Contexte
Les années 1830 au Bas-Canada sont pleines de tensions. Cela fait déjà plusieurs années que le Parti patriote lutte pour une réforme politique du gouvernement colonial. Comme ses demandes ne cessent d’être rejetées par le gouvernement britannique, tel qu’explicité par les résolutions de Russell, nombre de patriotes sont frustrés qu’une véritable réforme de la colonie et de la constitution prenne tant de temps (voir 92 résolutions). C’est pourquoi les patriotes sont nombreux à se mobiliser au mois de septembre 1837 pour former la Société des Fils de la Liberté, une organisation paramilitaire. Le groupe emprunte son nom aux Sons of Liberty, une société secrète créée par Samuel Adams pendant la révolution américaine. Si d’autres groupes se forment à La Prairie (sur la rive sud du fleuve, dans la région de Montréal), dans la région du Richelieu et au nord de Montréal, c’est à Montréal même que l’organisation est la plus populaire.
Membres et manifeste
La première réunion des Fils de la Liberté a lieu à Montréal le 5 septembre. Quelques-uns des meneurs patriotes les plus influents y assistent, dont Robert Nelson, André Ouimet et Édouard Rodier. Les Fils de la Liberté sont divisés en deux branches : politique et militaire. Tandis que la branche politique appuie les patriotes au moyen de discours publics et d’éditoriaux, la division militaire jure de se battre au nom des patriotes et, au besoin, d’employer la force. André Ouimet est élu chef de la branche politique, et Thomas Storrow Brown est désigné chef de la branche militaire. Parmi les autres membres importants, on compte Louis-Joseph Papineau et Edmund Bailey O’Callaghan. Le fils et le cousin de Louis-Joseph Papineau, Amédée et André-Benjamin Papineau, font également partie de la Société.
Au début du mois d’octobre 1837, le groupe fait paraître un manifeste intitulé Adresse des Fils de la Liberté de Montréal aux jeunes gens des colonies de l’Amérique du Nord, qui s’en prend à la gouvernance britannique et défend le droit du peuple de former son gouvernement comme de choisir de devenir indépendant. Le manifeste encourage le peuple de la colonie à se ranger derrière les patriotes. Le mouvement prend rapidement de l’ampleur et devient très populaire auprès des jeunes professionnels, des étudiants et des membres de la petite bourgeoisie. Certains estiment qu’il compte près de 2000 membres à Montréal, parmi lesquels George-Étienne Cartier, Louis Perrault et François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier.
Doric Club vs Fils de la Liberté
Malgré le nombre élevé de partisans des patriotes, le groupe se heurte à une opposition farouche à Montréal : en effet, les constitutionnalistes font front commun contre les Fils de la Liberté. Ils ne sont pas qu’hostiles aux patriotes, mais cherchent également à limiter le pouvoir politique des Canadiens français dans l’espoir de les assimiler. En 1836, plusieurs d’entre eux, menés par Adam Thom, forment eux aussi une association politique paramilitaire de jeunes loyalistes anglophones, qu’ils baptisent le Doric Club, afin de défendre, par tous les moyens nécessaires, les intérêts britanniques au Bas-Canada.
Le 6 novembre 1837, les deux groupes se rencontrent enfin face à face. Ce jour-là, les Fils de la Liberté tiennent une assemblée publique à Montréal. Elle doit à l’origine avoir lieu à la place d’Armes. Toutefois, le Doric Club n’est pas d’accord. Le matin du 6 novembre, ses membres placardent la ville d’affiches enjoignant aux citoyens de se rencontrer à la place d’Armes afin de mettre un terme à la « rébellion ». Pressentant une confrontation, des magistrats avaient fait paraître une proclamation plusieurs jours auparavant interdisant toute manifestation publique. Louis-Joseph Papineau lui-même demande aux Fils de la Liberté de laisser tomber leur assemblée. Bien que ces derniers renoncent finalement à leur assemblée publique, ils tiennent un conseil sur une propriété privée. André Ouimet et Edward Bailey O’Callaghan, entre autres, prononcent des discours à cette occasion. Après la rencontre, des membres du Doric Club confrontent les Fils de la Liberté et vont jusqu’à vandaliser les demeures de patriotes influents, tels que T. S. Brown, Joshua Bell et Robert Nelson, ainsi que les bureaux du Vindicator,un journal de langue anglaise qui appuie les patriotes. André Ouimet est blessé au genou pendant la confrontation. La demeure de Louis-Joseph Papineau est également prise pour cible, mais des soldats empêchent finalement les membres du Doric Club de l’endommager.
Après cette confrontation, plusieurs membres sont forcés de trouver refuge à la campagne. La Société se dissout peu de temps après.
Rébellion
L’affrontement violent entre les Fils de la Liberté et le Doric Club donne aux autorités coloniales un prétexte parfait pour lancer des mandats d’arrestation contre des membres importants du Parti patriote, ce qui mène éventuellement à la rébellion, à laquelle participent d’ailleurs plusieurs membres et meneurs des Fils de la Liberté. Par exemple, tandis qu’André-Benjamin Papineau prend part à la bataille de Saint-Eustache et Thomas Storrow Brown à la bataille de Saint-Charles, Edward Bailey O’Callaghan incite le peuple de la colonie à la révolte. Malgré son exil aux États-Unis, il continuera pendant des mois de promouvoir la cause des patriotes, cherchant même activement du soutien parmi les Américains (voir Jeune République américaine et rébellions canadiennes de 1837- 1838).