Le glissement de Frank : l'éboulement le plus meurtrier de l'histoire canadienne | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Le glissement de Frank : l'éboulement le plus meurtrier de l'histoire canadienne

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Le soir du 28 avril, Lillian Clarke, âgée de 15 ans, finit tard de travailler à l'hôtel de Frank. Son employeur lui propose donc de dormir sur place. C'est la première fois qu'elle passe la nuit à l'extérieur de chez elle. Sa mère, Amelia, n'a jamais fait confiance aux précédents propriétaires de l'hôtel et n'aurait jamais laissé son aînée y dormir, quelle que soit l'heure à laquelle elle aurait cessé de travailler. Or, l'hôtel a de nouveaux propriétaires, des gens dignes de confiance. Lillian peut y rester pour la nuit. Amelia Clark ne peut pas savoir que la confiance qu'elle leur témoigne va sauver la vie de sa fille.

À l'aube du 29 avril 1903, dès 4 h 10 et pendant 90 secondes, 82 millions de tonnes de roche calcaire se détachent du versant est du mont Turtle et s'engouffrent dans le col du Crowsnest Pass. L'éboulement emporte l'entrée d'une mine de charbon, deux kilomètres de voie ferrée, deux ranchs et une partie de la ville de Frank (à l'époque faisant partie des T.N.-O., aujourd'hui située en Alberta). Sur les 600 habitants de la petite ville, près de 100 se trouvent sur le parcours de l'éboulement, dont un nombre estimé à 70 y laissent leur vie - le compte exact des victimes ne sera jamais connu. Il se peut qu'il y ait eu dans le secteur des gens inconnus de ceux qui ont répertorié les morts. Il y a 23 survivants, surtout des enfants.

Les sauveteurs parviennent à rescaper des débris 23 hommes, femmes et enfants, mais au moins 70 autres personnes trouvent la mort.

Les gens des nations Pieds-Noirs et Kutenai parlent du mont Turtle comme de « la montagne qui bouge ». Leurs histoires laissent entendre qu'ils ne se risqueraient pas à y camper à proximité. Cette montagne a été ainsi baptisée par un éleveur, Louis Garnett, qui trouvait qu'elle ressemblait à une tête de tortue, une carapace s'élevant derrière elle.

Il y a de cela 70 à 80 millions d'années, la montagne, maintenant haute de 2000 m, s'est soulevée en se frayant un chemin à travers les Rocheuses, et en recouvrant des dépôts structurellement plus faibles de roche calcaire et de charbon. Un mouvement supplémentaire a fait craquer le « V » inversé du sommet de la montagne, creusant un passage pour l'eau, ouvrant des fissures et des cols, endroits où l'eau pouvait stagner et, avec le gel, prendre de l'expansion, créant ainsi une pression interne. Par la suite, l'exploitation minière a contribué à fragiliser encore davantage la montagne.

L'hiver 1902-1903 connaît un temps plus neigeux que d'habitude. Avril étant exceptionnellement chaud, les eaux de fonte et la pluie ont le temps de s'infiltrer dans les fissures de la montagne avant que la température ne redescende. Le 28 avril, cette eau gèle et la montagne, qui bouge alors vraiment, atteint son point de rupture.

Après le glissement, des histoires de survie miraculeuse circulent et engendrent au moins une « légende urbaine. » Tous ceux qui ont entendu parler de la catastrophe connaissent le récit de la fillette, la seule survivante, qui aurait été trouvée sur le rocher. Il n'est pas véridique, mais serait toutefois inspiré d'un fait réel. En effet, trois petites filles survivent au glissement. Fernie Watkins est retrouvée dans les débris. Marion Leitch, qui a quinze mois, est éjectée de sa maison et retrouvée sur une botte de foin - c'est probablement elle qui est à l'origine de l'histoire du bébé retrouvé sur le rocher. Quant à Gladys Ennis, âgée de 27 mois à l'époque, elle est sortie de la boue par sa mère, Lucy, qui lui sauve la vie en lui enlevant du nez et de la bouche la boue qui s'y était infiltrée. Dernière survivante de la catastrophe, Gladys s'éteindra en 1995 à Bellevue dans l'État de Washington.

Lillian Clark n'est pas la seule personne qui échappe au désastre en n'étant pas chez elle, mais son histoire est sûrement la plus tragique. Sa mère et ses six frères et sœurs figurent parmi les victimes. Quant à son père, Alfred, il travaille dans la mine cette nuit-là, mais s'arrête à quatre heures pour prendre sa pause repas. Avec un autre mineur, il se trouve à l'extérieur de la mine quand l'éboulement meurtrier les terrasse. Les autres mineurs de leur équipe, encore à l'intérieur de la mine, parviennent à se frayer un chemin à travers les débris et s'en sortent indemnes.

Douze corps sont sortis des gravats dans les jours qui suivent le drame. La mine est rouverte en quelques semaines et la section de voie ferrée emportée est reconstruite. La ville est déplacée et la vie reprend son cours. En 1906, une route est construite sur les lieux du glissement et, en 1922, une équipe d'ouvriers travaillant à sa restauration, trouve des ossements humains parmi les roches. On pense qu'il s'agit de la famille Clark, soit la mère de Lillian et ses frères et soeurs.

Aujourd'hui, les localités de Frank et de Hillcrest s'étendent à l'ombre de la montagne qui continue à bouger. L'avancée montagneuse et le vaste champ de pierres témoignent toujours du plus important glissement rocheux à s'être produit au Canada.

En savoir plus

Avalanche, Col Rogers
Article
Avalanche