Chroniques et critiques artistiques
La critique d'art et les écrits sur l'art remontent en grande partie aux années 50. Il faut distinguer la critique, qui porte un jugement qualitatif sur les oeuvres, et la philosophie de l'art, qui cherche à interpréter les oeuvres en tentant de découvrir la nature, la signification et la symbolique de l'art en général. Cependant, il y a réciprocité entre critique d'art et philosophie de l'art : toute évaluation de la qualité comprend toujours une interprétation explicite ou implicite de la signification de l'oeuvre, tandis que chaque interprétation implique qu'un jugement qualitatif a été formulé antérieurement.
La critique d'art peut s'arrêter à plusieurs aspects des arts visuels tels qu'un jugement sur la qualité des collections publiques ou privées, sur l'architecture, les arts décoratifs, l'aide accordée aux artistes, le marché de l'art, la conservation et l'organisation d'expositions. Une bonne partie de la critique d'art au Canada privilégie surtout l'aspect documentaire. L'augmentation importante du nombre d'artistes, de musées, de galeries commerciales et de mécènes depuis la Deuxième Guerre mondiale témoigne d'un développement du jugement artistique. La critique écrite augmente au même rythme.
Les premières chroniques et critiques artistiques sont d'abord publiées sous forme de courts articles dans des journaux quotidiens et des hebdomadaires ou dans des revues d'intérêt général. L'Abeille canadienne, périodique bimensuel montréalais publié brièvement en 1818-1819, le Halifax Monthly Magazine de 1830 et l'Upper Canadian Literary Magazine de 1833 comptent parmi les premiers. Plus tard, La Revue canadienne, The Week, Foyer domestique et le Canadian Home Journal consacrent régulièrement des rubriques à l'art. En général, celles-ci traitent des expositions en cours, abordant les oeuvres d'art dans une langue d'une élégance recherchée, plus soucieuse des idéaux victoriens que des qualités picturales. Vers la fin du XIXe siècle, on commence à publier des études plus élaborées, comme le chapitre de Sherwood dans Canada : An Encyclopaedia of the Country, de Hopkins. C'est seulement dans les années 20 cependant qu'on publie des livres consacrés exclusivement à l'art, dont ceux de Georges Bellerive et de Newton MacTavish. Malgré cet intérêt, ni les auteurs ni les critiques ne peuvent vivre uniquement de leurs écrits sur l'art.
Au début du XXe siècle, ce facteur économique continue de déterminer le type d'auteurs qui publient. Parmi eux, on compte de nombreux artistes, quelques conservateurs de musées et un petit nombre de critiques professionnels. Des praticiens comme Arthur Lismer, Lawren S. Harris, C.W. Jefferys et John Lyman rédigent des articles importants. Eric Brown, directeur de ce qu'on appelait alors la Galerie nationale du Canada (aujourd'hui le Musée des beaux-arts du Canada), ajoute l'écriture à ses nombreuses fonctions. Ce sera aussi le cas de Donald W. Buchanan, un des rédacteurs en chef de Canadian Art, qui travaillera plus tard à la Galerie nationale. Robert Ayre perpétue la tradition de l'auteur occasionnel; tout en travaillant au service des relations publiques du Canadien National, il écrit pour le Montreal Standard et ensuite pour le Montreal Star. Il y a bien eu quelques critiques d'art professionnels. Hector Charlesworth, qui compte parmi les premiers critiques éminents, écrit sur de nombreux sujets, y compris les arts. Après la Première Guerre mondiale, Jean Chauvin écrit des textes pénétrants dans la presse d'expression française, tout comme Pearl McCarthy dans les années 50 et au début des années 60, dans le Globe and Mail de Toronto. Des journalistes comme Newton MacTavish et F.B. Housser écrivent quelques-uns des premiers livres sur la peinture canadienne. On n'accorde guère d'importance à la critique objective, rationnelle, à l'exception notable de Ayre et de McCarthy, qui rédigent régulièrement des chroniques.
L'expansion des musées (voir Peinture) entraîne des changements, les premiers étant évidents dans les années 50. Ces institutions voient alors une augmentation importante de leur nombre, de leur personnel et de leur programmation. On s'intéresse de plus en plus aux fresques historiques, particulièrement sous forme de livres, grâce à l'influence de conservateurs passionnés de recherche comme R.H. Hubbard, Gérard Morisset et J. Russell Harper. Leurs ouvrages sur l'histoire de l'art canadien se caractérisent par un large recours aux documents d'origine. Ils révolutionnent le domaine et en font un objet d'étude sérieux. En moins de 10 ans, d'autres enquêtes et études spécialisées paraissent, comme Looking at Architecture in Canada d'Alan Gowan, Premiers peintres de la Nouvelle-France de F.-M. Gagnon etLes Meubles anciens du Canada français, de Jean Palardy.
Les thèmes abordés se multiplient et incluent un plus grand nombre d'études exhaustives sur l'art des peuples autochtones du Canada. Marius Barbeau et Diamond Jenness font oeuvre de pionnier avec leurs travaux sur les autochtones du Canada, que des universitaires comme Wilson Duff développeront. James Houston innove en faisant la promotion de l'art inuit, jusque là sérieusement négligé, et George Swinton en fait ensuite un sujet d'analyse. Après 1960, l'art contemporain commence à avoir ses défenseurs, trop nombreux pour qu'on en donne ici la liste. L'approche de ce nouveau mouvement a tendance à être formaliste et parfois marxiste. Ces études ne sont cependant qu'un début, puisque bon nombre de domaines demeurent inexplorés. On manque d'études sur la sculpture canadienne, l'architecture des Maritimes, les mécènes, les marchands, les critiques et la plus grande partie des arts décoratifs.
Au milieu des années 70, l'activité des musées connaît un deuxième élan, en raison d'une injection de fonds fédéraux. Elle attire un public plus vaste et stimule les écrits sur l'art. Les galeries d'art, quant à elles, se font de plus en plus nombreuses et spécialisées. Les amateurs peuvent visiter des musées, des galeries commerciales ainsi que des centres dirigés par des artistes, autant de lieux où se tiennent des expositions et où sont parfois publiés des catalogues (voir Courants artistiques contemporains). Ces nouvelles manifestations suscitent à leur tour la publication de critiques et d'articles dans les journaux, les périodiques d'intérêt général et les revues d'art spécialisées. Dans la presse à grand tirage, l'espace réservé aux arts visuels est relativement limité et les articles sont plutôt descriptifs. Les musées publient davantage de bulletins, plus influents et plus variés. ArtsAtlantic (1977) introduit le concept de mécénat coopératif et la revue reçoit l'appui de 11 galeries et musées des Maritimes. Vanguard, publié par la Vancouver Art Gallery, paraît d'abord sous forme de tabloïd en 1972. Il devient un magazine en 1979, et son influence s'étend alors sur la scène nationale. La publication de Vanguard cesse en 1989.
Le nombre grandissant d'expositions se reflète dans la multiplication des revues d'art spécialisées qui, à partir de la Deuxième Guerre mondiale, agrandissent considérablement le champ de l'art. Canadian Art, créée en 1943 et rebaptisée artscanada en 1967, et Vie des arts, créé en 1956, se consacrent toutes deux à des questions d'art contemporain. En 1983, des problèmes financiers entraînent la disparition d'artscanada et d'artmagazine (fondée en 1969). Toutefois, l'année suivante, deux nouveaux périodiques, C Magazine et Canadian Art, commencent à paraître. Ce n'est qu'avec Le Bulletin de la Galerie Nationale et la création, en 1974, de RACAR et du Journal of Canadian Art History , qu'on commencera à porter une attention soutenue aux enjeux historiques. De nombreuses revues sont récemment apparues, rédigées et publiées par des artistes. Plusieurs d'entre elles proviennent de centres d'artistes autogérés, comme Only Paper Today de la galerie A Space de Toronto, Centrefold , de la galerie Parachute Centre de Calgary, et Virus, publié par la galerie Véhicule de Montréal. D'autres doivent leur existence à des groupes d'artistes comme File, publié par General Idea. Certaines revues sont plus spécialisées; c'est le cas de Parachute, qui se consacre à la critique contemporaine, ou d'Espace, qui porte une réflexion sur les divers enjeux de la sculpture actuelle. D'autres publications sont plus commerciales, possédant un créneau particulier, comme Video Guide, Canadian Architect et Photo Canada s'adressent à un lectorat restreint.
L'augmentation considérable du nombre d'écrits sur l'art fait émerger de nouveaux types d'auteurs. L'artiste demeure un intervenant important, agissant comme commentateur et comme critique, mais le critique d'art professionnel, même s'il fait souvent ce travail à temps partiel, prend de l'importance. En outre, une nouvelle génération de spécialistes, l'historien d'art de formation universitaire, constitue un apport important.
À mesure que les catalogues se font plus nombreux, ils deviennent aussi plus complexes et plus variés. Les introductions passent progressivement de la simple information biographique à des analyses plus en profondeur auxquelles s'ajoutent un plus grand nombre de reproductions. Les approches sont aussi variées que les sujets abordés. Au moyen de nombreuses illustrations et d'un texte percutant, Alvin Balkind confère une portée didactique à son catalogue grand public, 17 Canadian Artists : A Protean View. Travaillant sur un sujet plus circonscrit, soit les estampes de David Milne , Rosemarie Tovell initie efficacement le lecteur à l'évolution de cet aspect important de l'oeuvre de Milne (1980), tandis que les auteurs deJoyce Wieland (1987) embrassent, avec largeur de vue, l'ensemble des créations de l'artiste.
Les catalogues d'exposition, libérés de certaines des pressions financières qui pèsent sur les publications plus commerciales, peuvent maintenant faire preuve de plus d'audace dans la présentation, établissant un lien esthétique avec les oeuvres analysées. Parmi les exemples récents remarquables, on trouve le Book Sculptures (1993) de Micah Lexier, Nickle Arts Museum de l'Oakville Galleries et A Garden of Delights : 25 Years of Prints by Noboru Sawai (1994). The Flat Side of the Landscape : The Emma Lake Artists' Workshops (1989), de la Mendel Art Gallery, et Land Spirit Power (1992), du Musée des Beaux-Arts du Canada, favorisant tous deux une approche plus documentée et plus analytique qu'auparavant. Chacun inclut des essais d'au moins trois auteurs qui étudient en profondeur différentes facettes du même sujet. Malheureusement, dans ce très vaste domaine que constituent les écrits sur l'art, la distribution demeure un grave problème; quelques institutions muséales tentent l'expérience de la coédition de catalogues comme ouvrages commerciaux avec des éditeurs connus.
Dans ces livres, les tendances restent les mêmes, et les biographies ont toujours la faveur populaire. Elles s'appuient sur des recherches solides, comme c'est le cas de l'impressionnant Borduas, de F.-M. Gagnon. On trouve une autre approche biographique dans A Paintbrush in My Hand : Daphne Odjig (1992), de R.M. Vanderburgh et M.E. Southcott. Une proportion considérable de livres publiés l'est en grand format, ce qui se prête bien aux nombreuses et grandes illustrations en couleur et permet d'inclure des textes simples, généralement courts et peu nombreux. Pendant un certain temps, cette tendance résulte en la publication de tirages limités, des volumes de collection se vendant des milliers de dollars pièce et traitant d'artistes connus comme Christopher Pratt et Kenojuak.
L'intérêt pour la philosophie de l'art, que l'on trouve dans les catalogues récents, s'est aussi étendu aux livres. Des auteurs comme Philip Monk avec Struggles with the Image, Mark A. Cheetham avec Remembering Postmodernism, Adele Freedman avec Sight Lines : Looking at Architecture and Design in Canada et Linda Hutcheon avec Splitting Images, font intervenir souvent des références postmodernes. Les auteurs proviennent du même milieu que ceux qui rédigent la plupart des catalogues et des articles; ce sont beaucoup plus fréquemment des universitaires.
En même temps qu'un plus grand nombre de chroniques et de critiques artistiques au Canada, on constate un nouveau professionnalisme et une plus grande variété d'approches. Cela tient en partie à la plus grande attention que les universités et les musées accordent à l'histoire de l'art canadien. La norme d'autrefois - des documents sans jugement critique, écrits à la première personne et axés sur la biographie - s'élargit peu à peu, faisant place aux catalogues et aux articles de revue analytiques ou critiques. Il n'y a pas une philosophie de l'art qui l'emporte sur les autres au Canada, et certains adoptent des concepts venus d'ailleurs, comme l'approche formaliste du critique américain Clement GreenbergEn même temps qu'un plus grand nombre de chroniques et de critiques artistiques au Canada, on constate un nouveau professionnalisme et une plus grande variété d'approches. Cela tient en partie à la plus grande attention que les universités et les musées accordent à l'histoire de l'art canadien. La norme d'autrefois - des documents sans jugement critique, écrits à la première personne et axés sur la biographie - s'élargit peu à peu, faisant place aux catalogues et aux articles de revue analytiques ou critiques. Il n'y a pas une philosophie de l'art qui l'emporte sur les autres au Canada, et certains adoptent des concepts venus d'ailleurs, comme l'approche formaliste du critique américain Clement GREENBERG. On note un intérêt croissant pour l'étude de la nature politicoculturelle de l'art et du caractère global de l'univers de l'artiste contemporain. Les auteurs reconnaissent ces valeurs individuelles et culturelles dans des oeuvres particulières et ils sont également plus conscients des théories postmodernes actuelles. Dans l'ensemble, les écrits canadiens sur l'art sont de plus en plus analytiques, de plus en plus critiques, cherchant à la fois de nouvelles grilles d'interprétation et de meilleures méthodes d'évaluation.