groulx, Gustave Lanctot, archiviste de carrière aux Archives nationales du Canada, n'en est pas moins admirable pour son époque. Sa plus importante publication est une étude en trois volumes du régime français, Histoire du Canada (1959-1964). L'historien canadien-français le plus prolifique est Robert RUMILLY, surtout connu pour son Histoire de la Province du Québec (1940-1969), un récit monumental, en 41 volumes, des années 1867 à 1945. Tiré en grande partie des sources primaires imprimées comme les journaux, cet ouvrage anecdotique et de style populaire est encore aujourd'hui le point de départ de toute étude de la période. Rumilly s'est également intéressé à l'histoire des ACADIENS et à celle des FRANCO-AMÉRICAINS.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'historiographie canadienne-française s'engage sur une nouvelle voie. En 1947, des départements d'histoire sont créés aux universités Laval et de Montréal. Calqués sur ceux des universités européennes et américaines, ils sont dotés de professeurs formés aux méthodes de l'historiographie professionnelle : Guy Frégault et Michel Brunet à Montréal, et Marcel Trudel à Québec. Dans les années 60, les départements d'histoire accueillent une foule d'étudiants, ce qui entraîne une augmentation du nombre de professeurs, de thèses de troisième cycle et de publications.

Les années 70 voient la création ou l'expansion des départements d'histoire de l'Université d'Ottawa, l'Université de Sherbrooke, et l'Université du Québec à Chicoutimi, Trois-Rivières, Rimouski et Montréal. En un quart de siècle, l'histoire, qui était avant 1945 le domaine exclusif d'amateurs et de quelques rares chercheurs de formation universitaire, est devenue une discipline universitaire majeure dans les universités et les instituts de recherche. La vitalité de la profession au Québec se reflète dans les conférences de l'Institut d'histoire de l'Amérique française (fondé en 1946), un corps d'historiens spécialisés dans l'histoire du Québec ou des Francophones qui en sont originaires.

Ces conférences annuelles, qui ne cessent d'élargir leurs horizons méthodologiques et idéologiques, constituent le meilleur forum de la province pour ce qui est de l'historiographie du Québec. L'Institut publie la REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE , devenue la revue la plus en vue pour les publications savantes sur l'histoire du Québec et du Canada français. D'autres périodiques comme Histoire sociale/Social History (fondé en 1968 à Ottawa) publient également des articles d'historiens qui étudient le Québec en appliquant de nouvelles méthodes développées en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis.

Plusieurs ouvrages se dégagent de l'abondante documentation publiée après 1945. Indifférents à l'idéologie religieuse, les disciples de l'abbé L.Groulx exposent de fortes positions politiques dans leurs ouvrages historiques : les écrits et enseignements de Maurice Séguin et de Michel Brunet, par exemple, ont influencé largement la pensée du mouvement souverainiste des années 60. L'émergence de l'histoire en tant que discipline universitaire entraîne une plus grande rigueur critique dans les ouvrages historiques, comme en témoignent les écrits et enseignements nombreux et méthodiques de Marcel Trudel.

Cependant, les sciences sociales ont eu un impact particulièrement salutaire sur l'historiographie depuis les années 60. L'Histoire économique et sociale du Québec, 1760-1850 (1966) de Fernand OUELLET constitue un jalon dans la vie intellectuelle québécoise. Ouellet intègre les facteurs économiques et sociaux avec plus de fermeté que ses prédécesseurs et tire des conclusions perspicaces qui minimisent le rôle de la Conquête comme facteur explicatif de l'infériorité économique des Canadiens français. Par la suite, il peaufine son modèle et provoque des débats fructueux avec ses pairs comme Jean-Pierre Wallot. Un autre exemple d'ouvrage historique basé sur les meilleures méthodes historiographiques contemporaines est celui de Louise Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVII siècle (1974).

PIERRE SAVARD

Historiographie de langue française depuis 1970

Depuis 1970, l'historiographie canadienne-française a à la fois perpétué la pratique d'antan et rompu avec elle. Les connaissances acquises précédemment sont certes demeurées importantes, mais en même temps, l'historiographie présente aujourd'hui une nouvelle image du Québec, reflétant sûrement les changements survenus dans le Québec moderne. Alors que les travaux d'autrefois mettaient en relief la nature unique de l'expérience historique du Québec (en particulier l'expérience des Canadiens français), il se dégage des tous derniers ouvrages une nette tendance à faire ressortir les similitudes entre l'évolution du Québec et celle d'autres sociétés.

Grâce aux pionniers de l'histoire sociale, des considérations d'ordre économique, social et culturel s'ajoutent maintenant aux préoccupations politiques et nationalistes qui ont caractérisé la plupart des ouvrages historiques précédents. L'histoire d'une nation, autrefois décrite des points de vue de l'harmonie, de la continuité et de l'homogénéité, devient graduellement celle d'une société plus diversifiée et conflictuelle qui accepte plus ou moins facilement le changement.

L'extension du réseau universitaire entraîne une explosion du nombre d'historiens professionnels. Aujourd'hui, bon nombre de personnes travaillant dans d'autres sciences sociales sont aussi des auteurs d'histoire. En travaillant avec les géographes, les sociologues, les économistes, les politologues, les anthropologues et les démographes, les historiens se sont enrichis. Il convient également de noter qu'à présent, la recherche en histoire et l'enseignement de cette discipline sont en grande partie aux mains de laïcs.

Aujourd'hui, la pratique de l'histoire est caractérisée par l'effort collectif. De grandes études sont effectuées par des équipes pluridisciplinaires de chercheurs, comme celle qui se penche sur l'histoire de la région du Saguenay. Dans le même ordre d'idées, des équipes de spécialistes étudient l'histoire de la Mauricie, des femmes, des travailleurs et des milieux d'affaires, ainsi que des livres et de l'édition, pour ne citer que ces exemples. La publication d'ouvrages collectifs est chose courante et de nombreux articles et livres sont cosignés par deux ou trois auteurs.

La production des historiens canadianistes francophones demeure largement concentrée sur le Québec ou le Canada français alors que les historiens canadiens-anglais s'intéressent davantage à l'histoire du Québec. Toutefois, ces deux historiographies se rapprochent maintenant davantage et montrent plus d'intérêt pour les périodes récentes.

L'historiographie récente s'aligne sur le pluralisme accru du Québec d'aujourd'hui, en offrant une palette de points de vue idéologiques. L'histoire professionnelle est présentement marquée par son désir de comprendre l'évolution historique de la société dans son ensemble. Quant à l'histoire sociale, son étude est plus dynamique que jamais, en particulier dans de nouveaux domaines comme l'histoire des femmes, l'histoire des travailleurs, l'histoire démographique, ainsi que les histoires rurale, urbaine et régionale.

Par ailleurs, l'histoire sociale est en train de redynamiser les anciens domaines d'étude : l'histoire économique met à présent l'accent sur la socio-économie; l'histoire des idées est devenue celle des idéologies; et l'histoire politique porte moins sur la vie d'éminents politiciens que sur leurs rapports avec leur parti, l'État et la société.

Même les plus vénérables des revues d'histoire spécialisées s'adaptent à ces changements. Parmi elles, on peut citer la Canadian Historical Review et la Revue d'histoire de l'Amérique française, ainsi que de nouvelles revues comme Social History/Histoire sociale, Labour/Le Travailleur (fondée en 1976) et Urban History Review/Revue d'histoire urbaine. Jamais les mémoires de maîtrise et les thèses de doctorat n'ont été aussi nombreux, et les nouvelles études se font connaître à travers les réunions annuelles des sociétés savantes et diverses conférences.

Grâce aux nouveaux et anciens thèmes d'étude, aux nouvelles questions et à de meilleures méthodes, l'historiographie canadienne-française est en pleine effervescence. Toutefois, cette histoire souvent passionnante en est encore à ses balbutiements. Comme toujours, on trouve aussi bien d'excellents ouvrages que d'autres de moindre valeur. Il reste que le plus frappant, c'est que contrairement à ce qui s'est passé pour les périodes précédentes, il est de plus en plus difficile de distinguer des chefs de file particuliers. C'est peut-être tout simplement parce que le Québec possède à présent des dizaines de bons historiens.

FERNANDE ROY

Voir aussiHISTORIOGRAPHIE; HISTORIOGRAPHIE DE LANGUE ANGLAISE.

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