L’histoire du film canadien : 1896 à 1938 | l'Encyclopédie Canadienne

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L’histoire du film canadien : 1896 à 1938

Le cinéma est une forme puissante d’expression culturelle et artistique. C’est aussi une entreprise commerciale très rentable. D’un point de vue pratique, le cinéma est une entreprise impliquant de grosses sommes d’argent, ainsi qu’une division complexe du travail. La main-d’œuvre est impliquée dans trois secteurs : la production, la distribution et l’exploitation.

 L’histoire de l’industrie canadienne du film est tissée de réussites sporadiques, accomplies dans l’isolement et en dépit de défis considérables. Le cinéma canadien existe dans un environnement où l’accès au capital pour la production, l’accès au marché pour la distribution et aux salles de cinéma pour l’exploitation est extrêmement difficile. L’industrie cinématographique canadienne, en particulier au Canada anglais, lutte contre le monopole du divertissement hollywoodien pour attirer l’attention d’un public qui reste largement indifférent à l’industrie nationale. Les principaux points de vente et de distribution au Canada sont détenus et contrôlés par des intérêts étrangers. L’absence de production nationale à travers une grande partie de l’histoire de l’industrie ne peut être comprise que dans ce contexte économique.

Cet article est l’un des quatre articles qui retracent l’histoire de l’industrie cinématographique au Canada. La série complète comprend :

Histoire du cinéma canadien : de 1896 à 1938 ; Histoire du cinéma canadien : de 1939 à 1973 ; Histoire du cinéma canadien : de 1974 à aujourd’hui ; Histoire du cinéma canadien : cinéma régional et auteurs, de 1980 à aujourd’hui

Back to God’s Country
Tourné près de Lesser Slave Lake, en Alberta, Back to God’s Country est le long métrage muet canadien le plus réussi de son époque. Son personnage féminin principal, d’une grande force de caractère, agit de façon héroïque et indépendante, allant même jusqu’à sauver un homme en détresse.

Voir aussi : Histoire du cinéma québécois : de 1896 à 1969Histoire du cinéma québécois : de 1970 à 1989 ; Histoire du cinéma québécois : de 1990 à aujourd’hui ; 30 Key Events in Canadian Film History; L’histoire du cinéma canadien en 10 étapes faciles ; Cinéma documentaire ; Cinéma d’animation ; Cinéma expérimental ;  La distribution de films au Canada ; Les 10 meilleurs films canadiens de tous les temps ;  English Canadian Films: Why No One Sees ThemOffice national du film du Canada ; Téléfilm Canada ;  Longs métrages canadiens  ; Enseignement du cinéma ; Festivals du film ;  Censure cinématographique ; Coopératives du film ; Cinémathèque Québécoise ;  L’art de la production cinématographique.

Années pionnières, 1896–1914

L’industrie du cinéma américain remonte à 1903, lorsque le film narratif (The Great Train RobberyUncle Tom’s Cabin) et le premier plateau de tournage éclairé entièrement à la lumière artificielle (à New York) font leur apparition. Mais il est pratiquement impossible de percevoir une industrie cinématographique canadienne à l’époque de la naissance du cinéma.

La première présentation publique d’un film au Canada a lieu le 28 juin 1896 à Montréal. Deux ans plus tôt, Andrew et George Holland, originaires d’Ottawa, avaient ouvert la première salle de projection de kinétoscope à New York en mettant en vedette la plus récente invention de Thomas Edison. En 1896, les frères Holland présentent le Vitascope d’Edison au public canadien, au West End Park à Ottawa. Le public voit, entre autres, The Kiss avec May Irwin, une comédienne de Broadway originaire de Whitby, en Ontario. La première projection à Toronto se déroule le 31 août suivant, au Musée Robinson sur la rue Yonge. La première projection de Vancouver a lieu en décembre 1898.

Les premiers films canadiens sont produits à l’automne 1897, une année après la première projection à Montréal. Ces films sont réalisés par James Freer, un fermier du Manitoba, et ils documentent la vie dans les Prairies. On trouve parmi ses films Arrival of CPR Express at Winnipeg, Pacific and Atlantic Mail Trains et Six Binders at Work in a Hundred Acre Wheatfield. En 1898, grâce à une commandite du Chemin de fer du Canadien Pacifique, James Freer fait le tour de l’Angleterre avec ses « films maison ». Ils portent le titre collectif de  Ten Years in Manitoba. Ces films connaissent un si grand succès que le gouvernement fédéral commandite une seconde tournée pour James Freer en 1902.

Un prospectus publicitaire pour Ten Years in Manitoba de James Freer
Un prospectus publicitaire pour Ten Years in Manitoba de James Freer : « 25 000 photos instantanées sur un demi-mille de film Edison, reproduisant la vie domestique et agricole du Grand Nord-Ouest"

La même année, le Canadien Pacifique engage une entreprise britannique ayant pour mandat de mettre sur pied une équipe de cinéastes, connue sur le nom de Bioscope Company of Canada, afin que celleci réalise Living Canada. Cette série composée de 35 scènes illustrant la vie au Canada est créée dans le but d’encourager l’immigration de citoyens britanniques. La série comprend le premier film de fiction réalisé au Canada : Hiawatha, The Messiah of the Ojibway (1903), d’une durée de 15 minutes. Également en 1903, Léo-Ernest Ouimet met sur pied le tout premier centre canadien de distribution de films à Montréal. Il y ouvre également les portes de la première salle de cinéma, en 1906, suivie en 1907 du plus grand cinéma de prestige en Amérique du Nord (1 200 sièges), également à Montréal.

Le Canadien Pacifique continue de produire des films faisant la promotion de l’immigration jusque dans les années 1930. En 1910, le CP engage la Edison Company pour réaliser 13 films ayant pour but de mettre en scène les valeurs associées à l’immigration dans l’Ouest canadien (voir aussi : Histoire de la colonisation des prairies canadiennes). Ces films promotionnels sont représentatifs de la majorité des productions canadiennes de l’époque, jusqu’en 1912. Ils sont financés par des Canadiens, mais réalisés par des non-Canadiens. Leur objectif est de vendre le Canada ou les produits canadiens à l’étranger. Les quelques Canadiens à produire leurs propres films (comme Ouimet à Montréal, Henry Winter à Terre-Neuve et George Scott à Toronto) réalisent uniquement des films d’actualités ou des récits de voyage. Pendant ce temps, les compagnies cinématographiques américaines commencent à utiliser le Canada comme décor pour des films narratifs. Ils mettent en vedette d’infâmes bûcherons canadiens-français, des métis, des prospecteurs d’or ainsi que la noble Gendarmerie royale.

Après 1912, les compagnies cinématographiques de plusieurs villes canadiennes commencent à réaliser des films de fiction, ainsi que des documentaires. À Halifax, la Canadian Bioscope Company réalise le premier long métrage canadien, Evangeline (1913). Le film est basé sur le poème de Longfellow inspiré de la déportation des Acadiens. Ce film est applaudi par la critique et est un succès financier. La compagnie réalise plusieurs autres films moins populaires, avant de fermer ses portes en 1915. La British American Film Company de Montréal, une des multiples compagnies de la ville à connaître une brève existence, réalise The Battle of the Long Sault (1913). À Toronto, la Conness Till Film Company réalise plusieurs films comiques et films d’aventure en 1914 et 1915. À Windsor, en Ontario, la All Red Feature Company réalise The War Pigeon (1914), un drame sur la guerre de 1812.

Les personnages Hiawatha, Minnehaha et Old Arrowmaker
Hiawatha, The Messiah of the Ojibway, premier film dramatique narratif canadien, est tourné à Desbarats, en Ontario, près de Sault Ste. Marie à l’été 1903.

Premiers censeurs gouvernementaux et offices du film

Dès le début, la réglementation concernant le contenu des films, leur distribution et leur exploitation est une question provinciale. Chaque province établit ses propres normes et pratiques. En 1911, l’Ontario met sur pied la première commission de contrôle cinématographique d’Amérique du Nord et le Manitoba adopte une loi déléguant la censure des films à Winnipeg. La commission de l’Ontario est considérée comme étant la référence absolue à travers les juridictions nord-américaines. La Colombie-Britanniquel’Alberta et le Québec établissent des commissions de contrôle en 1913. Le Manitoba fonde une commission provinciale en bonne et due forme en 1916.

L’Ontario Motion Picture Bureau (OMPB) est le premier organisme au monde parrainé par l’État. Il est fondé en mai 1917 dans le but d’offrir « des œuvres éducatives aux fermiers, aux écoliers, aux ouvriers et aux autres classes ». Son mandat est de réaliser des films qui feront la promotion de l’Ontario et favorisera les projets d’infrastructure. Initialement, l’OMPB attribue la production à des compagnies privées de Toronto. En 1923, il fait l’acquisition des Trenton Studios et commence à produire ses propres films (le premier studio de cinéma au Canada, le Trenton Studios, ouvre ses portes en tant que Adanac Films à Trenton, en Ontario, en 1917).

À son apogée en 1925, l’OMPB distribue 1 500 bobines de film par mois. Une pellicule 28mm non commerciale est employée afin d’éviter le risque d’incendie que pose la pellicule de nitrate 35mm. Son système de distribution devient dépassé vers la fin des années 1920, quand la pellicule 16mm remplace la pellicule 28mm. Devenu inefficace et non pertinent, l’OMPB ferme le 26 octobre 1934. Il a toutefois établi un héritage d’implication gouvernementale dans la cinématographie canadienne ; ceci deviendra une caractéristique fondamentale de l’industrie du cinéma canadien.

Caméramans à l’extérieur du Canadian Government Motion Picture Bureau
Un groupe de caméramans à l’extérieur du Canadian Government Motion Picture Bureau, Ottawa, Ontario, 1923.

Le Canadian Government Motion Picture Bureau est, à l’origine, fondé sous le nom d’Exhibits and Publicity Bureau en 1918. Il constitue le premier organisme national de production de films au monde. Son objectif est de réaliser des films faisant la promotion des secteurs du commerce international et de l’ industrie au Canada. Comme le souligne le ministre du Commerce en 1924, l’organisme « est mis sur pied dans le but de promouvoir les attractions touristiques du Canada à l’étranger, ainsi que ses ressources agricoles et son développement industriel ».

Le Bureau produit une série de courts métrages cinématographiques intitulée Seeing Canada. Cette série est distribuée dans les cinémas canadiens et à l’étranger. Dès 1920, le Bureau détient le plus grand studio et l’installation de post-production la plus importante au Canada. Il distribue ses films dans de nombreux pays à travers le monde. Toutefois, malgré toutes ses réussites en matière de production et de distribution, le Bureau ne tente jamais de développer une industrie de production cinématographique nationale au Canada. En fait, il travaille activement à décourager son développement. Il favorise plutôt un modèle commercial dans lequel le Canada est vu comme étant une filiale de l’industrie américaine (voir aussi :Théorie des principales ressources). Le premier directeur du Bureau, Bernard E. Norrish, déclare que le Canada « n’a pas plus besoin d’un studio de cinéma de grande envergure qu’Hollywood n’a besoin d’une usine de pâte et papier. »

Le Bureau met l’accent sur les récits de voyage et les films industriels tout au long des années 1920 et 1930. Il tente sporadiquement de créer des projets plus significatifs, tels que Lest We Forget (1935) et The Royal Visit (1939). Cependant, le Bureau n’effectue le virage vers les films sonores qu’en 1934. Il est remplacé en 1939 par l’Office national du film (ONF), qui l’absorbe officiellement en 1941.

Allen Theatre
Le magnifique Allen Theatre, « le théâtre cinématographique le plus raffiné et moderne au Canada », sur la rue West Georgia à Vancouver en 1921.

Expansion et production, 1917 à 1923

La croissance du nationalisme canadien engendré par la Première Guerre mondiale génère une brève frénésie au sein de la production et des autres aspects de l’industrie cinématographique canadienne. Les premiers films d’actualités canadiens à diffusion large font leur apparition. La production de longs métrages prend également de l’ampleur, tout comme la chaîne de cinémas canadiens Allen Theatres et les entreprises de distribution y étant liées. Les Bureaux de cinéma mis sur pied par le gouvernement de l’Ontario en 1917 et par le gouvernement fédéral en 1918, contribuent également à l’expansion de ces activités.

Cette période optimiste d’expansion est menée par un certain nombre de producteurs entreprenants. George Brownridge est le promoteur principal du premier studio cinématographique au Canada, Adanac Films (ouvert en 1917 à Trenton, en Ontario). Il produit trois longs métrages, y compris le film anti-communiste The Great Shadow (1919). Léo-Ernest Ouimet est un producteur, exploitant et distributeur qui met sur pied la première distribution de films en 1903. Il ouvre également le premier cinéma de prestige à Montréal en 1907. Blaine Irish est à la tête de Filmcraft Industries. Il produit le long métrage Satan’s Paradise (1922) ainsi que deux séries de courts métrages à succès. Bernard Norrish est le premier dirigeant du Canadian Government Motion Picture Bureau. Il devient plus tard le dirigeant de l’Associated Screen News (ASN). Charles et Len Roos sont producteurs, réalisateurs et caméramans pour plusieurs films, dont Self Defence (1916). Et finalement, A.D. « Cowboy » Kean est l’un des premiers caméramans et producteurs.

Toutefois, le producteur canadien à connaître le plus grand succès durant cette période est Ernest Shipman. Sa réputation de promoteur est déjà établie aux États-Unis. Il revient au Canada en 1919, accompagné de sa femme Nell Shipman, auteure et actrice, pour produire Back to God’s Country (1919) à Calgary. Ce film d’aventure aux accents romantiques sur une héroïne combative triomphant sur la corruption est distribué à travers le monde. Il rapporte un bénéfice de 300 % à ses bailleurs de fonds de Calgary, en grande partie grâce à la nudité avant-gardiste de Nell Shipman dans le film.

Ernest Shipman
Ardent promoteur de l’établissement d’une industrie cinématographique canadienne, Ernest Shipman croit en l’importance de tourner les films à l’endroit où l’action se déroule (dans ses mots, « raconter la vraie histoire en images »); il parle souvent de rapatrier les nombreux acteurs canadiens qui travaillent à Hollywood.

Au cours des trois années suivantes, Ernest Shipman établit des entreprises dans plusieurs villes canadiennes. Il produit un certain nombre de longs métrages basés sur des romans canadiens. Ces films ne sont pas tournés en studio, conformément à la pratique courante de l’époque, mais plutôt à l’extérieur. Bien que ces films, comme God’s Crucible (1920), Cameron of the Royal Mounted (1921), The Man from Glengarry (1922) et  The Rapids (1922), ne sont pas aussi rentables que son premier long métrage, ils n’en sont pas pour le moins des échecs. Seul son dernier film, Blue Water (1923), tourné au Nouveau-Brunswick et mettant en vedette Norma Shearer, la future vedette des studios Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), est un désastre. Shipman quitte le Canada en 1923 et meurt en 1931, dans un anonymat relatif.

Le départ de Ernest Shipman marque également la fin d’un léger essor de production au Canada. En 1923, seuls deux longs métrages sont produits au Canada, comparativement à neuf en 1922. Même la production de courts métrages connaît un déclin important. Toutefois, le nombre de films hollywoodiens comportant des scénarios canadiens augmente nettement.

Pendant le reste des années 1920, la production canadienne se compose principalement d’encarts pour des films d’actualités américains, de courts métrages commandités et de documentaires produits par les bureaux cinématographiques gouvernementaux, et par quelques entreprises privées. L’industrie connaît un bref regain en 1927, lorsque des investisseurs privés donnent 500 000 $ pour réaliser Carry on Sergeant !, un drame muet sur la vie des Canadiens pendant la Première Guerre mondiale. Le film est écrit et réalisé par l’auteur britannique et bédéiste Bruce Bairnsfather. Bien qu’accueilli chaleureusement par la critique, le film est présenté au tout début de l’ère des films sonores et disparaît donc des écrans quelques semaines seulement après sa sortie.

Nell Shipman dans Back to God’s Country
Contrairement aux films hollywoodiens, de nombreux films canadiens des premières années sont tournés sur place, une rareté pour les films muets de l’époque.

L’Association canadienne des distributeurs de films et Famous Players ; l’acquisition de 1923

Traditionnellement, le secteur de la propriété de salles de cinéma est le plus lucratif de l’industrie cinématographique. Un propriétaire de salle peut habituellement réclamer jusqu’à 50 % des recettes de chaque billet vendu. En raison du coût élevé de la production de films, une distribution étendue est essentielle au succès commercial de chaque film. Dans les années 1920, les principaux studios hollywoodiens (Paramount, RKO, 20 th Century Fox, MGM et Warner Bros.) adoptent un modèle de propriété à intégration verticale. Ceci leur permet de combiner la production et la distribution sous un même toit. Les principaux studios s’alignent ensuite avec les grandes chaînes nationales de cinémas pour garantir la sortie de leur produit. Dans certains cas, ils vont jusqu’à acheter les chaînes de cinémas.

Motion Picture Exhibitors and Distributors of Canada (MPEDC) est formé en 1924 (il deviendra la Canadian Motion Picture Distributors Association, ou CMPDA en 1940. Depuis 2011, on l’appelle Motion Picture Association – Canada). Malgré son nom canadien, l’association est constituée de bureaux canadiens pour les principaux distributeurs américains. Elle agit essentiellement à titre de succursale de la Motion Picture Producers and Distributors Association of America. Dans le but de calculer les revenus nationaux bruts, les distributeurs américains commencent à inclure le Canada dans leurs résultats nets.

En 1923, l’américain N.L. Nathanson, propriétaire de la Famous Players Canadian Corporation (FPCC) basée à Toronto, achète les 53 cinémas canadiens Allen Theatres. Famous Players devient ainsi le principal propriétaire de cinémas au Canada et contrôle alors le secteur canadien de l’exploitation. Cependant, FPCC appartient à la Paramount Pictures d’Adolf Zukor. Par conséquent, celui-ci, au moyen de sa société de portefeuille, s’empare du contrôle direct du marché de l’exploitation au Canada.

En 1930, sous le Federal Combines Investigation Act, le premier ministre R.B. Bennett nomme Peter White pour mener une enquête sur plus de 100 plaintes formulées à l’endroit des intérêts cinématographiques américains actifs au Canada. Le rapport produit par Peter White établit que la collusion de Famous Players est « nuisible à l’intérêt public ». Les provinces de l’Ontario, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique intentent alors une poursuite judiciaire en Ontario contre la Famous Players Canadian Corporation et le cartel de distribution américain, représenté par la CMPDA. Suite à un long procès, la FPCC et les autres défendeurs sont déclarés non coupables de trois chefs d’accusation de « conspiration et collusion ».

Une décision défavorable au cartel américain aurait marqué un tournant historique pour l’avenir de la cinématographie au Canada. À ce moment, l’Associated Screen News et les agences gouvernementales produisent toujours des films. Ils subissent cependant des compressions budgétaires durant la crise des années 1930. Pendant ces années, l’industrie cinématographique du Canada devient pratiquement une succursale d’Hollywood.

Le Capitol Theatre de Vancouver
Le Capitol Theatre de Vancouver, « une maison de cinéma de première classe », sur la rue Granville en 1926. Il est construit par Famous Players, qui le transforme en cinéma multiplex Capitol 6 en 1976.

Programme des « Quota Quickies »

Les industries cinématographiques européennes sont également menacées par la domination d’Hollywood au cours des années 1920. Mais la plupart de leurs gouvernements réagissent rapidement pour protéger leurs industries nationales. En général, ils prennent le contrôle des entreprises d’exploitation et de distribution, ou encouragent la production nationale. Le Canada ne prend pas de mesures comparables.

Une de ces mesures de protection est mise en place au Royaume-Uni. La loi Cinematographic Films Act of 1927 est adoptée et entre en vigueur en 1928. Selon cette loi, 15 % des films projetés au Royaume-Uni doivent provenir d’un pays britannique ou faisant partie du Commonwealth. Entre 1928 et 1937, un total de 22 longs métrages à petit budget sont produits au Canada par des sociétés canadiennes financées par des intérêts américains, afin de profiter du quota. Ces films sont connus sous le nom de « quota quickies ».

Suite à l’introduction de cette loi, des compagnies de production ouvrent leurs portes à Calgary, Montréal et Toronto. Le plus important producteur de « quota quickies » est Kenneth Bishop de Victoria, en Colombie-Britannique. Il produit deux films (entre 1932 et 1934) par le biais de sa compagnie Commonwealth Productions, et 12 autres films en trois ans (de 1935 à 1937) grâce à sa seconde compagnie, Central Films. Seuls quelques-uns de ses films se déroulent au Canada. Ils sont tous essentiellement des films hollywoodiens de série B. La post-production et le montage des films de Kenneth Bishop sont effectués à Hollywood. Ceci permet à ses financiers, Columbia Pictures, d’approuver le produit final.

La loi relative aux quotas est renouvelée par le gouvernement britannique en 1938. Celle-ci est modifiée afin de supprimer l’inclusion des films du Commonwealth. Ceci est dû en grande partie à la manière dont le Canada a contourné la loi. Les provinces de l’Ontario, du Québec et de l’Alberta tentent d’introduire des quotas provinciaux pour les films britanniques. Mais aucun de leurs projets de loi n’est adopté.

Dans son livre One Hundred Years of Canadian Cinema, George Melnyk présente la thèse selon laquelle les « quota quickies » « ont tenu leur propre rôle historique dans la transition du Canada, de son passé colonial britannique vers son nouveau maître impérial, les États-Unis ». Comme le souligne Lewis Selznick, l’un des premiers producteurs hollywoodiens : « Si les histoires canadiennes valent la peine d’être transformées en films, des entreprises américaines seront envoyées au Canada pour les réaliser ».

Un critique britannique, dans son évaluation d’un des nombreux films de gangsters de Bishop, écrit : « Ce film vient du Canada et, aux fins de comptabilisation des quotas, compte comme film britannique, mais dans le contenu, le traitement et le jeu des comédiens, il est en tous points identique aux films de complément mélodramatiques typiquement américains. »

Des années d’inaction

L’unique long métrage canadien digne de mention lors de cette période est The Viking (1931). Il illustre la vie dangereuse des chasseurs de phoques de Terre-Neuve. Le film est réalisé à Terre-Neuve entre 1930 et 1931 par l’aventurier américain Varick Frissell. Techniquement, ce film n’est pas une production canadienne. Mais il est l’exemple parfait de ce qui définira le genre cinématographique canadien : les drames documentaires. Ces films mêlent la fiction et la réalité, ils sont riches en sentiment d’appartenance et ils explorent la relation entre le peuple et son environnement. Cette approche apparaît dès les débuts du cinéma canadien et elle distingue plusieurs films canadiens réalisés par la suite.

Dans les années 1930, cependant, l’approche du drame documentaire se fait plus rare. L’industrie commerciale s’éteint, le gouvernement libéral provincial cause la fermeture du Ontario Motion Picture Bureau, et le studio de Trenton ferme ses portes. Même le Government Motion Picture Bureau devient stérile. Seules les œuvres d’une poignée d’individus (particulièrement de Bill Oliver en Alberta, ainsi que d’Albert Tessier et de Maurice Proulx au Québec) ainsi que de l’Associated Screen News (fondée à Montréal en 1920 et active jusqu’en 1958) évoquent un sentiment continu de vitalité créative. L’ASN produit principalement des films d’actualités et des films commandités. Mais il produit deux séries de courts métrages largement diffusés : Kinograms, dans les années 1920, et la série Canadian Cameo, réalisée entre 1932 et 1953. Supervisés et habituellement réalisés par Gordon Sparling, ces films font preuve de perspicacité et d’imagination. Ils constituent pratiquement l’unique représentation du Canada à cette époque, à l’échelle nationale et à l’étranger.

Un seul long métrage est réalisé au Canada anglais au cours des années 1940 : Bush Pilot (1946), une reproduction du film hollywoodien Captains of the Clouds (1942). Une copie du film a été restaurée par les  Archives nationales du Canada (maintenant Bibliothèque et Archives Canada) et par le réseau de télévision TMN.

Maurice Proulx
Le long-métrage, En pays neuf, est le film le plus célèbre de Maurice Proulx.

Cet article est l’un des quatre articles qui retracent l’histoire de l’industrie cinématographique au Canada. La série complète comprend :

Histoire du cinéma canadien : de 1896 à 1938

Histoire du cinéma canadien : de 1939 à 1973

Histoire du cinéma canadien : de 1974 à aujourd’hui

Histoire du cinéma canadien : cinéma régional et auteurs, de 1980 à aujourd’hui

Voir aussi : Histoire du cinéma québécois : de 1896 à 1969Histoire du cinéma québécois : de 1970 à 1989 ; Histoire du cinéma québécois : de 1990 à aujourd’hui ; 30 Key Events in Canadian Film History; L’histoire du cinéma canadien en 10 étapes faciles ; Cinéma documentaire ; Cinéma d’animation ; Cinéma expérimental ;  La distribution de films au Canada ; Les 10 meilleurs films canadiens de tous les temps ;  English Canadian Films: Why No One Sees ThemOffice national du film du Canada ; Téléfilm Canada ;  Longs métrages canadiens  ; Enseignement du cinéma ; Festivals du film ;  Censure cinématographique ; Coopératives du film ; Cinémathèque Québécoise ;  L’art de la production cinématographique.

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