Création de la Commission
C’est en réponse à une campagne de plusieurs mois menée par une coalition de 32 groupes de femmes dirigée par la militante ontarienne Laura Sabia, alors présidente de la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités, que le premier ministre Lester B. Pearson institue la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada en 1967. En mai de l’année précédente, Laura Sabia avait réuni la coalition à Toronto afin de discuter des préoccupations entourant la condition féminine au Canada. La campagne de la coalition, la pression de plus en plus forte exercée par les médias et la menace d’une manifestation de 2 millions de femmes sur la colline parlementaire lancée par madame Sabia auraient incité le premier ministre à mettre sur pied la Commission. Le rôle joué par Judy LaMarsh, seule femme au cabinet et Secrétaire d’État de 1965 à 1968, n’est pas non plus à négliger.
Le mandat de la Commission est d’enquêter sur la situation de la femme canadienne et de faire des recommandations au gouvernement fédéral dans le but d’assurer l’égalité des femmes dans toutes les sphères de la société. La Commission est lancée au moment où le mouvement des femmes bat son plein et où d’autres gouvernements dans le monde s’attaquent à des enjeux semblables.
Audiences et rapport
Pour la première fois, une commission royale d’enquête est présidée par une femme. Il s’agit de Florence Bird, journaliste et communicatrice d’Ottawa, à qui se joignent deux hommes et quatre autres femmes : Jacques Henripin, professeur de démographie (Montréal, Québec); John Humphrey, professeur de droit à l’Université McGill ayant rédigé la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies (Montréal); Lola Lange, fermière et militante communautaire engagée auprès des femmes autochtones (Claresholm, Alberta); Jeanne Lapointe, professeure de littérature ayant fait partie de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (Québec, Québec); Elsie Gregory MacGill, ingénieure en aéronautique (Toronto, Ontario), et Doris Ogilvie, juge à la Cour juvénile (Fredericton, Nouveau-Brunswick). La secrétaire générale de la Commission est Monique Bégin, une jeune sociologue proche de Thérèse Casgrain appelée à devenir la première Québécoise élue à la Chambre des communes.
L’enquête débute au printemps 1968. Pendant plus de six mois, des audiences publiques ont lieu partout au pays. La Commission génère un intérêt considérable : elle étudie 468 mémoires et reçoit plus de 1000 lettres d’opinion et témoignages supplémentaires, ce qui confirme les nombreux problèmes auxquels font face les femmes dans la société canadienne.
Son rapport, de 488 pages, contient 167 recommandations adressées au gouvernement fédéral sur des enjeux comme la parité salariale, l’instauration d’un régime de congés de maternité, la création de services de garde à l’échelle nationale, le contrôle des naissances et le droit à l’avortement, la réforme du droit de la famille, l’éducation et l’accès des femmes aux postes de direction, le travail à temps partiel et les pensions alimentaires. Un important volet traite aussi des problèmes spécifiques auxquelles font face les femmes autochtones et de la Loi sur les Indiens. Toutes ces recommandations reposent sur le principe essentiel voulant que l’égalité entre les hommes et les femmes au Canada soit à la fois possible, souhaitable et nécessaire sur le plan éthique.
Le Rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme est présenté à la Chambre des communes le 7 décembre 1970. En déposant ce rapport, la Commission joue un rôle significatif dans la reconnaissance du statut de la femme en tant que problème social devant être réglé collectivement et non individuellement. Elle y souligne les difficultés rencontrées par les femmes et y propose des changements à apporter aux politiques sociales pour éliminer l’inégalité entre les sexes, aidant ainsi les groupes de femmes à se mobiliser autour de causes communes. Le plus important regroupement d’organisations féministes au Canada, le Comité canadien d’action sur le statut de la femme, est alors créé dans le but de faire pression sur le gouvernement pour qu’il mette en œuvre les recommandations du Rapport.
Accueil et mise en œuvre des recommandations
En réponse à l’une des recommandations, le gouvernement fédéral met sur pied le Bureau de la coordonnatrice de la situation de la femme (Condition féminine Canada) en 1971 et crée un poste de ministre responsable de la Condition féminine. D’abord supervisé par le Bureau du Conseil privé, l’organisme gouvernemental devient autonome en 1976; il opère grâce à un budget annuel voté par le Parlement et sa coordonnatrice, nommée en vertu d’un décret, en est l’administratrice générale. Du même souffle, le gouvernement crée le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme en 1973. Jusqu’à sa dissolution en 1995, cet organisme indépendant a eu pour mandat de formuler des recommandations au gouvernement et d’informer le public canadien sur toute question relative aux enjeux vécus par les femmes.
Dès les années 1980, la plupart des 167 recommandations du Rapport de la Commission sont mises en œuvre, en tout ou en partie. Toutefois, nombreux sont ceux et celles qui portent un regard critique sur la Commission. Ils reprochent notamment au Rapport d’être silencieux sur des questions d’envergure comme la lutte à la pauvreté, un problème qui affecte davantage les mères monoparentales et les enfants.
La violence faite aux femmes est aussi l’un des grands problèmes sociaux virtuellement ignorés dans le rapport de la Commission. À partir des années 1980, la population y sera cependant de plus en plus sensibilisée, surtout à la suite de la tragédie de l’École polytechnique de Montréal, au cours de laquelle 14 jeunes femmes sont assassinées pour des motifs antiféministes (voir Antiféminisme au Québec). Cette tragédie passe à l’histoire et devient un moment clé dans la sensibilisation à la violence faite aux femmes. Depuis 1991, le 6 décembre est la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes (voir aussi Se souvenir de la tragédie de Polytechnique).
Par ailleurs, certains enjeux que la Commission ne soulève pas à l’époque, comme les problèmes qui touchent les communautés homosexuelle et transgenre, commencent tout juste à être examinés (voir Droits des lesbiennes, des gais, des bisexuels et des transgenres au Canada).
Héritage de la Commission
En dépit de ses lacunes, la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme est indubitablement un catalyseur de changement social. Elle unit les femmes canadiennes plus que jamais auparavant et leur permet de se prononcer en faveur de politiques sensibles à l’identité sexuelle. En plus de mettre en lumière les droits des femmes, elle est à la source de victoires importantes pour la société, comme l’égalité du salaire minimum et le congé de maternité.
À l’instar du gouvernement fédéral, les provinces et territoires (exception faite de la Colombie-Britannique) vont créer, aussitôt qu’en 1973, des organismes consultatifs sur le modèle du Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme. Plusieurs sont toujours en activité en 2016 malgré que d’importantes compressions budgétaires aient profondément affecté leurs activités au cours des dernières années (voir notamment Conseil du statut de la femme). D’autres, comme le Conseil consultatif sur la condition de la femme au Nouveau-Brunswick, ont tout simplement été abolis.
Chaque province canadienne a dorénavant une ministre responsable de la condition féminine. À l’échelle fédérale, Condition féminine Canada s’emploie aujourd’hui à accroître l’égalité en travaillant de concert avec les programmes provinciaux et fédéraux pour promouvoir la sécurité économique, le leadership et la participation démocratique des femmes et des filles, en plus d’éradiquer la violence à leur endroit.
Voir aussi Femmes et loi; Droit de vote des femmes