Canadiens français dans l'Ouest
Arrivant de Montréal, les Français viennent dans le Nord-Ouest à la recherche de fourrures et d'une route par voie de terre conduisant à la mer de l'Ouest, qui devait mener à un raccourci vers la Chine (voir coureurs des bois). En 1682, alors qu'il travaille pour la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH), dont le siège social est à Londres, en Angleterre, Pierre Radisson explore 300 km à l'intérieur des terres à partir de la baie.
Bien que les Français se soient établis dans l'Ouest (dans le secteur supérieur des Grands Lacs) vers 1690, ce n'est qu'à partir de 1730 qu'ils créent des postes de traite des fourrures plus loin vers l'Ouest, dans le bassin de Winnipeg, grâce aux efforts conjugués de Pierre de la Vérendrye et de ses fils. Après la Conquête (1760), les négociants français de l'Ouest travaillent pour la Compagnie du Nord-Ouest (CNO) et pour la CBH, contribuant ainsi à l'expansion de la traite des fourrures jusqu'aux rives de l'Arctique et du Pacifique. La première femme blanche à vivre dans l'Ouest est Marie-Anne Lagemodière, l'épouse d'un négociant en fourrures.
Naissance de la nation métisse
Dès les premiers contacts avec la population autochtone, plusieurs négociants français épousent des femmes autochtones, créant ainsi un groupe distinct de « sang-mêlé » ou Métis. Les Métis combattent aux côtés de la CNO contre la CBH au cours de la bataille de Seven Oaks, en juin 1816, à la rivière Rouge. Le chant que Pierre Falcon compose pour célébrer cette victoire affermit leur sentiment d'avoir une identité commune. La nation métisse est née.
Deux ans plus tard, les pères Joseph Norbert Provencher et Sévère Joseph Nicolas Dumoulin atteignent la colonie de la rivière Rouge. En 1844, le diocèse de la rivière Rouge devient le vicariat apostolique du Nord-Ouest, sous l'autorité du père Provencher (nommé évêque plus tard). L'arrivée des soeurs grises, dans les années 1840, affermit la foi chrétienne et la culture française des Métis.
Économie des débuts et peuplement
Au milieu du siècle, les Métis de la rivière Rouge ont déjà développé une économie basée sur la chasse au bison, l'agriculture à petite échelle et le travail saisonnier pour la CBH. Plusieurs Métis vont aussi plus loin vers l'Ouest, à la recherche de bisons. Ils s'établissent aux fourches de la rivière Saskatchewan, dans la région des collines du Cyprès de la Saskatchewan, à Lac Sainte-Anne et, plus tard, à Saint-Albert, près de Fort Edmonton. En 1845, l'évêque Provencher a déjà persuadé les Oblats de France d'envoyer des missionnaires. L'un des premiers à arriver est Alexandre Taché, et il recrute plus tard le père Grandin. Grandin, avec l'appui du père Albert Lacombe, contribue à l'établissement de l'Église catholique dans la région qui est l'Alberta d'aujourd'hui. Vers les années 1850, les Oblats ont également commencé à pénétrer en Colombie-Britannique, fondant des missions le long de la côte Sud, ainsi que dans les vallées de l'Okanagan et du Fraser.
Quand le Canada fait l'acquisition du Nord-Ouest, le chef de la rivière Rouge, Louis RIEL, dirige un mouvement de résistance qui exige un droit de parole dans les conditions d'union. Le Manitoba, découpé dans la Terre de Rupert et les Territoires du Nord-Ouest, entre dans la Confédération à l'instar du Québec. Il est créé en tant que province bilingue et biculturelle, dotée d'un double système scolaire et d'une législature bicamérale. De plus, à la Terre de Rupert et dans les Territoires du Nord-Ouest, la législation du Dominion établit officiellement, en 1875 et en 1877, la dualité dans le système scolaire ainsi que le bilinguisme, tout comme au Québec (voir Acte de Manitoba). En l'espace d'une décennie, ces mesures sont contestées, à mesure que l'afflux important d'immigrants de langue anglaise modifie la composition ethnique de l'Ouest. Une rébellion armée, conduite par Riel, est écrasée à Batoche en 1885, et Riel est pendu pour trahison en novembre de la même année (voir Rébellion du Nord-Ouest). L'exécution de Riel divise encore le nouveau Dominion en fonction des critères ethniques et religieux.
En 1890, le corps législatif du Manitoba vote une loi abolissant officiellement le bilinguisme et privant les écoles catholiques de fonds publics (voir écoles du Manitoba). Le compromis Laurier-Greenway de 1897 permet l'enseignement limité de la foi catholique romaine, ainsi que l'enseignement du français dans certaines conditions. En 1916, le gouvernement du Manitoba rend l'enseignement en anglais obligatoire, annonçant la fin des écoles françaises jusque dans les années 70.
En 1892, les Territoires du Nord-Ouest ont déjà aboli la dualité dans le système scolaire, mais on y permet l'existence d'écoles catholiques sous certaines conditions particulières. La législature territoriale croit aussi avoir aboli l'usage du français dans les débats. Les mesures qui touchent l'éducation et la langue sont reportées et sont assujetties au contrôle des législatures dans les deux provinces nouvellement créées, l'Alberta et la Saskatchewan, en 1905. On laisse désormais entendre aux Canadiens français du Québec, qui considéraient l'Ouest comme une part de leur héritage, que les provinces bilingues et biculturelles de l'Ouest à l'image du Québec ne seront pas tolérées.
Le retour de l'enseignement du français
À la suite des recommandations de la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme en juillet 1970, le Manitoba permet l'enseignement du français dans les écoles publiques. En 1979 (affaire Forest) et de nouveau en 1985, la Cour suprême du Canada déclare, dans l'affaire du père Mercure, que la Saskatchewan et l'Alberta sont bilingues, mais que les droits des francophones peuvent être abolis par les procédures législatives normales. En l'espace de quelques semaines les deux provinces votent des lois qui font de l'anglais leur seule langue officielle. Depuis que la colonie de la Couronne de la Colombie-Britannique est entrée dans la Confédération en tant que province unilingue, en 1871, les francophones sont dépourvus de droits linguistiques. Il faudra la Loi constitutionnelle de 1982 pour permettre les études en français sous la direction distincte de la minorité française. Ces mêmes droits sont aussi appliqués partout dans les autres provinces de l'Ouest, après avoir été entérinés par la Cour suprême lors de l'affaire Mahé, en 1990. Les échanges en français et en anglais avec le gouvernement fédéral sont assurés dans l'Ouest, comme ailleurs au pays, par la Loi sur les langues officielles (1969) et par la Loi constitutionnelle de 1982.
Au fil des années, les provinces de l'Ouest attirent une grande variété d'immigrants de langue française. Certains viennent du Québec, bien que dans les dernières décennies du XIXe siècle le Québec ait dissuadé ses habitants d'aller dans l'Ouest, étant donné que déjà trop de gens quittent la province pour trouver de l'emploi en Nouvelle-Angleterre. Cependant, les missionnaires canadiens-français encouragent les peuples de langue française à s'établir dans l'Ouest, particulièrement entre 1880 et 1912. Plusieurs colons viennent de France, tandis que d'autres viennent du Québec, de la Nouvelle-Angleterre et de la Belgique (bien que la Première Guerre mondiale ait mis un terme à l'émigration de la Belgique et de la France). La plupart s'établissent dans les provinces des Prairies. Après 1926, un autre groupe de colons de langue française s'établit dans les basses-terres de la rivière de la Paix. La vague de prospérité liée au pétrole, qui s'amorce en Alberta en 1947, et le développement de l'industrie des pâtes et papiers en Colombie-Britannique attirent vers l'Ouest les derniers migrants du Québec. D'après le recensement de 1991, environ 230 000 personnes d'origine française vivent dans les quatre provinces de l'Ouest, quelque 163 000 d'entre elles désignant le français comme leur langue maternelle.
Contributions
Les Canadiens français apportent leur contribution aux structures économiques et politiques de l'Ouest du Canada depuis toujours. Ils siègent au Conseil des Territoires du Nord-Ouest et dans les corps législatifs des provinces de l'Ouest. Ils s'engagent activement dans la direction d'écoles et sur la scène politique municipale, provinciale et fédérale, siégeant aux deux Chambres du Parlement. Des hommes tels que Joseph Cauchon; Joseph Bernier; Joseph Dubuc; et, plus récemment, Gildas Molgat, du Manitoba; et Prosper Edmond Lessard, Wilfrid Gariépy, Joseph-Henri Picard, Jean-Léon Côté, Aristide Blais et Lucien Maynard, de l'Alberta, s'engagent beaucoup sur la scène politique. Les Canadiens français prennent aussi part à la vie publique en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Le Québec établit des institutions bancaires dans l'Ouest. La Banque Canadienne Nationale (ou Banque d'Hochelaga, son premier nom) aide à financer les nouveaux arrivants de tous les groupes ethniques. Des hôpitaux, des collèges et des couvents sont fondés et financés par les institutions religieuses du Québec. Des compagnies d'assurance telles que La Sauvegarde et La Familiale, en Saskatchewan, proposent leurs services aux Canadiens français de l'Ouest.
Les Canadiens français professionnels participent au développement de l'Ouest en tant que médecins, avocats, juges, ingénieurs, architectes et enseignants. On compte parmi les Canadiens de langue française de l'Ouest des écrivains éminents dans les domaines du journalisme, de l'histoire et de la littérature (Gabrielle Roy, Donatien Frémont, Georges Bugnet). Le Centre d'études franco-canadiennes de l'Ouest, à Saint-Boniface, garde vivante la tradition littéraire des Canadiens français de l'Ouest. De plus, les Canadiens français de toutes les provinces de l'Ouest fondent leurs propres associations pour promouvoir le fait français, en plus d'autres organismes comme Le Cercle Molière de Saint-Boniface, qui est la plus ancienne troupe de théâtre française permanente dans l'Ouest.
ROGER MOTUT
Les Franco-Colombiens
Il importe de marquer la différence entre les francophones des Prairies (Manitoba, Saskatchewan et Alberta) et ceux de la Colombie-Britannique. Elle réside essentiellement en ceci que, isolés des autres francophones par les Rocheuses , les Franco-Colombiens, environ 60 000, s'organisent de façon indépendante et ce depuis toujours. La Colombie-Britannique était en effet constituée en colonie, avait son gouvernement propre bien avant son entrée dans la Confédération en 1871, alors que les provinces des Prairies ont été créées par le gouvernement central. De plus, la situation économique de ces régions est fort dissemblable, n'étant pas basée sur les mêmes richesses. Enfin, en Colombie-Britannique, l'arrivée massive d'immigrés asiatiques, en particulier de Hong Kong, a donné une place importante à la langue chinoise aux dépens du français.
L'indice de continuité linguistique est en moyenne de 0,35 dans l'Ouest, soit l'un des plus bas au pays. Toutefois, les communautés s'organisent et il est possible d'observer un renouveau de dynamisme: en mars 1999 a été créé un Secrétariat albertain des affaires francophones; les Fransaskois travaillent à la rédaction d'un projet éducatif qui doit permettre "l'accès à l'école en français langue première, l'intégration culturelle fransaskoise, le recrutement et la liaison scolaire"; la population franco-manitobaine s'est dotée, avec l'appui du gouvernement fédéral, d'un plan global de développement qui doit, à moyen et long terme, favoriser la promotion de la culture et la conservation des ressources patrimoniales, la diffusion de produits francophones, le développement communautaire et garantir l'accès à une éducation en langue française de qualité; enfin, la Chambre de commerce franco-colombienne s'applique à mettre sur pied un projet de corridor touristique francophone recensant les différents sites touristiques et centres de services (hébergement, restauration, commerces, etc.) où il est possible d'être servi en français. Ce projet devrait non seulement favoriser le tourisme en provenance de pays et régions francophones, mais encore valoriser les entreprises francophones et participer à rompre l'isolement de la communauté franco-colombienne.