Il convient d'établir une distinction préliminaire entre l'intoxication « volontaire » et l'intoxication « involontaire ». On dira que l'accusé a été « involontairement » intoxiqué s'il a réagi de façon imprévisible à un médicament ou s'il a consommé sans le vouloir des substances intoxicantes (apparemment, sans faute de sa part). Il pourra alors prouver son intoxication pour démontrer qu'il n'avait pas l'intention de commettre l'infraction ou qu'il n'aurait pas pu commettre volontairement l'acte criminel et, donc, qu'il ne peut être coupable si l'intoxication a provoqué un état d'« automatisme » (voir plus loin). En revanche, s'il a intentionnellement ou « volontairement » consommé des substances intoxicantes, les règles relatives à l'admission de la preuve d'intoxication sont plus strictes.
Normes objectives
Lorsqu'une norme objective s'applique à une infraction ou à un moyen de défense, la preuve d'intoxication ne peut généralement avoir pour effet de diminuer la faute de l'accusé. Une personne raisonnable ne s'intoxique pas. La preuve d'intoxication peut augmenter le degré de culpabilité de l'accusé quand une personne raisonnable aurait prévu que l'intoxication augmenterait la probabilité de la survenance du résultat prohibé. Les règles qui régissent la preuve d'intoxication en matière d'infractions exigeant la MENS REA sont plus complexes.
Normalement, la preuve d'intoxication volontaire n'est admissible qu'à l'égard des infractions dites d'« intention spécifique » exigeant la mens rea, et non à l'égard des infractions dites d'« intention générale ». Les infractions d'« intention générale » nécessitent simplement la preuve que l'accusé avait l'intention de commettre l'acte reproché en ayant connaissance des circonstances. Par ailleurs, les infractions d'« intention spécifique » nécessitent également la preuve d'une intention supplémentaire. Par exemple, l'agression (qui, dans une de ses formes, exige uniquement qu'il y ait eu attouchement intentionnel d'une autre personne sans son consentement) constitue une infraction d'intention générale alors que le meurtre (qui exige la preuve non seulement de l'infliction intentionnelle du mal, mais de l'intention de tuer) constitue une infraction d'intention spécifique. Bien qu'elle soit critiquée par les juges et les auteurs, la distinction entre infractions d'intention spécifique et infractions d'intention générale demeure reconnue en droit canadien. Les tribunaux invoquent cette distinction pour limiter le recours à l'intoxication comme moyen de défense.
Intention spécifique
Au départ, la common law d'Angleterre limite la preuve d'intoxication à une seule question : l'accusé avait-il la capacité de former une intention spécifique? La règle canadienne moderne veut que cette preuve soit pertinente quant à cette question et à celle de savoir si l'accusé a effectivement manifesté l'intention spécifique. Si la preuve d'intoxication soulève un doute raisonnable à propos de la question de savoir si l'accusé avait la capacité de former l'intention spécifique ou l'a effectivement formée, il ne pourra être déclaré coupable de l'infraction d'intention spécifique; il pourra toutefois être déclaré coupable d'une infraction incluse d'intention générale. Ainsi, la personne accusée de meurtre pourrait être déclarée coupable d'homicide involontaire coupable si elle était intoxiquée au moment de la perpétration de l'infraction. En pratique, le degré d'intoxication doit être poussé avant que le doute raisonnable requis ne puisse être soulevé.
La preuve d'intoxication a beaucoup plus de pertinence dans les causes de meurtre. Le meurtre au premier degré est le meurtre commis notamment avec préméditation et de propos délibéré. Même s'il est prouvé que l'accusé avait l'intention de commettre un meurtre, la preuve d'intoxication peut soulever un doute par rapport à la question de savoir si l'accusé a commis l'infraction avec préméditation et de propos délibéré; il en résultera alors une déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. De plus, la personne accusée de meurtre, qui prouve qu'elle a été provoquée, n'est déclarée coupable que d'homicide involontaire coupable car, si l'intoxication est étrangère à la question de savoir si l'acte de la victime pouvait légalement constituer de la provocation, elle pourrait s'avérer pertinente quant à la question de savoir si l'accusé a réagi effectivement à une provocation que reconnaît le droit.
L'accusé peut s'être à ce point intoxiqué qu'il est devenu « automate » ou s'est trouvé dans un état « voisin » de l'automatisme. Il était incapable d'agir volontairement ou de former une intention, fut-elle générale ou spécifique. VoirAUTOMATISME, DÉFENSE D'.
Automatisme ou conduite involontaire
Traditionnellement, la common law refuse de faire une concession spéciale pour l'automatisme résultant de l'intoxication volontaire, indépendamment de la gravité de l'intoxication : la preuve d'intoxication n'est admissible que dans le cas des infractions d'intention spécifique. Toutefois, dans une décision controversée qu'elle rend en 1994, la Cour suprême du Canada statue que la règle de common law est contraire à la CHARTE. L'automatisme établi par l'accusé selon la prépondérance des probabilités (en faisant appel à des témoins experts) réfute le caractère volontaire ou la mens rea, même pour des infractions d'intention générale telle l'agression sexuelle. Cette décision est perçue comme mettant les femmes et les enfants en danger d'être maltraités par des hommes intoxiqués.
Le Parlement réagit rapidement, édictant l'article 33.1 du Code criminel en septembre 1995. Cette disposition prévoit que ne constitue pas un moyen de défense à une infraction d'atteinte ou de menace d'atteinte à l'intégrité physique d'autrui, ou toute forme de voies de fait, le fait que l'accusé, en raison de son intoxication volontaire, n'avait pas l'intention de base ou la volonté requise pour perpétrer l'infraction, dans les cas où il s'écarte de façon marquée de la norme de diligence raisonnable généralement acceptée dans la société canadienne. L'écart marqué se produit lorsque l'accusé, alors qu'il est dans un état d'intoxication volontaire qui le rend incapable de se maîtriser consciemment ou d'avoir conscience de sa conduite, porte atteinte ou menace de porter atteinte volontairement ou involontairement à l'intégrité physique d'autrui.
La Cour suprême ne s'est pas encore prononcée sur la question de savoir si l'article 33.1 est conforme à la Charte.