« Le premier vrai libraire du Bas-Canada »
Les détails de l’enfance d’Édouard-Raymond Fabre, né le 15 septembre 1799, demeurent inconnus des historiens. On sait toutefois qu’il grandit à Montréal au sein d’un milieu relativement modeste, son père exerçant le métier de charpentier. Édouard-Raymond Fabre est en outre inscrit au Petit séminaire de Montréal de 1807 à 1812. À 14 ans, il commence à travailler pour l’une des entreprises les plus prospères de Montréal : la quincaillerie d’Arthur Webster. C’est en 1822 que Fabre quitte Montréal pour Paris, où il est employé aux célèbres Galeries Bossange ; il y apprend l’art de tenir une librairie. Il retourne à Montréal l’année suivante pour mettre en pratique ses nouvelles connaissances. Selon l’historien Jean-Louis Roy, Fabre devient alors le « premier vrai libraire du Bas-Canada ».
En 1823, Fabre achète à Théophile Dufort la librairie montréalaise qui avait autrefois appartenu à Bossange. De 1823 à 1828, elle est connue sous le nom de Librairie française ou encore de Librairie Édouard-Raymond Fabre. Plus qu’une simple librairie, l’endroit devient le lieu de rencontre privilégié des Patriotes. En 1828, il se lance en affaires avec son beau-frère Louis Perrault, lui-même un Patriote d’importance ; leur collaboration prend fin en 1835. Il tisse une nouvelle alliance d’affaires en 1844, avec son neveu Jean-Adolphe Gravel. Ce partenariat dure jusqu’à la mort de Fabre en 1854.
La librairie de Fabre s’attire une grande variété de clients, parmi lesquels on retrouve des avocats, des médecins, des professeurs, des étudiants et des membres du clergé. Selon Jean-Louis Roy, la librairie offre une sélection variée, mais assez modeste de livres traitant de toutes sortes de sujets, notamment d’histoire, de droit et de politique (vers la fin de sa carrière de libraire, il tient plutôt des livres et des traités religieux), ainsi que des articles de papeterie comme des enveloppes, des stylos, des cartes géographiques et des objets religieux. La librairie de Fabre est également dépositaire des documents de l’Assemblée législative et du Parlement impérial relatifs à la colonie.
Patriote
Édouard-Raymond Fabre est aussi un Patriote et, bien qu’il n’ait pas de siège à l’Assemblée législative, il joue un rôle important au sein du mouvement. Par exemple, en 1832, il prend part à la création de la Maison canadienne de commerce, qui a pour but de soutenir les commerces canadiens-français. En 1834, il joue un rôle majeur dans la création de la Banque du peuple et agit en tant que trésorier au moment de son ouverture en 1835. Cette année-là, aux côtés d’autres Patriotes connus, dont Augustin-Norbert Morin, Denis-Benjamin Viger et Edmund Baily O’Callaghan, il met sur pied l’Union patriotique de Montréal qui, selon Le Canadien, agit comme une source de « résistance face aux abus du pouvoir ».
Fabre met également ses ressources financières florissantes au service de ses amis et alliés des Patriotes. Par exemple, il finance La Minerve, de Ludger Duvernay, et achète le Vindicator and Canadien Advertiser afin d’assurer la survie et la circulation des deux journaux patriotes ; il organise même une collecte de fonds pour aider Duvernay après son incarcération.
Bien que son nom soit aujourd’hui moins connu que ceux d’autres Patriotes, tels que Viger, O’Callaghan, Duvernay ou Louis-Joseph Papineau, Fabre laisse sa marque dans l’histoire du mouvement. Sa librairie devient un point de rencontre pour les Patriotes de la ville et, dès 1836, accueille également les rencontres de la Société Saint-Jean-Baptiste. Fabre est également un conseiller de Papineau et prend une part active aux manifestations et aux rencontres de l’été 1837. Pendant la rébellion, Fabre va rejoindre Papineau et O’Callaghan à Saint-Denis pour les convaincre de prendre la fuite aux États-Unis ; Fabre, pour sa part, reste derrière, demeurant quelque temps à Contrecœur ou dans les environs en tentant de se faire discret. Il est arrêté en décembre 1838, mais relâché peu de temps après, faute de preuves contre lui.
Après la rébellion
Après la rébellion, Édouard-Raymond Fabre continue de prodiguer son soutien à ses amis et alliés Patriotes. En 1842, il aide Duvernay à réorganiser les effectifs de La Minerve ; il se montre également indispensable au moment de faire revenir au Bas-Canada ses compagnons exilés politiques. En tant que trésorier de l’Association de la délivrance, il amasse plus de 2300 livres sterling pour financer leur retour, en plus de mettre sur pied des pétitions pour leur venir en aide qu’il enverra lui-même à Londres. En 1844, le ministère britannique des Colonies approuve le retour des exilés politiques ; en 1846, les derniers d’entre eux arrivent au Canada-Est.
Fabre rêve du retour de Louis-Joseph Papineau en politique et au Canada ; il ira jusqu’à lui rendre visite à Paris en 1843, où ils discuteront de l’éventualité du retour de l’ancien meneur. La colonie est encore une fois divisée sur le plan politique, cette fois entre les réformateurs de Louis-Hippolyte La Fontaine et les partisans de Viger, plus radical. Fabre croit fermement que seul le retour de Papineau pourra mettre fin à cette discorde : il s’attend en effet à ce que sa seule présence à l’Assemblée législative de la Province du Canada restitue son statut de leader et apaise les tensions. Lorsque Papineau effectue toutefois son retour à l’Assemblée, en 1848, cet espoir est rapidement déçu. L’ancien leader, en effet, divise par trop l’opinion ; son radicalisme cadre mal avec les réformateurs de La Fontaine comme avec les principes de La Minerve de Duvernay.
À cette époque, Fabre soutient le Parti rouge, quoiqu’il en soit l’une des voix les plus modérées. Fabre commence par soutenir L’Avenir, le journal radical du parti, mais rompt ses liens avec la publication en 1852, choisissant plutôt de fonder Le Pays en collaboration avec Jacques-Alexis Plinguet. Comme L’Avenir, ce nouveau journal est en faveur de la réforme électorale et prône la fin de l’union entre le Canada-Est et le Canada-Ouest, mais évite soigneusement toute critique à l’endroit de l’Église. Selon Jean-Louis Roy, c’est fort probablement les attaques virulentes du journal L’Avenir envers l’Église qui lui a valu la dissociation de Fabre ; en effet, il doit à l’Église, qui fournit une part importante de la clientèle de sa librairie, une partie de son succès financier.
Maire de Montréal
Au cours des dernières années de sa vie, Édouard-Raymond Fabre jouit d’une carrière couronnée de succès en politique municipale, bien qu’il ne semble la considérer qu’avec tiédeur. Pendant des années, il ignore les supplications des résidents de son quartier qui souhaitent « absolument » le voir faire son entrée au conseil de la ville. En 1848, il plie enfin et se présente comme candidat au conseil municipal ; il est élu dans l’est de Montréal. Fabre devient alors conseiller municipal et se voit confier la présidence du comité financier. Montréal est aux prises avec un véritable chaos fiscal puisque la ville est constamment déficitaire ; pendant son mandat de président, Fabre parvient à réduire la dette municipale pour la première fois depuis sa seconde incorporation en 1840.
En 1849, sans l’avoir vraiment cherché, Fabre est nommé maire de Montréal, probablement en raison de ses exploits au comité financier. Pendant son premier mandat, Fabre se retrouve aux prises avec deux situations très difficiles : les émeutes de Montréal de 1849, provoquées par la Loi d’indemnisation pour le Bas-Canada, et l’épidémie de choléra. Fabre n’aime pas son statut de maire ; il se sent isolé et craint pour la sécurité de la ville après les émeutes. Il continue malgré tout à mettre de l’ordre dans les finances municipales et s’affaire à réduire les dépenses.
Il est réélu en 1850, toujours sans l’avoir voulu. Il aurait même confié à sa sœur avoir tout fait pour éviter un second mandat en tant que maire, mais ses pairs le réélisent malgré lui. Fabre met sur pied une équipe de pompiers active à temps plein et étend le réseau d’aqueduc de la ville. En février 1851, il remercie le conseil municipal, mettant enfin un terme à sa carrière de maire. En 1854, après une campagne infructueuse contre Wolfred Nelson pour devenir maire de Montréal, Fabre meurt du choléra.
Si Fabre laisse sa trace dans l’histoire canadienne, ses enfants ne sont pas en reste. Édouard-Charles, par exemple, devient le tout premier archevêque de la ville de Montréal, et Hector, le premier diplomate canadien à Paris en plus d’être un journaliste prolifique écrivant pour certains des journaux les plus lus de la colonie, dont Le Canadien. La fille de Fabre, Hortense, épouse George-Étienne Cartier, faisant d’Édouard-Raymond le beau-père de l’un des Pères de la Confédération.